Sabine Venaruzzo, la Demoiselle qui prend le pouls du poème

Bien que niçoise tout comme elle, il n'est pas simple de rencontrer Sabine, flamme vive toujours en mouvement. Le projet d'un entretien né lors des Voix Vives de Sète ne se concrétisera pas autrement qu'un soir bien tard, où on ne l'attendait plus, par un riche échange téléphonique, au cours duquel il m'est apparu urgent et nécessaire de prendre des notes, avant que la poète ne reparte pour ses projets de tournée théâtrale.

Car Sabine,  est l'âme de nombreux projets collectifs également : elle est à l'origine du festival des Alpes Maritimes Les Journées poët-poët, dont Sapho et Serge Pey sont les parrain et marraine. Elle a aussi fondé, et anime, la compagnie  Une petite voix m'a dit  dont le spectacle  des « 4 barbues » -  Le Pari d'en rire, avec Caroline Fay, Danielle Bonito, Dominique Glory - a fait salle comble au festival d'Avignon. Sur son site,  on trouve des traces de ses vidéos, des performances sonores – mais  faute de temps, rien n'indique ses dernières activités, notamment durant les confinements : l'appel à la poésie, les installations sonores et poétiques dans la ville de Nice... 

Interrogée sur ses multiples activités,  et ce qui les relie, Sabine s'interroge – peut-on parler pour elle de «  performance  »  ? Elle préfère la parole «  acte  » ou «  action  ». Elle envisage ses actions comme un prolongement de son écriture poétique – et se place dans la permanence du questionnement de sa pratique. C'est un canal pour faire passer sa poésie, et il lui semble essentiel de chercher un équilibre entre l'impact visuel, les technologies utilisées, et le poème à faire passer dans la spontanéité, car pour elle, tout participe à la Circulation de la poésie. 

Formée au spectacle vivant, elle pratique l’art de la Performance depuis plus de 15 ans. Le travail avec l'Action Theater©, auprès duquel elle s'est aussi formée, nourrit profondément son art poétique. Elle travaille la composition spontanée / en temps réel : forme écrite, physique et orale – et elle questionne naturellement la poésie hors du livre et le rôle du poète dans le monde qu’il habite, au travers d'actes de poésie spectaculaire éphémères ou durables sur les territoires, pour et avec tous les publics. Ainsi naît La Demoiselle et cætera, forme spectaculaire et incarnée de sa poésie, avec  laquelle elle affirme la place du corps  qu'elle expérimente avec le concept de corpoliture (écrire avec son corps, le territoire comme page blanche) et d'oraliture (écrire avec la voix) au même titre que l’écriture. 

© Clément Démange.

Depuis 11 ans, et particulièrement depuis le déconfinement mai 2020 elle mène l'action de la demoiselle en gants de boxe,  son corps, mains et tête masqués, comme partie de son écriture  poétique : corps-crayon, et le territoire devenant la Page blanche. Elle insiste aussi sur le fait que dans ses actions, il lui faut maintenir la spontanéité – pas de répétitivité qui devienne mécanique – c'est le principe même de ces actes-performances.

Ce qu'elle cherche, c'est l'accord final qui résonne encore après la fin de la résonance, un silence encore habité par la musique – Sabine parle en musicienne, elle est aussi chanteuse lyrique et toute sa pratique en est infusée. 

Elle parle de ce ressenti face à une réalité urbaine et sociale modifiée par la pandémie – nouveaux marquages, modifications des espaces et de leur utilisation – et de l'urgence physique d'écrire qu'elle a éprouvée, tout en se retrouvant face à l'impossibilité de mettre les mots sur le papier : d'où l’exploration de l’écriture poétique dans cet état avec son corps crayon ou personnage-signe de la demoiselle en rouge. Elle choisit des lieux qui lui parlent lors d'un parcours aléatoire, et elle écrit avec son corps-crayon son ressenti en ce lieu – fixé par la photo d' Eric Clément Demange Il ne s'agit pas d'exprimer des concepts, il n'y a pas de mots, mais un flux sensible dans l'espace où elle baigne, qu'elle fait passer dans ses gestes. L'unique contrainte posée est celle d'une durée inférieure à 2 minutes  : comme des haikus visuels, les « cris demoiselle  », formulés par la corpoliture(mot qu'elle préfère décidément à celui de chorégraphie que je propose). 

Son travail est l'expression d'un exploration, d'une réflexion en cours. A la Ciotat, en 2020, le projet des cris lui faisait distribuer des papiers au public pour recueillir des mots à partir de ce qu'elle exprimait par son corps. Elle nourrit l'idéal d'un immense poème fraternel composé des mots ressentis par les écoutants.  C'est le sens de son manifeste P.P.F. (Projet Poétique Fondamental) : « une reconquête des espaces où le poète fait rejaillir le sensible dans nos réalités qui l’étouffent. Un sensible qui se nourrit de nos histoires personnelles, de mémoire collective et d’actualité récente.» 

Durant le dernier confinement de 2021, dans le cadre du forum Jacques Prévert, elle réalise avec Arthur Ribo  les « rêves ailés à deux plumes » proposant, en live sur facebook, un échange vidéo avec un public qui participe à la création conjointe des poèmes en proposant des mots qui s'insèrent dans le tissu créatif  : un texte appelant un mot, qui appelle un texte... 

"Dans le ciment", écriture et performance : Sabine Venaruzzo.
Plus de vidéos sur la chaîne.

A quoi servent ces dispositifs et ces actions  ? Sabine envisage un futur recueil écrit à partir des mots recueillis au fil des actions, mais elle pense aussi participer ainsi à la création de ce qu'elle appelle « un recueil en sensibilité augmentée  »  comme elle le nomme : « est-ce que ça sème des graines  ? » se demande-t-elle. Mettre des mots sur l'insaisissable qui est au cœur de l'échange, cartographier ces moments sensibles sur nos territoires , dit-elle, dans lesquels baignent ensemble performeuse et public, comme dans un liquide amniotique, et source de surprise autant pour la poète que pour les participants. Il importe de laisser sa place à l'imprévu – qu'elle se refuse à nommer «  improvisation  », mot qu'elle ressent comme péjoratif. Pour elle, ce qui compte, c'est l'état de présence au monde, qui est l'état même de poésie. 

Elle travaille ainsi également avec des enfants, et même en crèche, avec des tout-petits : elle souligne la magie de leur émerveillement en correspondance avec l’état de poésie dans lequel elle les plonge. «  l'opéra minuscule  » avec Caroline Duval est créé à partir de leurs performances et improvisations. 

Ce qui compte, insiste-t-elle, c' est l'état de présence à ce qui se passe ici et maintenant – l'état de conscience dans l'action, quel que soit l'acte artistique. Cette attitude, cette attention – et j'ai envie d'écrire ad- tension, elle la pratique aussi au quotidien, à travers la méditation. 

La marche symbolique de Vintimiglia à Nice, avec dans les valises, les mots des migrants sur les galets

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Un moment de la marelle, à l'aéroport de Berlin. © Clément Démange.

A propos de ses actions pour les migrants -  je citerai  la marche symbolique de janvier 2017 menée depuis Vintimiglia,((accompagnée par les musiciens Raphaël Zweifel et Gwenn Masseglia et filmée par le vidéaste Rémy Masseglia. Le court métrage poétique est projeté lors de festivals en France et à l’étranger.)) -  elle parle plutôt de «  poésie-action  » selon le terme de Chiara Mulas (plasticienne et photographe, compagne de Serge Pey), car l'intention politique y était très forte, tout comme pour une autre action – les Mots Charte(r)s - menée à l'aéroport Tempelhof de Berlin, en plein cœur de Berlin avec ses complices Eric Clément-Demange (photographe) et Benoît Berrou (musicien), toujours pour dénoncer la condition des migrants.

Elle y avait proposé une marelle de mots sur les pistes d'envol, puis avait inventé une marelle sur laquelle les enfants pouvaient jouer avec des avions de papier - évoquant ceux qui passent régulièrement le grillage derrière lequel sont parqués les migrants.  C'est alors, dans la rencontre et le geste, que se créent des moments poétiques : c'est avec eux que la performeuse envoyaient les avions sur la marelle d'envol, dans laquelle ils inscrivaient le mot qui importait pour eux - souvenir, mot d'espoir, mot tendre... 

Durant le confinement, c'est tout naturellement qu'est né le projet «  appel à poésie  ». Il tentait de proposer une réponse au problème qu'il posait : l'être ensemble en poésie même séparés, mais en lien grâce au réseau, à la toile et aux modernes moyens de communication. Une vidéo regroupe les nombreuses participations à cette performance collective (voir en fin d'article). 

 J'ajouterai, pour y avoir goûté,  les lectures chuchotées au creux de l'oreille (un quart d'heure? vingt minutes? Le temps m'a semblé suspendu) via le téléphone. C'est en mars 2020 qu'elle a ressenti la nécessité de créer une ligne téléphonique, Minute Poësie,  pour maintenir du lien social et poétique dans cette période d'isolement. Il s'agit bien de mon point de vue d'une autre pratique de performance de la poète, qui tient à cette démarche de contact sonore à travers la technique du "chuchotage" qui permet aux mots d'entrer dans l'intime de l'auditeur comme une voix intérieure. 

A Sète, où elle a eu l'occasion d'offrir ses actions de La Demoiselle Et caetera, Sabine a redoublé de questionnements, notamment, me dit-elle,  après un riche échange avec Jean Le Boel, éditeur de poésie, poète invité du festival,  et fervent tenant de la poésie dans le livre  : pourtant, insiste Sabine (dont le premier recueil vient de paraître aux éditions de l'Aigrette ((https://www.recoursaupoeme.fr/sabine-venaruzzo-et-maintenant-jattends/)), hors du livre aussi, se trouve la poésie :  le poète habite le monde, et y transporte sa charge poétique. Cette dernière, pense Sabine, passe par le rapport au corps écrivant, et par le souffle. Mais quand – à partir de quand, et où - peut-on parler de poésie  ? Le temps de latence, cette ouverture flottante dans laquelle se formera (peut-être) le poème final, est-il déjà poésie  ? Oui, sans doute, pense-t-elle, cette «  vacance  », cet accueil du monde en soi est un état de poésie, qu'il importe de transmettre. Mais son questionnement se prolonge  : qu'en est-il du poème lui-même, une fois créé  ? A-t-il une vie propre  ? A-t-il une «  pulsation cardiaque  » variable suivant le(s) lecteur(s), leur état émotionnel, le lieu et le moment de la diction... Un poème survit au poète, il est le fruit d'une sensibilité augmentée... mais un poème meurt-il aussi  ? (Ces questionnements sont repris dans le poème qui suit).) Et ne faut-il pas toujours le réanimer, au fond, par l'action du dire, du faire  ?  

Envisager avec elle la performance comme un défibrillateur poétique, peut-être  ? 

INDICATION VITALE
Sabine Venaruzzo

La fréquence cardiaque est le nombre de battements cardiaques par unité de temps. Disons par minute.

Selon les espèces animales, la fréquence cardiaque est très inégale. Ainsi pour la baleine, le plus gros mammifère actuel, la fréquence cardiaque est inférieure à 20 battements par minute ; pour les chiens, elle est comprise entre 70 et 90 battements par minute, pour les chats, elle est comprise entre 110 et 130 battements par minute au repos, pour le serpent, elle varie selon les températures optimales de chaque espèce de 20 à 70 battements par minute, pour les oiseaux elle varie de 93 pulsations par minute chez le Dindon au repos à plus de 1 000 pour les oiseaux-mouches en plein vol, pour la mouche à viande elle peut atteindre 375 par minute, avec des périodes de pause sans battements et pour la souris de 500 à 600 battements par minute.

Venons-en à l’homme.

Au confort, elle est d'environ 60 battements par minute et chez l’enfant de 80 par minute.

Chez l’homme en détresse, elle est d’environ 220 battements par minute.

Au-delà d’une certaine limite suivant l’âge, il est mort. Le poète est vivant.

Sa pulsation cardiaque varie suivant s’il est au repos, en détresse ou mort.

Le poème écrit par un poète vivant a-t-il une pulsation cardiaque ?

Le poème écrit par un poète aujourd’hui mort garde-t-il une pulsation cardiaque ?

Le poème écrit par le poète s’aligne-t-il à sa pulsation cardiaque suivant s’il est dans le confort ou en détresse ?

Le poème déclamé garde-t-il la même pulsation cardiaque qu’un poème écrit ?

Quelle est la pulsation cardiaque d’un poème déclamé par un homme ou une femme au repos à un homme ou une femme en détresse ?

Quelle est la pulsation cardiaque d’un poème déclamé par un homme ou une femme en détresse à un homme ou une femme au repos ?

La pulsation cardiaque du poème augmente telle s’il est déclamé par plus d’une personne ?

Un groupe d’hommes et de femmes peut-il augmenter la pulsation cardiaque du poème s’ils le déclament ensemble ?

Les pulsations cardiaques s’additionnent elles ?

Pouvons-nous parler de sensibilité augmentée ?

Quelle est la pulsation cardiaque d’un poème déclamé par un groupe d’hommes et de femmes en détresse à toute une population au repos ?

Quelle est la pulsation cardiaque d’un poème déclamé par un groupe d’hommes et de femmes au repos à toute une population en détresse ?

Quelle est la pulsation cardiaque d’un poème déclamé par un groupe d’hommes et de femmes en détresse à toute une population en détresse ?

Implose-t-il ?

Imaginons un poème écrit sous forme d’interrogations multiples. Disons qu’il a une pulsation cardiaque qui lui est propre.

Imaginons maintenant qu’une personne particulièrement sensible à ce poème lui écrive des réponses. Le poème s’enrichit alors de ces mots et se transforme. Il devient alors un autre poème, disons un poème fraternel ou solidaire. Sa pulsation cardiaque initiale augmente elle ?

Quid si plusieurs personnes écrivent d’autres réponses aux mêmes interrogations du poème initial ?

Pouvons-nous imaginer qu’un poème en sensibilité augmentée puisse exister ? Que deviendrait sa pulsation ? Existe-il une pulsation cardiaque maximale pour un poème initial ainsi transformé ? Existe-il un seuil au-delà duquel le poème s’auto détruit ?

Un poème peut-il mourir ?

"Appel à poésie" : florilège des participations vidéos à l'action collective proposée par Sabine Venaruzzo et Une Petite voix m'a dit




Sabine Venaruzzo : Et maintenant j’attends & autres poèmes

ET MAINTENANT, J’ATTENDS

A Khojali, jeune soudanais rencontré à l’église de Vintimille

Et à Marc-Alexandre Oho Bambé

 

 

 

Je suis né dans un rouge paysage

Parfumé d’entrailles et de poussières

Où les balles se fondent dans les corps

Où les enfants jouent aux billes de plomb

 

Et maintenant j’attends

 

J’ai écrit dans mes mains le nom de ma mère

Juste sous mon pied le jour de ma naissance

Et j’ai marché sur les chemins d’espérance

Tenu les mots qui se perdent dans le vent

 

Et maintenant j’attends

 

J’ai quitté mon frère à la seconde où

Je suis parti sans le choix de rester

J’ai offert ma force au désert de sang

Pour chercher l’or au centre de la terre

 

Et maintenant j’attends

 

J’ai sauté par-dessus une frontière

Dans un éclat de rire j’ai crié

Me voici l’oiseau de la liberté

Mais déjà les ailes se dérobaient

 

Et maintenant j’attends

 

Le regard encerclé de barbe-lés

J’ai souffert les coups de l’extrémisme

Fait saigner mes mains pour qu’elles se souviennent

Moi qui suis parti sur les chemins

 

Et maintenant j’attends

 

Que s’effacent les souvenirs d’un trait

Que mon corps s’allège de mon histoire

Pour que la vague m’emmène loin loin

Juste de l’autre côté du miroir

 

Et maintenant j’attends

 

J’ai caché mon corps dans la blanche écume

Retenu des mains et des pieds sans tête

Mais ne pouvais secourir l’autre moi

La mort fauchait sans faille les plus faibles

 

Et maintenant j’attends

Dans un verre de lait

Crucifié dans la main

Enveloppé de fleurs imprimées

Les pieds fondus dans le bitume

Je grève la faim

Dans une assiette en carton

Je n’ai rien recherché

Sinon la liberté

Ou un souffle de vie

Ou d’être humain sur terre

 

Et maintenant j’attends

 

Dans une folle mêlée

Je frappe le ballon

Et je joue au pays

Qui percera ma cage

Je n’ai plus qu’un rêve

Qui annule les souvenirs

Et qui vit dans le va-et-vient

De la nuit et du jour

Je brûle d’attendre

Comme je brûle de partir

Je suis un Noir cramé

Au bord d’un pays libre            

Où je ne suis pas né

 

Et maintenant j’attends

 

La liberté serait mathématique

Alors je retourne à mes études

Et j’observe la confusion de l’homme

Dans le microscope de la vie

 

Sous mon pied je tente d’effacer

L’empreinte matricule

Mais sur la carte aux trésors

Il n’est pas admis

 

Alors j’attends

 

Comme un Noir cramé

Dans un corps container

Au bord d’un pays

Qu’on appelle liberté

 

Arrêts sur image

 

Soudain

Soupirs courts

Petits pas reculons

 

***

 

A travers nuages

La vie m’éclabousse

Malgré elle

 

***

 

J’ai pris la main

D’un désir

Échappé du ciel

 

***

Auto dafe

Il n'y a plus de mots dans ma tête

Ils ont brûlé

J'avais laissé ma cigarette se consumer au bord de mes lèvres

 

***

 

J’ai placardé la solitude sous un toit

Avec vue sur le monde d’en face

 

***

Sens titre

 

Un caddy nomade chante sa solitude au balayeur de nuit

Le sens s'est endormi dans ses lettres

Et plus rien

Sauf peut-être

Le drap retient le dernier souffle

L'œuvre inachevée de l'employé du monde

Ramassant les rues dans ses couvertures

 

Foutu temps.

Les herbes sont folles.

La pluie les a rendues folles.

Et les pieds s’agitent dessus.

Mouillées elles rient follement.

 

Présidente

Président mon amour

Par ces mots adoucir

Toute la haine déversée

Sur les murs virtuels

Président mon chéri

Je te vois sous la pluie

Annoncer ton départ

Au pied d’un mur falaise

Président de ma France

Petit coeur République

A passé le temps dur

Va changer maintenant

Président mon amant

J'ai flirté politique

Et je crie à la craie

Les murmures d’une poésie

Bientôt Présidente.

 

Insomnie

Et le corps traversé de pluie

J'embrasse l'arbre orphelin

J'enterre quelques fleurs

Au pied d'un réverbère

Et j'avance sur l'avenue de lumière

Et je chante dans la nuit un air sauvage

Et je m'élance aux balcons éteints

En quelques mots remue ménages

La ville somnifère est lourde d'ennui

Et se berce de mes incantations à l'arche

Et je saute dans la flaque

A la croisée des feux de route

Des voitures feu follets

Et je lève les bras dans un cri de mouette

Qui me guide vers le port

Et je marche

Et j'avance

Et j'embrasse

Et je chante

Le coeur rouge dans la voix

Et je brume

Dans la ville

Sur un rythme végétal

 

Poème européen n°

Ich bin berlinerin

Walking en ballerine

Deposing my skin

Le long d'un mur

A court de rêve d'amour

 

 

Densité du squelette

Alles in ordnung

Pop corn

Bar at the corner

Populaire

Popul’art

Pop

Pipe

Piper dé hasard

Calme quiet

Couette miette seconde

Plume silhouette

Instant d’or

Corps mouvement

Sur la musique de la juke box

Ambiance

Errance

At midnight

Sièges flottants au bar

Bières titubant sur l’accoudoir

Populaire l’air de plaire à un gars

Regard lancé de côté

Comme une passe match

Essai raté

J’ai tourné la tête

Atterrissage dense chevelure

Notes emmêlées dans mes doigts stylo bic

Big bock à boire

Remplir l’âme au travail

Travailleurs, travailleuses

Du dimanche soir

Venus toutes et tous

Tous et toutes dire un au revoir

Signer un autographe à l’horloge

Demain est déjà là

Morgen matin déjà

Double sens en un seul point

Mot double trouble le

Trouble eye

Red pop corner

Red room

Murder pub

Killer de mots

La mâchoire se serre et la langue se tortille dans une bouche fermée

Pied congelé fixé dans la bottine

Accoudoir écorché vif

Âme vive de comptoir

Regard escape

Shape

Shame on me

Music juke box

Berceuse des temps modernes

Du temps que je vis ici

Pub Pub Pob Pubcorn

Pub de cul Cul de pub Cul de pute

Couille molle pendue au bar

Doigts glissant sur la joue de l’âme au travail

Pas de sujet

Pas de verbe

Complément d’objet

Complément d’instant

Une présence

Un être

Un dit

Un rien dit écrit

Un être cherchant midi à minuit

Bougie lumière d’une page qui se remplit et vide le glass full of Fassbier

Alles in ordnung

Keine Ahnung

Nung Jung Nouille Fluide Estomac Eye

I sleep in the bar comptoir

Et je dois payer ce temps passé

A écrire quelques mots ramassés

Dans mes tiroirs

Caisse

Cornes décorniquer dépop départ

Juke box repart

Moi dare dare je me barre

Y’en a marre de ces mots automatiques

Juke box tic

Tic tac music

Tic tac

Tic tac

Tic tac

Coup de feu

Start & go

Présentation de l’auteur

Sabine Venaruzzo

Sabine VENARUZZO est poète, performeur, chanteuse lyrique, comédienne et passeuse de poètes. En 2012, La Demoiselle et cætera devient la forme spectaculaire de sa poésie dans le sens où elle fait appel au théâtre, au chant, à l’image, au mouvement, à la musique et à la mise en scène. En 2016, elle lance un vaste chantier poétique Sur les routes avec l’ambition de poétiser le monde. Elle pose ainsi son P.P.F. (Projet Poétique Fondamental) en prise directe avec la réalité. En janvier 2017, Rémy Masseglia réalise un court métrage poétique L’humanité avant toute chose sur sa marche symbolique entre Vintimille et Nice. En septembre 2018, elle réalise la performance Mots Charte(r)s sur le site de l’ancien aéroport Tempelhof à Berlin. En 2020 elle propose avec son ami plasticien poète Daniel Fillod une performance poétique et plastique en réponse à son poème « A quoi ça sert ? »

Son premier recueil « Et maintenant j’attends » paraît en septembre 2020 aux Editions de l’Aigrette.

Autres lectures

Sabine Venaruzzo, Et maintenant, j’attends

Un titre qui interpelle. Se dessine une temporalité, "maintenant", mais avant ou après quoi, et un état de fait, "j'attends". Alors on imagine, et on regarde la couverture de ce recueil de Sabine [...]




Sabine Venaruzzo, Et maintenant, j’attends

Un titre qui interpelle. Se dessine une temporalité, "maintenant", mais avant ou après quoi, et un état de fait, "j'attends". Alors on imagine, et on regarde la couverture de ce recueil de Sabine Venaruzzo, où une femme rouge tout entière se tient debout dans une lande épaisse, gants de boxe aux mains. 

La réponse est à la fin du livre : le lecteur est invité à entrer, à franchir ce qui auparavant était l’intangible silence qui séparait l’auteur du destinataire fictif du texte. Grâce à un dispositif de QR code il est possible non seulement de prolonger l’immersion dans l’univers de la poète, mais, chose extraordinaire, de participer à l’élaboration d’une suite, d’un écho. Remarquable opportunité ouverture vers cet idéal de fraternité pour lequel existe la poésie en offrant un au-delà du langage, une libération des représentations, une plongée dans les universaux que nous portons tous. Ici le recueil prépare à ce qui clos et ouvre, à cette invitation à la réunion.

Le recueil se termine sur une adresse au lecteur "Notes de l'auteur à votre attention" :

Terminer ce recueil en le laissant ouvert à tous les possibles
Et maintenant, j'attends...
                                                     ...vos mots !
Ecrits, dessinés, photograhiés, filmés, dits, chantés !

 

Sabine Venaruzzo, Et maintenant, j'attends, Editions de L'Aigrette, 2020, 102 pages, 15 €.

"Terminer ce recueil", qui ne se finit pas, parce que l'appel à la réunion est ce qui ouvre, à la fin des poèmes, après les quelques pages rouges dans lesquelles Sabine Venaruzzo exhorte au  rassemblement :

Poétons ensemble

Ecrivons le poème universel qui rassemble nos parts
d'humanité 
Naissantes et naïves, éclatées sous les bombes, rassemblées
dans la rue, calibrées espace vital, aimantes et sauvages,
arrêtées dans des camps, couchées réverbère, irradiées cellulaires.

...

Et maintenant. Avec toi. Notre attente contre toute atteinte est
en mouvement.

 

Ces pages rouges qui précèdent l'invitation à venir participer à l'élaboration d'une fraternité poétique entrent dans le regard, épousent la chair, empruntent la matière de nos âmes. Une couleur qui ponctue les pages du recueil, où quelques photos de la poète habillée et masquée de rouge, gants de boxe compris, prend des poses différentes, puis où le gant de boxe seul apparaît. Rouge, symbole de danger, et de combativité. Un combat qui est celui que Sabine Venaruzzo mène pour la paix.

Dans la première partie du recueil, les poèmes disent ce qui sépare, évoquent la violence qui règne sur cette planète, signe d’un échec patent de nos sociétés à élaborer un quotidien porteur d'épanouissement. Tant d’aberrations, tant de haine, tant de schémas cousus de peurs et de désagrégation, de violence et de geôles, sont énoncés. Comme on visite un édifice en péril la poète ouvre des portes qui dévoilent les espaces de tous ces échecs de l’humanité.

 

J'ai le cœur Bagdad

A Aya Mansour
Texte paru dans l'anthologie Rouges
aux éditions de l'Aigrette

Sur le chemin rouge des frères abattus
Des corps renaissent dans une herbe folle
Des silhouettes s'enlacent
Et s'entassent
Et s'aiment
Dans l'infinie racine du temps

 

Puis les pages rouges, présentes déjà dans les aplats de couleur qui ponctuent les photos. Il faut agir. Nous sommes invités à participer, à rejoindre nos frères humains. Là impossible de refermer le recueil, comme à chaque fois, comme cette sempiternelle cérémonie, fermer le livre, le poser, ému ou pas, ou de moins en moins, et reprendre le flux de la vie, inepte à force de pertes inouïes de toutes ces valeurs perdues dont la plus époustouflante est la fraternité, l’universalité de ce que peut et doit être l’humain.

Et enfin ce "lieu dans le livre" que sont les quelques page qui ferment Et maintenant j'attends. "Terminer ce recueil en vous faisant découvrir d'autres passages aux actes poétiques",   pour fermer l'ouverture, ou ouvrir la fermeture sur un horizon qui appelle un avenir commun édifié à partir de ceci, une communauté humaine enfin fraternelle. Des codes QR invitent à écouter les poèmes dits par l'artiste, et l'adresse de son site internet est là pour recueillir des propositions, des textes, des mots, des présences, des énergies prêtes à participer à l'élaboration de la suite, poétique, donc inscrite dans le quotidien, l'engagement, le désir de vivre autrement. Ce qu'est la poésie, en somme, et l'essence même de sa raison d'être.

Sabine Venaruzzo montre le seuil d’une possible unité entre les mots et le silence d’un imaginaire, celui de l’auteur lorsqu’il écrit pour cet indéfini lecteur, celui du lecteur lorsqu’il suit le poète et espère partager le souffle dans les mots. Elle  attend, maintenant, parce qu'elle le sait, c'est l’heure d’aller plus loin que pleurer ou s’indigner dans son coin, maintenant est le moment de la réunion de ceux qui son prêts à avancer vers demain. Ceci n’est pas un livre, c’est une porte, de même que "Ceci n'est pas une préface", très beau texte écrit par Marc Alexandre Oho Bambe dit Capitaine Alexandre qui ouvre le recueil, . "Pas une préface, mais une missive, ouverte" comme l'est ce recueil, jamais terminé, parce qu'il est ce seuil  d'un territoire humain nouveau, il est le signe du début de ce voyage vers notre unique pays qu'est la Terre.

"Poétons ensemble

Nous sommes tous faits de la même roche, de la même terre,
de mêmes cellules, de sang rouge.
Nous sommes tous inexorablement liés et reliés.
Ainsi sommes-nous.
Ainsi suis-je.
Ainsi es-tu.
Ainsi soit-il.
Amen.

Rouge est le visage masqué mais dessous est celui de la poésie, qui reprend contact avec ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être, une porte ouverte vers la réunion des humains, vers la communion et le partage. Ce visage, nous sommes invités à le dessiner dans ce recueil, dont il faut saluer l'immense qualité, et pour lequel il faut remercier les éditions l'Aigrette, éditeur engagé qui continue malgré cette terrible période à porter la Poésie, et à rêver qu'elle sera le chant de la victoire d'une Babel écroulée.

Présentation de l’auteur

Sabine Venaruzzo

Sabine VENARUZZO est poète, performeur, chanteuse lyrique, comédienne et passeuse de poètes. En 2012, La Demoiselle et cætera devient la forme spectaculaire de sa poésie dans le sens où elle fait appel au théâtre, au chant, à l’image, au mouvement, à la musique et à la mise en scène. En 2016, elle lance un vaste chantier poétique Sur les routes avec l’ambition de poétiser le monde. Elle pose ainsi son P.P.F. (Projet Poétique Fondamental) en prise directe avec la réalité. En janvier 2017, Rémy Masseglia réalise un court métrage poétique L’humanité avant toute chose sur sa marche symbolique entre Vintimille et Nice. En septembre 2018, elle réalise la performance Mots Charte(r)s sur le site de l’ancien aéroport Tempelhof à Berlin. En 2020 elle propose avec son ami plasticien poète Daniel Fillod une performance poétique et plastique en réponse à son poème « A quoi ça sert ? »

Son premier recueil « Et maintenant j’attends » paraît en septembre 2020 aux Editions de l’Aigrette.

Autres lectures

Sabine Venaruzzo, Et maintenant, j’attends

Un titre qui interpelle. Se dessine une temporalité, "maintenant", mais avant ou après quoi, et un état de fait, "j'attends". Alors on imagine, et on regarde la couverture de ce recueil de Sabine [...]