Chronique du veilleur (43) : Jean-Pierre Lemaire

Le nouveau livre de Jean-Pierre Lemaire, Graduel, nous conduit de l’effacement de Dieu, titre du premier poème, aux « Stances de l’Apocalypse ». « Effacement » tout illusoire, car si le monastère sur la colline est abandonné et la lampe près du tabernacle éteinte, « la douce présence / est à chercher ailleurs, dans la ville profane / et les événements…. »

C’est bien là la belle mission que remplit le poète : chercher et saisir dans l’existence de chaque jour les preuves bouleversantes de la Présence. Celle-ci est « en toute chose », et d’abord dans l’intime du cœur. Chaque chose reçoit l’attention respectueuse et souvent admirative de Jean-Pierre Lemaire, aucune n’est laissée de côté, aucune n’est abandonnée : « un jouet en plastique », « les ex-voto naïfs », « les chaises laissées au bord des allées. » Une part inestimable de sacré réside dans ces « miettes du monde » qu’il suffit de bien recueillir.

Le cœur, lui, est tout entier empli de tendresse pour les humbles et les souffrants. L’ensemble des pages intitulé « Sur le seuil de sa maison », dédié à sa mère défunte, est  particulièrement émouvant. Le fils évoque « le dernier été », quand sa mère pouvait « à peine / remonter le pré », quand elle allait « jusqu’à la mer en fauteuil roulant. » Beaucoup d’autres êtres chers sont partis, ont passé « la porte du ciel. » Nos liens avec eux n’en sont que plus forts, comme en témoigne le poème sans titre de la page 27 :

Jean-Pierre Lemaire, GraduelGallimard, 14 euros.

                        On devine là-haut

                        des livres ouverts.

                        Pour nous, sur la terre, 

 

                        ce n’est pas encore

                        l’heure du jugement

                        mais il nous est donné

 

                        un regard plus large

                        qui récapitule

                        notre vie avec eux.

 

Jean-Pierre Lemaire vit dans cette familiarité avec les morts, qui lui tient chaud à l’âme, tout comme sa foi dont il nous fait partager la douceur. La nature en continuelle naissance, les paroles de l’Ecriture qui accompagnent le marcheur ou le contemplateur, l’attente de cette révélation finale que l’Apocalypse nous annonce, tout est embrassé en un seul mouvement intérieur, qui rend grâce et inspire l’écriture du poème.

 

                        Des abricotiers en fleur dans les ruines,

                        parmi les vieux champs, au milieu du sous-bois, 

                        et plus haut, par dizaines, sur les pentes nues,

                        comme des mains blanches, sortant des tombeaux.

                        Comme si la trompette avait retenti

                        silencieusement derrière les nuées    

                        pour donner le signal de la résurrection

                        et qu’au moins les morts de ce pays-ci

                        en eussent  perçu l’écho souterrain.

 

Le croyant sait bien que cette vie est « en sursis », en attente de la Vie éternelle. Il la reçoit avec reconnaissance et nous invite,  par ses livres, à en mesurer l’incomparable prix.  Ecoutons-le dire à chaque lecteur qu’il faut puiser la vie « plus profond », dans ce mystère unique et prodigieux  où, depuis le commencement, nous sommes tous plongés.

 

                        Puise-la aux Enfers où le Ressuscité

                       prend Eve d’une main et Adam de l’autre

                        -cette vie qui remonte à travers nos parents

                       jusqu’à tes yeux ouverts sur les pâquerettes.