Mokhtar El Amraoui, Nos morts et autres poèmes

Nos morts aussi ont leurs caprices,
Quand ils explosent les miroirs
Et circulent dans les veines
De nos eaux et feux !
Leur air emprunte sa musique
A la composition d’un ciel porté
Par leurs épaules qui tracent encore
Une géométrie d’herbes et de rencontres.
A certaines heures calcinées,
La mémoire sait aussi taire
Ses inutiles clameurs pour leur ouvrir,
En douce discrétion, d’autres portes.
Et débute, à rebours, le cri des pas
Dansant le feu et les coeurs
De leurs photos offertes à nos soirées !

 

 

∗∗∗∗∗∗

II/ Ailes de fantômes

Comment encore la dire, elle,
L’absente  lettre
Ou danse des lèvres
Des mots suspendus
A tes yeux sonores ?
Ils culbutent ma transe.

Un silex, oui, de déroute,
C’est-à-dire de retrouvailles !
Je n’attendais de toi
Que cette main tendue
Regardée en nos éveils !
Ton hier, quand tu étais vêtue d’étoiles vertes.
Tes yeux me rêvaient, dans mon silence,
Comme des feuilles de citronnier
L’or d’un ciel visage
Te disant sur le rivage d’autres quais.
Cri de précipices !

Tu rends hommage à l’hirondelle
Qui t’a poinçonnée le sein en masques d’adieux.

Prendre juste un mot
Puis descendre, avec, dans le puits
De chaque lettre et venir
A l’ombre de ses fugues, tes fulgurances !

Les sourires de ton regard,
Quand tu m’aimes, mort bleue !
Comme le rire de cette  impossibilité,
Note distance calculée en caresses
Chaussée de souvenirs
Et ailes de fantômes !

 

 

 

∗∗∗∗∗∗

III/  Images sans contes

Le pollen électrique
Charme la musique stellaire de mon sang.
Il offre ses portées
Aux artères mortes de la ville.
Le cadavre du chat
Et les deux bras de la poupée
Pourrissent dans la canicule du port.
Les plus vieux des pêcheurs
N’ont plus rien à raconter.
Ils regardent la télé.

 

∗∗∗∗∗∗

IV/  Sur le parchemin d’une route 

J’irai, au zénith, 
Redonner mes cendres aux mots, 
Lorsque la fleur sautera 
Sur la fosse aux cris morts. 
J’irai déplier le ciel de ma voix, 
Pour la faire trembler
A l’étendard encore glissant 
De la lumière assoiffée, 
Sur le parchemin d’une route 
S’ouvrant en épines 
Brûlant de questions, 
Entre naissances et agonies, 
Entre regards et déroutes. 
J’irai, sur la rive, 
Regarder ma tombée 
Qui t’a effleurée de mes nuits, 
Qui m’a dit en attentes 
Baignant dans les yeux d’encres 
De mes rêves déchirés !

 

∗∗∗∗∗∗

V/ Aux mâts des silences

Assourdissants cris de la feuille
comme un aboiement d’errance
dans les veines de l’oubli

Rives d’échos et d’appels vains

Le géomètre a la soif de l’arbre
son sein
et des jours d’attentes trompeuses

Le phare gris rêvera encore
le salut d’un retour
ou le rire d’un éclair suspendu
aux mâts des silences

 

Mokhtar El Amraoui lisant son poème Sur le parchemin d'une route.

Présentation de l’auteur

Mokhtar El Amraoui

Je m'appelle Mokhtar El Amraoui. Je suis poète d’expression française né à Mateur, en Tunisie, le 19 mai 1955. J'ai enseigné la littérature et la civilisation françaises pendant plus de trois décennies, dans diverses villes de la Tunisie. Je suis passionné de Poésie, depuis mon enfance. J'ai publié, en 2010, un premier recueil "Arpèges sur les ailes de mes ans", un second, en 2014, "Le souffle des ressacs" ; le troisième de 2019, s’intitule « Chante, aube, que dansent tes plumes ! » J'ai aussi plusieurs poèmes qui ont paru  sur le net et des revues-papier.

Autres lectures




Les Radeaux bleus et autres poèmes

 Les radeaux bleus

 

 

Il est des heures, Il est des cris,
Il est des jours, Il est des nuits
Où le sang revient à ses rêves de mer,
A ses sèves célestes enfouies,
Pour nous offrir des parchemins
Qui redonnent leurs couleurs
A nos baisers, à nos cœurs, à nos mains
Et, à nos caresses, leurs fruits
De pinceaux en fleurs,
En échos d’appels à nos amours bleuies,
En rouleaux d’immenses cieux
Tantôt joyeux, tantôt meurtris,
Tantôt radieux, tantôt gris
Où se retrouvent les pleurs
Et les rires de nos yeux,
Entre enfer et paradis,
Entre agonie et tableaux bleus,
Radeaux de survie !
Il est des heures, Il est des cris,
Il est des jours, il est des nuits
Où le sang revient à ses rêves de mer,
A ses sèves terrestres enfouies,
Où les couleurs, pour le grand bleu,
De mille feux, rechantent la vie !

 

in " Le souffle des ressacs "

 

 

 

 

 

***

 

 

 

 

 

Morte étoile

 

 

 

Ce jour-là,
Les vagues rejetèrent la palette.
Seule la dune bougea,
Offusquée.
Les barbares rirent
Et crachèrent
Les dernières étoiles
Comme des dents ensanglantées.
Les rivières des souvenirs
Charriaient leurs mort-nés
Enveloppés de haine et de couteaux.
Les leçons des méandres reprirent
Sous les mottes des glaises
Et les mots d’amours suspendues
Aux hanches de nuits
Aux origines des pas
Reprirent les couleurs des regrets,
Squelettes sifflant d’azurs las
Et d’ouragans fanés.
Lunes écossées,
Jours déshabillés de solaire solitude,
L’incarcération de l’incinérée toile,
Morte étoile !

 

 

in " Le souffle des ressacs "

 

 

 

 

***

 

 

 

 

 

Fusion

 

 

 

Je marche vers toi,
Sur le tapis de cendres
Des pigeons sacrifiés.
Je tends ma main avec toi
Vers le nombril éteint de la lune éclatée.
Je viens à toi
Pour fondre dans les flammes de nos soleils
Grimpant
Jusqu’à la dernière goutte de sang de nos rosées.

 

in " Arpèges sur les ailes de mes ans "

 

 

 

 

 

***

 

 

 

 

 

Femmes !

 

 

 

L'impossible ne peut être femmes!
Nous aurons toujours la taille de nos rêves !
Nous rejoindrons, de notre florale impatience,
Dans la lumière de nos espérances,
Le suc flamboyant des étoiles
Et le rire assourdissant des dansantes comètes !
Nos fièvres habillées des houles des naissances
Nous offriront, comme toujours, tout ce temps
Pour tisser, dans nos profondeurs ailées,
Tous ces fruits volants de l’amour
Qui naissent et s’abritent au creux de nos reins,
En amples saisons tracées au miel des matins,
S’élevant des caresses de nos mains !
Femmes !
Flammes d’amour et de paix!
Ecrites par tous les éléments,
Nous réchauffons, de nos racines,
Toutes ces tiges d'or qui poussent
Couronnées, dans la mousse de nos rêves,
Par les ascendantes douces gerbes ailées de notre sève!
Femmes!
Le possible est aussi femmes!

 

in " Le souffle des ressacs "

 

 

 

 

***

 

 

 

 

 

Arbre ! 

 

 

 

Tu es toujours là où se confondent 
En verticalité sonore, 
En horizontalité ailée, ton or 
Et l’air donné à la feuille de vie nécessaire, 
Extension vitale pour les pas de nos envols, 
Fraîcheur de tapis déployée en arcs d’accueils 
Où médite l’oiseau 
En ses retours stellaires de danses 
Pour que l’eau puisse encore germer, 
Dans ses silences multicolores, 
Au parfum de nos rencontres. 
Arbre ! Tu nous offres toujours 
Le sang de tes souvenirs 
Et tes nerfs dans les cieux de tes soupirs !

 

 

in " Le souffle des ressacs "

 

 

 

 

 

***

 

 

 

 

 

La symphonie errante

 

 

 

Je cherche mes rallonges telluriques,
Mes incommensurables sphères
Dans les dilatations de l'exil,
L'ombre ivre de ma soif
Dans la sècheresse de l'arôme somnambule.
Je cherche mes imprécations
Creusant les sillons du retour
Contre les serres des vautours,
Ton ombre aux aguets
De cet éveil cinglant
Erection du soleil
A la symphonie errante du dromadaire !
Je cherche le râle éclaté
De mes vertèbres lyres en délire,
S'étouffant de leurs notes déportées,
Mes soupirs tonnant de bleus fuyants
Dans l'inatteignable voyage
De ce papillon qui s'éreinte
En poursuites trébuchantes,
Au-delà de ses rêves brisés !
Je rêve de comètes,
D'astres flamboyants,
De méduses lunes
Ouvertures transparentes
Des inextinguibles profondeurs !
Je rêve, muet,
Dans la soif de tes pas,
Sur les sables du voyage
Auquel je t'invite vers les prairies rouges
Et leurs feux bleus !
Ô muse de mon départ !
Astre scintillant
Sur les lèvres ouvertes des vagues !
Il n'y a plus de toits !
Pluie d'encens rouge
Sur tes seins embaumés
Dans le linceul de l'extase des rencontres crépusculaires !
Viens de mes reviens fatigués !
Je te prêterai les ailes immaculées
De mes Icare exilés.
Je te montrerai
L'axe de l'impact pluriel,
L'agonie du cogito carnivore,
Ce manteau d'erreurs spectrales !
Viens !
Accroche-toi aux tiges sans amarres
De cette forêt éclatée !
Reviens de mes viens
Qui valsent dans l'aube
Des intraduisibles fermentations !
Nous écrirons la grandeur du menu moineau
Echeveau des sens triangulés !
Cet azur qui nous appelle
Nous retrace dans nos fibres de nouveau-nés !
Reviens
Au commun des immortelles mésanges assoiffées.
Je te composerai,
Sur le clavier des escaliers,
Une symphonie qui te mène
Jusqu'à mon perchoir d'exilé.

 

 

in "Arpèges sur les ailes de mes ans"

 

 

 

 

 

***

 

 

 

 

 

Promesse

 

 

 

De mes veines,
Mon ami l’oiseau,
Je te construirai une cage
Sans porte ni barreaux
Où, librement, tu chanteras
Tes chaudes mélodies !
Je t’offrirai de vastes champs fleuris
Arrosés de douces flambées de soleil
Qu’aucune serre de vautour n’effraye
Et tu passeras,
Libre, fier et fort,
Sous l’arc-en-ciel multicolore,
Pour danser, jusqu’à l’aurore,
Sur les rythmes de mes veines-lyres
Qui t’apprendront à rire
De tous les tyrans et leurs sbires !

 

 

in "Arpèges sur les ailes de mes ans"

 

 

 

 

 

***

 

 

 

 

 

Roses des bivouacs

 

 

 

Sauras-tu être ce pont de lumière
Où étincellera l’étoile des amis,
Pour réveiller en chant
Ce feu d’amour qui, sans cesse, en toi, luit
Mais que, toujours, hélas, tu fuis ?
Jette donc cette horrible chaîne de haine
Qui te souille, à la rouille de l’oubli !
Tu ne t’envoleras jamais, ami,
Si tu ne sais qu’être ennemi !
Sauras-tu libérer les roses des bivouacs en rires
Pour laisser les anges de l’aube fertile frémir
Et planter les champs solaires
De milliers d’arbres frères ?
Leurs racines ont soif de danses.
Chante leurs fruits en transe,
Apprends, de leurs longues nuits,
Comment offrir, à la paix, les nids
D’où s’élèveront, radieuses à la vie,
Les sèves des plus belles symphonies.
Ecoute-les dans le vent te libérer, toutes ravies,
Des épines de la haine qui te crucifient !

 

 

in «Le souffle des ressacs»

 

 

 

 

 

***

 

 

 

 

 

Les obscurs

 

 

Paix aux âmes des victimes de l'obscurantisme

Ils ont cousu des linceuls aux mots 

Et tendu leurs pièges aux chants des oiseaux 
Passeurs de lumière.

Ils ont coupé les ailes des étoiles,
Pour en faire des fouets
Contre les cris vrais.

Ils ont taillé les ronces les plus folles
Pour ensanglanter, avec, l’aube des voyageurs
Et crucifier leurs danses d’amoureux.

 

 

in "Le souffle des ressacs"

 

 

 

 

 

***

 

 

 

 

 

Retisser mon cri

 

 

 

Ton absence ! 
Mon éternel destin ?

Comment déchirer le miroir
Pour réunir nos deux rives ?
Quelle étoile
Saura retisser mon cri
Pour te dire mon visage
Et toutes les questions de mon voyage
Vers toi ?

Quand cueillerons-nous ensemble
Cette fleur céleste
Qui nous nourrira de son lait vrai ?

Ton absence !
Quand nous réveillerons-nous
Au creux de la même barque,
Sur la vague d'un même rire sans fin ?

 

 

in "Le souffle des ressacs"

 

 

 

 

 




Librations

 

Jusqu’où peut aller la danse,
Dans le tumulte d’un tapis nocturne ?
Qu’accompagne, au juste,
Cette lumineuse euphorie ?
Les mains, semblables à des fruits aveugles,
A des fruits de questions,
Froissent la page d’éther
Qu’entretient le quiet phénix.
Et la robe, de ses flammes, enveloppe
La danse qui se lave à l’ivresse de l’éphémère.
Tant que semblent durer
Cette nuit, cette barque,
Ce port, ce pont, ce phare,
Je chanterai cette lune aux arabesques foetales.




Lierres sanguins

 

Pour tout bouclier,
La feuille qui tremble
Et un masque de roses
Habité par ton ombre
Qui se sépare de son collier de cris
Semé aux quatre tracés du futur tu.
Ciel gelé,
Sous la crasse gluante d’une mémoire
Qui n’en finit pas de se multiplier
En lierres sanguins.
Astre inondé d’astres.
La porte du livre se referme
Sur le roucoulement du pigeon
Et les lettres, en cage, recousent
La mèche de l’alphabet.