Richard Soudée, Fleurs de la trace

Ce recueil rassemble poèmes en verset récits courts. Fleurs de la trace explore des souvenirs qui recouvrent toute une vie. La voix du poète creuse, taille et peaufine ce qui a été vécu dans la jeunesse et cette légèreté anime l’écriture dans la première partie du recueil.

Toute cette pluie ruisselait dans la maison de mon enfance. Elle dévalait autour de mon lit. Elle faisait vocaliser l'épaisseur des murs. Elle dissolvait l’agrégat des secrets de famille, encaqués derrière le papier peint des cloisons, les portes et les tentures. Généreuse, elle finissait par culbuter la rétention de l'évier où se grattaient les légumes de la soupe. Elle tordait les gouttières, faisait déborder le lavoir et gazouiller les pots de fleurs.

Le ton vacille entre le ludique et le tragique, ce qui permet au poète de mieux interpeller l’histoire de son temps,les peurs qui rongent et l’amour qui élève. 

 

Richard Soudée, Fleurs de la trace, Editions L’Harmattan,
collection Poètes des cinq continents, 2017, 138 pages, 15,50 €.

Torse antique
échappé
vivant
aux mains des iconoclastes 

Tu cours
tripes échevelées
au vent

Créature
messagère

 

Cela donne toute sa force à ce petit opus qui ouvre grand les portes sur un éventail de thèmes riches en effets sensoriels. 

 

Dans la haute frondaison de l'arbre Aimé Césaire étincelle un tourbillon de lucioles. Elles me parlent. Elles crépitent pour éclairer le chemin de ma révolte. Elles m'arment de mots-images. Et soudain elles prodiguent leur lait bienfaisant pour dissoudre mes terreurs d'enfant. À l'arrivée des ténèbres, elles allument les bougies et m'offrent la douceur d'un gâteau de miel à partager.

 

Dans  Fleurs de la trace  Richard Soudée révèle la voix intérieure du poète qui travaille la matière brute jusqu’à ce qu’elle livre les symboles riches, parfois mystérieux, d’une expérience existentielle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




Richard Soudée : deux Lys sur le balcon

J’ai rencontré Richard Soudée une seule et unique fois. Mais il y a des hommes que l’on n’a pas besoin de connaître pour savoir. Il était comme une source de lumière pure. Un grand homme souriant. J’ai appris depuis qu’il se savait condamné. Je n’ai pourtant lu dans son regard que de la bienveillance, et un accueil inconditionnel. Il m’a demandé quand paraîtrait l’article d’Alice Clark sur Fleurs de la Trace. Je lui ai répondu « Début 2019 ».  « Je vous remercie », a-t-il dit doucement, souriant. Il savait qu’il ne pourrait peut-être pas le lire sur Recours au Poème

 

Richard Soudée, Fleurs de la trace, Editions L’Harmattan,
collection Poètes des cinq continents, 2017, 138 pages, 15,50 €.

J’ai assisté ce soir là à la lecture de ses textes accompagnés par un musicien extraordinaire. De purs moments d’émotion.  Une poésie et une prose dont l’une et l’autre se mêlent pour offrir cette chance au décloisonnement générique de ne conserver que le meilleur de chaque pôle… Son écriture aussi m’a semblée digne et haute. La Trace, c’est ce chemin sinueux de montagne de la Martinique où il a rencontré son épouse.

C’est elle ainsi que Michel son fils qui m’ont reçue chaleureusement, dignement, avec une gentillesse inexprimable. Deux boutons de lys roses, en automne, c’est ce qu’il y avait sur le balcon de la chambre du couple. Nous avons évoqué Richard Soudée, l’homme à travers l’écriture, et l’écriture à travers l’homme.

Fleurs de la Trace, son dernier recueil, rend hommage à son épouse. Et grâce au jeu avec l’homophonie du nom, la trace est aussi celle qu’à laissée le poète, qui évoque ses souvenirs dans ce recueil à caractère autobiographique.

Dans la première partie Richard Soudée nous offre ce moment de découverte du monde, ses souvenirs d’enfance, à travers l’évocation de moments rythmés par des titres qui commencent tous par « J’ai grandi ». Une prose dont la narration ne sait où ancrer son appartenance générique tant la langue y est poétique, tant le langage déploie toutes se potentialités… 

 

J'ai grandi sous un cerisier

C'est à l'ombre ajourée de ses jupes que je fis mes premières siestes. C'est là que je fis mes premiers pas, en touchant son bois. J'ai grandi dans l'odeur puissante de ses feuilles, l'éclat tremblant de ses fleurs, l'érection de ses fruits.

A son pied, j'ai poussé avec mon grand-père une boule de neige plus grosse que moi, j'ai tracé des routes pour faire rouler mes billes et j'ai dispersé la dînette de ma mère avec une fille.

 

Puis il évoque ce moment des voyages « quand il est sorti de sa condition d’européen » dira son épouse...Son attraction, venue de l’Orient, pour la Turquie et surtout pour les poètes orientaux, le pousse à séjourner en Turquie.

 

Il y a aussi le théâtre, cet art par lequel le poète a commencé…Il est d’abord comédien, puis il rencontre Mehmet Ulusoy. Il devient son collaborateur et tous deux fondent le Théâtre de   Liberté, pour lequel il est metteur en scène et comédien. Ils y montent alors des spectacles  qui mêlent poésie et récit à une mise en scène qui met en œuvre ces catégories génériques. Les pièces sont politiques et poétiques. Elles frappent par les pratiques mixtes qu'elles développent : elles mélangent des éléments textuels, gestuels, plastiques et musicaux. Il s’occupe aussi du montage des scénarios, qui ne sont que des canevas, car la majeure partie des spectacles fait appel à l’improvisation. Certains textes sont composés par Aimé Césaire à Fort de France. Il met aussi en scène Le Cercle de craie caucasien de Brecht, Macbeth, Maïakovski, Hikmet, à l’Odéon. C’est le théâtre qui lui a fait rencontrer la Turquie, la Martinique et Aimé Césaire.

 Mehmet Ulusoy,
Un Théâtre interculturel,
Editions l'Age d'Homme, 2010,
280 pages, 24 € 90

Il écrivait les scénarios de Mehmet, traduisait ses idées, faisait une sorte de montage. Il faisait du « théâtre-montage », théâtre épique ou grotesque et sublime. La plus grande partie de la pièce reposait sur des improvisations mêlant jeu et objets. Au début, il  jouait. Ensuite il n’a fait que de la mise en scène. Sa poésie est donc liée à une oralité, au conte aussi. Universitaire, et professeur des universités, il est l’auteur d’un thèse sur les rites de passage.

Il gardera cette volonté de restituer les souvenirs, ce qui demeure d’eux à travers les sensations ancrées dans la chair, dans ses poèmes. Il a commencé à écrire de la poésie quand il était très jeune. « Dès lors l’écriture fut ma trace » disait-il. Il écrivait comme son grand père traçait des sillons de terre. Il écrivait pour faire le lien, s’emparer de son instrument à lui, témoigner. Jusqu’à son dernier souffle a écrit.

 

La neige de ton visage
                          n'a pas encore fondu
                                                          elle reste dans mes yeux

C'est elle qui me révèle
La brillance du blé en herbe
La pesanteur des branches
                                           de cerisier
                                                        sur la route

Ton odeur d'avalanche
Repose au fond de moi
Repose au fond
                           de moi

 

Puis il a réalisé un disque de chansons d’enfance des émigrés, Musaïca. La chanson est elle aussi liée à son écriture poétique, ryhtmée et qui comporte nombre de refrains.

Entre tous les univers, ou dedans, tout comme maintenant son âme s’est envolée pour mesurer la permanence de la parole poétique, Richard Soudée était un poète, s’il est vrai que la poésie est ceci qui ceint le monde et en restitue l’invisible immanence.