Philippe Jaffeux, L’OISEAU et autres poèmes

L'air et l'oiseau se confondent
toujours à l'unisson
Ils abandonnent le monde
avec une chanson

Un vagabond du firmament
quitte son royaume
Il se pose au bon moment
à l'endroit optimum
L'arbre sait comment accueillir
ce parfait passager
L'oiseau pourra toujours partir
Sans jamais le blesser
A l'aide du crépuscule
l'envolée se suspend
L'atterrissage bascule
Dans un rêve planant

L'air et l'oiseau se confondent
toujours à l'unisson
Ils abandonnent le monde
avec une chanson

Ce migrateur invincible
a vu tous les soleils
L'aube est imprévisible
à l'instant du réveil
La même chaleur anime
la terre et l'oiseau
Ils donnent chacun la rime
Sur la cime d'une branche
un cœur s'émerveille
L'éternel rêveur se penche
au-dessus du sommeil

L'air et l'oiseau se confondent
toujours à l'unisson
Ils abandonnent le monde
avec une chanson

L'oiseau libre trouve la clef
de l'éveil immense
Il s'ouvre au chant spontané
des mots du silence
De son bec la grâce jaillit
ornée d'un panache
Ce précieux élixir de vie
coule sans relâche
Une force inhumaine
pénètre l'animal
Sa performance sereine
révèle l'art astral

L'air et l'oiseau se confondent
toujours à l'unisson
Ils abandonnent le monde
avec une chanson

Un chantre donne le conseil
utile au bonheur
Le regard tourné vers le ciel
il attend son heure
Ce noble passeur écoute
l'appel de l'infini
L'oiseau dissipe le doute
Pour suivre son envi
Il s'envole vers l'inconnu
finir son récital
Sa chanson sera bienvenue
dans un lieu d'escale

Le silence vit à l'ombre
d'une soif d'harmonie
Il organise les nombres
d'un rythme infini

Un nomade pend la fuite
du sédentaire bruit
Dans l'espace sans limite
le silence fleurit
Sa fragrance enivre l'air
imbu d'élégance
L'absence de commentaire
fonde sa puissance
Le solitaire distile
l'occasion attrapée
Ce repère immobile
guide son échappée

Le silence vit à l'ombre
d'une soif d'harmonie
Il organise les nombres
d'un rythme infini

Dans la rencontre totale
le cœur est enchanté
Un rythme muet s'installe
dans la vie habitée
Selon ce chant inutile
la volonté se tait
Le fugitif immobile
entend sa liberté
Aucun objet ne sépare
le dedans du dehors
Le silence comble l'écart
de la vie à la mort

Le silence vit à l'ombre
d'une soif d'harmonie
Il organise les nombres
d'un rythme infini

La couleur du ciel attire
le parfum de la mer
L'horizon en paix respire
une sage guerre
Un cri ouvre le délire
enfermé dans les nerfs
Ce son parle sans rien dire
sous un masque de fer
Un fou entend le silence
à l'état magique
Son corps formule la danse
d'une loi rythmique

Le silence vit à l'ombre
d'une soif d'harmonie
Il organise les nombres
d'un rythme infini

L'image garde le secret
du silencieux sage
Il trace les mystérieux traits
de son seul langage
Sa pratique anonyme
dessine des miroirs
Le silence légitime
un intime savoir
Aux yeux de ce mot limpide
ma chanson est en trop
Seul ton sourire placide
dira le dernier mot

Au début la vie prononce
les notes du hasard
La main donne sa réponse
sur une guitare

Quand la corde pincée fleurit
le temps se transforme
Un musicien crée l'harmonie
l'octave se forme
La main glisse vers la source
au sommet du dedans
L'expérience fait la course
avec un innocent
Pour l'interprète lucide
l'instant est possible
Sa vie s'attache au vide
d'un fil invisible

Au début la vie prononce
les notes du hasard
La main donne sa réponse
sur une guitare

Le rythme transporte l'action
au centre de l'humain
Dans un monde en mutation
résonne le refrain
Le public répond en écho
à l'onde subtile
Le musicien joue en duo
avec chaque style
L'artiste obéit à l'air
Il crée un mirage
Sans aucun commentaire
est né un langage

Au début la vie prononce
les notes du hasard
La main donne sa réponse
sur une guitare

Le musicien joue sa chance
sur l'éternel départ
Il s'accorde au silence
pour oublier son art
Au cœur des cordes magiques
la cible résonne
L'univers suit la musique
l'inspiration sonne
Les auditeurs en osmose
partagent ce réveil
Des planètes se composent
à l'ombre d'un soleil

Au début la vie prononce
les notes du hasard
La main donne sa réponse
sur une guitare

Les sons viennent sur mesure
l'inconnu s'élève
La mélodie se fracture
un musicien rêve
Le souffle du hasard ouvre
la voie idéale
L'improvisation découvre
la fuite totale
Sur le sort de l'art mis à nu
le concert se finit
Mais le silence continue
à chanter l'infini

Le cœur fidèle retrouve
les états de la mer
L'esprit éclairé découvre
le sel de la terre

Un laboureur téméraire
entrevoir un trésor
Les longs sillons arbitraires
inondent son décor
La multitude des tranchées
abreuve la houle
L'agriculteur est attaché
à sa terre soûle
Dans ce pays de cocagne
la mer prend son essor
Le souffle de la campagne
arrive à bon port

Le cœur fidèle retrouve
les états de la mer
L'esprit éclairé découvre
le sel de la terre

La tempête sert à boire
à la vie champêtre
Les poissons chantent victoire
l'eau fonde l'ancêtre
Le campagnard émerveillé
retrouve sa source
La vieille mer a réveillé
l'éternelle course
Ce fermier est le jardinier
de la couleur des cieux
L'océan a peint en premier
la planète en bleu

Le cœur fidèle retrouve
les états de la mer
L'esprit éclairé découvre
le sel de la terre

Au-dessus de la nature
la mer est au niveau
Une vague immature
préserve le chaos
Sur sa charrue aquatique
un marin laboure
L'imagination indique
le point de non-retour
Un destin se cristallise
dans un corps ébahi
Le grain de sel dépayse
un paysan conquis

Le cœur fidèle retrouve
les états de la mer
L'esprit éclairé découvre
le sel de la terre

Debout sur son champ retourné
un témoin prospère
L'océan est déraciné
sa mémoire prolifère
L'esprit des vagues pénètre
une chair propice
Un va-et-vient de bien-être
berce un novice
Sur la terre régénérée
un homme s'oriente
Le mystère est démontré
la mer est vivante

La danse enflamme le vent
des gestes irréels
Le silence en mouvement
sculpte un modèle

Sur une plaine infinie
un corps vit en suspend
Il attend d'être recueilli
par la force du vent
Ses muscles nagent sur terre
versés dans la masse
Corrigée par l'éphémère
la pensée s'efface
Le ciel alors s'épanouit
les prévisions cessent
Un nuage s'évanouit
le danseur se dresse

La danse enflamme le vent
des gestes irréels
Le silence en mouvement
sculpte un modèle

Un marcheur s'ajuste à l'air
le premier pas est dit
Pour s'envoler dans la sphère
une danse suffit
Le courant d'air inspirateur
rythme l'inattendu
La nature chante en cœur
le trajet imprévu
Un acrobate virevolte
à l'ombre du vide
Avec son corps désinvolte
il lâche la bride

La danse enflamme le vent
des gestes irréels
Le silence en mouvement
sculpte un modèle

La vibration est accrochée
un danseur circule
La marionnette est lâchée
le cœur s'articule
Un ballet de chastes ondes
chante l'impossible
La vie et l'air se confondent
dans l'un invisible
La gestuelle palette
réunit tous les arts
Musiciens peintres poètes
dansent en fanfare

La danse enflamme le vent
des gestes irréels
Le silence en mouvement
sculpte un modèle

Après l'extatique fête
l'euphorie s'impose
Dans la plaine satisfaite
le calme explose
L'homme aux gestes captivants
a livré son charme
Avec la retraite du vent
son art rend les armes
Le grand frisson de l'univers
pétrifie le danseur
Dans son corps il a découvert
la pierre du bonheur

Présentation de l’auteur

Philippe Jaffeux

Philippe Jaffeux habite Toulon. L'Atelier de l’Agneau éditeur a édité la lettre O L’AN / ainsi que courants blancs et autres courants.

Les éditions Passage d’encres ont publié N L’E N IEMeALPHABET de A à M et Ecrit parlé. Les éditions Lanskine ont publié Entre et GlissementsDeux a été édité par les éditions Tinbad et 26 Tours par les éditions Plaine Page. Nombreuses publications en revues et en ligne .

Philippe Jaffeux

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Dossier Philippe Jaffeux : autour de Glissements, Entre, Deux

 

 

 

 

Glissements                                         

   

Sur un rythme stakhanoviste (trois livres en trois mois : Entre dans la même collection en mars, ce livre aujourd’hui, et Deux à paraître le 10 juin chez Tinbad), le poète Philippe Jaffeux aligne les défis au monde poétique d’aujourd’hui : comment, à chaque livre, rejouer tout l’espace de la page ? Comment, à l’intérieur de chacun de ses livres, rejouer son livre à chaque page ? Et comment, sur chaque page, rejouer son livre à chaque phrase ? Tel est l’incroyable pari épistémique que Jaffeux gagne : trois coups de dés ; autant de « victoires » poétiques.

Je ne vois guère que dans le cinéma structurel américain des équivalents formels à ce travail de la langue : Paul Sharits, Michael Snow, Hollis Frampton, Tony Conrad, Ernie Gehr, etc. On sait qu’au lieu de travailler avec des plans (comme le fait le cinéma narratif), ou avec des photogrammes (comme Peter Kubelka), ces cinéastes ont travaillé à partir de kinèmes (terme forgé par le cinéaste allemand Werner Nekes à la fin des années 60, signifiant un court ensemble de photogrammes : 3 ou 4) ; de l’addition ou de la friction de ces kinèmes, ils ont inventé un cinéma qui ne devait rien à la narration, mais tout à la structure, réinventée pour chaque film. Jaffeux, qui déforme les phonèmes d’une nouvelle façon à chaque page de ce Glissements, invente donc, à lui tout seul, la poésie structurelle (terme non trouvé sur Internet par votre serviteur). À côté de cet impressionnant travail sur la structure du poème, les jeux de mots oulipiens simplistes d’un récent pléiadisé, « enlever le e » (in La Disparition), ne se servir que d’une seule voyelle, justement le « e » (in Les Revenentes), sonnent comme des jeux d’enfants, puisque la formule narrative principale y restait intouchée. On est mallarméen ou on ne l’est pas…

Mais quid de ce titre, Glissements ? À chaque page, Jaffeux invente de nouvelles frictions entre les phonèmes : un coup (de dés) des lettres (traitées alors comme des photogrammes) tombent (glissent), comme ici :

 

            L’im ge d’une force neuve résiste  ux impulsions d’une  ttente

                   a                                           a                                a 

 

Ailleurs, des lettres se penchent en avant, tout en devenant capitales :

 

                                   huppE s’adresse à l’action d’une vitesse afin

            de délimiter la nature irresponsable d’une force plastique

          xéniquE

Plus loin, le texte se disloque sous l’effet de nouvelles frictions, plus fortes :

 

            L’alp   habet   se p   enche   au-d   essus   d’un   e mul

            ittud   e de trous   qui   libèr   ent l   e ver   t   ige

 

 

Ou bien, l’écriture retourne à son origine première, quand tous les phonèmes étaient collés alors (c’est en lisant à voix haute qu’aux tout premiers siècles de notre ère on pénétrait le sens de textes dépourvus eux aussi de ponctuation et même d’intervalles entre les mots[1]), comme ici :

 

Lerêvedunfouhanteunelignequichassedesintervallesirréels

 

Celui qui ne se lira pas ce passage à voix haute n’y retrouvera pas ses petits… Elle est retrouvée ! quoi ? L’écriture des origines… Il faut être « fou » comme un Jaffeux pour avoir osé s’imaginer qu’un tel retour serait se situer de facto à l’extrême avant-garde de notre bel aujourd’hui.

Par Guillaume Basquin


[1] In Guillaume Basquin,  (L)ivre de papier, éd. Tinbad, 2016.

 

   

*

Pénètre l'intervalle

 

Entre : préposition, indique que quelque chose se situe dans l'espace qui sépare des choses ou des êtres.

Entre : 2ème personne du singulier du verbe entrer à l'impératif présent.

Voici pour ma brève introduction à propos du titre du dernier livre de Philippe Jaffeux, Entre, aux éditions Lanskine.

On connnaît l'auteur pour son travail formel. Denis Heudré avait produit une lecture critique pertinente à propos de son Alphabet (de A à M), parlant d'Objet Littéraire Non Identifié. Il notait également que Jaffeux écrit hasart et non hasard, orthographe reprise dans cet opus où le mot revient souvent. Beaucoup d'étymologies ont été proposées dont celle de Guillaume de Tyr, rapportée par Littré, « à savoir que le hasard est une sorte de jeu de dés, et que ce jeu fut trouvé pendant le siège d'un château de Syrie nommé Hasart, et prit le nom de cette localité. ».

On ne peut que songer au poème de Mallarmé, Un coup de dés jamais n'abolira le hasard, poème typographique qui a suscité nombre d'exégèses aussi bien quant aux espaces blancs qu'à une signification ésotérique. Toujours est-il que le livre de Jaffeux nous donne, lui, au moins son secret de fabrication en fin d'ouvrage, après le texte : « Entre est ponctué à l'aide d'une paire de dés. Les intervalles entre chaque phrase s'étendent donc entre deux et douze coups de curseur. Entre est un texte aléatoire qui est accompagné par l'empreinte de trois formes transcendantes : le cercle, le carré et le triangle. » On remarque d'emblée, ces intervalles variables, ainsi que les « trous » en quelque sorte dans le texte, sur quatre à cinq lignes, donnant à voir les figures géométriques ci-dessus évoquées. Ces contraintes formelles énoncées – part au moins aussi importante que le texte lui-même – qu'est-ce qui est dit dans la soixantaine de pages de ce dispositif ? Eh bien, je crois, ce que montre la forme elle-même : l'aléatoire et une volonté de renouveler l'écriture et le rapport à l'écriture. « Réjouissez-vous de pouvoir être détruits par un texte illisible » écrit Jaffeux (page 13). Jamais de point à la fin des phrases, l'espace variable (selon le coup de dés) et la majuscule signeront le début de la phrase suivante. Ou encore : « Il redécouvre le langage d'une liberté parce qu'il appartient à des lettres perdues » (page26). C'est bien de cette liberté, paradoxalement mise sous contraintes, fût-ce celles du hasard, qui est l'enjeu et qu'on trouvera plus dans les blancs, les lettres perdues que dans le contenu purement sémantique des phrases. « Le hasart choisit des mots qui apparaissent entre des interstices injustifiables » (page 51) : qu'on ne peut justifier (en typographie : aligner ; dans le langage courant en établir le bien fondé). Sur la même page : « Célébrons des intervalles qui rongent un idéal de l'écriture ».

Le seul message,  s'il en est un, répété rageusement, serait la célébration de la vacuité. Exemple :

 

« interagit avec un vide littéral        Des courants

d'interlignes rafraîchissent un éventail de vibrations

lisibles      Nos ombres sont au service d’un écart qui

appartient à ta lumière        Un ordinateur corrompu

se conne    cte avec la tension d'une image  Il relie

la circu          lation de mes silences à la fluidité de

vos c               ontradictions        Elles passent devant

des                     pauses qui négligent un travail de

no                        s mots            L'univers d'un

espace contemple le destin de nos illuminations 
»

 

D'autres tentatives d'abolition eurent lieu, du fond, de la forme, et de ce qu'on voudra. Jaffeux se situe dans ces extrêmes qui, s'ils n'emportent pas l'adhésion facile du grand nombre, poursuit avec cohérence – peut-être bien que ce mot-là ne lui conviendrait pas – un travail de sape, toujours nécessaire quand bien même il ne nous plairait pas.

 

« Une écriture impossible absorbe le geste d'une distance inconnue  La grâce d'un
support vole au secours d'une phrase décidée à épuiser une paire de dés  On touche la
limite d'une ponctuation qui joue avec une disparition du hasart 
»

 

Fin du livre sur ce mot fondateur, semble-t-il. Le vortex blanc des intervalles et des figures géométriques, aussi transcendantes soient-elles, l'absorbe déjà.

Par Jean-Christophe Belleveaux

*

Deux 

 

Il y a un aller- retour entre affirmation et négation, les contraires s’y côtoient comme des évidences ou des nécessités : L’intensité de nos extases et sa virtualité tragique, de même que le concret et l’abstrait cohabitent comme la joie et la douleur : L’équilibre d’un jour théâtralisé ressent l’aveuglement de sa clarté putrescible. Il y est question d’un personnage qui s’appelle IL apparaissant uniquement par sa conscience et ses pensées. Ce n’est pas un livre que l’on interprète bien que chaque phrase détachée soit sujette à réflexion, il est plutôt ressenti comme un rythme aux accords très réguliers qui lui donnent un air de tendresse, de déjà entendu mais où.

La grande utilisation du possessif à la deuxième et à la troisième personne assure une présence humaine invisible mais partout présente. Il s’agit toujours de quelque chose en cours qui préexiste avant le dire qui le rapporte. Il n’y a ni commencement ni fin. Sous ce flux de paroles, il y a beaucoup de vérités et de constatations : Nos paroles sont des images qui recouvrent une ambiance incomplète de ses perceptions. Ces possessifs créent un échange un dialogue sous-jacent qui assurent une pérennité qui laisse l’illusion d’un temps jamais défait, espèce de continuum qui est, peut-être, le véritable moteur de ce recueil : aller, aller toujours dans un présent qui nous rapproche de l’événement et du IL symbolisant les autres en une seule unité. Ce temps présent partout utilisé est une affirmation qui nie toute fuite possible. L’auteur tient le lecteur sous sa coupe mentale qui quelquefois agace notre lecture. Le livre fermé, nous l’ouvrons à nouveau.

Nos planches charpentent le paysage de notre flottaison sur les ressources d’un théâtre avorté. N’oublions pas, nous sommes au théâtre, théâtre humain où l’action n’y est pas située mais prend racine à l’extérieur dans la vraie vie. C’est un dialogue particulier où les répliques peuvent être interverties parce qu’elles ne sont pas la suite les unes des autres. Serait-ce l’impossibilité de communiquer entre les mots et l’expression de l’égoïsme ambiant et du chacun pour soi. Cependant, il existe des tentatives de présences, des ébauches à rechercher dans les profondeurs des répliques. Il existe un rapport étroit entre la parole, le mot, l’alphabet, la page, le mutisme et le silence sur lequel il faudrait se pencher dans une étude approfondie.

Tout égale tout, serait-ce l’ultime rapport, l’ultime constatation, la voix/voie royale vers l’acceptation de la vie, vers la sortie du théâtre pour aboutir au grand air de la réalité, la dépossession de toute chose, l’expression d’une égalité qui assurerait un bien- être à la manière des Epicuriens ? IL rattache le souffle de fer à celui de la mer pour renouveler l’air d’une permutation exacte. Y verrait-on l’ultime désir ?

Deux, chiffre de l’amour, du croisement, du dialogue, de l’existence de l’autre comme le laisse supposer Mondrian dans cette peinture de couverture épurée où l’essentiel y est dit d’un simple regard. Le livre fermé, j’éprouve la même sensation par- delà les 230 pages comprenant 1222 dialogues par des personnages nommés N°1 et N°2. Il me semble que ce recueil ne contient qu’une seule phrase à variantes inlassablement répétées s’approfondissant vers une certaine tranquillité qui exclut le doute par la pudeur d’une expression qui garde la mesure juste des propos et qui nous interpelle plus par la pensée que par l’émotion.

Par Jean-Marie Corbusier 

*

Présentation de l’auteur

Philippe Jaffeux

Philippe Jaffeux habite Toulon. L'Atelier de l’Agneau éditeur a édité la lettre O L’AN / ainsi que courants blancs et autres courants.

Les éditions Passage d’encres ont publié N L’E N IEMeALPHABET de A à M et Ecrit parlé. Les éditions Lanskine ont publié Entre et GlissementsDeux a été édité par les éditions Tinbad et 26 Tours par les éditions Plaine Page. Nombreuses publications en revues et en ligne .

Philippe Jaffeux

Autres lectures

Philippe Jaffeux, Courants blancs

Chaque phrase se détache de l’ensemble et chaque phrase se détache d’elle-même pour venir nous interroger parce qu’elle est toujours double. Il faut que la première partie trouve sa justification en la seconde. [...]

Philippe Jaffeux, Alphabet (de A à M)

Un livre qualifié de « proliférant et multiforme » (C.Vercey), « vertige lucide » (F.Huglo), « nouvelle énergie » et « une des plus grandes entreprises littéraire du temps » (J-P Gavard-Perret), ne peut qu'intriguer et inviter à la découverte. A [...]

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Philippe Jaffeux, Autres courants

S’agit-il d’une suite offerte aux Courants Blancs ? A y regarder de près, nous pourrions le supposer, car en effet divers indices invitent à imaginer à tout le moins une filiation sémantique avec ce [...]

Philippe Jaffeux, 26 tours

Il y a quelques mois, je m’interrogeais sur le bébé photographié dans la revue suisse de poésie Dissonance (Le nu, été 2017)…Serait-il un futur poète ? J’ai désormais acquis une certitude, ce Philippe Jaffeux [...]




Philippe Jaffeux, 26 tours

Il y a quelques mois, je m’interrogeais sur le bébé photographié dans la revue suisse de poésie Dissonance (Le nu, été 2017)…Serait-il un futur poète ? J’ai désormais acquis une certitude, ce Philippe Jaffeux était bien un poète en herbe. Il est devenu, d’une certaine façon, …en épi ! Pour preuve, il m’a adressé deux ouvrages rédigés par ses soins. Mais quels soins ? 

Philippe Jaffeux, 26 tours, éditions Plaine Page, coll. Les oubliés, 2017, 10€.

L’auteur applique un même principe formel, du début à la fin de l’ouvrage pour surprendre le poème ou se surprendre lui-même ou surprendre l’œil lassé de la lectrice. 

26 tours est ni plus ni moins un poème tournant sur lui-même en 26 morceaux (on s’en doute presque, 26 étant le nombre exact de lettres de l’alphabet latin ; et non 33 qui évoquerait plutôt le disque 33 tours ! ). Un manège aplati. Page par page, un morceau de poème s’avère prisonnier d’un carré et pris en un « tournoiement » dans le sens des aiguilles d’une montre. Cette succession de carrés (7 cm sur 7) révèle les jeux-enjeux espace-temps de ce créateur ludique, proposant ici une poétique mathématique. En modulant graphiquement un calligramme (?) géométrique, il estime néanmoins sa « liberté (…) fantaisiste ». Mécanique et cinétique engendrent une parole « turbulente » et rôdée pour déconstruire efficacement le poème. La lectrice, prise au piège, pénètre ainsi dans un tekke((Tekke, monastère où se tient la semades derviches.)) où des mots tourbillonnent en « derviches » très tourneurs et même détourneurs. En refermant la dernière page, elle continue à se prendre pour une « toupie », à ses risques et périls !

 

Est-ce par hasard que le mot « hasart » se termine dans cet ouvrage par un « t » à maintes reprises détectées. Cette terminaison – non hasardeuse, donc - se retrouve dans l’opuscule suivant-ou-antécédent-ou-simultané intitulé Glissements (du même cru 2017). Est-ce pour vérifier l’attention de la lectrice, tout en proposant une autre improvisation que celle de Pennac (lequel inverse une page de manuscrit pour jauger l’attention de son éditrice) ? Est-ce pour réinventer le « hasart » en le jouant aux dés alphabétiques ???? Ce second ouvrage – Glissements - d’un adepte du ski/surf/trottinette sur langage joue également sur la forme. Il lui attribue une élasticité nouvelle, démontrant que lettres et esprit sont également « malléables ». Des exemples ? Jaffeux emprunte une lettre dans un mot (le « o » de débonnaire), la met en majuscule en plein milieu de ce mot (débOnnaire), puis reprend cette même majuscule ventrue au début du mot suivant plutôt biscornu (ici Orkul, ailleurs Dziban, ou ailleurs de l’ailleurs Phecda). 

Philippe Jaffeux, Glissements, éditions Lanskine, 2017, 12€.

Une seule règle suffit-elle à dévider tout le recueil de Jaffeux ? Poser la question est déjà y répondre : non. Pour éviter l’endormissement (dont le nôtre), le concepteur introduit des variantes. La majuscule répétée se sépare et s’éloigne de la première majuscule pour s’accrocher au bout d’un mot en minuscule, lequel pourrait être en fin de phrase mais qui ne l’est pas puisqu’il n’y a pas de ponctuation, donc pas de phrase ni de fin de phrase. Elémentaire, mon cher Jaffeux ! [ndlr : Si ça continue, je vais glisser une majuscule dans son nom de famille : JaFfeux.] L’auto-consigne est-elle définitive ? Non. Page suivante, le mot se coupe en deux, séparé par un espace. Même le mot « écart » subit la métamorphose jaffeuxienne et devient « éc    art » ; même l’apostrophe typo ouvre un fossé entre elle et le mot qu’elle apostrophe (« d’    un sens ») ; même la séparation typographique entre deux mots patine pour s’agrandir : « Le      silence ».

Chaque séquence est séparée de la suivante par une onde hiéroglyphique, indiquant un autre courant, une autre variable. Ici on compte de 26 (rappel de l’ouvrage précité ?) à 50 en évoquant des plantes/arbustes (gentiane, cyprès, laurier, etc.), là on décline la liste des pierres fines (quartz, opale, jade, etc.), là on change l’ordre des lettres dans un mot (« alngue » pour langue, « arobortive » pour roborative), là on modifie l’ordre des syllabes (« sirplai » pour plaisir), là la lettre d’un mot quitte ce mot pour s’installer en solitaire sur la ligne de dessous, là on dédouble la colonne  compliquant la lecture, là on évide le texte traditionnellement figé en colonne (croix de Saint André, sablier, cône...).

Des « glissements » sur l’écriture et sur ce qui n’est pas elle (le vide, l’espace, l’écart) « guide l’avenir de ses errances avec la place d’une pensée/paradoxale »  avec un « l » en italique glissé lui aussi au milieu de ses comparses romains ! Avez-vous compris ? Ecriture anti-écriture... C’est clair ? Clair-obscur ?

Poète mathématicien, Jaffeux se veut ici explorateur de l’inexploré, l’incompréhensible, l’illisible, l’irréel, autant d’incarnations de « la formule mystérieuse du vide ». Un vide volontiers qualifié d’« inutile ». Le chaos métamorphique de ce Jules Verne de l’alphabet, de ce Léonard de Vinci de la grammaire, de ce Géotrouvetou de l’orthographe fera-t-il émerger un concours Lépine de la trouvaille oulipienne? Bref, mon commentaire se met à glisser – lui  aussi – sur le radeau de cette page, les touches d’ordinateur cessent soudain d’être mes gouvernails. Contraintes de proposer un sens non insensé, elles rêvent pourtant de passer au-delà du champ alphabétique. Etgheu3ps,esji !uejs ;ay52 ;,etc…

Présentation de l’auteur

Philippe Jaffeux

Philippe Jaffeux habite Toulon. L'Atelier de l’Agneau éditeur a édité la lettre O L’AN / ainsi que courants blancs et autres courants.

Les éditions Passage d’encres ont publié N L’E N IEMeALPHABET de A à M et Ecrit parlé. Les éditions Lanskine ont publié Entre et GlissementsDeux a été édité par les éditions Tinbad et 26 Tours par les éditions Plaine Page. Nombreuses publications en revues et en ligne .

Philippe Jaffeux

Autres lectures

Philippe Jaffeux, Courants blancs

Chaque phrase se détache de l’ensemble et chaque phrase se détache d’elle-même pour venir nous interroger parce qu’elle est toujours double. Il faut que la première partie trouve sa justification en la seconde. [...]

Philippe Jaffeux, Alphabet (de A à M)

Un livre qualifié de « proliférant et multiforme » (C.Vercey), « vertige lucide » (F.Huglo), « nouvelle énergie » et « une des plus grandes entreprises littéraire du temps » (J-P Gavard-Perret), ne peut qu'intriguer et inviter à la découverte. A [...]

Philippe Jaffeux, Autres courants

Des mots récurrents se partagent le recueil : pages, alphabet, lettres, interlignes, interlignage, ordinateur et soulignent l’approfondissement d’une pensée qui ne se veut jamais définitive. Philippe Jaffeux n’hésite pas à mettre en cause l’écriture [...]

Philippe Jaffeux, Autres courants

S’agit-il d’une suite offerte aux Courants Blancs ? A y regarder de près, nous pourrions le supposer, car en effet divers indices invitent à imaginer à tout le moins une filiation sémantique avec ce [...]

Philippe Jaffeux, 26 tours

Il y a quelques mois, je m’interrogeais sur le bébé photographié dans la revue suisse de poésie Dissonance (Le nu, été 2017)…Serait-il un futur poète ? J’ai désormais acquis une certitude, ce Philippe Jaffeux [...]




Philippe Jaffeux, Enfance, extrait inédit de Mots

Dans le meilleur des cas, mon activité accompagne l'état d'un enfant qui s'abandonne et s'ouvre au temps présent. Tout devient possible avec l'enfant qui n'a pas d'histoire ni de mémoire et fait donc fi des traditions et des conventions. L'enfant ne se soucie pas de l'avenir ni du passé et si il est aussi un comédien, il n'est pas soumis à la malignité ni au calcul parce qu'il fait tout pour la première fois. L'écriture est alors un moyen de retrouver ce qui précède l'apprentissage de l'alphabet. L’innocence ou la spontanéité ont-elles un sens lorsqu'elles consolident le support d'un instinct prêt à ranimer le potentiel d'un enfant qui baigne dans la matière et son mystère ? La littérature pourrait-elle privilégier une intelligence de la naïveté ou de l'ingénuité plutôt que celle qui s'appuie sur la raison, le cœur, l'idiotie ou la folie ? L'enfant se donne au monde en toute confiance, à chaque instant, car c'est sa curiosité qui renforce son intelligence. De la même façon, j'écris, avant tout, pour questionner le sens des mots en essayant de renouer avec la simplicité d'un alphabet élémentaire. Aussi, le chant (et champ) de l'enfance présuppose un attrait pour l'énigme et l'incongru, une inclination pour l'anormal et le bizarre. C'est l'enfant, initié aux comptines surréalisantes, qui peut nous permettre de reconstruire notre lien avec l'irrationnel, l'insolite ou le fantastique. Comme l'enfant, toujours à l'affut de nouveauté, qui explore le monde, l'acte d'écrire est un moyen de s'ouvrir sur l'inconnu et de s'unir aux puissances de l’inconscient.

Le regard de l’enfant m'inspire des rêveries cosmiques, il me soustrait à l’autorité de la raison, il donne un sens à une révolte qui me permet de renouer avec des perceptions sensorielles ou des dimensions spirituelles et imaginatives. Mes textes trouvent leur origine dans un acte de désobéissance enfantin qui valorise les ressorts du jeu et de la fantaisie. Les mots ne sont alors plus ceux qui furent appris, inculqués à l'école, l'activité d'écrire se rapproche de celle d'un enfant qui fait corps avec le monde, qui est relié aux forces du cosmos. J'éprouve le besoin d'écrire comme le petit enfant marche, sans savoir où il va, en se laissant porter par le souffle du temps. La marche de l'enfant, ouverte sur une dérive, imprégnée d'une multitude d'ambiances fugitives, s'ajuste au jeu psychogéographique des situationnistes.

L'état d'enfance se fonde sur la plus clairvoyante de toutes les révoltes, celle qui ne laisse aucune place à la nostalgie, aux souvenirs préfabriqués, au paradis perdu, voire aux sentiments. Cette force nous permet de rejoindre tous les enfants qui sont réfractaires à la scolarisation lorsque celle-ci prend la forme d'un encasernement. Si l'écriture me donne l'occasion de conquérir l'enfant qui est en moi, c'est afin de retrouver l'état et l'énergie d'une langue sauvage. Le petit enfant qui ne parle pas et qui ne peut pas nous répondre commence à créer sans le secours de la pensée ni de la raison. L'inventivité et l'imprévisibilité de l'enfant invoque une légèreté nietzschéenne qui exprime un rapport immédiat avec le chaos. J'écris surtout dans l'espoir de percevoir les vibrations de l'enfance, celles qui animent, par exemple, la désobéissance et l'insouciance. Les lettres me donnent l'occasion d'être submergé par des émotions et des perceptions enfantines, et non pas infantiles, elles m'encouragent à réveiller l'enfant qui nous accompagne depuis toujours. Mes phrases construisent un monde imaginaire et fragile qui se mélange à une réalité propre à l'enfance. C'est grâce à cette confusion que je me retrouve en oubliant tout sauf l'esprit d'enfance. En ce sens, mes textes sont, avant tout, un moyen d'exprimer mon rapport avec une aventure qui s'appuie d'abord sur la puissance de l'étonnement. Mes lignes de mots tentent d'ouvrir des perspectives qui s'opposent à la connaissance en vue de m'unir au silence énigmatique d'un nourrisson. Mon écriture fragmentaire et chaotique s'apparente peut-être à un babil, à des bribes de phrases enfantines qui tentent de rompre le lien entre la littérature et la parole. "L'enfant", du latin infantem, "celui qui ne parle pas" pourrait-il être, par conséquent, le seul à savoir ce que l'acte d'écrire signifie ? J'écoute le silence de l'enfant comme une langue étrangère à ma voix afin de réapprendre à écrire. Ecrire c’est toujours parler de l’enfance avec des cris, des pleurs, des gestes ou des sourires ; c'est exister par le truchement d'un langage qui vient à bout de la parole. J'écris afin d'avoir recours à la parole inexistante de l'enfant dans l'espoir de comprendre ma langue. Si, néanmoins, l'acte d'écrire reste un bon moyen d'être traversé par sa langue maternelle, c'est d'abord la meilleure façon d'être absorbé par les balbutiements, par le silence et le regard d'un petit enfant. Le sourire de l'enfant sauve la grâce des dogmes religieux et nous éveille à une puissance indéfinissable. L'enfant est, bien entendu, le héros d'une histoire universelle qui dépasse celles qui lui sont raconté par des adultes prisonniers du temps. L'enfant se déploie, à l'aveuglette, à l'extérieur des classes sociales, du travail, de la communication, de l'information et de la conscience de soi ; il est un miracle naturel qui s'épanouit dans l'indéterminé évoqué par la pensée taoïste.

Seule la poésie expérimentale me semble capable de pouvoir accueillir les "blocs d'enfance" Deleuzien. La pratique de l'écriture a peut-être alors un sens si elle est supportée par la dynamique d'une posture qui m'engage à ne jamais quitter l'enfance ni la joie. C'est au travers des pulsions, de la curiosité, du jeu ou des rêveries que l'enfant, lui seul, réussit à invoquer un redoutable savoir de l'ignorance. L'enfant est un conquérant de l'instant qui, armé de ses perceptions sauvages et créatrices, parvient, tout seul, à découvrir les mystères du monde. L'enfant est un voyant qui voit ce que les adultes ne savent plus voir ; la seule intention de mon activité pourrait se réduire alors à conserver la fraîcheur de chaque mot et de leur agencement. L'écriture peut-elle se modeler sur l'univers sonore et graphique de l'enfant et peut-elle échapper à notre langue normative afin de retrouver la vitalité et l'humanité de l'art brut ou primitif ? Est-il possible d'écrire comme un enfant qui ouvre, naturellement et avec sa fantaisie, tous les espaces et toutes les portes grâce à sa prodigieuse appréhension du monde sensible ?

Par ailleurs, si l'alphabet est aussi une manifestation de l'enfance, c'est parce que les lettres me donnent peut-être l'occasion de désobéir à l'écriture. Est-il possible d'écrire comme le petit enfant, qui, à la recherche de son autonomie, n'arrête pas de dire "non" ? Quoiqu'il en soit, les lettres participent à un blasphème de l'écriture à l'instar de l'enfant qui ignore, voire rejette le monde civilisé et la culture. Alphabet a été un moyen de désapprendre à écrire avec quinze lettres mais aussi une tentative de me rapprocher des gestes et des signes d'un enfant qui ne sait pas encore parler. L'écriture est, en ce qui me concerne, un plaisir lorsqu'elle accueille une émergence de l'enfance, c'est à dire une union spontanée avec le cosmos, un retour vers le non-être, vers un fond indifférencié et libre parce que indéterminé. Dans le meilleur des cas, mes phrases sont le simple produit de cette dynamique. Si l'abécédaire des enfants a été à l'origine de mon activité, Alphabet a peut-être été aussi une tentative d'écrire un long livre comme un enfant qui est captivé par tout ce qui est grand. De plus, contrairement aux textes ou aux phrases, les lettres peuvent évoquer une présence du sensible dans un monde qui peut nous apparaitre enfin réel. Alphabet est le moment où l'enfance donne les règles d'un jeu qui inspire un dérèglement de l'écriture. L'esprit d'enfance favorise l'expérimentation, voire les répétitions plus ou moins absurdes mais amusantes. L'homme devient enfin un enfant lorsqu'il joue et peut alors trouver la sortie d'une écriture adulte et normative. C'est, bien entendu, l'Oulipo qui est parvenu à cristalliser le lien entre la littérature et le jeu. Le formalisme oulipien résout l'énigme de l'écriture qui retrouve sa part d'enfance, elle devient un pur plaisir, un divertissement qui instaure le jeu comme le seul moyen d'être au monde. Les mots ou les lettres explorent les limites de notre langue grâce à des opérations combinatoires qui évoquent le jeu de cubes d'un enfant. En ce sens, la pratique d'écrire ne pourrait-elle pas se rapprocher d'un défi enfantin qui stimule la curiosité et l'imagination ? Savons-nous enfin écrire lorsque la parole joue à cache-cache avec le silence ou avec des images ? Mes courants m'ont donné l'occasion d'écrire comme un enfant qui joue avec une syntaxe limitée et des mots élémentaires que je recombinais sans arrêt. L'alphabet sait intensifier sa puissance subversive lorsque la sagesse du jeu anime une écriture de l'immaturité. Les lettres sont des apparitions qui m'aident à faire grandir l'esprit d'enfance dans une langue qui rompt alors avec mes souvenirs d'adulte. Mon activité se limite à emboiter, avec une certaine rigueur, des mots dans des phrases qui tentent de construire un texte innovateur. Le développement de l'être humain pourrait-il avoir enfin un sens lorsque l'adulte devient un enfant qui joue avec toutes les potentialités de sa langue ? Grâce au jeu, notre âme d'enfant peut-elle imprimer sa marque dans la matière vivante d'une écriture qui s'auto engendre ? Lorsque l'enfance revient sous la forme de lettres c'est peut-être aussi pour nous signaler que c'est le dessin qui nous a préparé à l’apprentissage de l’écriture. Si tous mes textes sont des ratages, ils parviennent néanmoins, parfois, à me surprendre, à m'étonner comme l'enfant peut l'être par le dessin qu'il vient de faire. L'enfant est présent dans le monde grâce à la force du sensible (toucher vue goût odorat) et aussi à l'aide de ses lignes, gribouillis, coloriages ou dessins. Ces derniers sont les équivalents de nos paroles ; ils constituent autant d'offrandes roboratives, désintéressées, et parfois angoissantes, de l'enfant déjà artiste. L'enfant qui dessine est notre seul maître ; il nous enseigne à utiliser les formes et les intuitions plutôt que les idées ; à être en contact avec la matière de notre langue, à être pris par un élan créateur et pulsionnel qui outrepasse la conscience de soi et la volonté. Lorsque l'enfant n'est pas encore soumis au modèle familial ou scolaire, ses dessins énoncent une énigme, hallucinante et délirante, réfractaire à la beauté, à la représentation et à la vraisemblance. A l'instar de l'enfant qui dessine, j'écris en tâtonnant, en agençant des mots comme des formes en vue de célébrer un anti-art, primitif et préhistorique, qui préexiste à la socialisation et au conditionnement induits par l'écriture et la culture. Dans le mystère de sa solitude créative, l'enfant accueille le monde sensible et celui de son imaginaire qui deviennent sa seule réalité.

L'alphabet est un moyen de laisser une trace de son enfant intérieur, de sa curiosité et donc de questionner l'acte d'écrire.

L'enfantin est un état qui, par le biais de ses perceptions sauvages, me permet d'interroger l'écriture et sa raison d'être, sans pour autant trouver de réponses, d'explications ou d'affirmations. L'enfance est une présence, grâce à laquelle je me dérobe à moi-même et aux autres afin d'écrire sans me limiter à retranscrire une parole adulte. L'esprit d'enfance serait- il alors notre seule chance ?

Présentation de l’auteur

Philippe Jaffeux

Philippe Jaffeux habite Toulon. L'Atelier de l’Agneau éditeur a édité la lettre O L’AN / ainsi que courants blancs et autres courants.

Les éditions Passage d’encres ont publié N L’E N IEMeALPHABET de A à M et Ecrit parlé. Les éditions Lanskine ont publié Entre et GlissementsDeux a été édité par les éditions Tinbad et 26 Tours par les éditions Plaine Page. Nombreuses publications en revues et en ligne .

Philippe Jaffeux

Autres lectures

Philippe Jaffeux, Courants blancs

Chaque phrase se détache de l’ensemble et chaque phrase se détache d’elle-même pour venir nous interroger parce qu’elle est toujours double. Il faut que la première partie trouve sa justification en la seconde. [...]

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Un livre qualifié de « proliférant et multiforme » (C.Vercey), « vertige lucide » (F.Huglo), « nouvelle énergie » et « une des plus grandes entreprises littéraire du temps » (J-P Gavard-Perret), ne peut qu'intriguer et inviter à la découverte. A [...]

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Dossier Philippe Jaffeux : autour de Glissements, Entre, Deux

 

 

 

 

Glissements                                         

   

 

Sur un rythme stakhanoviste (trois livres en trois mois : Entre dans la même collection en mars, ce livre aujourd’hui, et Deux à paraître le 10 juin chez Tinbad), le poète Philippe Jaffeux aligne les défis au monde poétique d’aujourd’hui : comment, à chaque livre, rejouer tout l’espace de la page ? Comment, à l’intérieur de chacun de ses livres, rejouer son livre à chaque page ? Et comment, sur chaque page, rejouer son livre à chaque phrase ? Tel est l’incroyable pari épistémique que Jaffeux gagne : trois coups de dés ; autant de « victoires » poétiques.

Je ne vois guère que dans le cinéma structurel américain des équivalents formels à ce travail de la langue : Paul Sharits, Michael Snow, Hollis Frampton, Tony Conrad, Ernie Gehr, etc. On sait qu’au lieu de travailler avec des plans (comme le fait le cinéma narratif), ou avec des photogrammes (comme Peter Kubelka), ces cinéastes ont travaillé à partir de kinèmes (terme forgé par le cinéaste allemand Werner Nekes à la fin des années 60, signifiant un court ensemble de photogrammes : 3 ou 4) ; de l’addition ou de la friction de ces kinèmes, ils ont inventé un cinéma qui ne devait rien à la narration, mais tout à la structure, réinventée pour chaque film. Jaffeux, qui déforme les phonèmes d’une nouvelle façon à chaque page de ce Glissements, invente donc, à lui tout seul, la poésie structurelle (terme non trouvé sur Internet par votre serviteur). À côté de cet impressionnant travail sur la structure du poème, les jeux de mots oulipiens simplistes d’un récent pléiadisé, « enlever le e » (in La Disparition), ne se servir que d’une seule voyelle, justement le « e » (in Les Revenentes), sonnent comme des jeux d’enfants, puisque la formule narrative principale y restait intouchée. On est mallarméen ou on ne l’est pas…

Mais quid de ce titre, Glissements ? À chaque page, Jaffeux invente de nouvelles frictions entre les phonèmes : un coup (de dés) des lettres (traitées alors comme des photogrammes) tombent (glissent), comme ici :

 

            L’im ge d’une force neuve résiste  ux impulsions d’une  ttente

                   a                                           a                                a 

 

Ailleurs, des lettres se penchent en avant, tout en devenant capitales :

 

                                   huppE s’adresse à l’action d’une vitesse afin

            de délimiter la nature irresponsable d’une force plastique

          xéniquE

 

Plus loin, le texte se disloque sous l’effet de nouvelles frictions, plus fortes :

 

            L’alp   habet   se p   enche   au-d   essus   d’un   e mul

            ittud   e de trous   qui   libèr   ent l   e ver   t   ige

 

 

Ou bien, l’écriture retourne à son origine première, quand tous les phonèmes étaient collés alors (c’est en lisant à voix haute qu’aux tout premiers siècles de notre ère on pénétrait le sens de textes dépourvus eux aussi de ponctuation et même d’intervalles entre les mots[1]), comme ici :

 

Lerêvedunfouhanteunelignequichassedesintervallesirréels

 

Celui qui ne se lira pas ce passage à voix haute n’y retrouvera pas ses petits… Elle est retrouvée ! quoi ? L’écriture des origines… Il faut être « fou » comme un Jaffeux pour avoir osé s’imaginer qu’un tel retour serait se situer de facto à l’extrême avant-garde de notre bel aujourd’hui.

Par Guillaume Basquin


[1] In Guillaume Basquin,  (L)ivre de papier, éd. Tinbad, 2016.

 

   

*

 

Pénètre l'intervalle

 

 

 

Entre : préposition, indique que quelque chose se situe dans l'espace qui sépare des choses ou des êtres.

Entre : 2ème personne du singulier du verbe entrer à l'impératif présent.

Voici pour ma brève introduction à propos du titre du dernier livre de Philippe Jaffeux, Entre, aux éditions Lanskine.

 

On connnaît l'auteur pour son travail formel. Denis Heudré avait produit une lecture critique pertinente à propos de son Alphabet (de A à M), parlant d'Objet Littéraire Non Identifié. Il notait également que Jaffeux écrit hasart et non hasard, orthographe reprise dans cet opus où le mot revient souvent. Beaucoup d'étymologies ont été proposées dont celle de Guillaume de Tyr, rapportée par Littré, « à savoir que le hasard est une sorte de jeu de dés, et que ce jeu fut trouvé pendant le siège d'un château de Syrie nommé Hasart, et prit le nom de cette localité. ».

On ne peut que songer au poème de Mallarmé, Un coup de dés jamais n'abolira le hasard, poème typographique qui a suscité nombre d'exégèses aussi bien quant aux espaces blancs qu'à une signification ésotérique. Toujours est-il que le livre de Jaffeux nous donne, lui, au moins son secret de fabrication en fin d'ouvrage, après le texte : « Entre est ponctué à l'aide d'une paire de dés. Les intervalles entre chaque phrase s'étendent donc entre deux et douze coups de curseur. Entre est un texte aléatoire qui est accompagné par l'empreinte de trois formes transcendantes : le cercle, le carré et le triangle. » On remarque d'emblée, ces intervalles variables, ainsi que les « trous » en quelque sorte dans le texte, sur quatre à cinq lignes, donnant à voir les figures géométriques ci-dessus évoquées. Ces contraintes formelles énoncées – part au moins aussi importante que le texte lui-même – qu'est-ce qui est dit dans la soixantaine de pages de ce dispositif ? Eh bien, je crois, ce que montre la forme elle-même : l'aléatoire et une volonté de renouveler l'écriture et le rapport à l'écriture. « Réjouissez-vous de pouvoir être détruits par un texte illisible » écrit Jaffeux (page 13). Jamais de point à la fin des phrases, l'espace variable (selon le coup de dés) et la majuscule signeront le début de la phrase suivante. Ou encore : « Il redécouvre le langage d'une liberté parce qu'il appartient à des lettres perdues » (page26). C'est bien de cette liberté, paradoxalement mise sous contraintes, fût-ce celles du hasard, qui est l'enjeu et qu'on trouvera plus dans les blancs, les lettres perdues que dans le contenu purement sémantique des phrases. « Le hasart choisit des mots qui apparaissent entre des interstices injustifiables » (page 51) : qu'on ne peut justifier (en typographie : aligner ; dans le langage courant en établir le bien fondé). Sur la même page : « Célébrons des intervalles qui rongent un idéal de l'écriture ».

Le seul message,  s'il en est un, répété rageusement, serait la célébration de la vacuité. Exemple :

 

« interagit avec un vide littéral        Des courants

d'interlignes rafraîchissent un éventail de vibrations

lisibles      Nos ombres sont au service d’un écart qui

appartient à ta lumière        Un ordinateur corrompu

se conne    cte avec la tension d'une image  Il relie

la circu          lation de mes silences à la fluidité de

vos c               ontradictions        Elles passent devant

des                     pauses qui négligent un travail de

no                        s mots            L'univers d'un

espace contemple le destin de nos illuminations 
»

 

D'autres tentatives d'abolition eurent lieu, du fond, de la forme, et de ce qu'on voudra. Jaffeux se situe dans ces extrêmes qui, s'ils n'emportent pas l'adhésion facile du grand nombre, poursuit avec cohérence – peut-être bien que ce mot-là ne lui conviendrait pas – un travail de sape, toujours nécessaire quand bien même il ne nous plairait pas.

 

« Une écriture impossible absorbe le geste d'une distance inconnue  La grâce d'un
support vole au secours d'une phrase décidée à épuiser une paire de dés  On touche la
limite d'une ponctuation qui joue avec une disparition du hasart 
»

 

Fin du livre sur ce mot fondateur, semble-t-il. Le vortex blanc des intervalles et des figures géométriques, aussi transcendantes soient-elles, l'absorbe déjà.

 

Par Jean-Christophe Belleveaux

 

*

 

Deux 

 

 

Il y a un aller- retour entre affirmation et négation, les contraires s’y côtoient comme des évidences ou des nécessités : L’intensité de nos extases et sa virtualité tragique, de même que le concret et l’abstrait cohabitent comme la joie et la douleur : L’équilibre d’un jour théâtralisé ressent l’aveuglement de sa clarté putrescible. Il y est question d’un personnage qui s’appelle IL apparaissant uniquement par sa conscience et ses pensées. Ce n’est pas un livre que l’on interprète bien que chaque phrase détachée soit sujette à réflexion, il est plutôt ressenti comme un rythme aux accords très réguliers qui lui donnent un air de tendresse, de déjà entendu mais où.

La grande utilisation du possessif à la deuxième et à la troisième personne assure une présence humaine invisible mais partout présente. Il s’agit toujours de quelque chose en cours qui préexiste avant le dire qui le rapporte. Il n’y a ni commencement ni fin. Sous ce flux de paroles, il y a beaucoup de vérités et de constatations : Nos paroles sont des images qui recouvrent une ambiance incomplète de ses perceptions. Ces possessifs créent un échange un dialogue sous-jacent qui assurent une pérennité qui laisse l’illusion d’un temps jamais défait, espèce de continuum qui est, peut-être, le véritable moteur de ce recueil : aller, aller toujours dans un présent qui nous rapproche de l’événement et du IL symbolisant les autres en une seule unité. Ce temps présent partout utilisé est une affirmation qui nie toute fuite possible. L’auteur tient le lecteur sous sa coupe mentale qui quelquefois agace notre lecture. Le livre fermé, nous l’ouvrons à nouveau.

Nos planches charpentent le paysage de notre flottaison sur les ressources d’un théâtre avorté. N’oublions pas, nous sommes au théâtre, théâtre humain où l’action n’y est pas située mais prend racine à l’extérieur dans la vraie vie. C’est un dialogue particulier où les répliques peuvent être interverties parce qu’elles ne sont pas la suite les unes des autres. Serait-ce l’impossibilité de communiquer entre les mots et l’expression de l’égoïsme ambiant et du chacun pour soi. Cependant, il existe des tentatives de présences, des ébauches à rechercher dans les profondeurs des répliques. Il existe un rapport étroit entre la parole, le mot, l’alphabet, la page, le mutisme et le silence sur lequel il faudrait se pencher dans une étude approfondie.

Tout égale tout, serait-ce l’ultime rapport, l’ultime constatation, la voix/voie royale vers l’acceptation de la vie, vers la sortie du théâtre pour aboutir au grand air de la réalité, la dépossession de toute chose, l’expression d’une égalité qui assurerait un bien- être à la manière des Epicuriens ? IL rattache le souffle de fer à celui de la mer pour renouveler l’air d’une permutation exacte. Y verrait-on l’ultime désir ?

Deux, chiffre de l’amour, du croisement, du dialogue, de l’existence de l’autre comme le laisse supposer Mondrian dans cette peinture de couverture épurée où l’essentiel y est dit d’un simple regard. Le livre fermé, j’éprouve la même sensation par- delà les 230 pages comprenant 1222 dialogues par des personnages nommés N°1 et N°2. Il me semble que ce recueil ne contient qu’une seule phrase à variantes inlassablement répétées s’approfondissant vers une certaine tranquillité qui exclut le doute par la pudeur d’une expression qui garde la mesure juste des propos et qui nous interpelle plus par la pensée que par l’émotion.

 

Par Jean-Marie Corbusier 

 

*

 

 

 

 

 




Sur Écrit parlé (entretien avec Béatrice Machet), de Philippe Jaffeux

 

 

Après ce monument d’expérimentations avec la mallarméenne page blanche que fut Alphabet[1], Philippe Jaffeux nous devait bien quelques éclaircissements ; les voici dans un entretien écrit (c’est-à-dire retranscrit, puisque désormais, et ce n’est plus un secret de le dévoiler, diminué physiquement par une maladie qui s’appelle la sclérose en plaques, le poète dicte tous ses textes à un dictaphone numérique) qui est à son chef-d’œuvre – « état inédit de l’écriture[2] » – ce que fut Explications[3] de Pierre Guyotat à l’immense et incongru Progénitures[4].

Jaffeux est adepte des philosophies orientales : il le montrait/prouvait dans ses longs poèmes (par exemple, dans Autres courants : « Le chant d’un interstice vital se module sur le processus de formation d’un silence en devenir. ») ; il le dit ici : « La pensée orientale m’aide ainsi à réintégrer l’électricité dans mon souffle. À l’image du Yi-King, mes courants tentent d’être soutenus par un couple de forces électriques, c’est-à-dire par des polarités opposées qui fusionnent en vue de dépasser la conscience dualiste. » Ying / Yang / 1 + 1 supérieur, strictement, à 2. (« On est quatre », se réjouissait Joyce…) Le Yi-King est le livre par excellence des changements et des mutations : « Si le Yi-King est l’ancêtre des ordinateurs et de la technologie binaire, il s’élève néanmoins au-dessus de ces machines car il sait refléter un mouvement (mutations, changements, transformations) et accueillir la puissance du hasart» (C’est moi qui souligne.) Voilà le maître mot de la pensée (oui, parfois, la poésie pense) poétique de Jaffeux : « hasart », avec ce t penché en avant à la recherche de l’inconnu et du bonheur scriptural. La pensée de la poésie de Jaffeux prend forme grâce à des « associations accidentelles de mots[5] » qui doivent tout à l’éveil et à la présence au monde du corps du poète : « À l’instar de mon corps, mes textes sont traversés par une multitude incontrôlable de courants électriques qui sont à l’origine de mes pensées, de mes paroles et de mes actes. Je peux écrire ou agir lorsque mon esprit devient indissociable de mon corps et que celui-ci instaure une expérience avec le temps présent afin que je fasse un avec mes textes. » Praxis taoïste s’il en est… Jaffeux est un écrivain chinois, c’est-à-dire un peintre (car tout comme Guyotat se définit lui-même « artiste » et non « homme de lettres », on peut aisément qualifier Jaffeux d’« artiste du langage » ; ses écrits le prouvent à la simple vision ; d’ailleurs il le revendique ici : « Je découpe mes phrases pour monter mes mots comme les images d’un film ; mes textes tentent de retranscrire la mobilité cinématographique d’une prolifération de vocables. » Toutes tentatives réussies, comme vous allez le voir, par exemple, ici : « Ses bandes de lettres étaient mises en case par un dessin car il écrivait dans des bulles rectangulaires[6]. »). Pour preuve, Jaffeux déclare souhaiter abolir la distinction mortifère entre l’image et la lettre ; pour ce faire il se souvient des scribes égyptiens : « Si les premiers systèmes d’écriture sont passés de l’image à la lettre, Alphabet organise plutôt un glissement de l’écriture vers l’image » : le passé est l’avenir des modernes !

Après la lecture de cet entretien, on peut dire de Jaffeux qu’il est un grand moderne (l’un des derniers ?) ; il a intériorisé tous les acquis de la modernité, en particulier ceux de la « révolution poétique[7] » – soit l’axe Rimbaud-Lautréamont-Mallarmé –, et il le dit : « Le livre alors s’invente plutôt que je ne l’invente » (Rimbaud et son célèbre « je est un autre ») ; « J’essaye d’être agi par des formes impersonnelles et déformables » (Lautréamont et sa « poésie qui doit être faite par tous », la poésie personnelle ayant « fait son temps de jongleries relatives et de contorsions contingentes etc. ») ; « Alphabet rejoint la poésie spatiale ou numérique car le principal objectif de ces 390 pages est d’être visibles autant que lisibles. À ce propos, la seule lecture qui m’ait totalement bouleversé est celle de Mallarmé évoquant le rapport entre les lettres, l’écriture et les images. » (Qui aurait pu en douter ?) Il a même fait siens les acquis du grand cinéma moderne, exemplairement celui d’Abbas Kiarostami : « C’est le spectateur qui finit le film. » Tel est bien le sens de ses presque dernières paroles dans cet opus : « l’interprétation […] d’un éventuel lecteur » sera « toujours plus utile » que son « discours sur [ses] livres », lequel « risquerait de prévaloir sur leur contenu ». Idée renforcée par cette autre déclaration, quelques page plus tôt : « Mes livres resteront à jamais inachevés, incomplets, non résolus parce que ce sera toujours au lecteur, l’autre auteur, de finir de les écrire en les lisant. »

Pour finir, on ne doit pas s’étonner que Jaffeux semble croire à la théorie de la métempsychose (« notre énergie, notre âme peut transmigrer dans de nouveaux corps après notre mort ») — puisqu’il saute à nos yeux non aveugles que l’âme de Mallarmé s’est (peut-être) bien réfugiée dans le corps et l’âme de Jaffeux-écrivain.



[1] Éd. Passages d’encre, 2015.

[2] In Autres courants, éd. Atelier de l’agneau, 2015.

[3] Éd. Léo Scheer, 2000.

[4] Éd. Gallimard, 2000.

[5] Deux exemples, parmi cent autres, dans Autres courants, op. cit. : « Il s’attaqua à un moutonnement d’interlignes et sa page fut sauvée par le pelage d’un loup gris » ; « La parole est un élément qui prend souvent feu dans l’air parce qu’elle coule comme de l’eau sur la terre ». 

[6] In Autres courants, op. cit.

[7] Voir en particulier Julia Kristeva, La Révolution du langage poétique, Le Seuil, coll. « Tel Quel », 1974.

 




Philippe Jaffeux, Autres courants

S’agit-il d’une suite offerte aux Courants Blancs ? A y regarder de près, nous pourrions le supposer, car en effet divers indices invitent à imaginer à tout le moins une filiation sémantique avec ce qui a précédé les Autres courants.

A commencer par le titre et la reprise du substantif, qui met à l’honneur l’immanence d’une énergie créatrice. Mais il y a également la couverture, identique pour les deux recueils, qui propose une déclinaison de la même illustration l’une en négatif de l’autre : éclair crème sur fond bleu nuit pour le premier, éclair noir sur fond crème pour le second. Même typographie, même format, même nombre de pages…Ainsi le lecteur se place dés l’abord dans l’attente d’une continuité. Existerait-il une réponse aux interrogations rhétoriques énoncées au premier volume, un endroit où être en équilibre entre l’imperceptible irrésolu de l’univers et le monde palpable ? L’impossible élément de résolution aurait-il été l’élément déclencheur de l’écriture ? A feuilleter Autres courants la disposition à la page décline le tracé de phrases qui assure là encore le lien avec les premiers Courants, et invite à suivre Philippe Jaffeux aux chemins d’aphorismes qui posent à nouveau la question de la posture existentielle de l’être face au réel et de sa possible place comme énonciateur, récepteur et destinataire d’une parole dont l’auteur ne cesse de remettre en question la capacité à assurer une communication efficiente. Réflexion sur le lien entre la parole volatile et sonore et sa trace écrite, et sur cette question fondamentale qui est de tenter de cerner la scission entre les deux types d’usages du discours.

 

Autres courants Philippe Jaffeux Editions Atelier de l’agneau, 16 euros

Philippe Jaffeux, Autres courants, Ateliers de l’agneau, Saint-Quentin-de-Caplong, 2015, 74 pages, 16 euros.

Ainsi la toute première phrase propose dés le seuil de l’ouvrage une lecture réflexive sur l’acte d’écrire. Car il s’agit bien de texte, de mots dictés mais unis en un ensemble signifiant inscrit sur des pages réunies et qui constituent une globalité servie par un paratexte signifiant. Ici donc parler la langue ne constitue que les prémisses de son dépôt matériel et visible à la page. S’énonce alors la surprise du sens, celui qui échappe, et qui constitue ni plus ni moins que la littérature.

Sa patience était opportune depuis que les mots étaient toujours là où il ne les attendait pas.

Et cette thématique se décline en métaphores et allégories, en épaisseur et comme fil conducteur des phrases qui s ‘essaiment dans un rythme cadencé et binaire. Alors à nouveau nous voici emportés dans l’univers de Philippe Jaffeux, celui du ressassement, de la circularité, et d’une écriture servie par un langage clos, c’est à dire dépourvu de toute fonction référentielle, si ce n’est celle de sa réflexivité sur lui-même. A ce titre la dédicace fait sens :

A la mémoire de ma mère,
Rosamund Jaffeux

Quoi d’autre que cette fonction maternelle peut le plus magnifiquement symboliser cette circularité, ce ressassement au cercle d’un langage clos sur lui-même. A ce titre, la réitération de substantifs tels que « cercle », « rond », « sphère », ainsi que champ lexical de la circularité jalonnent l’intégralité des pages du recueil :

Un cercle éclipsa sa page rectangulaire et ses yeux ronds furent illuminés par un cercle bombé.  (15)

Un interlignage céleste tombe entre des phrases éphémères afin de révéler la simplicité d’un vide horizontal..  (27)

L’inexistence inutile d’une boulle nulle arrondit une sphère qui encercle l’insignifiance d’un rond vide  (p. 69)

Le ventre maternel, cet endroit de l’avant langage, cet univers clos où, avant de devenir énonciateur construit à l’identité, l’enfant ne perçoit que la musique et la sonorité des paroles. Les aphorismes s’égrainent sur un rythme binaire qui reproduit le balancement syncopé du mouvement du fœtus, avant sa naissance, bercé par la marche de sa mère. Des structures phrastiques de la récurrence dessinent un paysage syntaxique où l’anaphore côtoie des figures de répétition telle que la métaphore filée. Et les dispositifs sémantiques reprennent des topos et des champs lexicaux qui s’inscrivent les uns après les autres au fil des pages suivant un rythme que rien ne vient rompre, car aucune scission en chapitres ni en paragraphes ne distingue de partie ni ne vient scinder les propos.

Ainsi circularité et ressassement représentent la structure constitutive des Autres courants, et sont assurés par des dispositifs syntaxiques et sémantiques qui créent un univers référentiel clos. Le rythme sur lequel s’enchaînent les litanies se veut métaphore des perceptions intra-utérines. Et à ce titre la déclinaison lexicale de l’univers sémantique dessiné par l’auteur vient confirmer cette référence à la fonction maternelle et, de fait, à « l’avant langage ».

Et c’est bien de cela dont il s’agit : aller au-delà du signe, passer à travers, mettre fin à sa dépendance au sens qui confère à sa dimension communicationnelle une impossibilité foncière, parce qu’utilisée, la langue est exsangue de son ipséité, et que c’est là, à cette source première, que réside sa puissance. Philippe Jaffeux emploi le langage de manière inédite. Son utilisation hors de la fonction référentielle crée des isotopies qui assument un ancrage référentiel grâce à la répétition des occurrences, mais qui crée de plus en plus d’implicite. Car ici en effet les signes ne convoquent rien qui fasse appel à une identification à une expérience personnelle, à des éléments factitifs, et tout lyrisme est banni du discours. L’emploi du pronom personnel de la troisième personne du singulier met à distance l’énonciateur et opère une réflexivité des assertions. Il s’agit donc d’un dispositif syntaxico-sémantique qui déclenche un recours au texte comme unique espace de signifiance. Nous assistons à la fabrication d’une langue qui s’énonce à partir de sa propre substance, de sa singularité. Sa déclinaison façonne le tissu de sa propre fabrication.

Alors il est bien légitime d’affirmer que Philippe Jaffeux tente l’escalade : inventer un nouveau langage, celui de l’énergie, une écriture de l’oralité, mais inédite, parce qu’écriture de la parole avant la parole, à la source de sa propre naissance, tout comme l’enfant arrive au monde hors du langage dans la compréhension des énergies de l’univers. Mais n’est-ce pas là la profondeur habitée par tout artiste lorsqu’il retranscrit les universaux entreposés dans une dimension hors de toute temporalité et de tout ancrage anecdotique ? Il semble alors légitime d’invoquer la puissance du mantra, cet assemblage de phonèmes qui convoque une puissance salvatrice, cette langue hors référence au langage qui s’adresse au corps. Et, nous le savons, Philippe Jaffeux écrit aussi avec et par son corps, à partir de son corps, dans l’énergie de son corps, en faisant corps avec la machine, autre univers clos, rond, binaire. Le lexique sert une parole qui double son caractère sémantique et ses impératifs syntaxiques d’une portée orale, sonore. Le lexème devient l’unité phonologique. L’auteur insère l’oralité de la langue sous la puissance de l’écrit, et fait du langage un mantra dévolu à l’incantation d’une litanie universelle.

Avec Autres courants Philippe Jaffeux poursuit donc son cheminement à l’édification d’une langue inédite. La circularité énoncée et structurelle se veut matrice à l’alignement de mots dévolus à l’établissement de signes dont le sens se double d’une puissance tantrique, tant il est vrai que le ressassement et la clôture sémantique ne sont pas symbole d’enfermement mais représentent le ferment de la naissance dune possibilité de révéler la toute puissance de la langue, celle qui, lorsque le miracle survient, invente la littérature.

Présentation de l’auteur

Philippe Jaffeux

Philippe Jaffeux habite Toulon. L'Atelier de l’Agneau éditeur a édité la lettre O L’AN / ainsi que courants blancs et autres courants.

Les éditions Passage d’encres ont publié N L’E N IEMeALPHABET de A à M et Ecrit parlé. Les éditions Lanskine ont publié Entre et GlissementsDeux a été édité par les éditions Tinbad et 26 Tours par les éditions Plaine Page. Nombreuses publications en revues et en ligne .

Philippe Jaffeux

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Des mots récurrents se partagent le recueil : pages, alphabet, lettres, interlignes, interlignage, ordinateur et soulignent l’approfondissement d’une pensée qui ne se veut jamais définitive.

Philippe Jaffeux n’hésite pas à mettre en cause l’écriture même en affirmant qu’elle ment, tout en reconnaissant que l’ordinateur est parfois d’un certain secours : Il perdit le contrôle d’un alphabet émotif et fut pris en main par le clavier d’un ordinateur froid. Nous sommes récupérés, l’écart, le manque peuvent être codifiés, ou bien soumis au hasard : L’alphabet souffle souvent dans la direction du vent qui se plie sous le poids d’un sens imprévisible. L’auteur relie souvent ce qu’on oublie de lier par volonté ou par ignorance : Les lettres se répondaient en écho parce qu’elles étaient perçues par une écriture questionnée.

Autres courants Philippe Jaffeux Editions Atelier de l’agneau, 16 euros

Autres courants, Philippe Jaffeux Editions Atelier de l’agneau, 16 euros

 Le fondement de l’écriture ne serait-il pas l’idée mise à jour dans tous ses sens possibles, sans prise de position restrictive : une ouverture sur le monde. Il y a, peut-être, une plus grande unité entre les choses qu’il n’y paraît. Un monde un et unique, multi sens où les contraires cohabitent à se faire exister. L’interlignage, lieu de la séparation, devient moteur : Un interlignage nécessaire s’unissait à ses paroles vides pour donner un sens à l’inutilité   d’un air invisible. Ce sont des paroles nettes sans détour appuyées par un rythme qui est une espèce de déclamation affirmation. Quelquefois, il y a surchauffe des lettres qui s’accrochent l’une à l’autre pour former un seul mot comme si le sens voulait aller plus vite pour s’exprimer et ainsi supprimer les intervalles. Philippe Jaffeux interroge tous les supports d’écriture.

L’alphabet joue un rôle central, liant les choses dans un univers composé, agencé, construit. La densité des mots crée une métaphore de tout un vocabulaire usuel qui nous projette hors de nous. Une force nous échappe, celle du réel perçu dans d’autres proportions, des idées, des images jamais imaginées jusqu’à là. Univers exploré à partir de n’importe quel point de vue, à partir d’un certain nombre de mots de base qui se répondent de page en page, et pas seulement, mais comme écho d’eux-mêmes appelant d’autres échos. Inséré dans l’espace et le temps du quotidien, le lecteur se dédouble : lui et non lui, là et pas là. Ce qui est déconstruit n’est pas la phrase mais notre regard mental. C’est ici que surgissent l’inquiétude, le doute de notre pensée. Nous voilà bousculés comme si la langue ne nous aidait plus, comme si nous étions seuls face à un monde néanmoins connu dont les repères auraient changé,  même légèrement. Et cependant tout reste net, précis, affirmé dans sa présence, ce qui augmente notre malaise. L’auteur nous oblige à relire ses phrases où le doute généralement ne survient que par un seul mot dérangeant l’ensemble.

Philippe Jaffeux nous retient et nous dit : pas si vite mon gaillard, tu dois payer le passage. Le poète réclame son obole, c’est-à-dire la lecture attentive de ses phrases, leur relecture. Il met en évidence le mystère de la pensée, malgré nos moyens techniques dont le premier est l’alphabet dont toute connaissance est issue. La science repose sur l’alphabet et l’écriture relie tout à tout, avec aujourd’hui l’existence de l’ordinateur. Dans la fausse ordonnance du monde, Philippe Jaffeux met un grain de sable, bloque le système, met la sécurité mentale en doute et cependant ses phrases sonnent comme des certitudes. Et si nous pensions autrement, car c’est ce qui nous est proposé : réfléchir. Il ne nous laisse pas de répit, jusqu’à parfois nous brouiller avec la pensée elle-même. La parole est éphémère et chaotique, l’écriture précaire et le travail du poète est celui d’un faussaire. Nous disposons de peu de moyens pour appréhender le réel et mettre en avant la raison dans ces phrases écrites au passé, pour la plupart, mais tellement présentes.

Courants blancs, autres courants, courants froids qui traversent ces recueils où toute la part de sentimentalité ne trouve que peu de refuge au profit de pensées comme si la seule rationalité s’imposait. Nous sommes plus dans un monde abstrait, un monde à conquérir où Philippe Jaffeux nous présente des évidences qui peut-être ne sont que des doutes camouflés, voire des évidences retournées contre elles-mêmes. Ces recueils reflètent nos sociétés plus aux prises avec la volonté de survie plutôt que l’acceptation d’un destin. Conquérir, se conquérir trouvent reflets dans ces phrases, qui paradoxalement appellent à une révolte, à un retour sur ce qui est (voir le rôle joué par les mots en opposition qui dynamisent un mouvement de va-et-vient qui les dépasse). Le passé de l’univers descendit dans son corps lorsqu’il s’éleva au-dessus de son égo sans avenir. Il y a une espèce de mouvement pendulaire qui régule chaque phrase en liaison avec l’ensemble et qui en assure la sérénité.  En lisant autres courants, je ne peux m’empêcher de les relier au tic tac de l’horloge de parquet qui divise et soude le temps, qui installe dans l’espace le bien-être de l’écoute, la pérennité du monde  en mouvement.

Cependant dans les trois ou quatre dernières pages du recueil, j’y ressens comme un léger changement de cap, où la présence humaine dans ce qu’elle manifeste de sensibilité, d’émotion revient au travers des larmes, des mains, de la nature de la voix, de la peur de parler : chaque voix possédait son regard car il appartenait à un silence qui ne provenait pas de sa parole. Philippe Jaffeux lancerait-il sa parole ailleurs pour nous réserver d ‘autres surprises ?                                                                                                                      

Présentation de l’auteur

Philippe Jaffeux

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Philippe Jaffeux

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A contrario, le même livre, un pavé de près de deux kilos, au format 21x29,7 pourrait faire fuir. Mais ce nouvel Objet Littéraire Non Identifié mérite vraiment les hommages qu'il reçoit un peu partout.

Philippe Jaffeux, qui affirmait « Le propre de l'homme est de se salir au contact d'une parole transparente »((Extrait de Courants 505 : le vide (revue ficelle) )) n'hésite pas à nous nettoyer l'esprit avec toute l'encre des manques, interstices et pages blanches. Revenir aux fondements non pas de la langue mais de la civilisation : l'alphabet (mais qui du chiffre ou de la lettre fut le premier?), et y tenter la fission avec les nombres. Une nouvelle forme de poésie géo[poé]métrique non affiliée à l'Oulipo mais bigrement assistée par les ordinateurs et les mathématiques.

Philippe Jaffeux, Alphabet (de A à M), éditions PASSAGE D’ENCRES / TRACE(S), 2014, Moulin de Quilio - 56310 Guern. 394 p. 30 € + 6 € de frais d’envoi

Philippe Jaffeux, Alphabet (de A à M), éditions PASSAGE D’ENCRES / TRACE(S), 2014, Moulin de Quilio - 56310 Guern, 394 p., 30 € + 6 € de frais d’envoi

Puisque selon l'AdAge tout commence en chansons, 390 pages d'un « assemblage de mots surnaturels » pour soigner sa « fureur numérique », de la lettre A à M, avec à chaque fois des règles d'écriture, de typographie et de nombres différentes. Et quelles règles ! Exemple :

-Notes : La lettre F, intitulée «Lettre ! », présente 26 lignes sur chacune des 26 pages. La page A compte exactement 26 lettres A et ainsi de suite jusqu’à la page Z qui contient 26 lettres Z. La mise en italique de la

pagination s’accorde avec celle des 676 lettres comptées. La dernière phrase se termine par deux points qui annoncent la lettre G.

-Précisions : La pagination est absente sur la dernière page de F. La 26ième ligne de la page X récapitule 538 points d’exclamation. 26 espaces de curseur sur la 20ième ligne de la page Y.

Allez voir, vous comprendrez mieux...

Jaffeux s'adonne donc pour notre plaisir à la gymnastique des hasards (il préfère l'écrire « hasart ») et des mathématiques (où j'apprends que le carré de 26 (soit alphabet²) fait 676, que 26 au cube fait 17576 et que des mots peuvent aussi s'élever en exposants). Il rédige ainsi des milliers d'aphorismes (qu'il faudra bien un jour qualifier de jaffeurismes) qu'il ordonnance de façon très subtile sous différentes formes d'expérimentations divagatoires de destruction/création. Mais ordonnancement, ordinateurs, ordre certes, mais ce n'est que pour mieux proposer de lire ce recueil dans le désordre.

Dans cette avalanche délicieuse d'alphabets (« alphabet vertigineux » dans un « cycle hypnotique ») et d'écritures automatiques sorties d'on ne sait quel ordinateur cérébral hyperlogorrhéique, le lecteur est comme aspiré dans une spirale inconnue transpirante et jubilatoire. Un espace où l'on perdrait pied sans perdre la tête. Une tourneboulangue qui apporte une forme d'ivresse à qui se laisse entraîner. Une plongée en hauteur dans les étoilphabets de l'espace intime entre les mots. Des énoncés innocents pour écrire l'imprononcé de la page blanche et des formes.

P.Jaffeux dicte ses textes au dictaphone et par le miracle de l'électronique, le son de sa voix attrapée est transformé en textes écrits, (en « tissus d'octets rapiécés ») mis en forme en carré (rappel de la disquette informatique) ou bien en rond (du CD-Rom) comme pour rechercher une certaine quadrature littéraire du cercle... Les textes sont mobiles également et descendent parfois dans la page. Et quand Jaffeux joue de la mécanique de la ponctuation, il y a beaucoup d'inventivité dans ces points et ces virgules là. Mais l'aspect graphique n'est pas l'essentiel même si « l'alibi de la page déterritoralisée » est très important dans le travail de Philippe Jaffeux.

Venir à bout de cet Alphabet prend du temps, à ceux qui n'en ont pas mais en redonne à ceux qui viennent y picorer. Parfois le mouvement narratif de cet ouvrage est un peu froid (quand les ordinateurs chauffent trop) mais Jaffeux a su sortir de l’exiguïté des abécédaires pour donner de l'air à sa production poétique. Ce voyage en alphabet est un voyage kaléidoscopique entre les mots, entre les vides et les pages blanches (« semant la récolte d'un vide.. »). Un chaud et froid salutaire sur nos habitudes de lecture.

Je ne sais pas s'il faut tout lire de ce livre, mais je suis certain qu'il faut tout dévorer, y compris les espaces et la ponctuation. Et nul doute que ceux, qui comme Philippe Jaffeux respirent « à l'aide d'un dictionnaire » aurons hâte de découvrir la suite (N et O déjà publiés).

 

Présentation de l’auteur

Philippe Jaffeux

Philippe Jaffeux habite Toulon. L'Atelier de l’Agneau éditeur a édité la lettre O L’AN / ainsi que courants blancs et autres courants.

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Philippe Jaffeux

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Philippe Jaffeux, Courants blancs

Chaque phrase se détache de l’ensemble et chaque phrase se détache d’elle-même pour venir nous interroger parce qu’elle est toujours double. Il faut que la première partie trouve sa justification en la seconde. Et pourtant entre chaque partie de la phrase, il y a hiatus, opposition dans un tout vraisemblable, uni et qui coule par lui-même.

Prisonnier d’une tour, nous regardons par la lorgnette, toute la vie est là dans l’étroitesse de l’ouverture. Les phrases, comme des flèches, décrivent un paysage et l’étalent devant nous. Ce sont des murs épais de mots que nous traversons. Toutes ces phrases écrites à la troisième personne, provoquent un détachement, un regard sur le monde qui reste à distance.

 

Courants blancs Philippe Jaffeux Atelier de l’agneau, 16 €

Courants blancs, Philippe Jaffeux Atelier de l’agneau, 16 €

Philippe Jaffeux tient la mesure par un double balancement qui du plus au moins, de l’abstrait au concret des mots, des actions opposées ou concomitantes, rétablit l’équilibre. Toute phrase tend au zéro, à sa mise en évidence puis à sa disparition. Il faut alors passer à la suivante qui imite la précédente et ainsi de suite pendant 70 pages ininterrompues. Passé et futur se projettent dans un présent pour s’affirmer dans une scansion douce mais ferme. Il y a de l’interminable chez Philippe Jaffeux. C’est une association du réel parfois légèrement fantastique dans une écriture toujours pareille à elle-même. Solidité, force, équilibre entraînent le lecteur dans un tourbillon dont il ne se détache plus.

Une phrase par ligne, un même nombre de phrases par page forment un bloc, une densité qui assure au recueil une renaissance permanente, un espoir.

Toutes les fins du monde avortèrent car il renaissait au contact d’un espoir cosmique nous dit la dernière ligne de Courants blancs.

N’est-ce pas une manière d’accéder au vide : … des lettres qui n’avaient pas de début ni de fin et d’assurer une présence permanente et partout ?

L’auteur nous interroge, nos repères personnels sont modifiés jusqu’à notre logique. Il nous faut reconstruire une pensée, tourner le monde d’une autre manière. Il secoue le présent car causes et conséquences ne s’ordonnent plus comme une pensée traditionnelle. Il faut lâcher un peu de notre culture pour pénétrer l’œuvre qui a toujours tendance à se retirer avant de se livrer pleinement. Pas d’ornement, les mots donnent leur sens et par là même, leur nécessité de dire. Chaque point de ponctuation s’ouvre sur un silence, un arrêt qui est le prolongement de la phrase et cependant c’est l’absence que l’on entend. Il y a impossibilité à enchaîner les phrases les unes aux autres, bien que l’un soit dans le multiple et vice-versa. Et chaque phrase nous aspire dans un labyrinthe dont la sortie est devant nous parce que par ce labyrinthe c’est nous que Philippe Jaffeux dévoile et puis  nous en expulse si nous en avons perçu le sens.

L’auteur ouvre le monde au couteau d’un souffle profond. L’amande est là qui rayonne. Attendons encore avant de la poser sur notre langue. Tout n’est pas dit et ne le sera jamais. Il y a toutes ces pages qui en témoignent comme une masse, un dire qui s’accumule en expansion. Philippe Jaffeux souffle sur les braises tant qu’il peut car pour le lecteur attentif le feu reprend toujours ligne après ligne. Il joint l’horizontalité à la verticalité car c’est notre humaine condition.

Il s’agit d’un labourage profond par des sillons extrêmement droits qui par des allers retours font germer dans l’esprit un présent métaphysique où surgissent des courants blancs pareils à des éclairs comme ceux tracés sur la page de couverture avec un tronc central et de nombreuses ramifications dans lesquelles chaque lecture suscite un sens nouveau.

Philippe Jaffeux se serre au plus près de son écriture par un ordre, une discipline qu’il ne lâche jamais parce que sa méthode répétitive fait de ses paradoxes un orage qui devient spirale qui tourne et monte.

Il se protégeait du soleil avec une page qui reflétait son angoisse d’homme blanc.
Il pensa de la meilleure façon dès qu’il eut le courage de se taire pour douter de sa parole.
Il abandonnait les artifices d’une écriture lointaine pour se rapprocher d’un alphabet fidèle.

Il ne triche pas, il se rapproche d’une perfection qui est le monde dans son extrême réalité.

Il éclipsa l’écriture à l’instant où une lumière cosmique découvrit la face cachée de sa page.
Les mots sont perdus s’ils se détachent des lettres dans le but de retrouver une partie invisible.

C’est à un au-delà des mots que nous assistons. Ici, la poésie ne vient pas du quotidien, elle y va, débarrassée des superflus, des jolités, le tout dans une langue bien équilibrée, charpentée, rythmée, car il y a une belle musique (qui me fait penser à Bach) qui tire ses origines d’un langage classique. Il y a beaucoup d’aphorismes tout en douceur, de vérités de vie, qui mine de rien, s’imposent.

Difficile, peut-être, la première fois d’aborder un livre de Philippe Jaffeux. Il rebute un peu mais des lectures répétées permettent de comprendre la profondeur de sa pensée et sa justesse car la contradiction que contient la phrase est son unité. Il y a de l’intelligence aux aguets, une sensibilité aigüe qui nous apprennent l’humilité, la vie allégée et nous proposent une ligne de conduite.

Il écrivait avec des lettres imaginaires car sa parole était trop réelle pour être retranscrite.

Présentation de l’auteur

Philippe Jaffeux

Philippe Jaffeux habite Toulon. L'Atelier de l’Agneau éditeur a édité la lettre O L’AN / ainsi que courants blancs et autres courants.

Les éditions Passage d’encres ont publié N L’E N IEMeALPHABET de A à M et Ecrit parlé. Les éditions Lanskine ont publié Entre et GlissementsDeux a été édité par les éditions Tinbad et 26 Tours par les éditions Plaine Page. Nombreuses publications en revues et en ligne .

Philippe Jaffeux

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