Marc Dugardin, D’une douceur écorchée

Que s'est-il  passé de janvier 2016 à décembre 2018 dans le monde, de douceurs et d'écorchures pour que Marc Dugardin intitule ainsi son dernier ouvrage, paru chez Rougerie en mars 2020 ? Qu'est-ce qui a fait que pendant cette période « vivre était plus terrible encore et plus doux que cela » ? Quelle est cette « romance au bord du vide », ce « retour vers les lits fiévreux de l'enfance » ?

Comme s'il s'agissait d'étudier la douceur en observant ce qui en serait un écorché Marc Dugardin cherche à voir à travers la peau douce des jours heureux pour en étudier les muscles et leur tension, les réseaux nerveux des sentiments, l'ossature des souvenirs.

Marc Dugardin le sait, écrire n'est jamais que se blesser au coupant des émotions. Et nous, simples lecteurs, aimons voyager dans les mots qui nous en disent plus sur nous-mêmes, dans ces silences inclus dans leur parole. C'est tout cela que nous offre le poète belge.

Cette « douceur écorchée » ne serait-elle pas ce qu'on appelle la résilience, quand les écorchures se referment avec le temps ? Avec la faute qui reste « tapie dans un coin ». Avec les mots pour cicatriser « On écrit / dans le naufrage du je qui écrit » ou « à deux doigts de l'imposture d'écrire ».

Comme si la douceur du moment ne pouvait pas signifier le bonheur « Je dis cela parce que la douceur / est violente », qu'elle portait sur sa peau les scarifications de faits d'histoires dramatiques. Kigali, Nyamata, heureusement vingt-deux ans après, « des bras se sont ouverts pour promettre autre chose ».

 

Marc Dugardin, D'une douceur écorchée, Rougerie, 2020, 80 p., 13€.

 

On pourrait se poser la question de l'impact du temps et du lieu sur l'écriture, difficile d'en faire une analyse holistique. Mais plutôt ressentir, apprécier les parallèles avec le destin de Mandelstam dans ce siècle chien-loupqui s'acheva sur les massacres du Rwanda.

Revenir aux choses simples. Du temps, l'enchaînement des saisons « dans le fond nous ne savons pas / ce que c'est que l'automne // et pas non plus ce qui distingue/ une fin d'un commencement ». Dans la douceur du matin, un bol de café, des visages, le même mouvement enveloppant des mains. « un matin / où simplement / quelqu'un prend pitié ».

Partir, fuguer. Fugue est musique. Envol. L'oiseau « dans le chant à peine commencé », « le chant qui nous laisse sans réplique », « agonise au bord du poème ». Fugue en laissant toute sa place au silence « écoute // c'est presque le silence // c'est peut-être pour ça / que ce n'est pas la mort ». Partir et revenir à l'enfance « la mémoire de l'enfance  / s'enroule sur elle-même ». Cette enfance source de toutes les douceurs et toutes les écorchures.

Mandelstam, mais aussi du Bouchet viennent marcher en ces pages. Imre Kertèsz vient nous ramener aux génocides. L'écrivain norvégien Tarjei Vesaas y fait glisser sa barque. Le poète hongrois János Pilinszky est là en convive et Coltrane joue quatre notes. Schubert accompagne Alejandra Pizarnik et Mozart nous tire une larme.

Revient régulièrement chez Dugardin l'image de la table, lieu de partage entre co-pains, lieu d'échanges entre am(e)is, « la table en attente », « ce n'est jamais vraiment une table [...] cela ressemble trop à un poème » . Moments de douceur que ces échanges.

L'auteur propose en fin d'ouvrage, quelques notes de genèse, quelques clés pour mieux comprendre les circonstances d'écriture de ces poèmes. Ce qui n'empêche aucunement le lecteur d'en avoir sa propre lecture. Car « on ne s'écorchera jamais assez à la douceur d'un poème ». Marc Dugardin, une lecture douce, à peine écorchée.

Présentation de l’auteur

Marc Dugardin

Marc Dugardin est né à Watermael-Boitsfort le 27 novembre 1946. Habite actuellement à Namur. A travaillé comme éducateur spécialisé puis dans l’Enseignement de Promotion Sociale. Membre du comité de rédaction du Journal des Poètes. Lauréat de la Bourse Spes de poésie en 2005. A publié, uniquement en poésie, une dizaine de titres depuis 1982. Une poésie nourrie par l’écoute de la musique, un cheminement d’homme entre désarroi et émerveillement, une solitude qui entre en résonance avec le chœur des vivants.

Marc Dugardin

 

Bibliographie

  • Connivences, Flémalle, Vérités, 1982
  • Itinéraires de la patience, Bruxelles, Le Cormier, 1984
  • Ricercare, Flémalle, L’Arbre à paroles, 1984
  • Poème des matins exigeants, Mortemart, Rougerie, 1986
  • Une parenthèse pour le vent, Mortemart, Rougerie, 1989
  • Un pas pour l’éphémère, un pas pour l’éternel, Mortemart, Rougerie, 1993
  • La peur la plénitude, Amay, L’Arbre à paroles, 1994
  • L’écoute infiniment, Mortemart, Rougerie, 1999
  • Adieux, en collaboration avec Lucien Noullez, Bruxelles, Editions de l’Ours, 2000
  • Solitude du chœur, Mortemart, Rougerie, 2002
  • Hovenieren in vergetelheid / Jardiner dans l’oubli, Leuven, Editions P, 2002
  • Stances, Amay, L’Arbre à paroles (collection Textimage – avec deux gravures de Jean Verly), 2004
  • Fragments du jour, Mortemart, Rougerie, 2004
  • Eenzame samenzang en andere gedichten / Solitude du chœur et autres poèmes, Leuven, Editions P, 2005
  • Soupirail d’enfance, Mortemart, Rougerie, 2007
  • A la escucha, Mexico, Editions Fosforo, 2009
  • Voyageurs que nous sommes  (avec des photographies de Muriel Claude), Bruxelles, La Ravine, 2009
  • Dans l’oreille profonde, Châtelineau, le Taillis Pré, 2010
  • Over en weer/ De part et d’autre  (en collaboration avec Marleen De Crée, gravures de Goedele Peeters), Leuven, Editions P, 2011
  • D’écluse en écorce (en collaboration avec Alexandre Valassidis), Paris, L’herbe qui tremble, 2011
  • In memoriam, tirage limité à 20 exemplaires avec des collages de Max Partezana, éditions Centrifuges, 2011
  • Quelqu’un a déjà creusé le puits, Mortemart, Rougerie, 2012

Autres lectures

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Quelle est l'origine d'un livre ? Pourquoi écrit-on ? Qu'est-ce qui pousse un poète à écrire ce qu'il écrit ? Sans doute les raisons sont-elle multiples, sans doute les réponses à ces questions [...]

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Pour avoir suivi un peu l’auteur de ce « journal » de vivre depuis une bonne quinzaine d’années, les champs d’investigation propres au poète éclairent un parcours marqué au sceau de plusieurs filiations esthétiques et [...]

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Que s'est-il  passé de janvier 2016 à décembre 2018 dans le monde, de douceurs et d'écorchures pour que Marc Dugardin intitule ainsi son dernier ouvrage, paru chez Rougerie en mars 2020 ? Qu'est-ce [...]




Marc DUGARDIN, Notes sur le chantier de vivre

Pour avoir suivi un peu l’auteur de ce « journal » de vivre depuis une bonne quinzaine d’années, les champs d’investigation propres au poète éclairent un parcours marqué au sceau de plusieurs filiations esthétiques et humaines : l’amour de la musique, la ferveur pour les amis, la quête incessante d’un peu de lumière au « soupirail » des enfances, le vœu d’une rigueur qui lui fasse éviter les romantismes courts ou la pose facile.

Les titres des derniers ouvrages (« Lettre en abyme », « Table simple », « D’écluse en écorce »,  « Dans l’oreille profonde », « Solitude du chœur », « Fragments du jour », « Soupirail d’enfance ») disent assez cette recherche d’une poésie essentielle, aussi éloignée que possible des poncifs et des lois du genre. Ecrire en poésie, c’est d’abord un choix dicté, rigoureux, et la volonté d’y inscrire l’éclairage d’une vie, tant il est possible de parler en vrai de soi.

Le titre choisi, qui doit autant au « métier » de vivre du grand Pavese qu’aux chantiers souchonesques de Caterpillar, bien moins anecdotiques qu’on le croirait, rameute les grands échos autour du travail d’un Henry Bauchau, dont la correspondance avec l’auteur des « Notes » illustre le grand âge, les limites du vivre et le travail de scribe autour d’ »Antigone ». Les ombres de Noullez et de Kinet valent aussi leur pesant d’âme dans ce « récit » de soi où s’allient connivences et fratries spirituelles.

Dans ce « journal », qui relève les activités du poète sur la période 2009-2013, je retrouve aiguë cette rigueur qui caractérise le poète et lui fait même écrire qu'il faut "nuancer" des propos un peu forcés du grand Bernard Noël à l'égard des dérives de notre siècle, et des manquements.

 

Marc DUGARDIN, Notes sur le chantier de vivre, Rougerie&Centrifuges, 2017, 196p., 13€.

Marc DUGARDIN, Notes sur le chantier de vivre, Rougerie&Centrifuges, 2017, 196p., 13€.

Surtout, ce qui me touche, dans ces "carnets" (ou "journaux"), c'est la subtile présence de personnes pourvoyeuses d'éclaircies au milieu du noir : cette "mammy" qui a, dans un lapsus étonnant, après écoute d'une belle musique, "joui"; ces infirmières qui trouvent bien "douce" la musique que le poète écoute "dans un monde de brutes"; ces moments partagés dont il n'y a rien d'autre à dire comme le dit Perros d'être là tout simplement ("table simple"?).

De 2009 à 2013, de brefs éclats des vies qui s'écoulent, des morceaux choisis dans les pages lues des autres. Les bonheurs. Les rêves parfois bien inquiétants (ou d'inquiétude).

Haydn, Brahms, Barthes (« mon énigme, c’est-à-dire ce qui de moi ne peut être vu que des autres »), les voyages au Rwanda (et le réseau subtil autour des poèmes et des gravures en grisé, pp.7 et 141, du témoin, poète et ami Nicolas Grégoire), l’ « entrain  irrésistible de Django Reinhardt », la pression constante et presque « réfléchie » du monde onirique pour « déblayer » le monde de soi, voilà le fretin intense d’un livre qui dit passionnément ses ferveurs, accordant parfois autant d’importance à ce que peut dire un Michaux ou un Griot, tout « le travail de la nuit » transpire ici (p.177) et ce « sentiment d’une menace » sur l’estomac – trace aussi d’une conscience aiguë de la maladie au travail (l’infarctus)…

Un livre d’une âpreté sourde, né d’une conscience haute d’écrire pour apporter un peu de lueur dans un lacis de contradictions, d’effervescentes questions sur le monde, toujours en reste, toujours en chantier, difficultueux domaine des hommes vigilants, et qui en souffrent.

Présentation de l'auteur

Marc Dugardin

Marc Dugardin est né à Watermael-Boitsfort le 27 novembre 1946. Habite actuellement à Namur. A travaillé comme éducateur spécialisé puis dans l’Enseignement de Promotion Sociale. Membre du comité de rédaction du Journal des Poètes. Lauréat de la Bourse Spes de poésie en 2005. A publié, uniquement en poésie, une dizaine de titres depuis 1982. Une poésie nourrie par l’écoute de la musique, un cheminement d’homme entre désarroi et émerveillement, une solitude qui entre en résonance avec le chœur des vivants.

Marc Dugardin

 

Bibliographie

  • Connivences, Flémalle, Vérités, 1982
  • Itinéraires de la patience, Bruxelles, Le Cormier, 1984
  • Ricercare, Flémalle, L’Arbre à paroles, 1984
  • Poème des matins exigeants, Mortemart, Rougerie, 1986
  • Une parenthèse pour le vent, Mortemart, Rougerie, 1989
  • Un pas pour l’éphémère, un pas pour l’éternel, Mortemart, Rougerie, 1993
  • La peur la plénitude, Amay, L’Arbre à paroles, 1994
  • L’écoute infiniment, Mortemart, Rougerie, 1999
  • Adieux, en collaboration avec Lucien Noullez, Bruxelles, Editions de l’Ours, 2000
  • Solitude du chœur, Mortemart, Rougerie, 2002
  • Hovenieren in vergetelheid / Jardiner dans l’oubli, Leuven, Editions P, 2002
  • Stances, Amay, L’Arbre à paroles (collection Textimage – avec deux gravures de Jean Verly), 2004
  • Fragments du jour, Mortemart, Rougerie, 2004
  • Eenzame samenzang en andere gedichten / Solitude du chœur et autres poèmes, Leuven, Editions P, 2005
  • Soupirail d’enfance, Mortemart, Rougerie, 2007
  • A la escucha, Mexico, Editions Fosforo, 2009
  • Voyageurs que nous sommes  (avec des photographies de Muriel Claude), Bruxelles, La Ravine, 2009
  • Dans l’oreille profonde, Châtelineau, le Taillis Pré, 2010
  • Over en weer/ De part et d’autre  (en collaboration avec Marleen De Crée, gravures de Goedele Peeters), Leuven, Editions P, 2011
  • D’écluse en écorce (en collaboration avec Alexandre Valassidis), Paris, L’herbe qui tremble, 2011
  • In memoriam, tirage limité à 20 exemplaires avec des collages de Max Partezana, éditions Centrifuges, 2011
  • Quelqu’un a déjà creusé le puits, Mortemart, Rougerie, 2012

Autres lectures

Marc DUGARDIN, Lettre en abyme

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Marc Dugardin, Lettre en abyme

Quelle est l'origine d'un livre ? Pourquoi écrit-on ? Qu'est-ce qui pousse un poète à écrire ce qu'il écrit ? Sans doute les raisons sont-elle multiples, sans doute les réponses à ces questions varient-elles d'un écrivain à l'autre. Mais Marc Dugardin, avec cette Lettre en abyme, donne un témoignage original et de première main qui ne vaut que pour lui et pour ce recueil précis…

Le lecteur attentif remarquera immédiatement l'orthographe du mot abyme qui se distingue de la graphie ordinaire ou courante abîme… Abyme est une variante désuète qu'on ne trouve plus guère que dans l'expression mise en abyme comme si Dugardin avait voulu attirer l'attention du lecteur sur le titre de son recueil. Ou, si l'on se souvient de la variante picturale, la mise en abyme désigne la représentation d'une œuvre dans une œuvre similaire, l'exemple le plus connu étant le travail de Benjamin Rabier pour la boîte du fromage La vache qui rit où l'on voit une vache portant des boucles d'oreilles où l'on voit etc… Tout a une fin car il arrive toujours un moment où l'artiste cesse de représenter le même motif par impossibilité liée à la taille mais le principe est là.

Marc Dugardin, Lettre en abyme, éditions Rougerie, préface de Jacques Ancet, 80 p. 13€.

Marc Dugardin, Lettre en abyme, éditions Rougerie, préface de Jacques Ancet, 80 p. 13€.

Jacques Ancet dans sa préface (très éclairante) situe parfaitement l'origine de ce poème (car il s'agit plutôt d'un long poème en six parties) : Marc Dugardin écrit cette Lettre en abyme après avoir lu le poème de Juan Gelman, Lettre à ma mère et en même temps il s'adresse à sa mère "marquée par la difficulté d'être (maladie, absence de tendresse, crainte du père, guerre, bombardements, blessure à la jambe)" comme l'écrit le préfacier (p 9). Dans la première partie, Marc Dugardin se souvient de sa lecture de Juan Gelman et mêle ses souvenirs aux considérations qui le font s'adresser à la mère du poète argentin. La deuxième partie est consacrée aux souvenirs qu'a le poète de son enfance :

On entend le bruit des bottes
on entend hurler le père tout puissant
(p 36)

Et ces deux vers qui sonnent comme un aveu : "Je te cherche / au revers de la haine" (p 41). Les troisième et quatrième parties voient se mêler poèmes anciens  (de Juan Gelman ?) aux notes manuscrites de Marc Dugardin ( ? ) et bribes de carnets qui retracent une vie et ce poème  qui avoue :

Je t'ai écrit 
comme si l'on avait inversé les rôles 

pour dévider un peu de tendresse
sur l'écheveau de ta propre histoire
(p 55)

La cinquième partie fait une large place à la musique et c'est là que l'on se rappelle avoir lu à la page 36 des deux vers :

Le piano enfonce une note obsédante
à coups de marteau

Il y a dans le rapprochement entre ce distique et les notes de la page 58 (toutes consacrées à Schumann et à Glenn Gould), quelque chose de déchirant. La sixième et dernière partie fait penser à cette remarque de Jacques Ancet (p 8) : … écrire aurait toujours affaire avec l'origine". Et que le lecteur ne peut s'empêcher de rapprocher de ces vers : "Mères / ce corps que nous sommes / vous écrivant" (p 60) ou de ces autres  "On sort de la nuit / de son silence transpercé d'épines" (p 66).

L'amour filial (ou ce qui en tient lieu) n'a jamais été exprimé aussi justement. Tout en s'interrogeant :

Là où vivre
pourtant a commencé 

Et aimer.

Présentation de l’auteur

Marc Dugardin

Marc Dugardin est né à Watermael-Boitsfort le 27 novembre 1946. Habite actuellement à Namur. A travaillé comme éducateur spécialisé puis dans l’Enseignement de Promotion Sociale. Membre du comité de rédaction du Journal des Poètes. Lauréat de la Bourse Spes de poésie en 2005. A publié, uniquement en poésie, une dizaine de titres depuis 1982. Une poésie nourrie par l’écoute de la musique, un cheminement d’homme entre désarroi et émerveillement, une solitude qui entre en résonance avec le chœur des vivants.

Marc Dugardin

 

Bibliographie

  • Connivences, Flémalle, Vérités, 1982
  • Itinéraires de la patience, Bruxelles, Le Cormier, 1984
  • Ricercare, Flémalle, L’Arbre à paroles, 1984
  • Poème des matins exigeants, Mortemart, Rougerie, 1986
  • Une parenthèse pour le vent, Mortemart, Rougerie, 1989
  • Un pas pour l’éphémère, un pas pour l’éternel, Mortemart, Rougerie, 1993
  • La peur la plénitude, Amay, L’Arbre à paroles, 1994
  • L’écoute infiniment, Mortemart, Rougerie, 1999
  • Adieux, en collaboration avec Lucien Noullez, Bruxelles, Editions de l’Ours, 2000
  • Solitude du chœur, Mortemart, Rougerie, 2002
  • Hovenieren in vergetelheid / Jardiner dans l’oubli, Leuven, Editions P, 2002
  • Stances, Amay, L’Arbre à paroles (collection Textimage – avec deux gravures de Jean Verly), 2004
  • Fragments du jour, Mortemart, Rougerie, 2004
  • Eenzame samenzang en andere gedichten / Solitude du chœur et autres poèmes, Leuven, Editions P, 2005
  • Soupirail d’enfance, Mortemart, Rougerie, 2007
  • A la escucha, Mexico, Editions Fosforo, 2009
  • Voyageurs que nous sommes  (avec des photographies de Muriel Claude), Bruxelles, La Ravine, 2009
  • Dans l’oreille profonde, Châtelineau, le Taillis Pré, 2010
  • Over en weer/ De part et d’autre  (en collaboration avec Marleen De Crée, gravures de Goedele Peeters), Leuven, Editions P, 2011
  • D’écluse en écorce (en collaboration avec Alexandre Valassidis), Paris, L’herbe qui tremble, 2011
  • In memoriam, tirage limité à 20 exemplaires avec des collages de Max Partezana, éditions Centrifuges, 2011
  • Quelqu’un a déjà creusé le puits, Mortemart, Rougerie, 2012

Autres lectures

Marc DUGARDIN, Lettre en abyme

    Des livres consacrés à la mère, il en est de remarquables : ceux de Jules Renard, d’Hervé-Bazin, d’Annie Ernaux. Nous pouvons en ajouter désormais un autre, celui que Marc Dugardin adresse à [...]

Marc Dugardin, Lettre en abyme

Quelle est l'origine d'un livre ? Pourquoi écrit-on ? Qu'est-ce qui pousse un poète à écrire ce qu'il écrit ? Sans doute les raisons sont-elle multiples, sans doute les réponses à ces questions [...]

Marc DUGARDIN, Notes sur le chantier de vivre

Pour avoir suivi un peu l’auteur de ce « journal » de vivre depuis une bonne quinzaine d’années, les champs d’investigation propres au poète éclairent un parcours marqué au sceau de plusieurs filiations esthétiques et [...]

Marc Dugardin, D’une douceur écorchée

Que s'est-il  passé de janvier 2016 à décembre 2018 dans le monde, de douceurs et d'écorchures pour que Marc Dugardin intitule ainsi son dernier ouvrage, paru chez Rougerie en mars 2020 ? Qu'est-ce [...]




Marc DUGARDIN, Lettre en abyme

 

 

Des livres consacrés à la mère, il en est de remarquables : ceux de Jules Renard, d’Hervé-Bazin, d’Annie Ernaux. Nous pouvons en ajouter désormais un autre, celui que Marc Dugardin adresse à la sienne, et au-delà à toutes les mères.

Livre terrible, si l’on veut lire, sous les mots aigus de la gravité, entre reproche, affrontement et constat, et  de la mémoire ancillaire. L’architecture de l’ensemble des poèmes offre ainsi un surplomb sur le livre qui a servi d’ancrage littéraire, le livre de Juan Gelman , « Lettre à ma mère », sur la vie rappelée en quelques notes par l’auteur lui-même de celle qui lui a donné le jour, sombre et faillie, et sur la place exacte de celui qui prend la plume et distance pour rameuter, six années après, la mémoire vive et blessée.

Le titre – excellent choix – révèle à tout le moins le tact pris par l’auteur pour élever son chant à quelque signification extérieure à lui : Ecrire en est déjà l’amorce : revenir par le poème à l’évocation d’une rencontre qui ne sera pas faite.

« L’origine obscure » de chaque être tranche avec la tendresse, la douceur que le poète invite, au-delà des faits sombres : « Je t’écris/ pour te délivrer une seconde fois » ou « Je te cherche/ au revers de la haine ».

L’intensité de la langue répond à un souci de « parler de mon chantier/ là où parler creuse un trou dans la langue » : il y est question, certes, de brouillon, de ratures, d’imprononçable.

Œuvre de sincérité, « Lettre en abyme » assume complètement la difficile démarche d’analyse de soi qu’elle suppose, cette volonté d’en découdre aussi avec un passé de « rage et de tristesse ». Le « tu fus ma mère » jette à la fois glace et ombre au tableau et convainc le lecteur de l’authenticité de l’écrit.

Ecrire est une responsabilité insigne que les mots, les poèmes consignent : le scripteur s’y avance nu, fragile, tremblant, et vrai, jusqu’à la souffrance.

Un beau livre, dont le rythme épouse la réflexion, pour dire, au-delà des mots, une présence et sa blessure que le poème peine à user.

 

*

 




Marc Dugardin, La vierge au dieu manquant

Là, assise, les mains posées sur les genoux, les paumes tournées l’une vers l’autre, l’enfant, son enfant, elle le tient, mais il n’est pas là, elle ne tient qu’une absence de dieu.

L’enfant-dieu, le nourrisson, elle, la vierge, elle nous le présente, elle nous le présente qui manque, depuis des siècles, ce geste figé d’une présentation en creux.

Mère dont le jeune visage laisse toutes les questions en suspens… L’enfant a-t-il été volé ? Un ange l’a-t-il prématurément ramené au ciel ? Une autre femme, ailleurs, en prendrait soin ?

Visage qui préserve son mystère et ce n’est pas à l’usure du temps, à la peinture qui s’écaille que l’on doit ce trouble. Non, c’est à ce regard accordé à l’absence, ce regard qui nous met en présence de ce qui n’est pas là.

A-t-elle seulement jamais porté un enfant dans son ventre, cette femme, cette jeune fille, que sait-elle du poids du monde, elle dont les mains depuis si longtemps portent l’invisible ?

Ses mains écartées, mais les bras tout près du corps, elle n’accueille que son enfant, que son roi, que son dieu, n’allez pas vous substituer à lui, elle est mère de cette absence, c’est tout !

Triste ? Peut-être… mais elle n’ouvrira pas la bouche, elle restera muette, si un cri de mère éplorée jaillit en elle, vous ne l’entendrez pas.

Ou s’il y a un désir, ou s’il y a un espoir, ou si son geste n’est qu’attente, vous ne le saurez pas, vous ne saurez rien.

Mère de l’enfant invisible, mère de l’enfant qui manque, mère du nom qui n’a pas été donné, et vous ne poserez pas votre tête sur ses genoux, non quelque chose vous arrête, car sa tendresse même est réservée à ce qui manque, ô cette mère de la tendresse, ô ce manque toujours au cœur de toute tendresse…

Et ce reproche, léger certes, tout de même, ce reproche dans son regard, elle, innocente, elle, pure dit-on de toute faute, sommes-nous coupables, est-ce nous qui provoquons, ce manque, est-ce nous qui condamnons toute présence à l’absence ?

Qu’est-ce qui est arrêté dans les plis de sa robe, qui tremble au bord de ses lèvres, qui se dissimule sous la peinture blessée de son visage ? Une parole qui ne peut être dite, une absence sur laquelle nous fondons notre parole ?

Seulement ainsi, dieu pouvait être présent dans notre maison : comme le manque que tient cette mère dont l’image est accrochée au mur.

Mère de tout ce qui nous manque, mère de ce qui, au fond de notre mémoire, nous inscrit dans l’oubli.

 

Extrait de Un pas pour l’éphémère un pas pour l’éternel, Rougerie, 1993

Vierge romane

Présentation de l’auteur

Marc Dugardin

Marc Dugardin est né à Watermael-Boitsfort le 27 novembre 1946. Habite actuellement à Namur. A travaillé comme éducateur spécialisé puis dans l’Enseignement de Promotion Sociale. Membre du comité de rédaction du Journal des Poètes. Lauréat de la Bourse Spes de poésie en 2005. A publié, uniquement en poésie, une dizaine de titres depuis 1982. Une poésie nourrie par l’écoute de la musique, un cheminement d’homme entre désarroi et émerveillement, une solitude qui entre en résonance avec le chœur des vivants.

Marc Dugardin

 

Bibliographie

  • Connivences, Flémalle, Vérités, 1982
  • Itinéraires de la patience, Bruxelles, Le Cormier, 1984
  • Ricercare, Flémalle, L’Arbre à paroles, 1984
  • Poème des matins exigeants, Mortemart, Rougerie, 1986
  • Une parenthèse pour le vent, Mortemart, Rougerie, 1989
  • Un pas pour l’éphémère, un pas pour l’éternel, Mortemart, Rougerie, 1993
  • La peur la plénitude, Amay, L’Arbre à paroles, 1994
  • L’écoute infiniment, Mortemart, Rougerie, 1999
  • Adieux, en collaboration avec Lucien Noullez, Bruxelles, Editions de l’Ours, 2000
  • Solitude du chœur, Mortemart, Rougerie, 2002
  • Hovenieren in vergetelheid / Jardiner dans l’oubli, Leuven, Editions P, 2002
  • Stances, Amay, L’Arbre à paroles (collection Textimage – avec deux gravures de Jean Verly), 2004
  • Fragments du jour, Mortemart, Rougerie, 2004
  • Eenzame samenzang en andere gedichten / Solitude du chœur et autres poèmes, Leuven, Editions P, 2005
  • Soupirail d’enfance, Mortemart, Rougerie, 2007
  • A la escucha, Mexico, Editions Fosforo, 2009
  • Voyageurs que nous sommes  (avec des photographies de Muriel Claude), Bruxelles, La Ravine, 2009
  • Dans l’oreille profonde, Châtelineau, le Taillis Pré, 2010
  • Over en weer/ De part et d’autre  (en collaboration avec Marleen De Crée, gravures de Goedele Peeters), Leuven, Editions P, 2011
  • D’écluse en écorce (en collaboration avec Alexandre Valassidis), Paris, L’herbe qui tremble, 2011
  • In memoriam, tirage limité à 20 exemplaires avec des collages de Max Partezana, éditions Centrifuges, 2011
  • Quelqu’un a déjà creusé le puits, Mortemart, Rougerie, 2012

Autres lectures

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Marc Dugardin, poème, passant

pour Armand et Nicolas

 

 

 

 

 

 

table
simplement

paroles
enracinées
dans le silence

mie de pain
à cœur ouvert

 

 

 

 

 

 

oiseaux, dehors,

et dedans, un peu,
pour le réveil des chambres

 

 

 

 

 

 

ce qui s’écrira

avec quelques mots malvenus

(ceux dont personne ne voulait)

 

 

 

 

 

 

fondations

qui se taisent
depuis longtemps

puis les murs
le vent dans les charpentes

et la fenêtre

 

 

 

 

 

 

giclures sur le papier

et déchirements

cris, braises
flammes
et la danse, la danse

 

 

 

 

 

 

ciel avec nuages

on y devine
le présent
le sans preuves

nuages
pour être l’étranger

 

 

 

 

 

 

 

le jardin

ne se trompe pas
de désordre

ni l’enfance
dévorée
dévorante

rire
qui entame le jour

 

 

 

 

 

 

une rose dans la chambre

tant de roses alors
sous les paupières

ça ne veut rien dire

ça dit :
venir au monde,
le quitter

 

 

 

 

 

 

chantonner -  bercer le

bercement qui manque

chanter par défaut

c’est chanter tout de même

 

 

 

 

 

 

 

II

ce n’est pas une simple parenthèse

papyrus de cauchemar

Je sais qui me poursuit (…) … Je sais qu’ils ont des machettes.
(Scholastique Mukasonga)

d’un  coup, poitrine
ouverte, une nouvelle fois

ce n’est pas rien qu’une cicatrice

 

 

 

 

 

 

ce que les parents taisent

tas de fumier de la honte,
à ne plus savoir qu’en faire

Bien sûr, il y eut des survivants. Un génocide n’est jamais parfait.

 

 

 

 

 

 

Boucle. Ca revient

en boucle. Fugue,
à la vie, à la mort.

Maison, ronde, comme
un sein où se blottir.
Sentier qui n’y ramène
pas.

 

 

 

 

 

 

 

III

elle
la mère
si elle avait pu…
(au moins juste ce qu’il faut)

sur la langue
le lait a pris feu

indulgence
de la rosée
tout de même

 

 

 

 

 

 

plus tard

parole
qui s’ébranle

cherche l’embouchure

 

 

 

 

 

 

 

retour à la

table
doucement (on aimerait)
pour disparaître

silence
à la fin
sans clôture

 

 

à Kigali
août 2013

 

 

 

 

Notes au retour du Rwanda, où j’ai passé trois semaines. Je les rédige à partir de ce que j’ai griffonné sur place, dans un petit carnet de poche. Et sachant que, d’abord, c’est un poème (un long poème constitué de séquences très brèves) qui s’est écrit là-bas. Tout comme en février 2012, cette écriture « à chaud » témoigne de l’intensité de ce qui a été vécu, dans la relation d’amitié, dans le rapport complexe à ce pays, magnifique et terrible à la fois.

Je ne sais trop alors ce qui « mérite » d’être retranscrit ici, de ces notes de chantier dont le poème est sorti avant que j’y mette « de l’ordre ». Poème qui a choisi (cela s’est imposé) la concision, le peu de mots, la simplicité de l’écriture (puisse cette simplicité-là rendre compte de toute la richesse à laquelle me renvoie l’expression « table simple » !)

Lectures à Kigali (et à Remera, dans le Nord du pays ; mais là, j’ai souvent déposé le livre pour reprendre la contemplation – silencieusement, longuement – du paysage : les montagnes, la chaîne des volcans qui émergeait parfois des nuages, le lac Ruhondo en contrebas, mais aussi les villages à l’avant plan, sur les collines, les gens au travail, avec les cris d’enfants, leurs pleurs ou leurs rires, l’esquisse d’un chant de temps à autre, les hurlements d’un cochon que sans doute on égorgeait…) : Cuisine d’Antoine Emaz (tandis que Nicolas lisait le Journal de Lucien…), Inyenzi ou les cafards et La femme aux pieds nus de Scholastique Mukasonga, relecture de Juan Gelman (Lettre ouverte suivie de sous la pluie étrangère) et de passages de Mieux taire d’Armand Dupuy, et de passages encore de Poèmes de Paul Celan (les traductions et l’essai de John E. Jackson), livre lu lors de mon précédent séjour à Kigali, que j’y avais laissé pour que Nicolas puisse le lire à son tour…  Des fils dans tout cela, comme ce rapprochement troublant entre la situation de Paul Celan (survivant à la mort de ses parents) et S. Mukasonga, seule de sa famille à survivre aux massacres de 94 (elle était en France à ce moment, mais elle avait connu tous les pogroms qui s’étaient succédé depuis 20 ans à l’encontre des Tutsi)…

Mais que dire, justement, de tout cela, sinon écouter les témoignages, y entendre toute l’atrocité qu’il y a à y entendre, jusqu’à l’insoutenable, et y entendre ce qui reste possible d’humain, malgré tout, malgré tout, fût-ce seulement dans le fait de faire porter par une langue humaine la charge de ce qui semble à ce point inhumain… Assumer les liens, les échos avec des situations personnelles (ou ce que l’on sait de celles des amis), parce que l’on ne peut parler qu’à partir de sa propre inclinaison, comme l’écrit précisément Paul Celan. Mais dans une extrême pudeur aussi. Ne pas ramener à soi, ne pas faire de ces massacres la toile de fond de ses propres blessures, si brûlantes soient-elles encore parfois (et si vive encore, la terreur dans le ventre). A d’autres, les proches, les « survivants »,  de hurler ou  de se taire, pour ceux qui sont morts en hurlant ou dans un mutisme terrifié. A nous de ne pas nous boucher les oreilles, ou de ne pas couvrir leur silence de paroles d’imposture.

La belle voix, si sensible, de Rokia Traoré, chanteuse malienne… Musique africaine dont j’ai ramené des enregistrements (d’autres aussi, d’Ouganda, du Congo). Grande émotion, hier, pour Madame S., la dame d’origine burkinabé, qui nettoie ici, en entendant ces chants, surtout ceux du Mali (dans la même langue que celle parlée au Burkina Faso). Et pour moi, c’est une façon de me replonger « là-bas », dans ces rythmes, ces tonalités, cette « insouciance » (du moins est-ce comme cela que nos clichés qualifient souvent une certaine manière qu’ont les Africains d’aborder la vie…)   « Les Africains » ! C’est déjà une fameuse approximation de considérer qu’ils sont « tous pareils », vus par des Européens qui croient souvent que le reste du monde n’est qu’une annexe de leur propre continent.  Parler d’ « insouciance » à propos du Rwanda serait particulièrement cynique, même s’il est vrai que j’y ai éprouvé ce « quelque chose » (plus intuitif que raisonné, sans doute, et peut-être bien fortement imprégné de « musique ») qui rend « l’Afrique noire » si attachante…

Je pourrais parler en effet des sons, des cris, des voix, de ce goût pour la parole, la « palabre » (mais, paradoxalement, avec ce côté « réservé » de beaucoup de Rwandais). Des bruits de la nature aussi (mais je les imagine bien différents dans d’autres régions de l’Afrique), de la présence extraordinaire des oiseaux (leurs chants, leurs couleurs, comme les rues, dans les villes, sont pleines de bruits et de couleurs). Mais revenir alors également sur les moqueries ou les remarques parfois « hostiles » (ou … les silences) des Rwandais lorsqu’ils voient passer des « muzungu », et cela surtout dans les campagnes, dans les villages. Il est vrai que le « promeneur », admirant le paysage (si admirable en effet), dans la région montagneuse du Nord, n’est rien d’autre que totalement étranger à ce que cela signifie de travailler là, de cultiver ces terres sèches (ou au contraire transformées en bourbier, à d’autres saisons), de grimper interminablement ces pentes raides (on les cultive jusque bien haut souvent… ). Oui, j’en ai vu marcher, des Rwandaises, des Rwandais, partout, sur les sentiers de montagnes, le long des routes, les outils à la main (la machette…), les charges sur la tête (les bananes, mais pas seulement), et tout cela était bien autre chose que des images « exotiques ». J’en ai vu marcher aussi, il est vrai, pour se rendre à un mariage, presque dansants au bord des routes, et tout de même on pense alors à ce « sens de la fête » que « les Africains » sont censés vivre, plus que nous. Mais j’entends déjà ceux qui vont affirmer qu’il s’agit là de leur capacité « à se contenter de peu » (du peu qu’ils ont, bien souvent), et là-dessus, je préférerai me taire…

Présentation de l’auteur

Marc Dugardin

Marc Dugardin est né à Watermael-Boitsfort le 27 novembre 1946. Habite actuellement à Namur. A travaillé comme éducateur spécialisé puis dans l’Enseignement de Promotion Sociale. Membre du comité de rédaction du Journal des Poètes. Lauréat de la Bourse Spes de poésie en 2005. A publié, uniquement en poésie, une dizaine de titres depuis 1982. Une poésie nourrie par l’écoute de la musique, un cheminement d’homme entre désarroi et émerveillement, une solitude qui entre en résonance avec le chœur des vivants.

Marc Dugardin

 

Bibliographie

  • Connivences, Flémalle, Vérités, 1982
  • Itinéraires de la patience, Bruxelles, Le Cormier, 1984
  • Ricercare, Flémalle, L’Arbre à paroles, 1984
  • Poème des matins exigeants, Mortemart, Rougerie, 1986
  • Une parenthèse pour le vent, Mortemart, Rougerie, 1989
  • Un pas pour l’éphémère, un pas pour l’éternel, Mortemart, Rougerie, 1993
  • La peur la plénitude, Amay, L’Arbre à paroles, 1994
  • L’écoute infiniment, Mortemart, Rougerie, 1999
  • Adieux, en collaboration avec Lucien Noullez, Bruxelles, Editions de l’Ours, 2000
  • Solitude du chœur, Mortemart, Rougerie, 2002
  • Hovenieren in vergetelheid / Jardiner dans l’oubli, Leuven, Editions P, 2002
  • Stances, Amay, L’Arbre à paroles (collection Textimage – avec deux gravures de Jean Verly), 2004
  • Fragments du jour, Mortemart, Rougerie, 2004
  • Eenzame samenzang en andere gedichten / Solitude du chœur et autres poèmes, Leuven, Editions P, 2005
  • Soupirail d’enfance, Mortemart, Rougerie, 2007
  • A la escucha, Mexico, Editions Fosforo, 2009
  • Voyageurs que nous sommes  (avec des photographies de Muriel Claude), Bruxelles, La Ravine, 2009
  • Dans l’oreille profonde, Châtelineau, le Taillis Pré, 2010
  • Over en weer/ De part et d’autre  (en collaboration avec Marleen De Crée, gravures de Goedele Peeters), Leuven, Editions P, 2011
  • D’écluse en écorce (en collaboration avec Alexandre Valassidis), Paris, L’herbe qui tremble, 2011
  • In memoriam, tirage limité à 20 exemplaires avec des collages de Max Partezana, éditions Centrifuges, 2011
  • Quelqu’un a déjà creusé le puits, Mortemart, Rougerie, 2012

Autres lectures

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Marc Dugardin, quelque chose /quelqu’un (rhapsodie)

pour Nicolas, Blandine et Noah

1

mais que s’est-il passé au Rwanda ?

cette question pas sûr
qu’on la pose vraiment
à celui
qui sera revenu de là-bas

pas sûr que quelqu’un la pose

ou personne

on / je / tu

nous

 

 

 2

non pas là-bas
mais ici encore
où j’écris

        où je note :

on regarde
les collines
la terre rouge aux semelles

(rouge aussi sur le corps
après la chute)

poussière
et l’eau si lourde à porter

 

 

 3

nous voyant passer, les enfants crient : Muzungu !
(c’est-à-dire : celui qui a pris la place de
c’est-à-dire : le blanc)

ce n’est pas une question

il n’y a rien à répondre

 

 

4

là-haut
une maison
abandonnée
incendiée

on ne pose pas
de question
non plus

la brûlure vient au ventre
et le paysage se tait
d’un silence
qu’on ne lui connaissait pas

 

 

5

au cœur
pourtant
              de la question

 

 

6

presque jetés sur la table
les poèmes

comme d’autres jettent
les bouteilles à la mer

les poèmes
 
    sont en chemin
ils font route vers quelque chose
écrivait Celan

et vivre
écris
tu

 

 

7

tu fis un feu
après cela

il n’avait pas un goût de cendre

il y a peut-être une langue

pour
ce que j’écris là

 

 

8

les oiseaux
juste un peu
avant le jour

cette longue insomnie du poème
puis sa douceur

comme si quelqu’un
alors
nous la donnait

(en rêve
ainsi qu’à la fin
d’un autre voyage
la femme
     revenue
puis perdue
une nouvelle fois)

 

 

9

car
quelque chose
a eu lieu

toute la nuit dans la tête
le manège a tourné

et le visage ce matin
regarde sa honte en face

       il faut toujours
      que
      quelqu’un
       vienne

 

 

10

(…) près d’une centaine de soldats belges de la MINUAR abandonna environ 2000 civils non armés, les laissant sans défense contre les attaques des miliciens et des militaires. Les assaillants entrèrent par une porte, pendant que les Belges sortaient de l’autre côté. Plus d’un millier de Rwandais sont morts sur place ou en fuyant pour essayer de rejoindre un autre poste des Nations Unies.

(Extrait de « Aucun témoin ne doit survivre / Le génocide au Rwanda », Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme, Paris, Editions Karthala, 1999, pages 30, 31)

 

 

11

la pirogue était vieille
sur le lac Kivu

sûrement qu’il fallait
écoper de temps à autre
l’eau qui stagnait
dans le fond

de sa voix
(peut-on dire qu’il chantait ?)
l’homme écopait
quelque chose
en lui aussi sans doute

 

 

12

Kigali
retour à la maison

les murs
et plus que les murs
     ce qu’il faut pour tenir

la première fois
des syllabes
     ou même avant

un beau jour
écrivait Janos Pilinszky

doucement m’accueilleront
la vieille cour, le silence de lierre
de notre demeure, son chuchotement.

 

 

13

mais l’enfance ramenée à coups de gifles

lire le poème où il commence :
c’est toujours la cuillère en fer blanc au rebut
le bric-à-brac de la misère que j’ai cherchés

à chacun ses boues
ses charniers

son trop de parole
ou de silence

 

 

14

à personne
le lieu sans nom
de ce qui peut être sauvé

 

 

15

lui / le juif
      revenu à soi
malgré que
      la nuit le chevauchait

        comme si
sa mère
comme si
la mère / la mienne / la tienne

        comme si
nous
renaissant
dans la langue qui
malgré / avec son goût de cendre
dans la langue
qui
ne s’effondre
pas

 

 

(à Kigali, février 2012)

 

 


NOTE :

Les traductions de Paul Celan  (textes 6 et 15) sont de John E. Jackson ; celles de Janos Pilinszky (textes 12 et 13) sont de Lorand Gaspar et Sarah Clair.

Présentation de l’auteur

Marc Dugardin

Marc Dugardin est né à Watermael-Boitsfort le 27 novembre 1946. Habite actuellement à Namur. A travaillé comme éducateur spécialisé puis dans l’Enseignement de Promotion Sociale. Membre du comité de rédaction du Journal des Poètes. Lauréat de la Bourse Spes de poésie en 2005. A publié, uniquement en poésie, une dizaine de titres depuis 1982. Une poésie nourrie par l’écoute de la musique, un cheminement d’homme entre désarroi et émerveillement, une solitude qui entre en résonance avec le chœur des vivants.

Marc Dugardin

 

Bibliographie

  • Connivences, Flémalle, Vérités, 1982
  • Itinéraires de la patience, Bruxelles, Le Cormier, 1984
  • Ricercare, Flémalle, L’Arbre à paroles, 1984
  • Poème des matins exigeants, Mortemart, Rougerie, 1986
  • Une parenthèse pour le vent, Mortemart, Rougerie, 1989
  • Un pas pour l’éphémère, un pas pour l’éternel, Mortemart, Rougerie, 1993
  • La peur la plénitude, Amay, L’Arbre à paroles, 1994
  • L’écoute infiniment, Mortemart, Rougerie, 1999
  • Adieux, en collaboration avec Lucien Noullez, Bruxelles, Editions de l’Ours, 2000
  • Solitude du chœur, Mortemart, Rougerie, 2002
  • Hovenieren in vergetelheid / Jardiner dans l’oubli, Leuven, Editions P, 2002
  • Stances, Amay, L’Arbre à paroles (collection Textimage – avec deux gravures de Jean Verly), 2004
  • Fragments du jour, Mortemart, Rougerie, 2004
  • Eenzame samenzang en andere gedichten / Solitude du chœur et autres poèmes, Leuven, Editions P, 2005
  • Soupirail d’enfance, Mortemart, Rougerie, 2007
  • A la escucha, Mexico, Editions Fosforo, 2009
  • Voyageurs que nous sommes  (avec des photographies de Muriel Claude), Bruxelles, La Ravine, 2009
  • Dans l’oreille profonde, Châtelineau, le Taillis Pré, 2010
  • Over en weer/ De part et d’autre  (en collaboration avec Marleen De Crée, gravures de Goedele Peeters), Leuven, Editions P, 2011
  • D’écluse en écorce (en collaboration avec Alexandre Valassidis), Paris, L’herbe qui tremble, 2011
  • In memoriam, tirage limité à 20 exemplaires avec des collages de Max Partezana, éditions Centrifuges, 2011
  • Quelqu’un a déjà creusé le puits, Mortemart, Rougerie, 2012

Autres lectures

Marc DUGARDIN, Lettre en abyme

    Des livres consacrés à la mère, il en est de remarquables : ceux de Jules Renard, d’Hervé-Bazin, d’Annie Ernaux. Nous pouvons en ajouter désormais un autre, celui que Marc Dugardin adresse à [...]

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Quelle est l'origine d'un livre ? Pourquoi écrit-on ? Qu'est-ce qui pousse un poète à écrire ce qu'il écrit ? Sans doute les raisons sont-elle multiples, sans doute les réponses à ces questions [...]

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Pour avoir suivi un peu l’auteur de ce « journal » de vivre depuis une bonne quinzaine d’années, les champs d’investigation propres au poète éclairent un parcours marqué au sceau de plusieurs filiations esthétiques et [...]

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Que s'est-il  passé de janvier 2016 à décembre 2018 dans le monde, de douceurs et d'écorchures pour que Marc Dugardin intitule ainsi son dernier ouvrage, paru chez Rougerie en mars 2020 ? Qu'est-ce [...]