Luis De GÓNGORA, Fable de Polyphème et Galatée
Il ne me semble guère utile de faire l’éloge des traductions du poète Jacques Ancet. Elles sont, en ce qui concerne la langue espagnole, telles qu’un lecteur moderne exigeant est en droit de les souhaiter.
Un traducteur peut allumer dans la langue d’arrivée la grâce poétique, comme en d’autres cas, quand il n’a pas de poésie en lui, si compétent qu’il soit, l’éteindre. C’est ce que j’ai pu constater encore dans quelques récents livres de traductions, en lesquelles la justesse du ton était sacrifiée à l’exactitude dénotative. Il en résulte des écrits semblables à des papillons épinglés dans une boîte de collection. Les teintes sont passées, la poudre d’or envolée, la vie avec elle, et il ne reste que l’équivalent de ces fleurs desséchées qu’on retrouve aplaties entre les pages d’un vieux livre. Évidemment, lorsqu’un poète-traducteur parvient à associer le ton et la justesse du sens, cela devient vraiment de la véritable traduction poétique, qui est davantage qu’une simple transmission d’informations au ras des pâquerettes ! En poésie, la capacité à la magie du ton et des visions que la langue d’arrivée doit approcher fait partie - c’est souvent oublié ou négligé ! - de la « compétence »… Dans le cas de Luis de Góngora, la difficulté pour Ancet se double de l’alchimie qu’a introduite le poète andalou dans son poème. Longtemps, l’on a parlé à ce sujet de « préciosité ».
Luis de Góngora, Fable de Polyphème et Galatée, version en prose
de Dámaso Alonso, Édition et trad. de l'espagnol par Jacques Ancet,
Gallimard, Poésie, traduction nouvelle, édition bilingue, 2016, 8,99 €.
Il s’agissait d’époques où la « poétique » ne s’était pas libérée comme après son entrée dans la période dorée du Baroque, temps des métamorphose de la société, de la culture, de la civilisation, temps d’accélérations « plastiques » de la pensée, dont, sans même le savoir, quelqu’un comme Arthur Rimbaud profitera. Cette période se caractérise, proche en cela de la nôtre, par une sorte de chaos implicite de la société et de la pensée, qui pousse chaque individu vers une vision aventurée des choses, et les auteurs vers une sorte de travail de renaissance de l’écrit et de la vision, quand même ce soit encore à travers des formes traditionnelles. Feu d’artifice créatif, c’est une période qui met « l’imagination au pouvoir », avec bien sûr des fortunes diverses. Entre Titus Andronicus (baroque anglais) – d’une cruauté d’un goût assez douteux – et la Fable de Polyphème et Galatée (baroque aristocratique espagnol), d’une élégance aristocratique, l’époque connaît tous les degrés vers les extrêmes. Or l’extrême de la poésie de Góngora se traduit par l’usage, pourrait-on dire « immodéré », selon l’expression des surréalistes, du « stupéfiant image ». Sur ce plan, les poèmes de Gongora, comme le faisait remarquer Federico Gracia Lorca qui s’y connaissait mieux que quiconque, n’ont rien à envier aux futurs Surréalistes. Mais il existe aussi dans cette poésie tout une architecture symbolique occulte dont les ramifications ne sont gratifiantes que pour celui qui prend la peine de pénétrer plus profond dans la culture synchronique à la vie du génial Cordouan. Sur ce point, Jacques Ancet a documenté remarquablement, notamment par une ample préface, le texte de Gongora, traduit et présenté en regard de sa version originale, de surcroît accompagné d’une glose, une sorte de traduction en prose semi-explicative adaptée d’un auteur espagnol, Dámaso Alonso. L’ensemble donne à ce livre un intérêt particulier et donne des couleurs et de la richesse à l’image de Gongora, assez pâle et confidentielle en France jusqu’à présent.
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