Luca Pizzolitto — Lo Sguardo delle cose / L’Apparence des choses
présenté et traduit par Marilyne Bertoncini
Extraite du recueil Tornando a casa (En rentrant à la maison), cette petite suite illustre le coeur de la poétique de Luca Pizzolitto, poète de Turin, qui évoque dans son œuvre le souvenir de lieux perdus, d'occasions manquées, de moments fragiles dont on ne garde que des sensations, concentrées dans quelques "instantanés" en gros plan comme des inserts cinématographiques. Le titre du recueil, qui utilise la forme gérondive, indéfinie, intemporelle du verbe, donne la tonalité de l'ensemble, dont Sara Comuzzo dit fort justement dans sa note de lecture :
C'est un voyage dans des mondes où les choses se brisent (et les liens aussi); les souvenirs s'estompent mais survivent, comme de vieux jouets laissés au soleil; et les prières rebondissent entre les rues, les fleurs et les plats à emporter chinois " ((E un viaggio in mondi dove le cose si spezzano (e anche i legami) ; i ricordi sbiadiscono ma sopravivvono, come vecchi giocattoli lasciati al sole ; e le preghiere rimbalzano tra le strade, i fiori e i take-away cinesi"https://medium.com/@5ara.bluesnow/poesia-tornando-a-casa-di-luca-pizzolitto-acb1b98d8e40))
Cette exploration immobile par les mots est un éternel retour élégiaque, à travers lequel s'exprime aussi le sentiment mystique d'une grâce singulière, née des choses qui nous "sauvent du néant" : sans grandiloquence, avec délicatesse, l'œuvre nous parle d'amour et de salut - le fréquent recours aux images christiques rapprochent la thématique amoureuse des poésies du fin amor - amour déçu, déchu pour une femme inaccessible comme un graal poétique.
Lo sguardo delle cose è
uno sguardo pulito.
Un nuovo giugno ci attende.
Il sudore sul vetro, la sabbia
danza nel vento di questi primi
giorni d'estate: il respiro
del cane sul finestrino.
Il ricordo di noi giace
sulla riva del mio niente.
L'apparence des choses a
un aspect honnête.
Un juin nouveau nous attend.
La sueur sur le verre, le sable
qui danse au vent des premiers
jours d'été: le souffle
du chien sur la vitre.
Ce souvenir de nous gît
sur la rive de mon néant.
La sovranità del vuoto,
il richiamo del desiderio,
un instabile stato di grazia.
Tutto s'apparta, tutto accade
spezzato, finalmente
l'incanto delle rovine.
Uno spazio misero rimane,
un'occasione mancata:
ci salverà solo il perdono.
La souveraineté du vide,
l'appel du désir,
un instable état de grâce.
Tout s'écarte, tout advient
brisé, finalement
l'enchantement des ruines.
Demeure un espace dérisoire,
une occasion manquée:
seul le pardon nous sauvera.
Chi getta il tuo nome nell'abisso
per trenta denari?
Chi dorme durante la veglia?
Chi stringe i polsi e ti spinge
in catene?
Nessuno torna innocente
da questo Getsemani,
nessuno è mai stato
fedele davvero.
Qui jette ton nom dans l'abîme
pour trente deniers ?
Qui dort pendant la veille ?
Qui serre tes poignets et te jette
dans les chaînes ?
Nul ne revient innocent
de ce Gethsémani,
Nul n'a jamais été
fidèle tout à fait.