Romain Mathieux, poèmes
comme si la langue natale des poètes
approchait de ce jour des grands avortements
on n’a jamais tant ri de ces vieux protecteurs
on n’ose pas trembler
Rilke avait-il raison de douter :
« les arbres sont-ils meilleurs ? Ne sommes-nous qu’engendrement
et matrice de femmes, qui se donnent abondamment ?
Nous nous sommes prostitués avec l’éternité((
« sind Bäume besser ? SInd wir nur Geschlecht
und Schoß von Frauen, welche viel gewähren ?
Wir haben mit der Ewigkeit gehurt... »))
« sind Bäume besser ? SInd wir nur Geschlecht
und Schoß von Frauen, welche viel gewähren ?
Wir haben mit der Ewigkeit gehurt... »
aimer pour connaître la littérature
ou bien
connaître le livre pour aimer
et le soleil qui tremble au bout de ta main
comme une mèche de chair tendre
est lumière menue qui me permet de lire
et la lampe qui éteint le jour
comme un livre ouvert
éclaire ton visage
« le soir se referme comme un livre
et l’âme est dans les feuilles comme un marque-page »((
« Se-nchide înserarea ca o carte
Şi sufletul în foi, ca o zăloagă. »))
écrivit Tudor Arghezi.
Un simple jour d’abondance :
le don contre l’Histoire.
(il paraît que l’Histoire existe)
une herbe fleurissant au vent de mer
la beauté s’ouvrant sans égard -
et ta présence sans raison
que la beauté des contingences
comment ne pas songer alors à Silesius :
« la rose est sans pourquoi.»((« die Rose ist ohne Warum ».))
A lire Proust, quelques arbres
au bord d’un chemin
sont beaux de tout un passé retrouvé :
« Fallait-il croire qu’ils venaient d’années déjà si lointaines de ma
vie que le paysage qui les entourait avait été entièrement aboli
dans ma mémoire et que, comme ces pages qu’on est tout d’un
coup ému de retrouver dans un ouvrage qu’on s’imaginait n’avoir
jamais lu, ils surnageaient seuls du livre oublié de ma première
enfance. (...)
Je crus que c’étaient des fantômes du passé, de chers
compagnons de mon enfance, des amis disparus qui invoquaient
nos communs souvenirs. Comme des ombres ils semblaient me
demander de les emmener avec moi, de les rendre à la vie. »
A lire Pessoa, l’arbre n’est beau
que sans notre pensée :
« J’aime les arbres parce qu’ils sont des arbres, sans ma pensée »((« Eu amo as árvores por serem árvores, sem o meu pensamento. »))
Celui qui découvrira pourquoi
ils ont raison tous les deux
pourra me dire, sans doute
pourquoi ces arbres devant moi
au début de l’été
sont si pleinement beaux.