Jean-Louis Rambour aux éditions L’herbe qui tremble
Les très actives éditions L'herbe qui tremble publient, ce premier trimestre 2024, deux livres de Jean-Louis Rambour. Tout d'abord Y trouver la fièvre, avec des illustrations de Pierre Tréfois : 70 poèmes environ, sous forme dense, ramassée (24 vers), qui prennent l'entièreté de la page.
Pour ce qui est de l'aspect formel, majuscule en début de phrase (on en croisera à l'intérieur du poème, facilitant le découpage de lecture) et un seul point en fin de poème Pas d'énonciation à la première personne du singulier. Le je est ici remplacé par il mais on a bien compris qu'il avait même valeur. Mise à distance donc du sujet qui s'observe comme de l'extérieur.
Plusieurs fois il s'est installé à table
avec le frémissement de celui qui vient
de quitter un carnaval bruyant
qui vient de se frayer son chemin
dans les guirlandes serpentins
vient d'une rue de fête populaire
si bien que la brutale mue
laissait sur sa chaise un être
improbable ni lui ni un autre
Jean-Louis Rambour, Y trouver la fièvre, éditions L'herbe qui tremble, 2024, 94 pages, 16 €
Ce dernier vers renforce cette idée d’extranéité, d'éparpillement, d'autant que ce je absent – le poète lui-même ne se sent-il pas comme absent de ce théâtre de vie – est aussi bien en embuscade derrière le on ou encore le vous et le nous.
Les jours se suivent comme
cailloux dans la chaussure
comme un début de colère
qui ne lève pas On les compte
en les alignant au sol ainsi qu'enfant
on alignait des noyaux de fruits
pour chiffrer le chemin
entre la terre et le ciel.
Et pour cette sorte de déréalisation, exprimée cette fois à l'aide du vous :
Les revers de poignet disent
la détermination Le souffle
sur les mains la certitude de savoir
une encyclopédie de choses
Les épaules font des signes
de délivrance tout le corps parle
les rêves parlent ils vous mettent
sur un paquebot de luxe sur
un Hollandais volant une nef
d'île au trésor ou sur un âne
qui traverse les Cévennes
Le cou est nu et la pomme d'Adam
s'agite au rythme des bruits
de l'orage des craquements
des bûches de bois des sauts
des aiguilles du réveille-matin
Vous êtes un membre de l'équipage
vous êtes des paupières et
des chemises ouvertes vous êtes
les pieds sur le sol et le trait
de lumière qui passe sous un nuage
et la liberté qui pousse en herbe
autour de tombes autour de puits
vous êtes un front blessé de pierres.
Cet autre extrait, jouant des mises en abyme, aussi bien de l'écriture que du "personnage" :
Il est là parce que nous y sommes
parce que notre repas de vivants
est une forme d'écriture de déclaration
Nous sommes à un âge grotesque
de la vie où l'on écrit l'oreille
plaquée sur les portes en alerte
du moindre bruit moindre arôme
moindre note d'un répertoire chanté
dans l'asphyxie des poumons et
le relâchement du sanglot du sang.
Observation quasi clinique, restituée de manière très poétique et qui inclut une introspection sans concession.
Il a toujours détesté la chasse
l'eau chaude des bains la boue
des chemins forestiers le café
brûlant les gens trop bavards
Dans cette longue plongée en lui-même, l'auteur évoque parfois le monde comme il va : [...] On tue Tout sert / à tuer la fronde de David aussi bien / Little boy sorti de Fat man / Tout sert à tuer même les pavots / des champs de Kandahar [...] mais c'est plus sa propre déchéance que celle du monde que le poète décrit : Si affaibli Il était une sorte de chien gris / efflanqué peut-être un cheval brisé / un prisonnier happé dans une bouteille / d'alcool comme on fait aux serpents
Magie d'un écriture qui emporte pour ce qu'elle dit et comme elle le dit.
Dans la nuit dans le sommeil
quand les étoiles n'en finissent plus
les mots en effet reviennent ne cessent
de revenir et forment des billes de sucre
des agates de cour d'école
des souvenirs des prophéties
qu'on mord à s'arracher la langue.
∗∗∗
Le deuxième livre de Jean-Louis Rambour, La bonne volonté de vivre, est plus court, une sorte de fable, symbolique, qui interroge la vie et son terme, allusive. Le titre questionne d'entrée. Faire preuve de bonne volonté, c'est se mettre dans une disposition à bien faire. Cette expression appliquée au verbe vivre titille l'esprit. On trouvera deux figures principales dans ce recueil : l'homme (comme dans le livre précédent, sans aucun doute l'auteur, pour une observation à distance, bien que celui-ci emploie également le je, ) et le passeur. Cet homme est double en quelque sorte, se regardant de loin et s'exprimant des profondeurs de son intimité : l'homme qui n'a plus d'enfant à saisir / (et moi qui si souvent ai trébuché dans mes colères). L'homme, c'est posiblement l'être social, celui qui se montre aux autres, dans le leurre des apparences, alors que je est l'authentique : Je ne triche pas. L'homme, lui, triche autant que la lumière du jour.
La figure du passeur renvoie inévitablement à Charon, le nocher des Enfers qui fait traverse le Styx aux âme des morts contre une obole. J'ai le visage transporté, en voyage vers une île déserte, derrière la porte. / Je tends déjà la pièce au passeur. L'auteur se sent proche de ce passage et fait une manière de bilan de son passé puisqu'il s'agit bien de contempler une vie à rebours. Belle formule pour dire le peu qu'il reste à vivre : L'avenir a déjà des rides.
On trouvera par ailleurs une référence au Christ : On peut percer un homme sous la cinquième côte, comme d'autres allusions à des figures apparemment tutélaires pour l'auteur : Hamlet, où est la tête du mort ? / Est-ce ce crâne posé sur des genoux, prêt à glisser / des mains de l'homme, Villon et Chagall, Hommes, ici n'a point de moquerie. Il y a / des paroles qu'on répète, secoue, dans le temps / où d'autres repeignent le plafond de l'opéra.
Le passeur est un personnage ambigu (un double, voire un triple de l'auteur ?) : Je n'y crois pas vraiment, / on navigue, on navigue et la mort n'est pas.et plus loin : Le passage n'existe pas puisqu'il n'y a pas de but mais dans le même temps : Toutes et tous allez passer à l'autre rive. [...] vous serez les compagnons et compagnes / des morts piteuses (comprenez : morts de pitié). / Votre Dieu ? Mais c'est fini maintenant...
Jean-Louis Rambour, La bonne volonté de vivre, éditions L'herbe qui tremble, 2024, 34 pages, 10 €.
C'est un long poème qui mêle désespoir, lucidité, colère parfois et un désir de douceur, d'acceptation : Je marche en fou à pas très lourds. / Je ne dévie que devant les murs. Certains vivent / assaillis par l'ombre des bonnes idées, / d'autres veulent prolonger un soleil qui s'étonne. / À la rigueur les parfums sont-ils justifiés pour laisser croire // à un reste de respiration. Moi, pour mon passage, / je ne me reconnais que dans les oiseaux en fuite. Finalement : Mon jour de colère / fait silence. La mort prononce des mots / avec une douceur de fenêtre brusquement ouverte.
Et, en conclusion, ces très beaux vers :
Voyez-vous,
il se produit que l'on croie pouvoir créér des feux
contre le feu, mettre des crèmes de couleur
sur nos masques et, sur les draps, un goût d'évangile.