Rachel Allaoui, Bribes
A Ecorner les bœufs
Le vent mugit à écorner les bœufs
Son souffle essore le silence
des arbres
Les plaies sècheront vite
la bouche du paysage est grande ouverte
sur les ocelles de sang
Sur les ocelles de sang
pas une mouche
Herbes et branches ont comblé la terre absente
se décomposent
se recomposent
soudain sismiques
au gré des spirales d’air qui les traversent
Le vent emporte dans son ressac
les âmes chères
qui flottent
parfois
encore un peu
sur les ocelles du temps
et saccadées
tombent
Cornes coupées
Etreintes
La pluie est en marche dans le jardin
Cicatrices lumineuses sur les fenêtres
La maison résonne de voitures imaginaires
Les feuilles parlent
Le vent lance ses sortilèges
Les gris du ciel s’emmêlent
Le souffle fantomatique slalome parmi les herbes
Et soudain saute
Dans les ramures
Il devient fou
Entre leurs bras captifs
Piquets
Ils se dressent, noirs
Pétrifiés forêt sombre
dressée sans chevelure
Quel sol les retient ?
Parlés en secret par la mer
dessinés de rêves et d’eaux profondes
Os brûlés parmi les algues brunes qui elles
s’effilochent
et se raidissent
saisies de sable loin d’eux
Mats
Si noirs sur la peau bleue de leur mère
Perpendiculaires au luisant gris de son eau
Hors d’elle torses
Indéchiffrables
On ne sait où s’achèvent leurs pas dans les profondeurs
Vague après vague l’eau vive les épèle
Murmure à tâtons sur le bois ses baisers
tisse de ses doigts aux signes flottés
des chemises de lichen et calligraphie sans cesse
leur ombre qui cille
Leur verticalité s’offre aux glacis
et nous versent en plein midi
l’eau innocente des longs soirs d’été
Là où le temps lentement ouvre
sa main
pour caresser d’or translucide
la peau pâle du ciel
et emplir d’encre arbres et buissons
Seuls à recueillir la nuit de tous leurs pores
St. Gilles
Le gris vire en aplat
tout autour du beffroi ailé d’or
qui pointe
à gauche dans la fenêtre
et se dresse hors
de la buée de nos songes
méandre moelleux glissant au bord
de la vitre
aussi doucement
que les cloches vite évanouies
A peine si leur son a frôlé le silence
Le long du bois
les gouttelettes s’étirent
des rangées de toits rouges y flottent et trois
cheminées à cinq branches
petits rectangles aux fines bougies noires
Entre elles presque invisible
Et surgit d’un autre toit
le fil d’une croix mouille
dans les larmes laissées par nos souffles
Sur les cendres lavées de cendres
s’élance la girouette dorée
du beffroi presque noyé sous les perles
Et Saint-Gilles devient Venise
de briques d’or et d’eau
Volto Santo
La mort est suspendue au plafond d’un palais
Prête à se jeter sur nous
Aujourd’hui elle a le visage
D’un cheval dont on retient le galop
Elle fait pitié dans sa peau empaillée
Alors nous allons d’une île à l’autre
et avons déposés nos attentes
Le bateau transporte
nos conversations nos solitudes
toutes cerclées par le jour blanc
Au cœur du vaporetto qui bourdonne
certains sont pris dans les mailles de la fatigue
d’autres parlent ou rêvent
Les poteaux de bois défilent
empreintes du temps que l’espace laiteux décompte
Mais pour nous pas de traces ici
rien que la craie du paysage
Le jour et l’eau se sont allongés
sans défaire les draps blancs
de leur étreinte pâle
Au-delà les rives sont grises
J’aurais aimé que tu boives
les verres opaques
du ciel et de l’eau
Que tu glisses avec moi encore
sur les canaux
passés au blanc d’Espagne
à nous aimer
Avant de disparaître en face
dans les plis de la buée
Comme s’en vont les doigts des anges
sur le visage des statues
ou le sillage ténu des barques nocturnes
Les vitres sont sales
ou bien est-ce le voile de la brume
Tu es loin