Patrick Chavardès, Un ruisseau

 

 

I

 

Je désire une fin

sans moyens

Qui voudrait d' une stèle

je ne désire rien d'autre que

me coucher sous l'arbre et que l'arbre soit

comme un arbre

 

Je le désire sans cesse

 

Les pierres se souviennent que je chantais

et dansent autour de moi

 

J'ai aimé les débuts

je ne sais plus de quoi

débuts de n'importe quoi

un pas n'importe où

un mot dit à quelqu'un

vraiment n'importe qui

 

Je me revois 

à Anvers ou ailleurs

un parmi plusieurs

 

Soudain tu n'y es plus

tu demandes s'il y a quelqu'un

mais tous muets

même sourds

tournés vers je ne sais quel mur

retournés au temps compté

 

Pierre roule pour moi

sans rien amasser

sois un sourire dans sa voix

une chance qui sait

une image arrêtée

au bord des lèvres

 

A moi de me tourner 

vers toi 

obnubilée

violes et voiles contre le vent

 

Vies ricochets

suées de l'habitude

glace fondue trop vite

à la fin

le nez dans un ruisseau

c'est la faute à personne

 

un ruisseau

 

   II

 

Tu t'esseulais tranquille

coutumier d'un conte

où les questions s'oublient

sur un chemin neuf

 

Un geste défaillant aurait trahi ton double

tu n'avais qu'un modèle toi

Une nuit te vit nu

vouloir briser la glace

 

Amsterdam ou Venise peut-être ailleurs

quelqu'un se gondole de rire

dans la vitrine

les mannequins tournent la tête

 

Sous la caresse d'une muse

ta plume s'est durci

Tu accuses la glace

de haute trahison

 

Jouissance morte et plus de souffle

ton lit est un chemin usé

et ton coeur plus vide qu'une auge

après que la bête a passé

 

Rêver d'encre qui sait de Chine

où toute pensée s'arrêta

Du rythme des ombres qui dansent

dans la glace suis-je prisonnier

 

Roi peu fleuri de ton vivant

chauve mais pas couronné

tu pleures  de n'être pas pleuré

ni regretté par avance

 

Peut-être qu'on est déjà mort

du moins ça bourdonne en nous

Mille mouches nous attendent

où le temps creusa un trou

 

Aller grand erre mais non

faire des zags et des zigs

pour ne pas voir la route

sous tes pieds 

 

Adieu rites sans flambeaux

où l'électricité est reine

je m'en vais porter la plainte

d'une forêt d'arbre en arbre

 

puis d'une autre encore une autre

et de toutes décimées

O chanterelle de la scie 

vous tairez-vous à la fin

 

Je plaide coupable

 abus de langage

 gaspillage de papier 

et phrases inachevées

 

Telle fut cette semblance toi

puit de regrets de peurs de doutes

et ces reflets dans la glace

d'une sombre nonchalance

 

III

 

Je t'oublie dans le soir

j'efface ton nom ton visage

La mort m'attend

mais je n'y pense pas

 

Tiens je n'y pense plus

il n'est pas question d'elle

 

Je ne sais pas à quoi tu rêves

ni ce que tu crois être toi

 

Tu prends l'éternité pour ta mère

Le monde n'est pas une cathédrale

Il est beaucoup trop petit

pour contenir une seule prière

 

Qui a jeté ce grand manteau de silence

sur les épaules de l'éternité

et la mort jardinière fauche dans les allées

Je marche de travers

 

pour éviter l'une et l'autre

Je sais que c'est impossible

mais je marche quand même

Je déambule à travers les courants d'air

 

je m'élève en pensée

sur un sommet décisif

où je tremble de froid

Je t'oublie chaque jour

 

Le ciel est si grand

le coeur vide je m'abandonne

je ne sais même pas à quoi

Ce n'est pas triste

 

ni mélancolique ni tragique

C'est une sérénité curieuse

un peu animale

Madame ne fait que passer 

 

une attente sans objet

tourné tantôt d'un coté 

tantôt d'un autre

mais je ne sais pas d'où le malheur viendra

 

J'ai tiré les rideaux sur la jalousie

Un peu de feu un peu de lumière

 j'aperçois les hautes herbes dans le vent

et mon âme danse avec elles

 

Plus de saison dit-on

Je déteste aujourd'hui 

cette façon de parler sans parler

d'écrire sans écrire

de regarder par en-dessous

comme un catoblépas

 

Toi tu n'étais qu'un ange terrible 

avec des rondeurs nuageuses

qui m'ont fait chanter les louanges

d'un saint que je ne connais pas

 

La durée est dans le temps

comme feu dans un buisson

l'insecte aveugle me survivra

 

Paix les muses Assez

que faites vous dans ma cave

vous effrayez mon rat blanc

tout à son festin de livres

 

Mais que ferais-je si

ne me conviennent ni

les dieux innombrables et bigarrés

pas plus que l'Unique

qu'il faut craindre et aimer

yeux ouverts dans la nuit

 

je préfère la faune hétéroclite

innocente et rebelle à tout commandement

mais comment marcher ensemble

et rester libre en même temps

 

IV

 

Ne dis pas qu'une intention fait la moitié du geste

ni qu'un horizon achève le regard

non 

il le coupe

 

et cette ligne est perpétuelle prison

 

Un soleil saigne sur la montagne

tandis que des yeux enragés refusent la fin du jour

et la crête brise la brise 

tout m'enflamme

 

O mort d'avant la mort

creusant une évidence si proche d'être nous

une page restée blanche

une page tournée noire

et un silence

 

et combien d'autres lignes de vie

Toi tu n'en as qu'une

garde la sans la plier

afin que tes paumes fassent un nid 

Quelle chance cette langue de boue

 

cette période ranimée par le vent

N'aie pas peur d'un ruisseau

 

dont la pente t'épuise

couche ta phrase à terre et dors

le dernier mot n'importe plus

il t'emporte

Derrière cette ligne une autre vie

 

Présentation de l’auteur

Patrick Chavardès

Patrick Chavardès est né à Montparnasse en 1950 de parents écrivains. Après des études de lettres modernes et de philosophie à Vincennes, il enseigne quelques années en banlieue parisienne. Puis il voyage en Europe et en Asie. EN 1996, Il s'installe en Bourgogne où il anime des ateliers d'écriture. En 2005, il crée les éditions Le Limon (récits, poésie, essais).

P. Chavardès fait des lectures publiques de ses textes, quelquefois accompagné de musiciens. Certains de ses livres ont fait l'objet de mise-en-scène théatrales.

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