Maria Galkina, Une histoire du blanc
« mais traduire est une séparation aussi. Traduire
la séparation »1
*
Et puis, il y avait des forêts blanches. Champs à perte de vue. S’il fallait écrire une histoire du
blanc, ce serait l’histoire russe. Une fumée, et les tâches de sang dans la neige. En blanc : le
caméléon.
La neige est la couleur éblouissante du deuil
Tu t’es endormi : j’éteins
(On devient imprononçable)
*
S’il n’y avait pas eu du noir, je ne t’aurais jamais remarqué. Mais le noir est, comme le sont les
étendues d’eau noire cet hiver sans neige dans un endroit proche comme l’Orient et distant comme le
ventre d’un étranger. Les champs s’alternent avec les champs, et la route est couverte de vides roux.
La tête de Jean Baptiste est déjà coupée, et elle saigne en laissant ses bassins s’étendre de l’Est à
l’Ouest.
Le monde n’est plus.
Les plaies sont en paix, je ramasse leurs couleurs.
*
Tes cheveux sont partout : tempête de questions. Enfuis vers l’Est, les voici – à la ligne de front. Il neige.
(Claquement de briquet)
Feu.
*
Et chaque visage est pauvre quand il n’est pas à toi. Les lacs de nuit se taisent devant ton
silence. Dans chaque flaque règnent tes lèvres discrètes. La cruauté de la mer ignore ses frontières
où le nous vacille avant de tomber. A peine toucher ta manche en partant et –
m’effondre.
*
Tu dis : « la double absence est inscrite dans nos visages de l’Est ». Je souris. « Un bourreau
n’a pas de visage ». Je ferme les yeux. Déjà vu.
*
Je rêve d’un hiver nucléaire, et je ne sais plus dans quelle langue je parle, dans quelle langue
j’attrape les chenilles (elles me brûlent les doigts, les peignent en bleu). Je te raconte les lacs des
morts, la terre. Vers nulle part coule – ma tête d’eau. Un soldat lui chante. Chut.
Le lac se lave : se lève. Soulèvement des mers.
Vent.
Note