Narki Nal, Une femme

Chamane

     Le tambour comme un cœur
Fermer les yeux
Être arbre et pierre à lichen
Puis se laisser partir
Rencontrer bêtes et gens
Humains à tête de loup
     Le tambour comme un coeur
Alors devenir louve…
Courir à travers bois sans même toucher le sol
Ne pas redouter les griffures des branches
Vent ondulant les poils
Rencontrer la meute
     Le tambour comme un cœur
Courir sans perdre haleine jusqu’à cette falaise
Surplomber le fracas 
Respirer… Respirer 
Sauter
Être cascade et lac tranquille
     Le tambour comme un cœur
Miroiter
Nager nager nager
Se perdre à l'improbable frontière entre ciel et eau
Flotter dans l'air au-dessus
Un instant
Dans l’espace courbe d’après l’horizon…
Plonger 

 

***

La chaleur dis-tu ?

La chaleur blanche fait vibrer l’air
Ma vision se perd
Le sentier raide devient alors chemin buissonnier
Si bien que mes pas hésitent puis lévitent sur place
Comme le vol d’une libellule
            Reprennent
Je marche cherchant l’ombre vraie du végétal
Celle qui sent l’odeur de feuille froissée
                               J’ai espoir en cette beauté

Ailleurs
La chaleur blanche emprisonne la ville
La compresse exprimant un jus de poisse
Seule l’odeur miellée des tilleuls en fleurs
Me parle de la puissante fragilité de la vie
Je sens la menace chimique qui s’insinue
Mais les volutes de miel gagnent encore
Et parlent à mon cerveau d’une autre cité
Quelque part possible mais introuvable
J’ai peur en cette absence

La chaleur ne masque jamais le froid intérieur
Affrontement si peu original du dehors dedans
Notre lot humain d’incertitude
Notre fardeau magnifique d’être sensible pensant.

 

***

Mycélium

Je suis celle qu’on quitte, celle qui se noie

Je suis Ophélie au fil de l’eau
Vous êtes sur les berges endormies de brume
Où les hautes herbes traversées de vent
ondulent leur caresse
Je passe, je vous vois, vous êtes mon passé
Mon passé qui me regarde sans me voir
Mon passé qui défile comme je vais au fil de l’eau
Je suis celle qu’on quitte, celle qui se noie.

Je suis celle qui se révolte, je suis celle qui tue

L’envie de le toucher qui monte puis vole en éclats
Le baiser qui s’approche et qui devient morsure
Ce désir inconstant comme les herbes aux saisons
Cette brûlure qui se glace. Lumière blanche.
Lumière difractée. Fraction du temps. Lame miroir
Éblouissement bref de la rétine. Vois ma vie.
Bobine dévidée. Poitrine évidée.
Sanglot du sang qui afflue…  Pour rien.
Je suis celle qui se révolte, je suis celle qui tue.

Je suis celle qui part sans partir, celle qui reste-fuit

Écrire est une nuit. Mes pas dans cette nuit profonde.
Vertige.Tige de feu. Pensée morbide.Taire. Se taire.
Mycélium de pourriture répandu en soi, en silence.
Lancinant ce bruit sans bruit. Bouffée-désir de l’explosion.
Ma tête qui explose. Éclaboussures d’os brisés.
Mais où est le cerveau ? Dissous.
Violence du refus muet. Dernier voyage.
Le mycélium de pourriture gagne. Cerveau dix sous. Cerveau rien.
Je suis celle qui part sans partir, celle qui reste-fuit

Je ne suis plus qu’une enveloppe.

 

***

Entre elle et moi

Je marche
Elle marche
Elle marche
à mes côtés
Je ne veux pas la regarder
Je ne peux pas la regarder

Miroir
Le problème est le miroir
Devant le miroir
Le double apparaît
Le regard
Effroi Mon regard s’est vidé de moi

Le miroir me donne à voir        
MOI
Avec à l’intérieur de moi   
une AUTRE…

C’est là dans ce regard symétrique
Que je rencontre l’étrangère
L’échange aggrave l’effet l’altérité
Ce que j’y lis me bouleverse
Une part enfuie de moi, perdue ?
Je la toise, l’Autre, je me fais forte

Je suis dans un espace-temps étrange
ENTRE ELLE ET MOI
Elle étant moi quand même…
Je suis vacillante sur une route improbable
Entre deux mondes, un ancien, un nouveau
Et dans cet entre-deux je voudrais remonter mon temps
Je cherche la machine miraculeuse
…En vain
Peur du regard de l’étrangère dans le miroir
La peur aggrave le désarroi
Et mon corps oscille voulant choisir sa tête…
Vertige. Combat muet

JE SUIS VIVANTE
je suis vivante

Et ces aveugles autour de moi
Ne comprennent pas
Ne voient pas
Ne savent pas
Ne sentent pas
S’aperçoivent de rien
Vivent autre réalité

Je marche à leur côté
Mais un indicible nous sépare
Avec la discrétion de l’indicible
La ténuité de l’indicible
Le POIDS de l’indicible

JE SUIS VIVANTE
je suis vivante

Pensées flottantes
Toute une vie à chercher le feu
Devenir feu
Mais ne brûle pas tout bois
Mais ne danse pas dans les flammes tout corps

La tiédeur me répugne
Comme la faculté d’oubli

Ne rien perdre
Ne rien oublier
Horreur des portes fermées telle une chatte

Or vous fermez vos portes
Vous déclarez « tout passe »
Vous cultivez l’oubli
Mais rien ne passe jamais

Je ne veux dissoudre ni mes douleurs ni mes joies
Ce que j’ai vécu est à son poste
Quelque part en mon cerveau dans une somnolence légère
Un rien le ranime et le transmet à mon cœur, à mon ventre
Et ma poitrine exulte ou s’écrase à ces souvenirs

JE SUIS VIVANTE
je suis vivante

Un être vivant devrait se laisser traverser par ses émotions
Et non les tenir à l’écart
Pas de pilule à effacer les ressentis
Ne savent plus supporter leur vie
Appellent la chimie à leur secours
Ainsi sont morts avant la mort

JE SUIS VIVANTE
je suis vivante

Pourvu que celle du miroir
Aux yeux d’absence
Ne fasse pas de moi une résignée
J’accepte la souffrance en la frottant au combat

je suis vivante
je suis vivante

Je suis celle qui marche
Qui arpente les rues
Mais l’Autre m’accompagne
Elle m’épouvante

Je suis celle qui marche
Qui arpente les rues
Je suis celle qui court
Pour perdre l’Autre moi

 

***

L’insoumise

Je suis-je suis une femme               
Un être maléfique                        
Un être puissant
Un être faible
Un être fort
Sanguinolent à la lune
Un être impur

Je suis-je suis une femme
Un être désirant
Un être mouillé
Un être muqueux
Je suis d’où vous êtes nés
Je suis un sexe troué
Je pue la mer
Je suis d’où vous venez

Je suis-je suis une femme
Je suis clitoris
Je suis orgasmique
Je suis désir
Je suis
Je suis trop

Vous voulez m’abaisser me réifier
M’infantiliser
Me modeler
M’exciser
Me dominer me prendre
Me tromper me laisser
Me souiller
M’humilier
Me violer me massacrer

Tous les dieux me détestent et me craignent

Je suis votre perte
Je suis votre salut
Je sais donner la vie
Vous pouvez me tuer
Mais pas me remplacer

Je ne me plierai pas  

Je suis-je suis une femme   
Je.

 

Présentation de l’auteur

Narki Nal

Comme beaucoup, j’ai eu plusieurs vies : enseignante mais scientifique, éditorialiste polémiste dans des journaux associatifs, comédienne puis metteuse en scène … Une constante, l’écriture, qu'elle soit pédagogique, politique, sur mon travail de mise en scène ou depuis très longtemps poétique. Des poèmes tristes ou violents, souvent tragiques, mais je suis une femme qui aime rire !

« En vrai » je suis née deux fois. La deuxième lors de ma participation au Collectif des Diables Bleus dans les années 2000, pendant l’occupation des casernes abandonnées des Chasseurs alpins à Nice. Ma vie y a pris un autre cours dans ce lieu agriculturel de poésie réalisée, d’expositions sans musée, de rencontres et d’échanges, de concerts et spectacles où il n’apparaissait pas étrange de s’occuper de jardins partagés, de distribution de paniers de légumes de producteurs du coin et de monter une pièce de théâtre tout en participant à la cuisine collective, de dire des textes lors de soirées appelées Mardis bleus… Ce lieu n’est plus.

Mais la tradition continue, d’une soirée mensuelle de lecture de textes, ouverte à toutes et à tous, ce que nous appelons « Banquet poétique », dans un lieu modeste mais chaleureux. Banquet de mots et de mets, que j’anime avec mon compagnon et artiste Zacloud, au 29 route de Turin à Nice, lieu nommé « Diables Bleus Le 29 ».

 

Nicole vers la haut.

Autres lectures




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Chamane

     Le tambour comme un cœur
Fermer les yeux
Être arbre et pierre à lichen
Puis se laisser partir
Rencontrer bêtes et gens
Humains à tête de loup
     Le tambour comme un coeur
Alors devenir louve…
Courir à travers bois sans même toucher le sol
Ne pas redouter les griffures des branches
Vent ondulant les poils
Rencontrer la meute
     Le tambour comme un cœur
Courir sans perdre haleine jusqu’à cette falaise
Surplomber le fracas 
Respirer… Respirer 
Sauter
Être cascade et lac tranquille
     Le tambour comme un cœur
Miroiter
Nager nager nager
Se perdre à l'improbable frontière entre ciel et eau
Flotter dans l'air au-dessus
Un instant
Dans l’espace courbe d’après l’horizon…
Plonger 

 

***

La chaleur dis-tu ?

La chaleur blanche fait vibrer l’air
Ma vision se perd
Le sentier raide devient alors chemin buissonnier
Si bien que mes pas hésitent puis lévitent sur place
Comme le vol d’une libellule
            Reprennent
Je marche cherchant l’ombre vraie du végétal
Celle qui sent l’odeur de feuille froissée
                               J’ai espoir en cette beauté

Ailleurs
La chaleur blanche emprisonne la ville
La compresse exprimant un jus de poisse
Seule l’odeur miellée des tilleuls en fleurs
Me parle de la puissante fragilité de la vie
Je sens la menace chimique qui s’insinue
Mais les volutes de miel gagnent encore
Et parlent à mon cerveau d’une autre cité
Quelque part possible mais introuvable
J’ai peur en cette absence

La chaleur ne masque jamais le froid intérieur
Affrontement si peu original du dehors dedans
Notre lot humain d’incertitude
Notre fardeau magnifique d’être sensible pensant.

 

***

Mycélium

Je suis celle qu’on quitte, celle qui se noie

Je suis Ophélie au fil de l’eau
Vous êtes sur les berges endormies de brume
Où les hautes herbes traversées de vent
ondulent leur caresse
Je passe, je vous vois, vous êtes mon passé
Mon passé qui me regarde sans me voir
Mon passé qui défile comme je vais au fil de l’eau
Je suis celle qu’on quitte, celle qui se noie.

Je suis celle qui se révolte, je suis celle qui tue

L’envie de le toucher qui monte puis vole en éclats
Le baiser qui s’approche et qui devient morsure
Ce désir inconstant comme les herbes aux saisons
Cette brûlure qui se glace. Lumière blanche.
Lumière difractée. Fraction du temps. Lame miroir
Éblouissement bref de la rétine. Vois ma vie.
Bobine dévidée. Poitrine évidée.
Sanglot du sang qui afflue…  Pour rien.
Je suis celle qui se révolte, je suis celle qui tue.

Je suis celle qui part sans partir, celle qui reste-fuit

Écrire est une nuit. Mes pas dans cette nuit profonde.
Vertige.Tige de feu. Pensée morbide.Taire. Se taire.
Mycélium de pourriture répandu en soi, en silence.
Lancinant ce bruit sans bruit. Bouffée-désir de l’explosion.
Ma tête qui explose. Éclaboussures d’os brisés.
Mais où est le cerveau ? Dissous.
Violence du refus muet. Dernier voyage.
Le mycélium de pourriture gagne. Cerveau dix sous. Cerveau rien.
Je suis celle qui part sans partir, celle qui reste-fuit

Je ne suis plus qu’une enveloppe.

 

***

Entre elle et moi

Je marche
Elle marche
Elle marche
à mes côtés
Je ne veux pas la regarder
Je ne peux pas la regarder

Miroir
Le problème est le miroir
Devant le miroir
Le double apparaît
Le regard
Effroi Mon regard s’est vidé de moi

Le miroir me donne à voir        
MOI
Avec à l’intérieur de moi   
une AUTRE…

C’est là dans ce regard symétrique
Que je rencontre l’étrangère
L’échange aggrave l’effet l’altérité
Ce que j’y lis me bouleverse
Une part enfuie de moi, perdue ?
Je la toise, l’Autre, je me fais forte

Je suis dans un espace-temps étrange
ENTRE ELLE ET MOI
Elle étant moi quand même…
Je suis vacillante sur une route improbable
Entre deux mondes, un ancien, un nouveau
Et dans cet entre-deux je voudrais remonter mon temps
Je cherche la machine miraculeuse
…En vain
Peur du regard de l’étrangère dans le miroir
La peur aggrave le désarroi
Et mon corps oscille voulant choisir sa tête…
Vertige. Combat muet

JE SUIS VIVANTE
je suis vivante

Et ces aveugles autour de moi
Ne comprennent pas
Ne voient pas
Ne savent pas
Ne sentent pas
S’aperçoivent de rien
Vivent autre réalité

Je marche à leur côté
Mais un indicible nous sépare
Avec la discrétion de l’indicible
La ténuité de l’indicible
Le POIDS de l’indicible

JE SUIS VIVANTE
je suis vivante

Pensées flottantes
Toute une vie à chercher le feu
Devenir feu
Mais ne brûle pas tout bois
Mais ne danse pas dans les flammes tout corps

La tiédeur me répugne
Comme la faculté d’oubli

Ne rien perdre
Ne rien oublier
Horreur des portes fermées telle une chatte

Or vous fermez vos portes
Vous déclarez « tout passe »
Vous cultivez l’oubli
Mais rien ne passe jamais

Je ne veux dissoudre ni mes douleurs ni mes joies
Ce que j’ai vécu est à son poste
Quelque part en mon cerveau dans une somnolence légère
Un rien le ranime et le transmet à mon cœur, à mon ventre
Et ma poitrine exulte ou s’écrase à ces souvenirs

JE SUIS VIVANTE
je suis vivante

Un être vivant devrait se laisser traverser par ses émotions
Et non les tenir à l’écart
Pas de pilule à effacer les ressentis
Ne savent plus supporter leur vie
Appellent la chimie à leur secours
Ainsi sont morts avant la mort

JE SUIS VIVANTE
je suis vivante

Pourvu que celle du miroir
Aux yeux d’absence
Ne fasse pas de moi une résignée
J’accepte la souffrance en la frottant au combat

je suis vivante
je suis vivante

Je suis celle qui marche
Qui arpente les rues
Mais l’Autre m’accompagne
Elle m’épouvante

Je suis celle qui marche
Qui arpente les rues
Je suis celle qui court
Pour perdre l’Autre moi

 

***

L’insoumise

Je suis-je suis une femme               
Un être maléfique                        
Un être puissant
Un être faible
Un être fort
Sanguinolent à la lune
Un être impur

Je suis-je suis une femme
Un être désirant
Un être mouillé
Un être muqueux
Je suis d’où vous êtes nés
Je suis un sexe troué
Je pue la mer
Je suis d’où vous venez

Je suis-je suis une femme
Je suis clitoris
Je suis orgasmique
Je suis désir
Je suis
Je suis trop

Vous voulez m’abaisser me réifier
M’infantiliser
Me modeler
M’exciser
Me dominer me prendre
Me tromper me laisser
Me souiller
M’humilier
Me violer me massacrer

Tous les dieux me détestent et me craignent

Je suis votre perte
Je suis votre salut
Je sais donner la vie
Vous pouvez me tuer
Mais pas me remplacer

Je ne me plierai pas  

Je suis-je suis une femme   
Je.

 

Présentation de l’auteur

Narki Nal

Comme beaucoup, j’ai eu plusieurs vies : enseignante mais scientifique, éditorialiste polémiste dans des journaux associatifs, comédienne puis metteuse en scène … Une constante, l’écriture, qu'elle soit pédagogique, politique, sur mon travail de mise en scène ou depuis très longtemps poétique. Des poèmes tristes ou violents, souvent tragiques, mais je suis une femme qui aime rire !

« En vrai » je suis née deux fois. La deuxième lors de ma participation au Collectif des Diables Bleus dans les années 2000, pendant l’occupation des casernes abandonnées des Chasseurs alpins à Nice. Ma vie y a pris un autre cours dans ce lieu agriculturel de poésie réalisée, d’expositions sans musée, de rencontres et d’échanges, de concerts et spectacles où il n’apparaissait pas étrange de s’occuper de jardins partagés, de distribution de paniers de légumes de producteurs du coin et de monter une pièce de théâtre tout en participant à la cuisine collective, de dire des textes lors de soirées appelées Mardis bleus… Ce lieu n’est plus.

Mais la tradition continue, d’une soirée mensuelle de lecture de textes, ouverte à toutes et à tous, ce que nous appelons « Banquet poétique », dans un lieu modeste mais chaleureux. Banquet de mots et de mets, que j’anime avec mon compagnon et artiste Zacloud, au 29 route de Turin à Nice, lieu nommé « Diables Bleus Le 29 ».

 

Nicole vers la haut.

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