Poésie Lusophone — troisième épisode : Pedro Belo Clara

Présentation et traduction Stéphane Chao

Tout en suivant des études de commerce, Pedro Belo Clara a griffonné ses premiers poèmes à l’âge de 17 ans, accompagné de sa guitare.

C’est seulement après avoir terminé son cursus universitaire qu’il a pu davantage se consacrer à la littérature. Il participe à différents projets artistiques et à des revues tant portugaises que brésiliennes.

Son premier livre, paru en 2010, donne à lire une poésie quelque peu existentielle et introspective. Il enchaîne avec un livre d’intervention, à caractère social, suivi de son premier ouvrage en prose, « Paroles de lumière ». Composé de brèves réflexions qui, mises bout à bout, révèlent les étapes d’un parcours de vie, ce livre retrace un cheminement vers la découverte de soi, qui aboutit au cœur de l’être.

En 2013, « Le vieux sage de la montagne » voit le jour, né à la jonction de deux genres, la poésie et la prose, et suivant la même inspiration méditative que le livre précédent.

Après un interlude d’un an paraît Cristal, où il commence à explorer une veine lyrique, jusqu’alors reléguée à ses tiroirs, où ses poèmes dormaient, en rêvant de connaître la lumière du jour. Il s’agit d’un texte qui nous renvoie à l’innocence des premières passions, tout en soulignant la fugacité des choses en général. Il inaugure ainsi un cycle poétique dont les thèmes et les formes se prolongeront dans les livres suivants – un parcours évolutif et comme tel, ascendant, marqué au final par le dépouillement.

En 2016, Quand les matins étaient une fleur réunit poésie et prose, ouvrage que l’auteur a la faiblesse de considérer comme l’un de ses plus réussis. Il s’agit d’un livre de mémoires plein de nostalgie qui, à travers un voyage cathartique, enseigne comment se purifier (sans vraiment y aspirer) des traces laissées par un amour passé.

Deux ans plus tard paraît son plus grand recueil de poésie lyrique : Lydia  - un livre dont le titre est à lui seul un hommage à l’hétéronyme de Fernando Pessoa, qui l’a inspiré. Cette filiation s’affirme encore davantage dans le deuxième opus de ce projet, mis sous presse en 2021. On peut dire qu’avec ce livre se termine le cycle poétique mentionné plus haut, lequel culmine avec la découverte de ce qui reste des choses du passé.

L’année suivante, il publie Jours de chaux dont sont tirés les poèmes présentés ici. Il réunit pour la première fois des poèmes en vers absolument libres, sans titre, ni ponctuation : un livre au fort parfum estival, inspiré par la blancheur dont la lumière revêt cette saison, et qui propose une poésie légère et concise, une poésie qui célèbre et donne à réfléchir, entièrement focalisée sur le moment présent.

En 2023, il a publié Presque rien (poèmes épars, 2012 – 2022), un recueil de poèmes dispersés jusqu’alors, où s’affirme la teneur méditative et réflexive de l’auteur.

Sans déflorer ses projets ou révéler des secrets absolus, Pedro Belo Clara prévoit la publication d’un autre recueil réunissant des poèmes écrits au fil de onze années.

Il vit actuellement à Lisbonne (tant qu’il ne réunit pas son courage pour aller vivre à la campagne), en compagnie de sa chatte, dans un quartier qui le captive par son pittoresque et par ses fréquentations particulières, lui rappelant ce que les petits villages ont de meilleur.

∗∗∗

tu t’endors

quelque part
dans l’immensité du monde
une larme
est devenue rivière

ici
dans le silence de ton sommeil
toutes les fleurs
sont possibles

 

adormeces

algures
na vastidão do mundo
uma lágrima
faz-se rio

aqui
no silêncio do sono
todas as flores
são possíveis

∗∗∗

 

je viens m’abreuver à tes fontaines
maîtresse de toutes les eaux
apportant dans ma main
la tendresse des matins
sans connaître le bruyant secret
des sources lumineuses

et je ne recueille que des roses
– rosaire que j’effeuillerai
sur la rivière de ton corps

 

venho beber de fontes tuas
senhora de todas as águas
trazendo pela mão
a ternura das manhãs
sem saber o rumoroso segredo
das nascentes luminosas

e só rosas tenho
– rosário que desfolharei
sobre o rio do teu corpo

∗∗∗

 

remarque comme le ciel
a la douceur
du chemin qui mène à l’aube

regarde comme le silence
le prend par la main
et vient frapper à notre porte
avec la promesse d’éteindre
le cœur contre un horizon
de lumière claire

– ô extase de l’ivresse solaire

 

repara como o céu
tem a lisura
dum caminho de madrugada

olha como pela mão
o silêncio traz
e vem bater à nossa porta
com a promessa de apagar
o coração num horizonte
de lume claro

 – o êxtase da bebedeira solar

∗∗∗

ces hortensias
plantés
à l’orée du matin :

les porter au visage
plonger les rêves
dans cette rivière de couleurs

– et laisser un oiseau
chanter sur les cimes
des intimes silences

 

estas hortênsias
plantadas
nas orlas da manhã:

levá-las ao rosto
mergulhar os sonhos
nesse rio de cor

– e deixar um pássaro
cantar no cume
dos íntimos silêncios

∗∗∗

 

viennent les nuits obscures
viennent les fines dagues
les épines cachées
au détour des chemins déserts

oiseaux aux présages
de mort sous leurs ailes
les brouillards de glace
les griffures des branches
où les fruits sont absents :

elle ne s’éteint pas cette lumière
d’être rivière avec toi
au fil des heures blanches

 

venham as noites escuras
venham as adagas finas
os espinhos ocultos
nas curvas dos caminhos vazios

pássaros com vaticínios
de morte sob as asas
as neblinas de gelo
as agruras dos ramos
na ausência dos frutos:

não se apaga este lume
de contigo ser rio
no passar das horas brancas

 

Poèmes tirés de “Dias de Cal” (« Jours de chaux »), 2022.

 

 

Présentation de l’auteur

Pedro Belo Clara

Pedro Belo Clara est né à Lisbonne. Il est actuellement collaborateur et éditorialiste de diverses publications littéraires brésiliennes et portugaises, comme Philos et Subversa dont est tiré ce texte. Son dernier livre, un recueil de poésie intitulé LYDIA, est paru en 2018. Il anime les blogs Recortes do Real, Uma Luz a Oriente et The beating of a celtic heart.

 

 

Poèmes choisis

Autres lectures

Poésie Lusophone, deuxième épisode

 Introduction et traduction de Stéphane Chao   Voici la suite de la sélection de poèmes signés par des auteurs venus du Brésil (pour quatre d’entre eux) et du Portugal. Édités dans leur pays, [...]




Poésie Lusophone, deuxième épisode

 Introduction et traduction de Stéphane Chao

 

Voici la suite de la sélection de poèmes signés par des auteurs venus du Brésil (pour quatre d’entre eux) et du Portugal. Édités dans leur pays, ces poètes ont pour la plupart la particularité de publier dans la revue littéraire brésilienne Philos, l’une des plus actives et les plus soucieuses de dénicher les talents, en se jouant des frontières, avec une prédilection pour les auteurs de langue latine. 

Nous avions vu dans un premier épisode des poètes comme Regina Alonso, Tereza Du’Zai, Nilton Resende pour ne citer qu'eux, qui ont comme la plupart la particularité de publier dans la revue littéraire brésilienne Philos, l’une des plus actives et les plus soucieuses de dénicher les talents, en se jouant des frontières, avec une prédilection pour les auteurs de langue latine.

 

Poésie Lusophone, premier épisode

 

Chez le lisboète Pedro Belo Clara, l’écriture a pour fonction de dire un bonheur irréfutable quoique ténu à travers des métaphores qui débouchent sur une sorte de panthéisme bucolique où tout est matière à chant. Ici nulle métrique, fût-elle déstructurée, subvertie, mais une prose délicate, ductile qui épouse l’épiphanie printanière des choses et procure l’expérience florale de la communion avec les saisons.

Dans la poésie du Carioca Carlos Cardoso, le désir de métamorphose affecte principalement le sujet, qui attend de l’Autre la transsubstantiation qui le délivrera, ou qui sait, le rendra à lui-même. Expérience presque toujours déceptive.

 

PEDRO BELO CLARA

Um lírio nos olhos

 

Era, como então dizia, o tempo em que as tardes de verão cabiam inteiras na fundura dos teus olhos – ou assim me segredava o coração, por entre as malhas das fantasias que no seu bater urdia com insensatez de frágil flor.
O pequeno outeiro, cabana contra os abusos do estio, a imensa sombra do carvalho em eterno abraço às brisas viandantes, o largo rio etéreo largado das altas folhas até às ervas vestidas de sombra: uma só coisa bailando no mistério de si mesma.
Sobre os campos derramada, a luz era oiro líquido – delicado manto cobrindo o sonho doce das raízes. As boninas, numa dança suave, confiavam os corpos ao breve afago do vento gentil, certas que o seu sol conheceria distâncias que no sossego de si nunca ousara conhecer.
Os gestos sucedendo-se lentos e pausados eram uma estranha e nova melodia composta no instante do esboço, e feliz juntava-se ao tanto que cabia no peito, que o embalava em carícias sem nome, que o fazia cantar como o poeta da primeira manhã. Os corpos esqueciam as estações com cada toque rendido ao fulgor do silêncio; a doce acidez do vinho despertava nas línguas sabores de brancas flores e fogos súbitos, apaziguados na fresca inundação dos frutos mordidos com a ternura dum beijo.
Ao longe, duas toutinegras conversavam sobre ninhos e bagas. Ou seriam melros na alegria dum desafio a dois cantos? Entre risos que se evolavam através da leve valsa das verdes folhas, o espaçado rumor das asas do primeiro dos pássaros. Críamos que toda a memória, que toda a fala nesse simples acorde se diluiria. Talvez fosse o secreto anseio de um sopro apenas ser: rosa de ar num dia, letra sobre as águas escrita noutro.
Quando a fadiga chegava com o peso doce dum sono feliz, era a última imagem que desejávamos guardar dentro de nós: o céu de safirina lisura, sempre o céu – eterna testemunha do esplendor de tudo.

 

Un lys sur les yeux

C’était le temps, comme on disait alors, où les après-midi d’été tenaient entièrement dans le fond de tes yeux – ou bien était-ce mon cœur qui me chuchotait cela entre les mailles des déguisements que ses battements tissaient avec la déraison d’une fleur fragile.

La petite colline, cabane contre les abus de l’été, l’immense ombre du chêne qui enlace éternellement les brises voyageuses, le large fleuve éthéré qui descend des hautes feuilles aux herbes revêtues d’ombres : une seule et même chose dansait, mystérieusement elle-même.

Ruisselant sur les champs, la lumière était un or liquide – nappe délicate recouvrant le doux rêve des racines. Les fleurs des bois, dans leur danse suave, confiaient leurs corps à la brève et affable caresse du vent, certaines que le soleil connaîtrait des distances que, tranquille en lui-même, il n’avait jamais osé connaître.

Les gestes qui se succédaient lentement et posément étaient une étrange et nouvelle mélodie composée à l’instant où elle s’ébauchait, et heureuse, celle-ci se joignait à tout ce qui tenait dans ma poitrine, la berçait avec des caresses sans nom, la faisait chanter comme le poète du premier matin. Les corps oubliaient les saisons à chaque toucher qui cédait à l’éclat du silence ; la douce acidité du vin éveillait sur nos langues des saveurs de fleurs blanches et des feux subits, que venait apaiser la fraîche inondation des fruits mordus avec la tendresse d’un baiser.

Au loin, deux fauvettes à tête noire discutaient entre elles de nids et de baies. Ou étaient-ce deux merles qui se livraient ensemble à un joyeux duel de chants ? Parmi les rires qui s’envolaient dans la légère valse des feuilles vertes, il y avait la rumeur intermittente des ailes du premier oiseau. Nous croyions que toute la mémoire, que toute la parole se diluerait dans ce simple accord. Peut-être était-ce la secrète envie qu’un simple souffle fût : rose d’air dans le jour, lettre d’eau écrite sur l’autre.

Lorsque la fatigue venait avec son doux poids de sommeil heureux, la dernière image que nous désirions conserver en nous était le ciel lisse comme un saphir, toujours le ciel – éternel témoin de la splendeur de tout.

 

CARLOS CARDOSO

Paisagem

 

Quando fechei os olhos
do outro lado da cama
o seu corpo não estava

– você
insistiu em mudar de cidade.

 Ora os sonhos!?

Quando um homem
traz no peito a paixo,
a conversa por cima da
mesa é mais séria,
antes concebê-la n’alma
do que viajar pelos sentidos.

 Não sei se hoje um Deus
ou se amanhã o sangue
percorrerá minhas veias.

 Sossego.

Eu só queria beijar a chuva
e beber o cheiro da sua
presença,
acordar e conduzir
a lua por um outro sol
e libertar em mim
o caminhar da vida

 Coisa inútil
quando os versos cantam,
não pelas melodias,
e sim, por sentimentos,
é que defronte a paixão
estão os lábios da rainha
que outrora as nuvens conceberam.

 Ora os sonhos!?

Um último suspiro
teria sido mais urgente.

 

 

Traduction :

 PAYSAGE

 

Lorsque j'ai fermé les yeux,
ton corps n'était pas
à côté de moi dans le lit.

– Tu
as insisté pour changer de ville.

Foin des rêves !

Lorsqu'un homme
porte une passion dans sa poitrine,
la discussion devient
plus grave à table,
Mieux vaut la concevoir dans son âme
que voyager avec ses sens.

Je ne sais pas si aujourd'hui un dieu
ou si demain du sang
circulera dans mes veines.

Tranquillité.

Je voudrais seulement baiser la pluie
et boire l'odeur de ta
présence,
me réveiller pour accompagner
la lune vers un autre soleil
et libérer en moi
le chemin de la vie.

Inutiles
sont les vers qui ne chantent pas
pour la mélodie
mais pour les sentiments,
Car en face de la passion
il y a les lèvres de la reine
que jadis les nuages ont conçues.

Ah les rêves !

Un dernier soupir
aurait été plus urgent.

 

 

Ce poème est extrait du recueil  Na Pureza do Sacrilégio (Ateliê Editorial, 2016).

Présentation de l’auteur

Carlos Cardoso

Carlos Cardoso, né à Rio de Janeiro en 1973, est l’auteur de trois recueils de poésie salués par la critique ainsi que par ses pairs et ses aînés, qui n’hésitent pas à le comparer à Fernando Pessoa. Ses textes sont traduits en anglais, en espagnol, en français et prochainement en bulgare par Rumen Stoyanov, traducteur des plus grands poètes brésiliens.

Poèmes choisis

Autres lectures

Poésie Lusophone, deuxième épisode

 Introduction et traduction de Stéphane Chao   Voici la suite de la sélection de poèmes signés par des auteurs venus du Brésil (pour quatre d’entre eux) et du Portugal. Édités dans leur pays, [...]

Présentation de l’auteur

Pedro Belo Clara

Pedro Belo Clara est né à Lisbonne. Il est actuellement collaborateur et éditorialiste de diverses publications littéraires brésiliennes et portugaises, comme Philos et Subversa dont est tiré ce texte. Son dernier livre, un recueil de poésie intitulé LYDIA, est paru en 2018. Il anime les blogs Recortes do Real, Uma Luz a Oriente et The beating of a celtic heart.

 

 

Poèmes choisis

Autres lectures

Poésie Lusophone, deuxième épisode

 Introduction et traduction de Stéphane Chao   Voici la suite de la sélection de poèmes signés par des auteurs venus du Brésil (pour quatre d’entre eux) et du Portugal. Édités dans leur pays, [...]