Sandra Lillo, Poèmes

Le bar est fermé

alors les gens boivent un café
dehors

devant la boucherie

Je ne m'arrête pas

je ne connais personne

mais je regarde

Ça fait comme des petits horizons
qui s'ouvrent

comme si le ciel d'été tournait sept
fois sa langue dans nos bouches

De l'autre côté de la rue

on ne voit plus les mères de famille
et les gens qui reviennent du travail

On dirait que le matin a disparu

 

Il est seize heures trente

je pensais qu'il était plus tard

Il pleut depuis ce matin

la pluie pénètre dans l'âme et
les jardins

Je m'ennuie

On dirait que je ne suis jamais
sortie de la chambre

à côté de celle de mes parents

Je me suis sans doute endormie

sinon j'aurais une maison avec un toit
rouge

entre les arbres d'hiver et les soleils
couchants

et en la voyant de loin les gens diraient

C'est une boîte d'allumettes

 

 

Dimanche

Un corbeau marche sur l'herbe

On dirait qu'il pense

C'est peut-être un savant ou un
philosophe réincarné

Je me demande ce que se disent
les fleurs

quand elles ne font pas la sieste

Le ciel est de la couleur de la fonte

Les cheminées crachent des
bouillons de fumée

Je regarde

comme quand je jouais à la
marchande

le petit bout du monde

un centimètre peut-être

 

J'écoute Johnny Cash

il parle de rêves brisés que rien ne
peut réparer

Moi je couds encore

même si le tissus se déchire et ne
tient plus

Je parle avec ma liberté mais des fois
je me fâche

et j'ai envie de casser quelque chose

parce que ici c'est pas très grand

surtout l'hiver avec tout ce silence

Alors hier comme le ciel était bleu sec

j'ai étendu ma chemise sur la corde à linge

et maintenant mon tiroir sent la nuit

 

 

Je relis toujours les mêmes poèmes

Je mets des petits billets
entre les pages

et puis je les enlève pour ne rien
rater

La lumière depuis est descendue
et le livre est posé sur la table

J'espère qu'un peu de moi y est
resté

mon souffle ou quand j'ai levé
les yeux pour te regarder

Quand je suis revenue les mots
faisaient

comme des blouses remplies
de vent

et comme tu continuais de me
regarder

je me suis cachée

 

 

 

 

Présentation de l’auteur

Sandra Lillo

Sandra Lillo est née à Nantes en 1973. A une époque compliquée de sa vie la poésie a été une découverte, puis une curiosité jusqu'à devenir cette fenêtre ouverte, éclairée au bout du chagrin dont parle dans son poème Paul Eluard.

 Elle a publié deux recueils aux Editions La Centaurée dont un Le silence coule sous les branches avec le photographe Cédric Merland.

 Deux autres recueils sont à paraître dans l'année.

Sandra Lillo

Autres lectures

Sandra Lillo, Les Bancs des parcs sont vides en mars

Extraordinaire ! Vraiment... J'ai fait là une rencontre avec une écriture superbe, simple et profonde, authentique et douée d'empathie pour la vraie vie malgré les difficultés de chacun pour la vivre, et usant [...]




Sandra Lillo, Les Bancs des parcs sont vides en mars

Extraordinaire ! Vraiment... J'ai fait là une rencontre avec une écriture superbe, simple et profonde, authentique et douée d'empathie pour la vraie vie malgré les difficultés de chacun pour la vivre, et usant d'un étonnant "tour de passe passe" stylistique pour le décrire !..

Poèmes et vers s'étalent (s'étagent) dans toute la hauteur de chaque page (on y respire), multitudes d'impressions qui nous rejoignent et dites (en apparence) sans le détour, la "complication-médiation" de la pensée, comme directement "surgies" du cœur, avec des raccourcis étonnants qui ''fulgurent'' l'expérience décrite dans laquelle nous nous reconnaissons tous si bien : vie, nuit, jour, fenêtre, perte, absence de l'être aimé (est-ce une séparation ? Un deuil?), étonnement, le chat, les enfants, le désir – un désir énorme - niché dans notre quotidien quand il est à la fois si riche et si limité !..

Sandra Lillo,  Les Bancs des parcs sont vides en mars, Éditions La Centaurée
Valérie Ghévart 211 rue de Vern, Apt 405, 35200 Rennes

Je dis très mal toute ma reconnaissance pour la force de ces poèmes et leur style très agréable, le tout provoquant une rencontre du lecteur avec lui-même, avec ses attentes les plus profondes et la question (omniprésente) du sens de toute vie…

« Il y aura la mer derrière les rideaux
les murs
les messages du vent dans le bec
des oiseaux
la nuit se perdra dans le silence maternel de l'aube
On se racontera l'ordinaire et le champ
de bataille à l'intérieur
tout ce qu'il a fallu détruire pour continuer »

Présentation de l’auteur

Sandra Lillo

Sandra Lillo est née à Nantes en 1973. A une époque compliquée de sa vie la poésie a été une découverte, puis une curiosité jusqu'à devenir cette fenêtre ouverte, éclairée au bout du chagrin dont parle dans son poème Paul Eluard.

 Elle a publié deux recueils aux Editions La Centaurée dont un Le silence coule sous les branches avec le photographe Cédric Merland.

 Deux autres recueils sont à paraître dans l'année.

Sandra Lillo

Autres lectures

Sandra Lillo, Les Bancs des parcs sont vides en mars

Extraordinaire ! Vraiment... J'ai fait là une rencontre avec une écriture superbe, simple et profonde, authentique et douée d'empathie pour la vraie vie malgré les difficultés de chacun pour la vivre, et usant [...]




Sandra Lillo, Escale sur le bord de mes paupières

(extraits)

Escale sur le bord de mes paupières;
Les rêves disparaissent,
Mangés par l'obscurité des années
Qui sont passées,
Qu'un autre semble avoir tissé
Avec mes mains, ma voix, mon manteau,
Mes armes et ma lâcheté.

Regarder tomber des averses de pluie
A travers le champs des souvenirs,
Entendre l'enfant qui boit à toutes les saveurs
Qui s'endort sur une dernier rêve de vent,
La joue contre sa paume,
C'était moi.
Je n'aime plus le vent
Qui bouscule dans un grand fracas
Ma mémoire
Et mes jambes qui flageolent
Celles- là même qui ont dansé
Et serré convulsivement
Les hanches des hommes
Et mon cœur qui s'affole
Qui a aimé dans toute sa pureté
Et ma bouche qui se ferme dans une dureté amère
Qui a embrassé rit et pleuré, sans regrets.

Le grand destin courait déjà,
Ivre de sa puissance derrière sa proie,
Écrasant tous les refuges de l'enfance.
Il a bondit dans un dernier élan, sûr de son dû,
De sa victime consentante,
Décidant la mort naturelle dans ses obscures raisons.
Seule, l'âme s'est élevée,
A révélé l'erreur;
Il n'ait d'autre joie
Que celle de vivre et vieillir
Jusqu'aux dernières portes
Dans un dernier salut.

 

 

 

 

 

Établir ses comptes
Sur une férule de papier,
Se découvrir vieux
Avec des rides, des plis,
Des amours maudits.
Embrasser la terre
Pour le vin qu'elle a fournit;
Dans ses beaux jours,
Sa couleur acajou,
Dans sa douleur lancinante,
Les formes lascives de sa robe.

Après la parole, après la nuit,
Remonter à la ligne,
La ligne plate de l'horizon;
La lumière joue, s'invente
S'avance comme on l'attend,
Tapissée d'ombre,
Agitée de somnolence et d'éveil.

 

 

 

 

 

Il faudra toujours rentrer;
vérifier le courrier,
retrouver les meubles et leurs bibelots,
leur air fanfaron sur l'étagère,
leur doigt aigri, accusateur
sur la pellicule molle de leur poussière.

Il faudra toujours rentrer;
taire les envies de s'échapper
pour aller au devant des blas- blas du monde,
laisser ses pas glisser sur l'asphalte,
(enrubanné de ses costumes d'apparat),
qui rappelle les gris brefs de l'enfance
et ces belles soirées qui avaient l'éclat blanc
de la liberté, (jouir de l'éphémère,
fier, émancipé d'une famille toujours plus meurtrie).

Il faudra toujours rentrer;
rencontrer quelqu'un que l'on croyait perdu
qui a capturé notre visage, notre figure,
quelqu'un qui nous attend pesant
sur la dernière marche de l'escalier,
qui attend la clef dans la serrure,
le geste lent pour ouvrir les volets,
qui se souvient de chaque porte, de chaque entrée,
de chaque palier rayé d'une unique identité
(les cris qu'elles ont caché,
la peine qu'elles ont dissimulé)
et les espoirs étouffés une fois le seuil dépassé.

Avant de rentrer, j'aimais la solitude.

 

 

 

 

 

Tout quitter,
Contempler d'ailleurs
Ses anciens espoirs.

Prendre soin de la tristesse,
S' assoupir sur les rives d'un autre territoire.

Déposer dans un encensoir, avant le départ,
Les majuscules d'un drame qui s'est joué
Entre les bornes, d'une vie illusoire.

Dire au revoir à ces voix fatiguées
Qui ne font que répéter
Les mois fragiles qui se sont envolés
(Sur les berges marines du printemps,
On ne faisait qu'avoir vingt ans).

Le soir dépose son manteau
De plus en plus tôt
Et le réveil vient livré dans la douleur.

S'en aller,
Remorquer à la force du corps
Le désenchantement posé
Dans un coffre de bois noble.

 

 

 

 

 

L'horloge de midi fredonne
Les sanglots d'un violon
Qu'un homme laisse s'étirer,
Frôler les toits pentus du quartier
Quand vient l'heure, morose,
Ou déraciné, on quémande
Comme un petit enfant, un signe
(une particule de poussière
volant sur les ailes du soleil,
le nom d'un amant retrouvé
sur un papier couturé).
Un geste qui éloignerait pour un temps,
La solitude qui attend,
Tassée dans un recoin du grenier,
L'heure de descendre l'escalier,
Boitillant ses regrets;
Qui vient, sans taffetas ni vernis
S'installe à table,
Dans la chambre à coucher,
A l'heure, ou le repos est enfin permit.

 

Présentation de l’auteur

Sandra Lillo

Sandra Lillo est née à Nantes en 1973. A une époque compliquée de sa vie la poésie a été une découverte, puis une curiosité jusqu'à devenir cette fenêtre ouverte, éclairée au bout du chagrin dont parle dans son poème Paul Eluard.

 Elle a publié deux recueils aux Editions La Centaurée dont un Le silence coule sous les branches avec le photographe Cédric Merland.

 Deux autres recueils sont à paraître dans l'année.

Sandra Lillo

Autres lectures

Sandra Lillo, Les Bancs des parcs sont vides en mars

Extraordinaire ! Vraiment... J'ai fait là une rencontre avec une écriture superbe, simple et profonde, authentique et douée d'empathie pour la vraie vie malgré les difficultés de chacun pour la vivre, et usant [...]




Sandra Lillo : 5 poèmes

 

Il ne s'agit plus

Il ne s'agit plus de tenter d' oublier
ce qui s'attarde dans la mémoire,
les copeaux de sable de nos miracles,
ce qui nous a jeté à genoux,
cois dans le silence, pleurant plus tard
devant des audiences invisibles. 

Il s'agit d'après- midis trop vastes
où l'on comprend que la vieillesse
se tenait aussi au pommeau des chevaux de bois, 
que son visage se reflétait sur la vitre des trains de nuit.

On sait quand l'après- midi nous dénude
que nous perdons du terrain devant ce qui nous affecte,
soucieux d' être estampé du plaisir de vivre
derrière les voiles épurées du vent,
derrière l' épaule de l'humanité qui se continue.

Il ne s'agit plus de lier ou de défaire.
Il s'agit de s'arrimer au passage noble des oiseaux,
aux fleuves charriant la boue et les lettres du monde.
Il s'agit de rester à n'en savoir qu'en faire.

 

 

***

 

Voyageurs

Combien de paysages traversés
entre tuiles d'ardoise et de brique,
de rues piégées dans les faisceaux du train?

Combien de paroles chapardées
liant nos sorts en un,
de pensées tues aux lueurs fragiles
de matins pluvieux, brumeux ou ensoleillés?

Combien de fous meurtris par trop de lois,
arrogants dans leurs broussailles,
affaissés, grimaçant, dans le wagon?

Combien d'amoureuses laissées au petit jour
que les voyageurs regardent
en se vouant au même mal,
de solitude, de prières dans nos yeux
quand le rire de deux enfants
fait sursauter le grincement chuintant du train?

 

 

***

 

 

Mon amour

 

Mon amour est avec moi
à l'heure où la nuit engloutit
les lumières ténues de la raison.
Il est la lune pleine dans mon ventre,
l'étoile du berger de mes pupilles.

Mon amour est entre le monde et moi,
vagabond crédule des berges d'Utopie,
vieillard sage dont je suis la fille.
Lorsque l'obscurité bat contre mes tempes,
il est la clarté effleurant les lacs brumeux,
l'intemporel dans ma mémoire
et ses pauvres souvenirs.

Nos âmes se couveront encore du regard
dans le train qui survole après la mort
les troupeaux laineux avançant busqués
sous la verve froide des vents du nord.

Nous dirons au- revoir
aux vagues sous leur cloche d'opale,
aux temples élevés sur leur trois- mâts.
Nos gestes réunis, nos bouches dévastées
déchireront la nuit polaire
de ce que nous étions la veille,
de ce que nous étions dans la mémoire
des villes traversées.

 

 

***

 

 

Un autre été

L'été a un déhanché de gitane,
la ville découvre ses cuisses
encore crémeuses de l'hiver.
Des vapeurs d'alcool descendent
de l'alambic cuivré du ciel,
pénètrent les naseaux des plus sages.

Le désarroi, la peine errent
entre les chemins de vallées
étrangères.
A la mi- jour on s'adonne à la sieste
sous des feuilles de peupliers
psalmodiant le prénom des saints,
sous des toits d'ardoise brûlants,
l'âme silencieuse, dans un corps                                       
qui n'est plus qu'offrande
à la coulée lourde des heures.

A minuit, sur les lèvres, des mots de faiblesse
convient les étoiles à étreindre les regrets
et la fièvre, de tout emporter, pour et par le vide.
Seul, sur la crête des vagues, voguent
des voiliers de passage,
sous le regard jaune des mouettes, des pélicans.

 

 

***

 

 

Où ?

 

Où s'en vont dormir les oiseaux
Quand la nuit dans un battement d'ailes
Eteint la lumière floconneuse des fleurs
Tait la tirade enfiévrée des voix andalouses

Où s'en vont les étoiles
Quand le jour avance à petits pas d'espion
Sur le bord des rivières
Sur la couronne brique des toits

Où s'en va Paris
Quand les projecteurs du monde
Eclairent d'autres villes amoureuses
De l'écoulement oisif de leur fleuve,
De la résille de leurs rues

Où s'en vont les vertes années
Celles qui savaient nos habitudes
Qui aimaient l'ombre musquée des bois
La tiédeur dorée des levers d'autrefois

Où s'en vont les souvenirs
Quand il ne reste que le présent
Ses taches d'ombre et de vin
Sur le plat d' une porte fermée

Présentation de l’auteur

Sandra Lillo

Sandra Lillo est née à Nantes en 1973. A une époque compliquée de sa vie la poésie a été une découverte, puis une curiosité jusqu'à devenir cette fenêtre ouverte, éclairée au bout du chagrin dont parle dans son poème Paul Eluard.

 Elle a publié deux recueils aux Editions La Centaurée dont un Le silence coule sous les branches avec le photographe Cédric Merland.

 Deux autres recueils sont à paraître dans l'année.

Sandra Lillo

Autres lectures

Sandra Lillo, Les Bancs des parcs sont vides en mars

Extraordinaire ! Vraiment... J'ai fait là une rencontre avec une écriture superbe, simple et profonde, authentique et douée d'empathie pour la vraie vie malgré les difficultés de chacun pour la vivre, et usant [...]