Hélène Dorion, Mes forêts
Hélène Dorion est née en 1958 à Québec. Après des études de philosophie, elle commence à écrire des poèmes qui paraîtront d’abord en revues. Elle n’a que 25 ans quand est publié son premier livre de poésie, L’intervalle prolongé, suivi de La chute requise. En 2002, une anthologie personnelle de ses poèmes paraît sous le titre D’argile et de souffle. Les deux décennies suivantes confirmeront son importance dans le paysage littéraire francophone, au point de devenir aujourd’hui une poète mise au programme du Bac 2024 en France avec son recueil Mes forêts.
« Mes forêts/quand je m’y promène/c’est pour prendre le large vers moi-même ». On ne doit pas s’étonner qu’une poète québécoise puisse faire de la forêt – si abondante et si menacée sans son pays – le véritable leitmotiv d’un livre. Les forêts de Hélène Dorion ont une âme. Elles sont « des bêtes qui attendent la nuit/pour lécher le sang de leurs rêves ». Elles sont « des greniers peuplés de fantômes ». Elles sont « un champ silencieux de naissances et de morts ».
Hélène Dorion n’est pas là pour nous faire un inventaire poétique des forêts qu’elle a sous les yeux. Tout juste évoque-t-elle, subrepticement, l’emblématique érable. Si la poète québécoise nous parle de ses forêts, c’est pour mieux nous parler de notre époque. Car, dit-elle, « il fait un temps de glace et de rêves qui fondent », « il fait un temps de foudre et de lambeaux »/d’arbres abattus ». Prémonitoires, ces vers où elle évoque les incendies (si l’on songe à ceux qui ravagent aujourd’hui son pays). « Le feu/qu’on entend venir/on dirait une bête/prête à tout dévorer ». Hélène Dorion, visionnaire, nous parle de « l’onde du chaos » (et l’on songe au livre Le chaos reste confiant de la poète bretonne Eve Lerner, publié chez Diabase). Car voici, nous dit la poète québécoise, «ce jardin où périt un monde/où l’on voudrait vivre ».
Hélène Dorion, Mes forêts, éditions Bruno Doucey, 2023, 156 pages, 5,90 euros.
Mais ces mêmes jeunes trouveront aussi dans les poèmes de Hélène Dorion une critique en règle de certaines formes de consommation contemporaines dont elles sont férues. Car c’est fondamentalement l’appel à un retour au réel qui irrigue son recueil. « Mes forêts sont chemins de chair et marées de l’esprit/un verbe qui se conjugue lentement/loin du facebookinstagramtwitter ». Ailleurs, elle écrit : « Il fait rage virale/sur nos écrans/qui jamais ne dorment ». Elargissant la focale, elle pointe du doigt « pixels et algorithmes » et tous les sigles de notre civilisation branchée : fmi, pib, arn… « L’écran s’est verrouillé/le champ d’étoiles est devenu noir (…) Il fait un temps d’insectes affairés ».
Un monde nouveau, qui n’a pas ses faveurs, émerge donc avec fracas. Mais il ne s’agit pas pour autant, la concernant, de verser dans la nostalgie. Au cœur de ce chambardement en cours, elle nous dit dans un lumineux entretien publié à la fin du recueil que « Ecrire de la poésie, c’est habiter cet espace de la perte, creuser dans l’ombre pour en extraire quelque chose de lumineux ».