Autour des éditions L’Herbe qui Tremble : Philippe Mathy, Derrière les maisons, Judith Chavanne, De mémoire et de vent

Philippe Mathy, Derrière les maisons

 Ce livre est composé de six parties, chacune précédée d'une citation en exergue — toutes sont très belles. La première, à mon sens, éclaire toute l'ambition du livre :

(…) : combien une humble chose
peut donner de plaisir, combien peu
suffit, en ce monde si dur,
pour satisfaire l'esprit
et lui apporter le repos.

                                      Wendell Berry

Voilà qui est clair, simplement énoncé. Et le propos de l'auteur est bien, de son Printemps jardinier, titre de la première partie, jusqu'à ces Quelques soirs, la partie finale, de vouloir partager des instants de peu, d'insignifiance pourrait-on dire et de représenter l'esprit contemplatif qui leur restitue leur véritable importance, en les magnifiant par le poème. Pour ce faire, Philippe Mathy, demeure dans la simplicité de l'expression et du vocabulaire, ce qui semble le meilleur parti pris — on songe à la beauté du haïku qui, dans la modestie de ses dix-sept syllabes, peut nous émerveiller par son pouvoir d'évocation.

Quelques moments du livre atteignent cette perfection :

semer
devenir source
en offrant l'eau de l'arrosoir
se mettre à genoux
comme un retour à l'enfance
les prières au pied du lit

Philippe Mathy, Derrière les maisons, Éditions L'herbe qui tremble, 2023, 128 pages, 16 €.

 

 

 Parfois, ce sont deux vers très courts, proches du zen, qui retiennent l'attention :

Ton présent
tient debout

Ou bien une strophe (personnellement, j'aurais clos le poème là, la suite me paraît un gentil bavardage) :

Un peu de linge sur le fil
La route avance très sûre d'elle
Vol noir d'un oiseau sur le ciel bleu

On a bien compris que l'auteur aime Se concentrer / dans la joie singulière / d'être simplement là // hors de soi / dans un monde immobile / figé par sa propre beauté. La difficulté est de transmettre par les mots cette joie singulière; ce sont sans aucun doute les poèmes les plus ardus à réussir, ceux qui disent la joie et les éléments qui la génèrent. Le danger est grand d'être tartignole. Désolé de classer dans cette dernière catégorie une strophe comme celle-ci : Sentier pour quitter le village / loin des jolies roses / trop encloses dans nos jardins

Je m'autorise un autre reproche à Philippe Mathy : employer des images éculées (la rouille de l'automne) voire dignes de figurer sur le classeur d'un adolescent : Les étoiles sont si belles / qu'elles ressemblent à des larmes

Et quand l'auteur place en exergue d'une partie de son livre (Pêcheur immobile) la citation suivante, de François Jacquin : Lorsque la sagesse se rapproche de l'ordinaire, on respire aussi bien au large d'un caillou que devant l'océan. On peut s'arrêter partout, et se sentir au bord du lointain. Je ne peux qu'acquiescer. Pour autant, un poème d'une fausse profondeur est-il nécessaire ?

Au poisson qui travaille
à rester immobile
dans le courant
je demande

Qui voyage ?
Est-ce toi ?
Est-ce l'eau
qui fuit sur tes flancs ?

Toute lecture est subjective, on devine que je n'ai pas été parfaitement comblé par celle-là. Néanmoins, je souhaite le meilleur à Philippe Mathy dans sa quête quotidienne de la beauté et de la joie. Car :

Si transparent
le passage du vent

J'y entre en ignorant
les murs de la raison

Je cherche
la couleur d'une voix

Une musique accordée
à l'intime du silence

 

Judith Chavanne, De mémoire et de vent

Ce livre s'est vu décerner le Prix international de poésie francophone Yvan-Goll 2023. Quatre peintures, dont celle de couverture, sont dues à Caroline François-Rubino, dont l’œuvre s'attache avec délicatesse à une vision intime de l'espace et de la lumière qui correspond parfaitement à l'atmosphère éthérée du recueil de Judith Chavanne.

Le livre est composé de cinq parties : LES ÉPHÉMÈRES, TOUT L'INASSOUVI, TROUBLE DU TEMPS, QUELQUE CHOSE DE FERVENT, ACCORDS ET SAISONS. La troisième partie aurait d'ailleurs pu donner son titre à l'ensemble, tant il s'agit en effet de temps : celui du passé (mémoire, nostalgie) et celui irrémédiable qui nous emporte loin de ce qui fut, nous vieillit, nous laisse dans la présence de fantômes.

Comme nous qui nous mirons en nos jours,
en nos vies, la lumière fléchit :
la nuit qui vient, humide,
est-elle d'un autre soir ou d'aujourd'hui ?

 

Judith Chavanne, De mémoire et de vent, Éditions L'herbe qui tremble, 2023, 84 pages, 15 €.

Constat tout en finesse de l'impermanence :

On voit s'ouvrir dans la chaleur
les iris fragiles,
les éphémères véritables
du règne floral. 

[…]

On les voit dans l'éclosion
qui épanouissent
déjà leur adieu.

Le jardin, avec ses arbres et ses fleurs est constamment évoqué, mais aussi l'enfance, la sienne propre sans doute à travers celle, dans le tendre souvenir inquiet, de sa propre  progéniture, grandie, en allée.

L'enfant ne me prend plus par la main,
elle m'a laissée au bord du temps
et du souvenir recueilli
au hasard du monde, dans un fruit.

Trois des cinq parties du livre se concluent par un long poème en italiques, comme pour souligner l'évanescence. À chaque fois, apparaît la figure de la rose, ce symbole de la beauté, de la naissance autant que de la fragilité et de la disparition. On songe à la chanson : On est bien peu de chose / Et mon amie la rose / Me l'a dit ce matin / À l'aurore je suis née / Baptisée de rosée / Je me suis épanouie / Heureuse et amoureuse / Aux rayons du soleil / Me suis fermée la nuit / Me suis réveillée vieille. Référence à Ronsard bien sûr.

Rose. D'une si grande élégance, dont les pétales se colorent subtilement, du jaune au blanc à l'incarnat. Qui attire le regard — et la convoitise.

[…]

Un matin pourtant il n'y a rien ; on le sait sans l'avoir encore vu.  
Quand le regard ne se pose plus sur rien, qu'est-ce qui nous est ôté ? Quand il n'y a qu'un vide au-dessus de la tige déchirée ?

 Mais aussi :

D'où vient parfois notre seule espérance ?
Un petit pied de rosier et sa fleur rouge intense.

 Et encore :

La rose unique et neuve sur le rosier, au-dessus des sépales desséchés : elle rafraîchit la vue, et toute la vie, en cet instant sur elle s'est posé.

L'ensemble du livre est empreint de mélancolie, Tant de voix se sont tues ! quand bien même point çà et là une petite célébration : L'oiseau honore de son passage / le carré de ciel devant la fenêtre / qui me compose un jardin aérien ; // un doux sourire / (malgré décembre éteint, immobile), / de reconnaissance […]

C'est une écriture qui dit principalement la perte, la solitude, mais une solitude méditative qui s'essaie à une présence au monde, voire à la joie et à l'apaisement qui en découlent.

L'amie sans doute ne pense pas à moi,
peut-être n'y pense plus,
l'enfant, qui n'est plus un enfant, et vit
au rythme frémissant de ses désirs
rejoint rarement
le temps un peu dénudé où je me tiens.

L'instant pourtant respire,
mon cœur se nourrit
des pensées que je destine,
il a l'ampleur et l'étoffe un peu rebondie
des petits corps colorés d'oiseaux
— piverts, geais et mésanges — qui,
le temps d'une halte, émaillent les jardins.

 Le silence n'est pas creux.

Et, cette note ô combien salvatrice, sur laquelle j'aimerais terminer :

Au fond de soi aussi, qui vibre,
comme le double de l'oiseau dans sa verte nasse,
quelque chose de fervent.

Présentation de l’auteur

Judith Chavanne

Judith Chavanne est née dans l’Isère mais vit actuellement en Ile-de France. Elle est membre du jury du premier recueil.

Œuvre poétique

Entre le silence et l'arbre, Gallimard, 1997 (Prix de la vocation et prix Louise Labé)
La douce Aumône,  Empreintes, Suisse, 2002
Le don de solitude, L’Arrière-pays, 2003.
Un seul bruissement, Le bois d’Orion, 2009
A ciel ouvert, L’Arrière-pays, 2011
Elle chantait, Éditions Henry, 2017
A l’équilibre, Le bois d’Orion, 2018

Œuvre critique

Philippe Jaccottet, une poétique de l’ouverture, éditions Seli Arslan, 2003.
Préface à la réédition de trois volumes de Pierre Voélin aux éditions Empreintes (Suisse), 1999
Préface à Dans les pièces obscures, dans les claires de Bo Carpelan, Atelier La Feugraie, 2003
Coordination du numéro 45 de la revue Nu(e) consacrée à Pierre Dhainaut, novembre 2010.
Différents articles et notes de lectures parus en revue.

Poèmes choisis

Autres lectures

Chronique du veilleur (34) : Judith Chavanne

 Le vrai poète sait « se nourrir de lumière ». Judith Chavanne, à l’évidence, le sait, et sait le transmettre par son écriture poétique. Elle citait, dans le remarquable essai qu’elle avait consacré à Philippe [...]

Présentation de l’auteur




Philippe Mathy, Derrière les maisons

Le dernier recueil de Philippe Mathy est de ceux qui font du bien. Nul effet, pas d’emphase. De la poésie et rien d’autre. Enfin, serais-je tenté d’écrire car cette dernière est trop souvent absente du flot de publications dont maints éditeurs nous abreuvent à jets quasi continus.

Il est question ici d’un printemps, peut-être plus intérieur qu’il n’y paraît de prime abord. Une naissance au présent, serait-on tenté de dire, une recréation permanente au fur et à mesure que l’auteur nous fait part de son sincère étonnement devant le spectacle de la vie. En dépit de l’inutile de nos vies, il s’agit avant tout de goûter à la saveur du chemin et de s’en remettre au hasard de ce qui vient à nous sans autre but que de vivre pleinement l’instant. Philippe Mathy s’étonne et déploie tout au long de ce livre une réelle et sincère capacité d’émerveillement qui entraîne sans peine le lecteur à sa suite.  À la manière des impressionnistes, il prend note sur le motif des menus détails de ce qui s’offre au regard et qui passe avec le temps, les saisons, les arbres, les forêts et les fleuves. La lumière est omniprésente dans ces pages où le poète débusque la beauté qui nous assaille en dépit de la fureur du monde. C’est donc sans naïveté mais au contraire avec une lucidité tout à fait pertinente que Philippe Mathy s’en remet à la vie telle qu’elle est et à la saveur inédite de l’éphémère. L’économie de moyens qu’il s’impose donne toute sa saveur à un recueil placé sous le signe d’une maturité intérieure, à laquelle les œuvres de Ramzi Ghotbaldin donnent un écho des plus harmonieux. Regarder derrière les maisons, certes, mais avant tout pour voir plus loin, bien au-delà d’un quotidien parfois bien sombre.

Philippe Mathy, Derrière les maisons, peintures de Ramzi Ghotbaldin, éditions L’Herbe qui tremble, 2023, 126 p, 16€.

Présentation de l’auteur




Philippe Mathy, Dans le vent pourpre

Les lecteurs qui aiment les livres « de chair et d’encre » sont comblés : si la beauté des publications des éditions L’Herbe qui tremble ne fait aucun doute, les peintures d’André Ruelle (peintre avec lequel Philippe Mathy a déjà collaboré) font de la présente publication un livre remarquable.

Le recueil comporte sept séquences de poèmes soit versifiés soit en prose, chacune introduite par une peinture, à l’exception de la dernière composée de poèmes de circonstance. Bien que l’écriture prenne source lors d’occasions diverses, la voix du poète assure une profonde unité.

Violence et recueillement pour la première partie intitulés Verdun – écrite lors d'une résidence d'auteurs en mars 2016 – qui évoque le champ de bataille dans un paysage où l’âpreté du souvenir se mêle à la douceur du printemps et de la lumière, une dualité qui se retrouve au cœur des images : « une sueur de gel », « la mort vit encore », le « brasier bleu » des souvenirs…

la Meuse serpente immobile
les poches emplies de terre
de cailloux
de poussières d'homme. 

Philippe Mathy, Dans le vent pourpre, Gouaches d’André Ruelle, Éditions L’Herbe qui tremble, pages 124, prix 16 euros.

Suit la séquence intitulée Jours de cendre qui sont des poèmes sur l'acte même d’écrire, une méditation tout en délicatesse sur la fuite du temps et à la monotonie des jours avec  « si peu de fenêtres ouvertes sur l'inconnu »,  des jours gris où tout est noir et froid, au cours desquels le poète, en proie à la solitude, la tristesse et l’ennui, las de « ramer à contre-courant », s’interroge

Que sommes-nous ?
Si peu de brouillard de vivre
Un amour qui s’efface- un autre qui perdure

ou encore

Qui ai-je été ?

Quelques pas essoufflés dans le fracas de vivre
cherchant le feu d’un amour
la vigne d’un rêve où goûter à l’ivresse des jours

La séquence suivante donne son nom au recueil, son illustration figure donc sur la couverture et c’est sans doute la plus belle des six : on y retrouve le rouge violacé qui caractérise la couleur pourpre du vin, celui du Val de Loire où vit le poète une partie de l’année. Le vin, présent dans le verre que l’on entrevoit entre les pieds de la chaise, posé à même le sol. Une grande douceur émane de la peinture d’André Ruelle aux couleurs de bois rougeâtre, de tissu couleur de nuit, de feuilles et de soleil où l’on voit un homme assis tenant dans ses bras une femme aux trois-quarts dévêtue, une invitation à l’ivresse, à l’amour.  Des nuances feutrées à l’exception, en haut du tableau, du vert cru des grains de raisin auquel répond, dans le bas du tableau, le rouge pourpre du vin dans le verre, comme deux symboles qui s’interpellent et insufflent une vie au souvenir.  

Attendre
sur la rive de ce fleuve
où le matin
vient déposer sa chevelure
pour chanter le désir
de plonger dans la tienne

Quatorze poèmes que le poète traverse dans des pages hantées de paradoxes (« si lointain le proche/ si proche l'absence ») qui, avec grâce et subtilité, disent l’amour, le désir d’infini et de liberté. La nature s’invite dans le quotidien de l’auteur : « la nappe du ruisseau », « le ciel glisse un drap bleu »… Entre visible et invisible, le poète trace un chemin sur lequel le passé vit dans le présent, où « le cœur peut s'ouvrir/ comme un fruit » dans la lumière tamisée.

 Dehors, mains ouvertes est peuplée de voix, de reflets, de parfums de fleurs, de tremblements de feuilles, d’oiseaux « qui cachent l’invisible sous leurs ailes ».

Dans Rive de Loire, où l’on assiste à une véritable symbiose entre le poète et la nature, la concision du style s’intensifie, le désir se fait de plus en plus présent et se lit dans le choix des mots « frisson », « étreinte », « toison », « pénètre », « langueur », « enfanter »… bien que le poète, accordant au lecteur une totale liberté d’interprétation (les mots cités sont attribués à la brume, la lumière) reste dans une discrète retenue, à l’image de l’eau :

L’eau, elle aussi, ne laisse rien paraître.

Belle île, lieu « où le futur devient possible » est composée de poèmes en prose. La séquence s'ouvre sur l'image maternelle et apaisante d'un paysage de quiétude où sommeille un bateau « couché sur la peau de la mer » , les vagues des jours « caressent les fenêtres », laissant apparaître en filigrane la silhouette d'une jeune fille absente (disparue ?) que « seul le soleil peut voir ». La tristesse ne saurait cependant s'imposer. Le passé, sans lequel l'avenir ne serait pas, s’avère de fait indispensable.

Tu parles et ce ne sont pas des débris du passé mais le lever d'arc-en-ciel d'une parole après la nuit.

L’île est un lieu de renaissance où le souffle des profondeurs est autant celui de l’océan que celui du poète.

Le livre se termine sur des textes de circonstance dont les dédicataires sont des personnes chères à l’auteur. Mais le livre n’est-il pas tout entier une longue dédicace ?

Ce vent pourpre nous offre « des mots sans grillage » qui s’écoulent avec fluidité (peu de ponctuation, aucun point final excepté dans les poèmes en prose), un vent qui souffle sur la beauté tranquille des fleuves (La Meuse, la Loire) en attisant le feu des paroles qui embrase le cœur, un livre qui réchauffe comme ce « bol de porcelaine à la soupe bien chaude. Impossible d'y boire encore, mais on s’y réchauffera les mains dans les jours ou le froid nous assaillira ».

 

Présentation de l’auteur




Philippe Mathy, Veilleur d’instants

Philippe Mathy, poète belge né en 1956, partage sa vie entre la Belgique et Pouilly-sur-Loire en Bourgogne Nivernaise. Ce n'est donc pas étonnant qu'il aime à collectionner les instants passés au bord de la Loire. Son dernier ouvrage, intitulé Veilleur d'instants est d'emblée placé sous la protection de Cesare Pavese. Mais ce titre n'est pas sans rappeler aussi celui de Gilles Baudry Demeure le veilleur (penché sur l’horizon de la promesse)...

Un bel hommage à la Loire mais plus que cela, une belle communion avec la nature pour se rapprocher de soi-même "Qui pleure en moi / que je ne connais pas ?"

Chez Mathy, cet horizon de la promesse pourrait être cette collection d'instants qu'il accumule au bord du fleuve, comme une pêche miraculeuse, pour mieux approcher l'universel voire l'éternel d'une forme constructive de la mélancolie. Cette "Porte ouverte / sur des chemins perdus", sur cette "lumière désemparée" et cette “attente dévastée / de nos espoirs”.

Philippe Mathy, Veilleurs d'instants, Editions l'herbe qui tremble Peintures de Pascale Nectoux Format 19,5x14cm 144 pages Prix 16€

Philippe MATHY, Veilleur d'instants, L'herbe qui tremble, Peintures de Pascale Nectoux, 2017, 144p.,16€ ;

Où vont nos jours ?
Où vont nos nuits ?

Où se retrouver,
quand les jours sont
des barques trouées, et que l'on est incapable
de marcher sur les eaux ?

Nous avançons, 
le cœur en miettes.

Peut-être
faut-il l'offrir aux oiseaux, pour qu'avec leurs chants, 
revienne la lumière.

La Loire "jeune fille espiègle qui se déhanche entre les îles." et qui "n'a pas oublié les châteaux de sable de son enfance" (ces fameux bancs de sable où " Y nichent des oiseaux / venus d'Afrique / blancs comme la mémoire / où demain jettera son encre"

Mais le fleuve est aussi une fenêtre donnant sur de nombreuses lumières et d'espaces à explorer. Lumière coulant au bord de l'eau où l'auteur "dans les clapotis de la rive" souris "Aux confidences de l'eau".

Pierres du chemin, 
comme des graines
en flagrant délit de printemps.

Elles n'osent pas germer,
au risque
de trouer nos âmes.

Philippe Mathy nous résume sa démarche d'écriture en un seul poème :

Bribes de mots
cueillis aux alentour 

On les porte
au-dedans de soi

On fait silence
pour écouter ce qu'ils disent

Parfois
ils nous offrent un poème 

Quand nous le lisons
nous découvrons les alentours
.

C'est bien cela qu'il faut rechercher dans la lecture de la poésie : les alentours du poème.

Au bord du fleuve, se laisser traverser "Peut-être pour te laver / du temps qui va". Regretter peut-être l'absence de l'hiver dans ces saisons au bord du fleuve.

Philippe Mathy, en veilleur de ces instants de silence, ces passages de lumières, "Couché sur le sol / tu roules entre tes doigts / un fragment d'herbe sèche / / Tu t'abreuves  au lait bleu du ciel", sait magnifiquement nous relater ces instants qui deviennent les nôtres dès la première lecture. Dans cette alternance de poèmes et de petites proses poétiques, ponctuées des très belles peintures de Pascale Nectoux, il y a tout du bon moment à partager.

Et moi aussi couché sur le sol, sous le soleil, loin du fleuve, je me laisse emporter par la présence paresseuse de la poésie de Philippe Mathy qui fait du bien dans ces moments effrénés.




Philippe Mathy, Veilleur d’instants

Nous oscillons entre joie et peine, songe et réalité, vie et mort aussi quelquefois. Ce recueil est un appel au partage dans le réel du monde extérieur parfois tendu vers l’enfance comme un dernier rempart, une dernière manière de supporter le présent. Cependant, très peu de choses suffisent pour nous rendre à notre plaisir d’exister et à nous relancer toujours plus loin que nous. Toute lumière est si proche de nous à qui sait regarder. Au travers de l’inventaire du pour et du contre, Philippe Mathy tisse une condition de vie :

Le sentier sur lequel je m’avance va, tortueux, indifférent, comme si son seul souci était d’arriver à sa fin.
le quitter, au risque de me déchirer aux ronces.

Philippe MATHY, Veilleur d’instants, Peintures de Pascale Nectoux,
Editions L’herbe qui tremble, 144 pages, 16 € ;
ce recueil a été couronné par le prix Mallarmé 2017

Analyse de toutes les réponses possibles à la vie, la poésie de Philippe Mathy est sans fin, elle nous échappe toujours comme la vie. Je la comparerai à un éclat bref de lumière qui ne cesse même disparu de continuer à nous éclairer et que nous recherchons en vain dans sa matérialité. Poésie déroutante car son excès de « simplicité » fait exister nos sens et nos réflexions à une telle dimension que nous nous y perdons. Nous tombons dans l’éternité. Surprenant les dédicaces ainsi que le nombre d’auteurs mis en exergue comme si Philippe Mathy voulait rassembler un nombre de personnes, d’autres Veilleurs d’instants. Beau titre qui nous livre des échappées comme un oubli de soi bref et répétitif. La Loire y est prise comme maître d’œuvre, tous nos sens concentrés s’ordonnent au rythme et au mouvement de cette nature quelquefois personnalisée. Ne soyons pas dupes, ce ne sont que les points de départ d’une réflexion ou d’une approche métaphysique qui nous revoient à un au-delà et à la présence des autres. Cette volonté de faire cohabiter les contraires donnent de très belles images qui sont le reflet du réel propre à chacun d’entre nous. Ce sont des signes qui donnent à interprétation parmi les éléments de la nature qui se répondent même dans leur éloignement : Un oiseau a lancé son chant // petite pierre pour les ricochets. Cet appel vers la beauté de la vie sans concession éclaire le sol un instant puis nous y replonge : Sur le tapis de l’herbe, // Je demeure assis, // ne sachant comment // survivre à mes rêves. Les mots restent aussi impuissants lorsque sortis de nous ils abordent le monde et nous déçoivent, fanés. L’auteur s’aperçoit que si cette nature donne, elle n’est rien sans notre volonté de collaborer : Au fond de nous des chemins. Il faut les prendre par la main, là où le vent rêve encore d’horizons ramifiés.                                                                                                                                                          

 Les peintures de Pascale Nectoux nous laissent des lignes comme celles de la main qui nous parlent et se taisent à la fois par leurs ramifications. Couleurs parfois vives qui deviennent éclats ou au contraire se libèrent dans la sobriété et le repos. Tout un paysage se dévoile vu de loin dans la fraîcheur de ses interrogations.

Le ruisseau chante
sur les pierres
qui pourraient
le blesser

Où va la vie qui va
si vite
si belle
si cruelle ?

 

Ici aussi, la fraîcheur d’une évidence raisonnée parcourt chaque poème. Tout est signe et nous fait signe dans la sobriété de l’instant et l’absence de naïveté. La profondeur y a une légèreté et une souplesse qui font de chaque poème une acceptation. Ce monde extrêmement sensible y est rond de sa présence, des échos qui se répercutent et assurent l’unité d’un vécu simple et prenant. L’heure est à une harmonie diffuse. Chemin initiatique, Philippe Mathy nous conduit vers une beauté de plus en plus réservée écoutant le plein de la vie. Le mot s’efface devant la chose, tous deux se libèrent pour laisser leur présence seule briller. Le monde vrai se superpose à un monde de rêve éveillé où le corps trouve encore l’espace pour s’épanouir et vibrer au milieu d’un monde immédiat. Recueil d’une profonde sensibilité, l’auteur ne verse jamais dans le lyrisme, tout y est mesuré avec maîtrise et une grande justesse de ton, la même tout au long du recueil. Veilleur d’instants, un de nos plus beaux métiers d’être humain.

Présentation de l’auteur




Sous la robe des saisons de Philippe Mathy

Il m’arrive pourtant de croire que j’ai dans les yeux pour leur sourire la toupie folle d’espérer

et

Tant de soleil et si peu d’amour pour soulever le mutisme des pierres.

Tout Philippe Mathy se tient ici dans une oscillation entre deux extrêmes. Derrière chaque poème, il y a un martèlement discret, une force qui va. Ce sont des images intégrées discrètement aux phrases, non pas collées, c’est-à-dire en surplus. Elles se confondent dans le corps du texte le rehaussant d’une présence forte et discrète. Cette poésie se glisse en nous pour nous laver de quelque chose et nous renvoyer à la nature en même temps qu’à notre condition. Philippe Mathy met en avant la gravité de notre existence qui ne nous choque pas tellement elle est évidente. Le lecteur doit se laisser pénétrer par ces impressions justes, ces modesties de la profondeur où il plonge au fond de lui.

Car, c’est de nous que le poète nous parle, toujours au présent comme si tout s’accomplissait à l’instant de la parole, ce qui rend aux poèmes la densité de l’éternité qui traverse le temps et l’espace : Je referme la porte // elle est nue comme une source.

Sous la tristesse de notre condition, de notre amour mortel, de la dégénérescence de tout être vivant et de toute chose (cf. Châteaubriand), Philippe Mathy établit une biographie mentale par une poésie amenée par ce qui l’entoure directement et qui lui sert de tremplin vers le monde.  

                                sortir   sortir   sortir  nous dit-il, quand l’évidence est quelquefois un mur.

Recueil difficile à commenter tellement nous approchons de l’insaisissable et de la présence, autour de nous, de la poésie. Un long chant à travers le monde dans ce qu’il a d’intime et de cosmique. Un monde saisi dans son quotidien le plus ordinaire et le plus fort nous est rendu autre comme par magie. Philippe Mathy a su rendre le propre du poète, d’une part, on voit et c’est autre chose que l’on dit, d’autre part, on cherche à s’évader mais non pas à fuir, c’est donc d’une ouverture qu’il s’agit.

Ouvrir encore la porte aux bruits du monde.
 

Partout présent dans l’air 
un rire de clarté
pour oublier l'orage
revenir
au coeur de l'été
                                                                                                                                                                             

Page 85, nous trouvons, non pas une définition de la poésie, mais un mode d’emploi, sa profonde utilité « par temps de manque ».

Il y a beaucoup de délicatesses mais aussi de petites taches sombres qui glissent comme une continuité. Il n’y a pas d’à-coup, le monde est « rond » mais sans concession : le bien et le mal, la laideur et la beauté ne sont qu’un.

Dans la recherche d’une certaine vérité, le poète tente de fuir le mensonge conçu par l’esprit de l’homme. Celui-ci se trompe : la terre et la mer ne se joignent pas, c’est lui qui les joint au bout de l’horizon pour en tirer une image mais surtout une pensée. L’erreur serait-elle le fondement de notre raison ? Tout le recueil, derrière son monde sensible, donne lieu à beaucoup de réflexions.

S’il y a un espoir pour Philippe Mathy, il est autour de nous dans l’observation du monde et de sa jouissance de tout ce qui se passe et passe. Recueil qui nous élève et nous enlève.

Le saule ne pleure plus. Il danse, comme si le soir le tenait par les hanches.
Le froid nous ramènerait-il à la raison, à la solitude barbelée de nos maisons ?

Belles peintures d’Agnès Arnould qui éclatent de couleurs, de surprises face au monde quand on a su ouvrir grand les yeux et que du regard perçant mais doux on ose regarder l’autre parce que l’on ose se regarder soi-même. 




Sous la robe des saisons de Philippe Mathy

Philippe Mathy n'a pas un mot plus haut que l'autre : c'est une voix discrète, modeste qui se donne à entendre, tant dans les chants qui célèbrent le monde ou l'amour que dans les poèmes interrogatifs où se dit une certaine angoisse ou une sombre lucidité. Sous la robe des saisons est un recueil où sont offerts au lecteur notes (qui confinent parfois au poème en prose) et poèmes clairement identifiables par le fait d'aller à la ligne de façon irrégulière. Trois ensembles constituent ce livre ; trois ensembles qui regroupent chacun des sous-ensembles de notes et/ou de poèmes.

    Le livre (le carnet comme le désigne Mathy) s'ouvre sur une citation de Thomas Tranströmer, une citation très spatiale dans son esprit (il y est question du ruban d'une machine à écrire et d'une ligne d'horizon) : on pense alors à Congo, Poème pygmée de Pierre Garnier où ce dernier entend, par le biais de l'écriture spatiale, capter le flux linéaire de la pensée. On se dit alors que le projet de Philippe Mathy est du même ordre par le biais du carnet où il consigne notes et poèmes comme autant de fragments du flux temporel qui l'emporte, un projet qui est une forme de résistance par la sauvegarde d'instants choisis…

    Philippe Mathy s'attache à noter toutes les impressions ou sensations, tous les faits ou événements, toutes les pensées qui lui viennent à l'esprit qui constituent l'arrière-plan du poème qui ne manquera pas de naître. Mais, déjà, car ces notes sont quasiment de petits poèmes en prose, le lecteur devine ce poème. Ailleurs, le carnet regroupe des notes qui scandent le temps écoulé au long d'une année (Carnet de contre-nuit) ; et c'est la vie, tendre et douce, et striée d'éclairs, de taches ou de blessures qui se donne à voir. Philippe Mathy fouille sa mémoire à la recherche de ce qui est disparu mais il semble échouer car ça débouche sur le silence : c'est que le présent est irremplaçable. C'est peut-être ce qu'affirment ces mots : " Le temps long d'un court moment hors du temps … "  Mais ces notes dévoilent la méthode du poète : il essaie de voir au-delà des apparences ; bribes de souvenirs, bribes de vie, bribes de jardin ou de nature, bribes du temps qui passe : c'est le monde, mode d'emploi, pourrait-on dire. Mais un monde et une vie rebelles car l'homme reste libre dans les limites que lui impose l'existence : " Toujours [le GPS] reconduit vers la destination finale " (même si on lui désobéit !).

    Dans ses poèmes (vers ou proses), Philippe Mathy célèbre l'amour : il s'agit de jouir du présent, des choses les plus humbles, de la nature, même et surtout quand la conscience de la finitude taraude l'individu. Je relève ces mots : " Peut-être faudrait-il partir pour que miroite l'eau vive d'une présence dans l'obscur du regard ". Tout est dit, et le lecteur accepte alors que ces poèmes soient traversés d'une sombre inquiétude. Lucidité aussi du poète : " J'aimerais tant quitter ce silence pour aller à la rencontre du monde dans ce que le silence m'apprend de lui… " ou "  [La poésie] refuse de se laisser circonscrire par sa propre parole, consciente d'une présence qui la dépasse." Philippe Mathy a l'intelligence de ne pas définir cette présence, laissant ainsi le lecteur libre de la désigner comme il l'entend : la porte reste ouverte. Or, quelques pages plus tôt, le poète écrit, dans le souvenir des chants désespérés de Musset, que ses propres poèmes sont trop lumineux, trop confiants… On aimerait y croire, même fugitivement.