Somaia Ramish, Trois poèmes

Traduction Cécile Oumhani

1)

Chargez la poésie comme un fusil
la géographie de la guerre est un appel
aux armes.
L’ennemi n’a pas de signes,
de signes par délégation
de couleurs
de signaux
de symboles !
Chargez les poèmes comme des fusils –
Chaque instant est chargé
de bombes
de balles
d’explosions
de bruits de mort –
la mort et la guerre ne respectent pas de règles
vous aurez beau transformer mille fois vos pages
en drapeaux blancs,
ravalez vos mots, ne dites plus rien.
Chargez vos poèmes –
vos corps –
vos pensées –
comme des fusils.
Les écoles de guerre se soulèvent
en vous.
Peut-être êtes-vous le prochain.

2)

Pour Farkhondeh. Ils ont dit qu’elle n’était pas une musulmane, alors ils l’ont tuée et ont jeté son corps dans le fleuve Kaboul. Son nom signifie bénie et joyeuse.

Une page dans le journal du fleuve Kaboul :

Quarante ans,
du sang,
du feu,
et maintenant ceci…
le corps de cette femme
qui se désintègre en moi.
J’en ai assez de couler.
L’Afghanistan n’est plus farkhondeh.

3)

Je suis en vie,
Malgré la balle que j’ai au cœur.
Je fuis vers la ligne Durand.
Les frontières ne reconnaissent pas ma vie.
Je suis en route vers Nimroz
moitié cendre
                      moitié feu
et maintenant
Je suis près de Khouzistan.
La patrouille des frontières iranienne en armes
est une balle de plus
et mon sang est sans valeur comme les eaux qui gonflent
la rivière Hari.
Je suis en vie.
Je traverse des déserts et des océans,
survis aux barbelés et
aux mâchoires des chiens affamés.
Je suis assise en face d’un agent de l’immigration
qui n’a pas un regard pour moi,
ne me tire pas dessus.
Au lieu de cela, il me résume
en un numéro à sept chiffres
Zéro -- Cinq – Huit – Quatre – Deux – Deux – Deux
Je cours dans six directions.
Stop !
Je laisse tomber mes numéros.
Je n’ai jamais été en vie
hors de mon pays natal.

*Nimroz. : Le nom d’une province en Iran à la frontière afghane.
*Fleuve Hari : Le nom d’un fleuve à Hérat. Hérat est une province à l’ouest de l’Afghanistan.

Présentation de l’auteur

Somaia Ramish

Somaia Ramish est poète, écrivaine et militante des droits des femmes en Afghanistan depuis vingt ans. Elle prépare actuellement une thèse de doctorat en Littérature à la prestigieuse Université de Delhi.

Elle a été l’une des représentantes élues du Conseil de la Province de Hérat.

Elle a publié de nombreux articles dans des journaux et des magazines nationaux et internationaux réputés. Ses poèmes ont été publiés et traduits. Certains ont été mis en musique, dont un tout récemment au Conspirer Opera à Austin, Texas.

Des poèmes d’elle ont été publiés en français dans « Europe » et récemment dans « Apulée ».

Après l’arrivée des Talibans au pouvoir en 2021, Somaia Ramish a obtenu l’asile avec sa famille aux Pays-Bas, car la vie sous le régime des Talibans était devenue impossible et leurs vies étaient directement menacées.

À la suite de l’interdiction des arts en Afghanistan, Somaia Ramish a fondé Baamdaad – Maison de la poésie en exil, en réaction contre la censure. Née de la solidarité des poètes du monde, Baamdaad – Maison de la poésie en exil est née de la solidarité des poètes du monde est un mouvement de protestation artistique qui a pour but d’œuvrer pour un monde meilleur à travers les arts.

 

Autres lectures

Une voix pour la liberté : Somaia Ramish

Somaia Samish est poète, écrivaine, journaliste et activiste féministe. Militante infatigable des droits des femmes, ancienne élue publique, diplomate citoyenne, et ancienne candidate au Parlement afghan, elle est la co-fondatrice et actuellement directrice [...]




Une voix pour la liberté : Somaia Ramish

Somaia Samish est poète, écrivaine, journaliste et activiste féministe. Militante infatigable des droits des femmes, ancienne élue publique, diplomate citoyenne, et ancienne candidate au Parlement afghan, elle est la co-fondatrice et actuellement directrice d'une ONG dédiée aux questions des femmes. Elle milite depuis des année pour que les droits élémentaires des femmes soient respectés en Afghanistan, et dans certains pays où leurs conditions de vie sont déshumanisées. Née en 1986 à Herat, en Afghanistan, elle est aujourd'hui réfugiée aux Pays-Bas. Pendant la 1ère République islamique d’Afghanistan, sa famille s’est enfuie à Téhéran, en Iran. Après la première chute des talibans, elle est retournée en Afghanistan, et pendant 20 ans, a travaillé pour contribuer à bâtir une société démocratique et égalitaire. Comme tant d’autres Afghans elle a dû de nouveau demander l’asile en tant que réfugiée après que les talibans ont pris le pouvoir en Afghanistan en août 2021. Elle résiste, se bat, est l'auteure d'une anthologie où elle a recueilli des textes auprès de poètes internationaux, et fait entendre sa voix, qui devient celle de toutes les femmes afghanes. Elle a accepté de répondre aux questions de Recours au poème. 

 

Entretien traduit par Cécile Oumhani

Somaia. Ramish, vous êtes une poète afghane, une journaliste et une militante. Où vivez-vous aujourd’hui ?
Après la chute de Kaboul et l’arrivée au pouvoir des Talibans, j’ai cherché refuge aux Pays-Bas. Une partie importante de la communauté intellectuelle d’Afghanistan – artistes, écrivains et penseurs – a été contrainte à l’exil. Je suis, moi aussi, parmi ces exilés, et je réside actuellement à Leiden, aux Pays-Bas.

 

Kabunath, poème de Somaia Ramish, dit par l'auteure. 

Vous luttez pour les droits des femmes en Afghanistan. Pouvez-vous nous parler de leurs conditions de vie dans ce pays ?
Parler du sort des femmes afghanes est un sujet chargé d’émotion pour moi. Il réveille un mélange de tristesse, de colère et de frustration, parce que la réalité est sombre. C’est la vie qu’on refuse aux femmes afghanes ; elles en sont réduites à exister plutôt qu’à vivre. Leur condition est celle d’un oiseau qu’on a enfermé dans une cage et qui attend sa mort inévitable. Vous imaginez-vous ce que sont l’angoisse et la douleur d’une femme qui se trouve dans une telle situation ? Une vie où vous ne pouvez plus sortir seule de chez vous, porter les vêtements que vous aimez, faire des études, vous promener tranquillement au parc, écoutez votre musique préférée, aller dans un salon de beauté, faire du sport, vous divertir, travailler en dehors de chez vous…  C’est la cruelle réalité des femmes afghanes.
Je voudrais insister sur l’apartheid de genre qui prévaut en Afghanistan. Du simple fait qu’elles sont femmes, elles sont privées de leurs droits humains fondamentaux. Les Talibans considèrent les femmes comme des objets, dont la fonction est la reproduction et la servitude sexuelle. Ils attendent des femmes qu’elles portent des enfants et les utilisent comme les outils de leur propre propagation. Telle est l’existence atroce des Afghanes – avec la tyrannie, la cruauté, la violence, la terreur et la privation totale des droits humains, tout cela pendant que la communauté internationale ferme les yeux.
Malgré deux ans d’une discrimination de genre flagrante, d’apartheid de sexe, et l’exclusion systématique des femmes, dans les sphères sociales, politiques et culturelles, la communauté internationale semble engager le dialogue avec les Talibans, se leurrant sur les possibilités de la diplomatie. Nous observons ces réunions stériles et ces annonces creuses avec frustration.

A propos de la fermeture des écoles pour filles, message de Samieh Ramesh, écrivaine et militante des droits des femmes, le 15 avril 2022.

Quelles sont vos actions, en Afghanistan et ailleurs ? À quelles associations appartenez-vous ? Comment relayent-elles votre message et comment soutiennent-elles vous actions ?
« Baamdaad – la Maison de la poésie en exil » est une institution indépendante, sans aucune affiliation à une organisation nationale ou internationale. Nous n’avons reçu aucun financement ni soutenu de projets venus d’un groupe ou d’une autorité particulière. C’est un mouvement de protestation artistique, en réaction à la situation terrible en Afghanistan, plus particulièrement la censure et l’interdiction de la poésie et des arts.
Notre mouvement a commencé avec un appel. J’ai invité des poètes du monde entier à écrire et à m’envoyer des poèmes de protestation pour soutenir les poètes et les artistes afghans. Avec l’aide de mes amis et des réseaux sociaux, l’appel a pris de l’ampleur, impliquant plus d’une centaine de poètes à travers la planète. De plus, des organisations comme le PEN Club français, le PEN argentin, le Festival international de poésie de Rotterdam, le Studio de Bakkerjee, la Belvédère House, l’Association des écrivains japonais contemporains, ainsi que le PEN Club japonais ont apporté leur soutien moral et partagé notre appel avec leurs poètes membres.
Mon souhait est que ce mouvement devienne un phénomène global. Je veux que les poètes utilisent le pouvoir de la poésie et des mots pour combattre les ténèbres, l’ignorance et la tyrannie. Les arts doivent être un moyen de s’engager, et ils doivent être toujours associés à la liberté.  À travers l’histoire, la poésie a porté le combat contre l’injustice. La poésie a un pouvoir immense et la voix des poètes est comme celle des prophètes ; leurs mots ont de l’influence. Avec la poésie, on peut attirer l’attention du monde sur le sort des femmes et rallier des soutiens pour le peuple d’Afghanistan.
Avant ce mouvement, peu de poètes dans le monde connaissaient vraiment la situation en Afghanistan ou alors ils en avaient conscience, mais restaient silencieux. Maintenant, dans des pays aussi éloignés que le Japon, des articles et des conférences sont dédiés à notre cause. Une station de radio en Argentine diffuse des émissions sur l’interdiction des arts en Afghanistan et un poète italien a exprimé sa solidarité. Ils écrivent de la poésie, expriment leur émotion et montrent ainsi le rôle de la poésie dans la prise de conscience.
Pensez-vous que la poésie peut aider à la prise de conscience sur les conditions de vie des femmes en Afghanistan ? Vous avez publié plusieurs recueils de poèmes. Pourquoi la poésie ? Convient-elle mieux pour porter un message de libération ou d’engagement ? 
Dans un monde où l’information est souvent manipulée, la poésie peut briser les barrières de la politique pour atteindre les cœurs. La poésie inspire et elle a toujours été un moyen pour exprimer la protestation. Des poètes comme Hafez, Saadi, Maulana, Bertolt Brecht, Pouchkine et Lorca sont les voix de l’humanité, de la liberté. Je crois profondément que la poésie a la responsabilité de défendre la vérité, de porter les idéaux d’humanisme, de justice et de résistance à l’oppression et à la violence.
Vous avez publié une anthologie. Pouvez-vous nous parler de ce projet ?
« Nulle prison n’enfermera ton poème » est un recueil de poèmes de protestation venus du monde entier. Une édition japonaise a été publiée le 15 août au Japon. À la suite de l’interdiction de la poésie décrétée par les Talibans le 15 janvier, j’ai lancé un appel, implorant les poètes à travers le monde de ne pas rester silencieux face à la censure et à la répression et je les ai invités à protester contre ces injustices.  À ce jour, plus d’une centaine de poètes ont répondu à l’appel, écrit des poèmes et les ont envoyé à Baamdaad – la Maison de la poésie en exil. C’est ainsi qu’été publié « Nulle prison n’enfermera ton poème », a été publié. Une édition française doit paraître en France en novembre, chez Oxybia.

Pendant le festival Poetry International de Rotterdam en juin 2023, interview de la poétesse et écrivaine afghane Somaia Ramish à propos de sa vie et de son travail.

Quels sont vos projets autour de cette publication et de votre travail dans son ensemble ?
Nous sommes un mouvement de protestation, nous luttons contre la censure, l’oppression et l’injustice. Nous croyons profondément que la liberté est le droit humain le plus indivisible et le plus universel. En tant que poète, j’invite les poètes du monde entier à nous rejoindre. Ne restez pas silencieux face à l’injustice, l’inégalité et la violence. Avec nos mots, nous continuerons le combat contre les ténèbres.

Présentation de l’auteur

Somaia Ramish

Somaia Ramish est poète, écrivaine et militante des droits des femmes en Afghanistan depuis vingt ans. Elle prépare actuellement une thèse de doctorat en Littérature à la prestigieuse Université de Delhi.

Elle a été l’une des représentantes élues du Conseil de la Province de Hérat.

Elle a publié de nombreux articles dans des journaux et des magazines nationaux et internationaux réputés. Ses poèmes ont été publiés et traduits. Certains ont été mis en musique, dont un tout récemment au Conspirer Opera à Austin, Texas.

Des poèmes d’elle ont été publiés en français dans « Europe » et récemment dans « Apulée ».

Après l’arrivée des Talibans au pouvoir en 2021, Somaia Ramish a obtenu l’asile avec sa famille aux Pays-Bas, car la vie sous le régime des Talibans était devenue impossible et leurs vies étaient directement menacées.

À la suite de l’interdiction des arts en Afghanistan, Somaia Ramish a fondé Baamdaad – Maison de la poésie en exil, en réaction contre la censure. Née de la solidarité des poètes du monde, Baamdaad – Maison de la poésie en exil est née de la solidarité des poètes du monde est un mouvement de protestation artistique qui a pour but d’œuvrer pour un monde meilleur à travers les arts.

 

Autres lectures

Une voix pour la liberté : Somaia Ramish

Somaia Samish est poète, écrivaine, journaliste et activiste féministe. Militante infatigable des droits des femmes, ancienne élue publique, diplomate citoyenne, et ancienne candidate au Parlement afghan, elle est la co-fondatrice et actuellement directrice [...]