Luc Marsal, Cinq poèmes

À L’ORANGE SANGUINE

J’ai vingt ans et des poussières
la musique n’a jamais pu s’accorder à mes doigts
– je suis du dernier cri

Des ombres rouges remontent le fleuve  
elles me fouillent du regard

Le silence des arbres me pousse jusqu’au ciel
je frôle la beauté des choses          la mémoire du vent
j’avale les couleurs

Des mots muets me parlent à l’oreille
d’étranges vers me trouent la peau

Je n’entends plus que le bruit des larmes 
je m’habille trop des autres         
je perds le contrôle

Des lambeaux de lumière tombent des fenêtres

je mange la nuit par le noyau          contre gorge serrée

Les langues amères se délient jusque dans mon cou
– je baisse la tête  

Au bord des précipices
je chine les morceaux de ce que j’étais
le froid me suit           à la trace

Je me nettoie à l’orange sanguine            au feu des sacrifices

J’ai fait ce que j’ai pu
je ne suis pas né – coupable
je le deviens

 

LES EAUX PROFONDES

J’ai retrouvé les eaux glacées
les eaux profondes
d’où naissent les ombres

les couleurs de l’enfance

du temps où j’avais le cœur
aussi fragile
que la tête d’un oiseau

le torse couvert de ronces
et d’espoirs
à dévorer le monde

Maintenant
je ne crains plus la nuit
j’écris

 

AVIS DE TEMPÊTE

Les visages
prenaient leur air bouffi 
des jours de grandes marées  

Un silence 
–  et ce bruit 
qui revenait sans cesse 

Ça sentait les reproches
et la douleur qui traîne 
ventre à l’air 

Les mots cinglaient 
en larmes coupantes
noirs comme des trous d’aiguille 

J’écoutais leur écho
tournoyer sur mon front
cognant sur la terre molle

Et puis soudain 
plus rien 
que mon cœur d’enfant – abîmé

La mer 
avait avalé la dune 
il ne restait que les eaux 

 

LA BÉNÉDICTION

Et on répétait ce geste
en s’aspergeant la nuque
comme une bénédiction
qui nous sauverait des eaux

Nos âmes impatientes
se frôlaient du regard
avec leur air complice

Le large s’offrait à nous
noyé d’incertitudes
et de vagues remords

C’était l’été
bercé par l'insouciance
et les vaines colères

On s’étonnait de vivre
toujours
un peu plus grand

À pousser les frontières
– encore vierges
de la fin de l’enfance

 

UN GOÛT DE PÊCHE

Ses lèvres
avaient un goût de pêche

Il y’avait ce sable
qui se froissait sous mes pieds

Et cette lumière bleue
qui descendait de ses yeux

Je voyais bien que la vie
serait plus grande à deux

Présentation de l’auteur

Luc Marsal

Luc Marsal vit entre Paris et un petit village du nord de la Bourgogne. Il a consacré l’essentiel de sa vie à l’écoute des autres comme psychologue, conseil, formateur et coach.

Il découvre la poésie sur le tard en s’essayant à quelques vers. Encouragé par ses proches, il publie d’abord sur les réseaux sociaux puis progressivement dans plusieurs revues (Poésie première, Terre à ciel, La page blanche, Lichen, Traction-Trabant, Hélas!, Poétiquetac, L’Épître, La Syncopée, …) et recueils collectifs. Il participe depuis peu au Podcast poétique « Mange tes mots ».

Une poésie du quotidien, proche de la vie et des gens, très imagée, parfois un peu lyrique avec quelques retours vers l’enfance.

Lauréat de plusieurs concours de poésie dont le « Puy Poétique » (sur Instagram sponsorisé par le Castor Astral et le Bordel de la poésie) et le concours international de poésie « Sur les traces de Léopold Sedar Senghor » pour un poème en vers libre.

Bibliographie

Il publie en septembre 2023 son tout premier recueil aux Éditions « Donner à voir » (collection Tango) autour du long poème « Juste vivre » illustré par les encres de Nour Cadour.

Poèmes choisis

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