Jean Onimus, Qu’est-ce que le poétique ?
« Qu’est-ce que le poétique » ? Voilà qui ferait un beau sujet de philosophie pour le baccalauréat. L’essayiste Jean Onimus (1909-2007), lui, en a fait un livre dans lequel on entre avec bonheur, ébloui à la fois par la profondeur de la pensée et par la clarté du propos. Car Jean Onimus ne s’embarrasse pas d’abstraction ou de théories fumeuses pour souligner la nécessité du poétique dans nos vies.
Le « poétique » selon lui s’oppose au « prosaïque » (et, bien entendu, le poétique ne se limite pas à la seule poésie). Ce qu’il appelle le poétique, c’est « la constatation émue, émerveillée, mais traversée d’angoisse, de l’étrangeté d’exister ». Il dit aussi ceci : « Le poétique se dissimule partout, comme une sorte de trace presque invisible d’une innocence originelle, étonnée, admirative ». A l’opposé, il appelle « prosaïque » « tout ce qui peut être un jour technicisé, c’est-à-dire fabriqué automatiquement et indéfiniment répété ». Le prosaïque, dit-il, domine notre époque, placée sous la signe de l’efficacité, de la rentabilité. Le poétique, lui, relève de l’émotion, de l’intime. C’est l’ubac par rapport à l’adret, l’ubac ce « versant ombreux auquel on accède quand le travail s’interrompt, quand on peut rêver, contempler, se livrer aux suggestions de l’imagination, prendre possession de soi et se développer librement ».
Tous les arts, selon lui, relèvent de l’ubac. La poésie en est l’un des fleurons mais elle doit, à ses yeux, s’appuyer sur le réel, l’instant présent, viser une écriture concrète, évacuer « l’abstrait qui l’encombrerait d’idées et de sentiments ». Jean Onimus cite à cet égard, à plusieurs reprises, ses auteurs de référence : Jaccottet, Guillevic, Follain, Rilke, Giono, et même les auteurs japonais de haïku. Haro donc sur l’hermétisme et sur tous ceux qui y ont recours parce qu’ils « manquent tout simplement d’inspiration ».
Il s’agit plutôt, quand on se prétend poète, de trouver « la note juste », de cultiver « l’art de la suggestion » et, plus fondamentalement encore, de « célébrer et de contempler » car le poétique « en notre temps est, avant tout, d’inspiration cosmique ». Jean Onimus n’est d’ailleurs pas loin de penser que le poétique a aujourd’hui pris le relais du religieux car « l’exigence poétique est liée à un désir de vivre intégralement « et donc à être « attentif à la trace des dieux enfouis » (comme le disait Heidegger, inspiré par Hölderlin, lors du 20 anniversaire de la mort de Rilke).
Quant à savoir pourquoi la poésie « n’a plus guère de lecteurs », il répond : « C’est parce que nous préférons recevoir des informations plutôt que des suggestions » et qu’on nous a « habitués à une stricte cohérence conceptuelle ». Pour autant, le poétique n’a pas fini de tracer son chemin car il est « d’autant plus saisissant qu’il est presque imperceptible ».