Loïc Demey, Jour Huitième
Le huitième jour est symbole de recommencement, renaissance, premier jour après la semaine qui a précédé, premier jour après l'apocalypse. Et d'une forme d'apocalypse, il est question dans le livre de Loïc Demey. Il s'agit d'un récit poétique, qui se développe autour d'une catastrophe écologique. Il débute par un poème (retours à la ligne) jour premier ; s'ensuivent trois textes en prose, puis sur le même modèle, la même fréquence, jour deuxième, trois textes en prose, etc. jusqu'au jour huitième qui clôt le livre.
Loïc Demey débute à la manière biblique :
Au commencement le ciel
au commencement la terre
le haut le bas les ténèbres du ciel l'abîme sur terre
le rien l'absence le vide partout le noir parfait le chaos
l'endroit sonne creux personne juste terre juste ciel
terre de nuit noire liquide profonde recouvrante
de l'eau rien que de l'eau le noir sous un ciel ténébreux
la lumière soit jaune bonne blanche la lumière fut
la lumière pour séparer la nuit du jour
dénouer le jour et la nuit
lumière jour nuit noire obscure personne le vide rien
sur terre
au soir le matin
jour premier
Loïc Demey, Jour Huitième, Images de Rochegaussen, Cheyne Éditeur, 2022, 80 pages, 19 €.
Puis le monde tel que nous le connaissons apparaît : L'enfant pleure sa perruche envolée. / Par la porte de la cage à demi ouverte, vers la fenêtre entrebâillée sur la rue et la pluie qui tombe, tombe, depuis des jours que le ciel se comporte comme ça.
Le décor est planté, l'argument dévoilé : Elles ne ressemblent pas aux pluies que nous connaissons.[...] La montée des flots accule les bêtes contre la clôture. L'eau leur monte aux narines, les épuise puis les engloutit.
Car c'est l'inondation énorme, incoercible, comme en ont connue réellement plusieurs pays ces derniers mois. On songe aussi de manière inévitable au mythe du Déluge, dont la mention la plus ancienne se retrouve dans des textes sumériens, de nombreux siècles avant Jésus-Christ. Il a toutefois toujours valeur de punition : « Cet homme fit le récit à Gilgamesh de la colère des grands dieux, qui avaient voulu dépeupler la Terre parce que les hommes, de plus en plus nombreux, faisaient un vacarme qui perturbait le repos des dieux. » De même, les catastrophes climatiques engendrées par l'homme lui sont châtiment :
Le torrent de boue cascade la ville, déracine les bancs et les panneaux publicitaires. Il emporte les abribus, retourne les voitures sont devenues des bateaux fous.
On notera l'emploi de mots rares, renforçant le sentiment d'étrangeté : une main qui pendille, Ils niflent puis reniflent (nifler signifie agacer, irriter, mais ici on supposera le jeu avec les mots), les rats d'égout se clapissent au grenier...
L'enfant qui apparaît dès le premier texte en prose sera le symbole d'innocence et de recommencement possible après la catastrophe. Personnage sans nom, archétype d'enfant. Où est passé l'enfant qui jouait juste à côté ? Nous appelons l'enfant ! l'enfant ! l'enfant ! se trouvait là, pourtant, à la tombée du sommeil.
Un autre personnage est sans nom lui aussi : l'autre. Il est par essence celui qu'on ignore voire qu'on déteste sans raison, figure du SDF (et plus tard, du sage), présent dès les premières pages, Reparu à crue de rivière […] Le bien parti qui eut la bonne idée de débarrasser le trottoir, le perron de l'église et les quelques marches devant la mairie, De s'effacer de nos yeux qui l'examinaient de travers […] L'autre, ainsi nous préférions l'appeler, afin de ne pas risquer entendre, au contour d'une phrase, son prénom.
Des protagonistes supplémentaires complètent le paysage dantesque : les animaux sauvages, s'imposant dans les lieux d'où on les avait chassés : Ils avancent à découvert et hument l'air, ressentent la présence puis hérissent les poils, Les animaux exhibent les crocs, les gencives, ils bavent, font des ruades.
Et plus loin :
Papillons.
Hannetons, blaireaux, crapauds.
Lièvres, cerfs et serpents se succèdent.
Du matin au matin prochain, une espèce après l'autre, sans se
mélanger. Sous notre nez au vent, ils ont investi nos rues, nos parcs et
nos ronds-points.
Un loup gris aussi, l'un de nous a crié. Sans en être sûr.
La nature au bonheur du vide, les animaux ont pris notre place.
Description du cataclysme et du comportements des hommes :
Il se tiennent en déséquilibre sur la crête de leur maison, s’agrippent à la cheminée, tanguent et quémandent du secours. », « Fougueux, nous déracinons des câbles et des tuyaux, Au moyen de nos mains, de nos ongles fendus, les doigts fléchis, râpés, ensanglantés, le sol nous fouillons.
Mais également, sans se départir du propos, des moments de pure poésie :
Ainsi le ciel ainsi la terre
achevés finis définis
le contenu le contenant
révolus la conception le déploiement
l'accomplissement de la création
la satisfaction du travail bien fait
au repos mérité une relâche un répit
une accalmie avant la hausse des eaux
des fléaux des températures
l’œuvre défaite par la conquête effrénée
le très le trop exagérément
puiser extraire augmenter agrandir
à outrance tirer sur la corde tendue
qui flanche plie fléchit
menace de se fendre
nous redoutions le manque
c'est l'excès qui nous accable
au soir le matin
jour septième
Comme une évidence, l'enfant et l'autre s'allient, sont le modèle.
L'enfant cueille du petit bois, récolte des brindilles balayées par le vent sous la charmille et à l'encoignure des murets.
L'autre écorce une branche, taille de menus copeaux au fil de son couteau.Il défeuille un journal, déchire le papier.
Prépare un foyer.
L'autre est celui qui sait, qui a une parole prophétique.
La nature se trouvait grande et nous l'avons rendue immense, il dit en passant et repassant devant nous.
Tenez, l'autre propose.
Voici le feu que l'enfant nous tend à bout de torche. Recevez-le et donnez-lui un nid d'herbes sèches, un enclos rond cerclé de roches.
[…] Avec patience nourrissez-le. Permettez-lui de pousser, lentement de grandir.
[…] Prenez le feu, l'autre annonce. Et n'oubliez pas qu'il est vivant.
L'inconséquence des hommes est pointée, depuis le cataclysme dont ils sont à l'origine jusqu'à leur aveuglement.
Le brouillard a couvert le feu s'est éteint.
Je savais, dit l'enfant, que vous n'en prendriez pas soin, que toujours vous agissez de cette façon. De faire, de prétendre, de penser que tout pourra sans cesse s'arranger.
Si l'ensemble a une tonalité sombre à l'instar des désastres qui frappent déjà notre planète, la fin du livre propose une lueur, certes nuancée.
L'inondation reflue, se replie.
[…] En nous, le sauvage a repoussé.
A réfuté le mythe premier, fondateur et déjà destructeur.
[…] Les chaleurs extrêmes, les submersions et débordements, l'automne en été, les hivers printaniers.
[…] Au milieu de la chaussée, l'enfant est penché sur une fissure. Dans cette entaille, une graine a roulé. Une plante a grandi.
Le long de sa tige grimpe une coccinelle.
Surgit une mésange qui capture l'insecte dans son bec. L'enfant s'exclame, heureux. Court et saute dans les bras de l'autre.
L'enfant rit.
Les oiseaux sont revenus.
Le livre est habilement construit, l'écriture inventive sans dérouter. De la Genèse à l'anéantissement, avec une possible résurrection, cet ouvrage constitue une déclinaison poétique des maux qui affligent notre monde et une forme de réflexion en filigrane qui méritent qu'on les découvre ainsi que les belles interventions plastiques qui le jalonnent.