Henri Droguet, Grandeur nature
Pour dire la grandeur de la nature, il fallait bien un auteur comme Henri Droguet, travaillant dans toute la grandeur de la langue, arpentant de long en large, mais aussi en hauteur et profondeur les arcanes du vocabulaire de son écriture exigeante à base de « tricotis et remaillures ».
Mais ici, pas de vision romantique de la nature, plutôt les bourrasques, chaos et orages, « mécanique errante des déluges », là où planent « choucas, freux, corneilles »
La nature et ses bouleversements, ses cataclysmes, dans un ouvrage tout en turbulences et tohu-bohu langagier, nous emmenant vers l'abstraction d'un désordre soigneusement travaillé. Mais le poète ne craint pas les éléments déchaînés, il est toujours à la bonne taille. Grandeur nature pour observer l'ordonnancement du vivant et des pensées humaines.
Henri Droguet s'adonne au jeu jubilatoire avec la langue, comme une invitation à rouvrir les dictionnaires, pour des mots que les logiciels de correction orthographique ne connaissent pas comme lanturlus, émissole, licher, badigoinces, ébrais, panicaut, vanvole, tretous, etc. Même le tout-puissant Uncle Google n'a jamais eu vent de ses dérinçures. Belle performance. Car la poésie peut aussi jouer un rôle dans la préservation des mots peu usités. Si tous les mots sont dans la nature, toute la nature est dans les mots d'Henri Droguet. La poésie est aussi un combat contre l'uniformisation du langage.
Henri Droguet, Grandeur nature, Rehauts 2020, 82 p., 16€.
Poète né à Cherbourg, face au vent et aux embruns, les deux pieds désormais posés sur son socle hercynien granitique breton, qu'il a choisi pour un enracinement des plus solides, Henri Droguet se plaît à tournebouler les rythmes pour chambouler notre perception de lecteur. Il s'intéresse à toute la machinerie des éléments, la mer, l'orage, etc. Quand « les jours sont tout noirs », quand « il pleut de l'ombre », Henri Droguet les voit « dans la poche du diable ».
Pas de nature sans animaux, sans oiseaux « buse ... courlis vanneaux tournepierres », sans insectes « lucane redoutable » et « gendarmes pyrrhocoris apterus ». Minéral et végétal itou. Sans oublier l'espace et les étoiles ses « belles taciturnes ». Mais la nature c'est aussi l'amour « L'amour qui est / l'autre nom du vertige », la mort « car mourir s'apprend
ça prend
toute une vie
Quand, dans ce siècle, l'intelligence artificielle reste bien à sa place, dans l'artificiel et le superficiel, la poésie d'Henri Droguet ne fait que nous grandir.