Pierre Seghers, La Résistance et ses poètes
« Jeunes gens qui me lirez peut-être, tout peut recommencer. Les bûchers ne sont jamais éteints et le feu, pour vous, peut reprendre. N’acceptez jamais de devenir les égarés d’une génération perdue. Ce livre n’est pas un livre d’historien, mais un témoignage vivant, le romancero des temps les plus sombres où vous pouvez être à nouveau jetés. Écoutez-voir, et souvenez-vous. » : moins un devoir de mémoire qu’un travail de la mémoire pour mettre en récit l’engagement de celui qui a été à la fois un témoin crucial et un acteur majeur contre cette nuit atroce au cours de laquelle il a œuvré à l’exaucement de l’aube qui allait en déchirer le voile, enfantement d’une page de l’Histoire où l’entremêlement de la guerre, du sabotage, du réseau clandestin auxquels ont participé tous ces guerriers de l’ombre, dans cette aventure à la fois individuelle et collective, en fait désormais la pierre angulaire de toutes ces voix de la liberté qui ont ainsi agi au péril de leur vie.
Pierre Seghers, poète, résistant de la première heure donc, s’est fait le principal éditeur de ces êtres impliqués souvent sous pseudonyme dans l’écriture de ces revues clandestines qui élevèrent la voix contre l’oppression, participèrent avec obstination par l’exercice périlleux de leur libre expression, à l’émergence d’un espoir, à l’entretien d’un idéal, à l’appel à une « Liberté » dont le poème éponyme de Paul Eluard diffusé de manière souterraine révèle dans sa dernière strophe son message souverain en promesse d’une paix à aller chercher dans ce combat entre ténèbres désespérées et lueurs d’espérance : « Sur la santé revenue / Sur le risque disparu / Sur l’espoir sans souvenirs / J’écris ton nom / Et par le pouvoir d’un mot / Je recommence ma vie / Je suis né pour te connaître / Pour te nommer / Liberté ». Partagée en deux parties, La Résistance et ses poètes s’avère donc l’œuvre fondatrice, le témoignage de cette période de lutte acharnée dont René Char, également poète majeur et homme engagé, sous le nom de code de Capitaine Alexandre, garde le souvenir amer qu’elle a imposé de porter néanmoins le masque dans la tourmente de « simplificateur claquemuré » que ce dernier a toujours aspiré à ôter en des temps meilleurs.
Pierre Seghers, La Résistance et ses poètes, Préface de Pascal Ory de l’Académie française, Éditions Seghers, réédition 2022, récit, 528 pages, 22 euros, anthologie, 336 pages, 17 euros.
On croise ainsi, dans la première partie du récit, ces grands écrivains que furent donc Louis Aragon, Paul Eluard, René Char ou Robert Desnos et ces figures emblématiques que furent aussi Jean Moulin, Madeleine Riffaud, Lucie Aubrac ou Missak Manouchian, mais également des acteurs non moins secondaires que décisifs, poètes anonymes, parfois si jeunes, épris de cet idéal de vie libre à reconquérir ensemble.
On trouve par ailleurs, dans la deuxième partie de l’anthologie, rien moins qu’une centaine de poètes qui manièrent les armes des mots pour sécher les larmes des maux, dans leurs poèmes de contrebande affûtés pour tromper la censure, fruits du maquis ou de la clandestinité, des prisons aux camps de déportation, qui résonnent avec profondeur, par-delà les dates délimitées par l’Histoire, comme des cris essentiels, pleins d’une humanité fragilisée mais au combat face à l’inhumain tout puissant à défier, dont la formule définitoire de Pierre Seghers demeure définitive : « La poésie de la Résistance ne sera pas la poésie d’un parti politique, mais celle de l’homme en danger de mort » !