Joëlle Pétillot, Le Bal des choses immobiles
Il y a de nombreuses façons d’être poète, ou poétesse, désormais : un tel sera poète « lyrique », le mot restant grandement tabou après un siècle « d’effacement élocutoire » du poète ; un autre se consacrera aux petites choses, petits objets du quotidien ; pour un autre les mots seront prétexte à d’infinis « jeux sur le signifiant » ; chez d’autres encore grondera la voix de l’imprécateur ; tel autre se lancera dans une exploration patiente du « moi » honni, etc.
La poésie contemporaine est servie en cela par l’existence d’un certain nombre de revues de poésie, extrêmement diverses dans leurs priorités, certaines « en ligne », d’autres ayant continué à paraître en « version papier ». En vrac, nommons : celle où est publiée cette page, bien entendu, mais aussi Décharges, Lichen, Arpa, etc… Si nous évoquons ces revues, et demandons pardon aux oubliées, c’est que Joëlle Pétillot a publié des textes dans les revues évoquées avant de les voir rassemblés dans le volume présenté dans cette chronique.
Ainsi, en ce début de XXIe siècle, le mot d’ordre en poésie semble être celui d’une grande diversité dans le ton et les approches. Joëlle Pétillot, si l’on en croit les notices la concernant, a toujours écrit, mais son parcours poétique est assez récent, un peu à l’image de ces rivières souterraines qui révèlent leur existence par de soudaines résurgences. Cette rivière souterraine, c’est « Alcyone », maison d’éditions quasi immatérielle — une boite postale à Saintes, et c’est tout — qui a permis, avec un vrai don de sourcier en l’occurrence, de la conduire vers le jour.
Joëlle Pétillot, Le Bal des choses immobiles, Éditions Alcyone, collection Surya, deuxième trimestre 2019.
Joëlle Pétillot, a par ailleurs choisi la poétesse Colette Daviles-Estinès pour « alter écho » (l’expression figure en épigraphe au Bal des choses immobiles). Cette dernière, publiée aux Éditions de L’Aigrette (Allant vers et autres escales, 2016), est également une contributrice régulière de Lichen : ainsi se forme une communauté d’esprits.
Le Bal des choses immobiles est un bel ouvrage de trente-sept pages réunissant trente poèmes. On insistera d’abord sur la qualité matérielle de la réalisation : beau papier, belle couverture sobre, mise en page agréable, impression soignée, une certaine forme d’impeccabilité.
Le titre du recueil se dévoile réellement à la trentième page : « La danse pâle / Des doigts sur les images / La main tendue vers les enfances / L’ombre d’un sourire oublié / Écoutez sur le bruit des pages / Les instants de plusieurs années / Le sursaut des vieilles minutes / Papillons transpercés d’aiguilles // Le bal des choses immobiles ». Joëlle Pétillot manifeste ainsi une prédilection pour les « petits faits », « petites choses » riches en évocations ou souvenirs, et n’est pas, sur ce point, sans évoquer pour le lecteur la poétesse Sei Shonagon et ses Notes de chevet, rédigées au début du XIe siècle à la cour du Japon. Le mot « Seishin » (p.21) suggère volontiers une pointe d’inspiration japonisante. L’image du « bal » renvoie quant à elle à la figure pleine de grâce d’un « monde mouvant » : « Le vent encolère les arbres, / Les habille d’un grondement / […]Une annonce flotte en permanence / Résonne comme un acouphène / parce que toujours / Le vent dans les arbres contient la mer » (p.26), ou encore : « Une traverse, une autre, encore une / Intercalaire de rien / Même point grossissant dans le bruit du ballast / Une vie de quai de gare » (p.23). L’univers dépeint par Joëlle Pétillot est un univers du passage, du mouvement, du transitoire, où rien, jamais, ne semble définitif.
Accordée aux cycles circadiens la poétesse est attentive aux différents moments du jour, du crépuscule du matin à celui du soir. Le premier poème du recueil s’intitule « Hemera esti » (« c’est le jour », en grec), et, d’emblée, dans une célébration de ces premiers moments, annonce ce que sera la thématique du recueil : « L’heure incertaine où l’obscur joue à perdre contre l’aube // Dire la nuit des choses comme une mort dont on s’éveille, le têtu à vivre, les silences glissés dans les chants d’oiseaux. L’aube grosse de tous les crépuscules, la lettre écrite du corps à l’âme » (p.5). Plus loin : « La lumière peint à fresque un matin de plus. / Elle pose ses doigts où beau lui semble. / Mai se raconte aux arbres danseurs » (p.24). Là encore : écoulement du temps, passage, transition, attention portée aux signes imperceptibles, et toujours, le thème de la danse, fil conducteur, parmi d’autres, de ce recueil.
Le lecteur de poésie croit parfois, mais peut-être s’agit-il d’une illusion, entendre la voix d’Apollinaire. La répétition de « Vienne la nuit » (p.28) se lit comme un hommage à l’auteur du « Pont Mirabeau », en même temps que, dans le même poème, la suite cette même première phrase : « Vienne la nuit et l’être qui tremble au milieu, s’il nous ressemble » sonne comme un rappel possible de la voix de Louis Aragon dans « La Nuit de mai », poème évoquant la déroute de 1940 : « les vivants et les morts se ressemblent s’ils tremblent » (Les Yeux d’Elsa). Tout cela, volontaire ou non, entre en résonnance avec les préoccupations de Joëlle Pétillot telles qu’elles transparaissent dans Le Bal des choses immobiles. La poétesse est aux aguets des moindres manifestations de ce que l’on peut nommer le petit mystère des choses, immobiles ou non.
Cela peut se produire en observant un simple fil à linge : « Sur la portée du fil à linge, les habits dansent une valse imperceptible, une petite musique d’ennui. // Le jour s’efface, la nuit avance, mais sa lenteur crée l’attente, une minute de temps brisé. […] // Fil, dis-moi ce que tu trames » (p.10). Immobilité et mouvement : subtile contradiction que se plaît à souligner le regard attentif de la poétesse. Le jeu de mots final nous rappelle que Joëlle Pétillot aime à contourner les expressions « toutes faites » : « Coiffer un silence au poteau » (p.5), « Obéis à mes désordres » (p.8), « je te méconnais par cœur » (p.27), etc. Ces trouvailles lexicales, qui n’ont rien de gratuit, apportent de la fantaisie, mais pas seulement, à un ouvrage que l’on a plaisir à lire, et que la relecture n’épuise pas.
Pour finir, il y a dans le recueil de Joëlle Pétillot comme un appel à un ailleurs, que l’on peine à formuler (« Pour décrire un ailleurs, quels mots ? », p.20), mais qui n’en manifeste pas moins son impérieuse et irrésistible présence : « L’envie, oiseau encagé dont l’espace se perd / Je ne sais pas ce qui me retient de ne plus tenir. // Au loin étouffé de vent un bruit de gare » (p.11). Bruit des tous les départs ?