Jean Pichet, Le vent reste incompris, Jean-Marie Guinebert, La Vie neuve

Jean Pichet - Le vent reste incompris

Introduction et traduction par Miguel Ángel Real

Le poète se présente comme un observateur dont la réflexion est guidée par les éléments naturels (arbres, oiseaux, la lune, la lumière...), à partir desquels on se pose une série de questions autour du temps.

De même, les sens acquièrent une grande importance dans le recueil. L'auteur se demande si à travers eux on peut acquérir une idée précise du monde. Ou sommes-nous trompés par nos sensations ? On navigue alors à la frontière entre réalité, souvenirs et songes, sans qu'on puisse définir leurs limites de façon franche, comme l'indique le dernier poème, qui donne son titre à l'oeuvre.

La voix posée de l'auteur essaye de trouver une harmonie dans l'instant présent, en déployant une sensibilité à la thématique proche des haïkus japonais.

 

 

Jean Pichet - Le vent reste incompris,  Coll. Les cahiers, © Ed. Illador 2021.

LE CHÊNE ET LE RUISSEAU

Le chêne est vieux ; très vieux.

Mille ans. Plus, peut-être.

Ses feuilles ont quelques jours
à peine. Et le ruisseau
à ses pieds coule
comme depuis toujours.

 

 

EL ROBLE Y EL ARROYO

 El roble es viejo; muy viejo.

 Mil años. Más, tal vez.

 Sus hojas tienen unos días
apenas. Y el arroyo
a sus pies fluye
como siempre.

 

LE TOUT PETIT PEU 

L'ombre du tilleul 

pèse sur l'absence. 

Étouffe le silence. Protège 
quelques fleurs fanées. 

Ce sont elles, peut-être bien,
qui savent
le tout petit peu 
qu'il faut savoir pour continuer. 

 

 

LO POCO

 La sombra del tilo

 pesa sobre la ausencia.

 Ahoga el silencio. Protege
algunas flores marchitas.

 Son ellas, acaso,
quienes saben
lo poco
que hay que saber para seguir.

 

 

 

 

 

IMPRESSION 

Le bruit des moteurs sur la route, 
le bruit du vent 
dans les roseaux du lac, 
le bruit des voix autour 
du bruit de mes pas — Un  goéland 
passe. 

Tout devient silencieux. 

Comme oublié.

 

 IMPRESIÓN

 El ruido de los motores en la carretera,
el ruido del viento
en los juncos del lago,
el ruido de las voces en torno
al ruido de mis pasos – Una gaviota
pasa.

 Todo se vuelve silencio.

 Como olvidado.

 

 

TOUSSAINT 

Soleil et ciel bleu 
rendent  le village pareil à celui 
que  montrent les cartes postales 
sur le tourniquet  du tabac-presse. 

Mais un vent  froid 
comme l'eau du puits 
découpe dans l'air des masques 
de mélancolie. 

D'énormes bambous feulent 
au-dessus des tombes. 

Si vives les images du souvenir!
Mais inaccessibles.

 

 

TODOS LOS SANTOS

Sol y cielo azul
hacen que el pueblo se parezca
al que muestran las postales
en el expositor giratorio del estanco.

Pero un viento frío
como el agua del pozo
corta en el aire máscaras 
de melancolía.

Bambús enormes bufan
sobre las tumbas.

¡Qué vivas las imágenes del recuerdo!
Pero inaccesibles

 

 

∗∗∗

Jean-Marie Guinebert, La Vie neuve

Dans la première partie du recueil, “Chants métaphysiques”, l'auteur mène une réflexion sur le sens de la poésie, de l'existence et du temps, écrite notamment autour de l'enfance, très présente.

On observe un certain désenchantement (ou est-ce tout simplement la réalité ?) dans lequel les animaux ont une grande importance, comme si l'écrivain voulait former une seule entité avec eux pour mieux comprendre le monde.

La partie centrale, au titre explicite (“Le cycle court des amours douce-amères”) présente ce “piètre ragoût amoureux” qui semble tout de même indispensable dans notre existence. Le pessimisme côtoie la lumière dans une recherche qui fait apparaître un va-et-vient d'émotions et qui culmine dans un érotisme qui semble apporter du sens.

Pour finir, « Après-dire » est écrit à l'ombre de l'Iliade. Ici, la vie est considérée comme un voyage dans lequel la dialectique sens – non-sens semble être le moteur. Une certaine ironie transparaît également, comme pour nous encourager à nous accrocher aux petites choses afin de continuer notre périple existentiel.

Jean-Marie Guinebert, La Vie neuve. Coll. Les cahiers, © Ed.Illador 2021.

NIHILISME CANIN 

Je refuse  — je repousse
L'indifférente vibration
Des étoiles lointaines

Ainsi hurlait le chien
Sa plainte longue
Comprise de lui seul

À la nuit.

 

NIHILISMO CANINO

Me niego – rechazo
La indiferente vibración
De las estrellas lejanas

Así aullaba el perro
Su larga queja
Que sólo él entendía

A la noche.

 

L'enfance était profonde
Autant que la mare
Commune et noire
Au centre du  village —
Piquée de nénuphars
Mêlés
Dans l'obscure profondeur
Aux reflets des étoiles
Elle attirait
Accueillante et froide
Les bêtes inapprivoisables
Et les amants abandonnés

 

La infancia era tan profunda
Como la charca
Común y negra
En el centro del pueblo -
Picada por nenúfares
Mezclados
En la profundidad oscura
Con los reflejos de las estrellas
Atraía
Acogedora y fría
A las bestias indomables
Y a los amantes abandonados

 

Combien de temps
Encore
Combien d'années
De saisons
Te faudra-t-il livrer
Ta face ravagée
Retournée comme terre meuble
À la semaison
Des amours mort-nés
Sans espoir de moisson.

 

Cuánto tiempo
Aún
Cuántos años
Y estaciones
Necesitarás para entregar
Tu rostro devastado
Revuelto como tierra mollar
En la siembra
De los amores que nacieron muertos
Sin esperanza de cosecha

 

Présentation de l’auteur

Jean-Marie Guinebert

Jean-Marie Guinebert est en 1966 en Charente. Il vit à Paris et travaille à Versailles. C'est en marchant dans les jardins parisiens qu’il cherche (et trouve parfois) les rythmes de son écriture. Il y croise parfois son double, Ratapoil.

© Crédits photos Gaston Bergeret.

Poèmes choisis

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