Vous signez la traduction française avec la poétesse roumaine Doina Ioanid. Cette anthologie est le couronnement de vos efforts pour promouvoir la poésie roumaine de la République de Moldavie dans l’espace francophone. Quand avez-vous découvert la poésie
Les premiers poètes moldaves que j’ai connus, je les ai rencontrés en Roumanie, où je vivais dans la première décennie du nouveau millénaire. Des poètes que j’avais découverts au festival de Neptun, le club de lecture Max Blecher, un marathon de poésie à Braşov, et autres événements. Cinq poètes ont d’abord été traduits en néerlandais pour l’anthologie réalisée avec Jan Willem Bos, qui de son côté en avait également traduit cinq. Nous avons été invités au Primăvara Europeană a Poeţilor/ Printemps européen des Poètes à Chişinău pour présenter ce livre.
Par bonheur, Doina Ioanid était également invitée pour présenter une anthologie en roumain de la poésie flamande que nous avions faite ensemble. Les rencontres pendant ce festival ont amené à plusieurs projets dans les deux sens. Doina et moi, nous avons pu faire une seconde anthologie de la poésie flamande pour les éditions ARC à Chişinău, suivie d’une anthologie de la poésie néerlandaise et une autre de poètes belges francophones. Inversement, nous avons publié des dossiers de la poésie moldave dans plusieurs revues francophones : Poésie/Première et L’Intranquille en France, Le Journal des Poètes en Belgique et Les Écrits au Québec. Ce sont ces traductions, réalisées au cours des années, qui sont maintenant rassemblées et actualisées dans un seul volume qui compte 25 poètes d’après 1991. Pour autant que je sache, c’est une première dans l’espace francophone.
Vous écrivez dans la préface de l’anthologie : « À partir de 1991 la poésie de la Bessarabie prend un nouvel envol dans un effort pour rattraper son retard sur la poésie de la Roumanie, voire de l’Europe. » Et sur la quatrième de couverture : « Le présent volume propose une coupe transversale de ce renouveau poétique dans la République de Moldavie. » Qu’est-ce qui caractérise ce renouveau poétique ?
Il est caractérisé en premier lieu par la diversité. Notre anthologie n’est pas la présentation d’une seule génération ou la défense d’une école, au contraire, nous avons voulu montrer l’éventail des formes existantes en Moldavie. Elle va de Marcela Benea, née en 1948, jusqu’à Aura Maru, née en 1990. Cela fait quand même quatre décennies de poésie, impossible à cataloguer dans une case unique. On ne peut pas mettre sous un dénominateur commun la poésie métaphysique de Teo Chiriac et celle terre-a-terre de Victor Ţvetov, les miniatures intimistes de Călina Trifan et les grandes constructions érudites d’Emilian Galaicu-Păun, la poésie d’Arcadie Suceveanu qui se réfère à Héraclite, Beckett, Rimbaud, Kavafis et celle d’Ion Buzu qui semble avoir Google comme repère premier. Signalons que l’anthologie se clot sur un essay de Lucia Ţurcanu qui brosse un tableau de « la poésie de la République de Moldavie jusqu’à l’indépendance et après ». Elle aussi conclut qu’il est difficile « de trier, de cataloguer et d’homologuer » la poésie des dernières décennies.
En lisant et en traduisant des poètes de la République de Moldavie, avez-vous ressenti l’angoisse, l’inquiétude des auteurs qui mènent leur vie dans une zone géopolitiquement instable ?
La vie est en soi une « zone instable » ; s’il faut parler d’angoisse ou d’inquiétude en poésie, se sera avant tout une angoisse ou une inquétude existentielles. Bien entendu, ces sentiments s’appuient sur le vécu en Moldavie. Les poèmes de Diana Iepure ou d’Anatol Grosu se situent dans le village où ils ont passé leur enfance. Eugenia Bulat fait explicitement allusion à des événements politiques, sans tomber dans une poésie militante. Et Maria Pilchin thématise la double contrainte roumain-russe en posant la question « combien de notre chair / est valaque et combien ruskof ». Pour le Belge que je suis, c’est facile à transposer à la double contrainte néerlandais-français.