Jean-Pierre Bobillot , Dernières répliques avant la sieste
Jean-Pierre Bobillot nage dans une lueur plus légère que l’eau
Voyage au bout de la lueur, ce recueil de mots, d’étranges morceaux de chairs traduits en mots, engage sur le sentier de la fin déjà advenue. Car la fin n’est jamais finie mais toujours vivante avant la vie. C’est dire que tout est « provisoirement définitif »
Si le poème est noyé dans la page et rêve d’en sortir pour Bernard Heidsieck et Sylvie Nèves, il doit être actionné, agité (fou ?) littéralement, mis en geste, pour Jean-Pierre Bobillot. Pas question d’enfermer le vers dans la page, mais page il y a ! Alors, faisons sortir la page de sa mise en page, appliquons-lui une forme de sénescence avant la lettre et appelons ça la sieste, ou avant la sieste, ce qui est la même chose.
On pourrait penser qu’il y a urgence pour Bobillot à écrire dans le foutoir haletant de Dernières répliques avant la sieste, que cette somme hérétique/poétique est le dernier râle consommé du poète, une sorte de déversoir pour expulser la poésie de l’enfermement du corps qui est une page d’écriture. Urgence ? Ces morceaux courent sur toute une vie (presque) de Bobillot ! Réponse : la vie est une urgence et les temps long et court s’agrègent en un instant. Telle est la façon du trait de plume sur la page, cette invention carcérale.
Jean-Pierre Bobillot, Dernières répliques avant le sieste, Editions Tinbad, 2020.
Dans ces notes sur le risible II et III, la mise en scène de l’exergue, exergue qui est une mise en abîme d’un texte, une tentative de le réduire en un point autant que le grandir, donc, cette mise en scène hurle de plaisir : « La mort est la plus moderne des choses » pour Jean-Pierre Schulh dans Rose poussière ; et encore « Morz, va m’a çaus que d’amors chantent » du sublime moine/mort/Picard, Hélinand de Froidmond (1160-1229 ?) dans Vers la mort.
Pour un poète, cette question lancinante posée sur la langue : comment ordonner la mort (au sens de l’ordination religieuse) et l’ordonnancer au sens littéraire : « S’agit pas d’rater sa rature ! », trouve-t-on page 61 du livre. Le retrait du trait, le retrait du monde semblent bien être la grande manière de manier l’écriture du vide qu’appelle de ses vœux le poète prolixe, qui crève d’écrire encore et encore. Ah ! si seulement tous les poètes pouvaient se nommer un seul. Si ? Il s’appellerait Isidore Ducasse, sûrement (partie 1) ; il souffrirait comme le jeune Werther de Goethe (partie 2). Point, et puis rien. Mieux ainsi vaudrait mourir de rire qu’angoisser la mort : « Les souffrances du jeune Vertèbre » qui a « ni père ni cieu ». L’étrange X a disparu comme pour ouvrir un possible nouveau dans le trou de vers qui doit bien exister quelque part tout près, près de la Voie lactée ? J’imagine.
Les aphorismes qui rythment la poétique de Bobillot se laissent boire comme une dernière goutte de vie : « –Pourquoi des poètes ? – L’humanité est faite de plus de mots que de vivants. » ; « Il paraît que je ris 6’ par jour en moyenne, / Bien moins qu’il y a un siècle ! »
Et pour en finir avec la vie malgré les siècles, ce : « Ah !... le derme… » ; eh ! « répondez » (sur la page 55, 114 répondez halètent + un ré poignant ) angoisse le poète à la société de sommation. Allo ! quoi ? qui est au bout du fil hurle Bobillot rassemblant les bouts, comme autant de morceaux de choix sur l’étal du boucher. Que je découpe encore, encore. Et pour finir, cet aveu de taille du poète : « La mise en page [de cet ouvrage] a été spécialement conçue en vue de la présente édition – que l’on peut de ce fait considérer comme provisoirement définitive. » Un livre explose, un livre miné par les mots explosés.