Louise L Lambrichs, Sur le fil, envolées
La voix du poète résonne ici comme un cri et une fulgurance. Elle jaillit tout à la fois des profondeurs de l’être et de l’obscur qui est notre demeure. Portée par une lucidité et un désespoir entremêlés, nul faux-semblant ne lui résiste.
Elle ne fait pas davantage de concessions aux modes passagères auxquelles certains vendent allègrement leur âme. Sur le fil, envolées est le titre de ce recueil de Louise L. Lambrichs. À la lecture de ses poèmes, on pense en effet à un fil tendu au-dessus de la nuit pour la traversée d’un funambule viscéralement épris de ce qui est plus loin, même au péril de lui-même. Le fil est aussi le tranchant d’une lame, où langue et concepts se défont jusqu’à l’os, dans la quête de ce qui s’échappe, sitôt entraperçu.
Ce cri qui transperce l’ampleur du silence est un Appel déchiré noyé / Révolte ou colère comment savoir. Le lecteur le suit sur le fil des mots, empruntant le chemin d’humanité où se fraye la poète, au-delà de sa rage de n’être pas entendue. Page après page, cœur broyé peau retournée, elle pose ses mots écorchés vifs sur une ligne de crête. Déterminée à écouter, elle reste attentive à toutes les voix proches ou lointaines qui ne cessent de la traverser. Elle les écoute, dans l’incessante rumeur de bavardages qui n’ont d’autre effet que d’éloigner les humains les uns des autres. Elle démasque la trompeuse illusion des surfaces et tout ce qui est mirage, pour chercher toujours plus loin une hypothétique clarté. Elle entend ces voix, malgré ce qui blesse et ce qui assombrit. j’écris pour les seules et les seuls / les sans voix qui préfèrent dans l’équation taquiner l’inconnue / et qui de lire ce qui leur parle du fond de l’inconnu / s’éprouvent moins seuls, dit-elle.
Louise L Lambrichs, Sur le fil, envolées, dessins Granjabiel, Éditions Douro 2024, 140 pages, 20 euros €, https://www.editionsdouro.fr/
Si la poète dénonce les impostures, les dénis ou encore les tragiques schémas de répétition, elle s’adresse aussi aux êtres dont les voix chuchotent, parce qu’elles ont été rendues presque inaudibles. C’est à eux qu’est lancé son appel, et c’est de leur présence que se nourrissent ses mots. Mon pays abrite d’innombrables pays / Mon chant timide d’innombrables chants qui m’ont bercée. Au-delà la souffrance et de la colère qui accompagnent sa clairvoyance, elle sait dire la fugace beauté d’une comète ou l’émouvante présence d’une luciole. Une nuit claire s’est allongée au bord de ma fenêtre / Elle frissonnait /Penchée vers son triste sourire / Je lui ai tendu la main.
Point de frontières à qui sait accueillir la chatoyante multiplicité du monde. Pas davantage à qui le regarde au-delà de son seul passage. Mourir n’est pas un problème / Ce que nous sommes avons été / S’éparpillera en étincelles pour aller nourrir / D’autres âmes que nous accompagnerons discrètement. Pas de cloisons à qui sait regarder sous les paupières, vers l’insu, l’impensé de nous-mêmes, vers ce qui sommeille à tout instant, que nous le voulions ou pas.
Les dessins de Granjabiel sont à la fois limpides et empreints d’intériorité. Page après page, ils forment un beau contrepoint aux poèmes qu’ils accompagnent. Un livre dont les vers résonnent longtemps chez le lecteur. Ils font partie de ceux qui nous éclairent et vers lesquels on revient comme vers les lucioles dans l’obscurité.