Michel VOLKOVITCH, Poètes grecs du 21e siècle
Dix poètes et de larges extraits de leur œuvre, de belles notices biobibliographiques, un souffle, de modernité et de beauté : voilà l’ouvrage remarquable pour faire connaître la poésie hellène des dernières années.
Les textes parlent d’eux-mêmes, et la chronologie simplement facilite pour le lecteur béotien que je suis la découverte pas à pas d’un sous-continent européen en termes de culture et d’origines.
Kiki DIMOULA, doyenne du groupe, née en 1931 (chèvre, selon l’astrologie chinoise), est une poète que la collection Poésie /Gallimard a déjà publiée (« Le peu du monde »).
Mesures draconiennes
J’ai trois mères
l’une vit dans la vérité la plus noire
l’autre dans la photo en noir et blanc
et la troisième face à moi réfléchit
enfermée dans l’œil
glacial de mon miroir…
Michel VOLKOVITCH, Poètes grecs du 21e siècle, anthologie, Le miel des anges, volume 5, 2017. Textes choisis, traduits et présentés par l’auteur, 192p., 12€.
Màximos OSYROS, né en 1943 (autre chèvre), auteur de « La route de la soie », poèmes de l’ascèse, en quête de « lueurs » :
Chanson
Secoue le pollen de ton revers. Écoute la coquille de Diodote et le vin blanc. Baisse-toi vers le cuivre de la dorade. Tout ce que nous oublions nous tue.
Yorgos HOULIARAS, né en 1951, poète des mythes, avec la « tendresse pour les rêves »
Ulysse à la maison
Avec ma ruse connue de tous
j’ai laissé mon ombre sur les mers
et suis rentré tout de suite à Ithaque.
Pandelis BOUKALAS, né en 1957, traite de mort et d’amour, auteur de « Phrases » :
Prométhée
Jamais je n’ai beaucoup parlé
mais j’ai appris en temps voulu la langue du feu
quelle autre est plus directe
et brille en brûlant chaque chaîne
Je ne supporte pas tout ce vide en eux
Fabriquer des bonshommes ou plutôt des pantins
qui leur servent de jouets
foudroyer consumer submerger…
Thanassis HATZOPOULOS, né en 1961, analyse la Grèce « brûlante de l’actualité » :
Maisons de réfugiés I
Murs creusés par des balles
Trous non digérés par le temps
Crépis imprégnés de pluie
Temps qui n’ont pas vu le jour…
-
Trottoir
Ça empeste la pisse
Et l’angoisse du ciel parvient jusqu’ici
Réfractée dans les rues tortueuses
De toponymes…
Yeoryia TRIANDAFYLLIDOU, née en 1968, écrit entre douleur, humour et hommage à l’altérité. Elle a publié « Prêts à fonds perdus » (2016).
Ville amoureuse
III
Je veux unir ma destinée à celle d’un conducteur de bus. Non parce qu’il est devenu courant de tomber amoureux des maçons, des facteurs, des ferrailleurs, des marins, des vendeurs de billets de loterie, comme si l’amour s’était souvenu d’eux alors qu’avant ce qui évoquait l’amour c’était tout cela : la brique rouge, la salive sur l’enveloppe, le fer pointu, le bateau, le hasard…
Yorgos LILLIS, né en 1974, traite de solitude, d’homme comme « île », en fragments comme d’humbles appels :
Microcosme
Les arbres s’arrêtent pile au précipice.
Ils renferment l’endurance et la force
tels des phares naturels, ici, dans ce paysage aride…
-
Arlequin
Les étoiles peuvent tomber
sans que les pleure aucun cortège
un moineau peut mourir et les feuilles mortes
noter sur leurs pages vertes son absence…
Yorgos ALISANOGLOU, né en 1975, attentif à « l’immense rumeur du monde », signe « Aire de jeux » (2015) :
Guerre / Pest à Buda
Cette guerre a eu lieu
au bord d’une carte
les commandements
sans cesse plus confus
sans cesse plus menteurs
les embuscades en foule de la nuit
guettaient ta chute…
Haris PSARRAS, né en 1982, mêle mythes antiques et familiarité moderne, écrit « La gloire de l’insouciance » :
Nuit blanche
La neige a obstrué les routes cette nuit.
Elle a ses propres lois, la vie.
Nous les trouvons parfois cruelles
Et par moments justes et sages.
Elèni TZATZIMAKI, née en 1986, va d’elle au monde, en un questionnement censé éclairer la vie, auteur de « à qui appartient une histoire ? » (2015) :
A qui appartient une histoire ?
J’ai continué de frotter le sol plein de taches de pas.
Des pas dans la maison partout
De divers passants, vivants ou non…
De très belles découvertes, convenons-en.