Jean-Claude tardif, Les chemins dérisoires, extraits
La nuit s'étend sous mes paupières,
j'attends mes rêves
sans plus y croire vraiment.
Demain ne sera pas un autre jour,
juste la silhouette oubliée des heures perdues.
Je compte sur mes doigts le frisson des horloges,
les petits matins me trouvent perclus,
apeuré. J'ai perdu mes enfances.
Où sont les ventres de mes femmes
et de quoi se souviennent mes filles ?
D'un premier cri - toujours le même -
qui nous vient de derrière les mots
pour nous raconter notre histoire ;
celle que nous gravons sans cesse
à l'inverse de nos paumes
loin des lignes de vie et de chemins de fer.
*
Mes yeux accrochent leurs linges
à l'étendoir du ciel ;
le crépuscule ravaude ses draps.
Soudain derrière la vitre le vieux livre de la nuit
et la mer entre les lignes, filigrane.
L'écume a une odeur de cuir
qui déplaît aux oiseaux marins.
Le vent est immobile et je suis loin du monde.
Sur l'envers de mes paupières
le corps de cuivre d'une grive égarée
piétine l'ombre qui nous lie.
Je la regarde comme un autre
moi-même.
∗
Écrire un poème, à quoi bon ?
Le monde n'y tient pas,
il s'en moque
comme il se fout des mots qui le nomment.
Le monde n'est pas un poème
simplement
l'ombre qu'il projette, peut-être,
sur une page blanche
que nous ne savons pas.
∗
Parfois je dors ; je fais semblant,
j'écoute ma respiration sans la reconnaître.
Suis-je un mammifère, un poisson,
une pierre tombée d'une poche
ou simplement
une météorite qui se serait perdue ?
Souvent je fais semblant, je dors.
je me perds un peu dans le drap du silence,
je suis une à une les lignes
au fond de ma paume. J'ânnone
une histoire trompeuse qui me ressemble
et je ne sais plus soudain si ma peau
porte en elle la mémoire
qui le soir venu me fait défaut.
*
Longtemps j'ai bredouillé l'alphabet
lettre à l'être, petits riens que j'ai portés
faute de poches convenables
au revers de la langue
comme on le fait d'une fleur sur une boutonnière.
Myosotis peut-être à moins que
ce fut un coquelicot, poison insignifiant ;
plume au milieu du foin, dans l'intervalle du vent
au creux des jalousies et des corps qui se donnent
à la façon d'un monde .