Jacqueline Merville, Passage en Rhénanie, André Breton, Manifestes du surréalisme, Gilbert Bourson, Plancher du Ciel

Jacqueline Merville : traversée

Jacqueline Merville écrit avec sa respiration, rompue et libre, mentale et proche des ressorts d’un inconscient qui trouve en une suite de lieux une série de correspondances baudelairiennes. Etriquée en partie cette respiration permet d’effacer et d’ouvrir ce qu’elle a vécu sous forme d’apprentissage parfois forcé parfois actif. Dans le contexte de sa vie, ce « Passage » comme son nom l’indique est une traversée. Le tout dans une façon de percevoir où la sensibilité et l’intellect sont indissolublement liés, qui ne peut se réduire à la seule compréhension et qui s’adresse autant à une personne qu’à l’ensemble des femmes auquel elle appartient.

Ce mode de perception  tire sa force et sa faiblesse au-delà des catégories utilitaristes et des lieux (usines Henkel, Bayer Leverkusen) qui ouvrent et découvrent ce qui rapproche la propre psyché de l’auteure à son vécu d’hier et d’aujourd’hui étendue plus largement qu’à sa personne.
Existent de nombreux lieux, libres des codes comme des apparats économique. Êtres et objets demeurent étrangers, violeurs ou grabataires mais aussi des invitations à l’existence et au courage pour se réapparaître même où rôde des souffrances et douleurs d’ici et d’hier en de divers passés .
 
Ce passage devient un consentement à soi-même. Nul égarement romantique bien au contraire. La vérité est crue et redonne son dans une langue de sensations. L’ange se réveille en oubliant les brûlures de cigarettes des monstres. Et beaucoup de femmes aussi se souviennent des salauds. Un tel livre permet de retrouver à l’auteure  ce qui n’a pas cessé d’être : un papillon aux ailes déchiquetées.  Mais l’écriture est une inconnue apprivoisable qui étouffe le désespoir. Des pages s’éclairent jusque dans le silence des mères.
La précision du langage touche par un don d’exactitude, un caractère aigu de l’expression. Se dessinent les contours nets, la ligne très précise du destin. S’agit du langage poétique ? – Oui, mais il n’a rien vague car  un tel langage est premier dans la reconstruction qu’il invente au fil du désordre d’un « passage » qui retrouve son unité.
 
Jacqueline Merville, Passage en Rhénanie, des femmes, Editions Antoinette Fouque, Paris, 2024, 64 p., 12 €.
 
Tout ce qui est écrit par Jacquelin Merville est nécessaire pour élaborer de la poésie là où le langage de tous les jours peut nous amener à des réfections comme celles de la Bible : au commencement a été le mot…  L’obliger à se soumettre à de telles exigences c’est plutôt nager contre le courant, avancer en ce qui devient une  revendication à l’existence qui certes est  le fruit hasardeux d’une d’injustice. Elle est inhérente au travail textuel, qui demande une rage d’expression en développements, de dépliements horizontaux ou verticaux.
 
Ainsi, l’explication (si explication il y a ) est inséparable de la création, le mouvement inséparable aux lieux et leurs variantes successives publiées qui répondent bien à une intention et à une conception relevant d’un composition musicale particulière, fixe et mobile, traditionnel et moderne… Au long du temps et jusque dans ce voyage l’auteur a sous mes yeux un long du temps, son  sacs à dos et son histoire.

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Breton l'énergumène

Cette édition centenaire des Manifestes du Surréalisme de Breton est un recensement de tirage spécial parfait.  C’est là se rapprocher de ce Kamtchatka théorique écrit à la fois au télescope comme au microscope. Cette édition documente ces textes de combat de 1924 à 1962 (pour leur édition définitive). Mais La Pléiade ajoute quelques ouvertures intéressantes sur cde tels brulots parfois encore salués, parfois oubliés ou critiqués. Se prolongent la mobilité de la pensée de Breton et la perpétuelle diversité de ses convictions.

Son premier manifeste du Surréalisme.  Fut publié le 15 octobre 1924 au Sagittaire chez Simon Kra à Paris. Et Breton fonde son école (dont il allait devenir « Pape »),  et précise « un certain automatisme psychique qui correspond assez bien à l’état de rêve, état qu’il est aujourd’hui fort difficile de limiter ».  Mais cette judicieuse édition crée des effet de pans et de reflets, d'un texte à l'autre dans la pensée de Breton en particulier chez les versions d’après-guerre.
Certes il serait il est vain de chercher grief au créateur. Mais à chacun de se battre avec ces textes et non sur des attitudes supposées.. Ce qui n’empêcha pas au surréaliste belge Paul Nougé exclu sine die du groupe germanopratin d’estimer  dans les Manifestes des précipités « théoriquards  histoire de ne pas rire ». Et de rappeler que la bourgeoisie intellectuelle et parfois universitaire trouva une forme de liberté entretenue  au gratin marxiste.
Néanmoins cette nouvelle édition nettoie tes nos lunettes en zieutant sur le lit défait des Manifestes leur charnu et parfois des éboulis ou des aisselles négligées. Il n’empêche que l’ensemble reste des successions  d’étoiles nues toujours près sur la bureau d’un écrivain  là où s’allume cette nouvelle édition en plafonnier.
 
Les manifestes, vu leur âge, sont  d’une certaine manière vieux dans le secteur de l’art et de la poésie. Mais ils sont loin de commencer à fatiguer. Les créateurs et lecteurs font leurs griffes dessus. Preuve que les vivants le restent sans s'asseoir sur de tels textes. Ce qu’a émis Breton reste constant progrès et  sans préjudice dans cette accumulation de théories  en un tel livre ouvert sur un certain cristal. Il ne suffit pas d'y mettre un pied dehors et ne jamais oublier de garder les clés de Breton. Elles ont ouvert un monde.

André Breton, « Manifestes du surréalisme »,  Tirage spécial, Préface de Philippe Forest, Collection Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard,  19-09-2024, 1184 p., 64 €.

Un tel évènement le "re-présente". Avec en conséquence, des « usines » de la création  en face des antennes qui vibrent dedans et dehors pour penser le non-sens de certaines raisons. Breton a donc construit un monument. C’est encore quelque chose de la joie qui débarque on ne sait pas parfois pourquoi. Mais il importe que tout l’espace artistique et littéraire cueille un brin de son éternité par  halos de lumière et fait trembler la table non seulement ce l’éros mais de la création-énergumène.

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Affutages et tremblements de Gilbert Bourson

Gilbert Bourson explore des lieux et des livres pour en extraire, par son écriture, d’étranges parfums de fleurs montées vers l’espace à partir de son « plancher du ciel ». Existent une suite de textes abîmes  « pour venir à bout du ciel tombé en plein vol d’un cheveu avec voracité ».

L’auteur a la chance de connaître "des jours à idées".  Ceux-là laissent jaillir ses pensées des moindres occasions, « c’est-à-dire de Rien ». C’est-à-dire aussi toujours d’un encore et voire de tout.
 
Au besoin l’auteur taille dans le jour, referme une fenêtre-sécateur mais ouvre de nombreux matins , d’autres matins.  Ses textes sont de petits chantiers. Ypointent parfois des « draps météorites bégayées d’orteils ». Il existe là des oracles où le moi de l’auteur grouille à foison pour découvrir des fleurs , du pain, des auteurs, des musiciens de Jarry à Breton, de Ravel à Dusapin   à travers de visions sonores ( prises parfois  au mot Rimbaud) ou visuelles.
 
Tout ce qui est dit est autre chose que ce que nous sommes. Et nous suivons le fil avec de multiples tentacules et tentations où « se veut une fleur aux semelles de vent ». Rien ici ne grince chez ce porteur d'une prose assurée par sa chair et ses os sur plusieurs chemins taupiers. Les textes lézardent, serpentent et muent à vue dans la boue et les mauvaises herbes qui se transforme en or et argent mais aussi en frissons.
 
Bourson ne récrit jamais le double de ce qui a déjà été écrit et ne tire jamais la laisse du chien de la mélancolie (ou de Goya lui-même). Chez lui une odeur de neuf relie la terre au c

Gilbert Bourson, Plancher du Ciel, Editions Douro,  Chaumont, 2024, 120 p., 18 €.

Une telle affaire est entendue en touches « sur les toits d’un goût de chose lue dans l’aboiement de l’air ». Toutefois l’auteur ne joue ni l’ange ni la bête. Il lessive le connu pour extraire d’un tel essorage  les « volupté des voluptés ». Le lecteur n’en demande pas plus.
 
Oubliant les mots d’hier, Bourson retrouve une relation entres les choses et leurs mots. En conséquence « dans le trou duc du mot donc du monde », une telle prose dit au dire du monde un glissando mais sans la moindre vaseline.
Tirée par les cheveux l’écriture ose l’explosif (neurones comprises) façon satin froissé à la Henri Michaux Chez ces deux auteurs rarissimes les titillations sont des phrases expurgées de mondanités idiosyncrasiques.
 
Parfois la tête _ pratiquement cou coupée par Bourson lui-même - frise la catastrophe. Mais à fleur de peau toute lame capote si ce n’est celle de fond qui fouaille l’âme jusqu’à celle de l’ange excessif  comme du diable.
 
Dans le genre c’est bien mieux que bien. Le style a ôté son slip mais non pour devenir exhibitionniste. De la première à la dernière ligne un tel livre palpite :  Et c’est ça écrire mieux qu’un écrivain lamda. Ici à pleine voix et «  rougie de doigts au goût de chair vers le tendon grimpant comme n’importe » tout avance.
 
Il y a ici parfois du Blake et du Dante mais aussi du Vachey et du Jarry. Les mots de chambre sont exclus et le brasier de moines ont fait leur habit. L'auteur devient le bavard même dans les champs qui se transforment en chants : ici hors de combines, tout est affûtage et tremblement.

Présentation de l’auteur

Jacqueline Merville

Jacqueline Merville, née le 22 février 1953 à Villefranche-sur-Saône1, est une romancière, dramaturge, peintre et éditrice française.

Bibliographie

Livres

  • La Ville du nom, Éd. des femmes, Paris, 1986.
  • Dialogues sur un chantier de démolition, Éd. des femmes, Paris, 1987.
  • La Multiplication, Éd. des femmes, Paris, 1988.
  • Parabole de l'Inquisiteur, Cercle noir, 1991.
  • La Mandala du pèlerin, La Main courante, 1997.
  • Sur d'autres terres, La Main courante, 1999.
  • La grande chambre de monsieur Prems, La Compagnie du refus, 2002.
  • The Black Sunday, Éd. des femmes, Paris, 2004.
  • La Chair ronde des philosophes, Jacques André éditeur, 2006.
  • L'Ère du chien endormi, Éditions des femmes, Paris, 2006.
  • Petites factures divines, La Main courante, 2006.
  • Juste une fin du monde, L'Escampette, 2008.
  • Voyager jusqu'à mourir, L'Escampette, 2009.
  • Pierre flottante des Indes, La Main courante, 2010.
  • Presque africaine, Éd. des femmes, Paris, 2010.
  • Tenir le coup, Éd. des femmes, Paris, 2011.
  • Jusqu'à ma petite, Éd. des femmes, Paris, 2014.
  • Ces pères-là, livre d'artiste illustré par l'autrice, des femmes-Antoinette Fouque, Paris, 2016 - mention spéciale du prix Vénus Khoury-Ghata.
  • Deux continents d'amour, des femmes-Antoinette Fouque, Paris, 2017.
  • Lotus d'Air, La Rumeur Libre, 2017.
  • Avec ses yeux, Lanskine, Corcoué-sur-Logne, 2019.
  • Le voyage d'Alice Sandair, des femmes-Antoinette Fouque, Paris, 2020.
  • Le Courage des rêveuses, des femmes-Antoinette Fouque, Paris, 2021.
  • La vie bonne et d'autres vies, des femmes-Antoinette Fouque, Paris, 2022.

Théâtre

  • Nous allons bientôt sortir, France Culture, 1988.
  • Le Maître océanique, mise en scène par Arc Théâtre, Condition de soies, Lyon, 1994.
  • La Grande chambre de Monsieur Prems, Compagnie du R.E.F.U.S., 2002.
  • Les Forêts de Ram, mise en voix et espace par l'Arc Théâtre, Lyon, 2003.
  • L'Éternité, Compagnie du R.E.F.U.S., 2003.

Poèmes choisis

Autres lectures

Présentation de l’auteur

Alain Breton

Alain Breton (né le 24 février 1956, à Paris)  a codirigé à Paris, de 1996 à 2006, avec Élodia Turki, les éditions Librairie-Galerie Racine, dont il est aujourd’hui le directeur littéraire.

Critique littéraire (il a collaboré aux deux séries de la revue Poésie 1), Alain Breton est membre du comité de rédaction, depuis 1997, de la troisième série de la revue Les Hommes sans Épaules, dont il a dirigé la deuxième série de 1989 à 1994. Il est également l'auteur de recueils poétiques.

© Crédits photos (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

Autres lectures

Présentation de l’auteur

Gilbert Bourson

Gilbert Bourson né en 1936, a été metteur en scène et comédien. Il a publié plusieurs livres de poésie, des romans et des essais chez différents éditeurs, notamment aux éditions du Chasseur abstrait, La Grisière (éditions Saint-Germain-des-Prés), Compact, Z4, Jebca (Boston, États-Unis) Tinbad, Douro/La Bleu-Turquin. Il a participé à l’anthologie 49 poètes, ouvrage collectif dirigé par Yves di Manno chez Flammarion. Il a aussi publié dans plusieurs revues : Arpa, Cheval d’attaque, Cahiers du double, Les carnets d’Eucharis, Polyphonie, Substance (États-Unis), Action poétique, Travail théâtral, Les cahiers de Tinbad. Une grande partie de ses œuvres est publiée au « Chasseur abstrait » Il collabore à la revue en ligne de cet éditeur : La RAL’M. Il vit et travaille en région parisienne.

Bibliographie 

Il a publié plusieurs livres de poésie, des romans et des essais chez différents éditeurs, notamment aux éditions du Chasseur abstrait, La Grisière (éditions Saint Germain-des-Prés), Compact, Z4, Jebca (Boston, États-Unis) Tinbad, Douro, La Bleu-Turquin. Il a participé à l'anthologie 49 poètes, ouvrage collectif dirigé par Yves di Manno chez Flammarion. Il a aussi publié dans plusieurs revues : Arpa, Cheval d'attaque, Cahiers du double, Les carnets d'Eucharis, Polyphonie, Substance (États-Unis), Action poétique, Travail théâtral, Les cahiers de Tinbad. Une grande partie de ses oeuvres est publiée au Chasseur abstrait. 

Poèmes choisis

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