Autour des éditions La Porte.

Gaspard Hons,Quand resplendit la fleur inverse 

Ce beau titre énigmatique est emprunté à Raimbaut d’Orange (1066-1121). En de très brefs poèmes de 3 , 2 voire 1 vers, Gaspard Hons donne à contempler toute la poésie de l’ordinaire.

Savoir capter l’éclat de lumière au cœur de l’obscur, entendre bruiner le silence, dire l’essentiel en peu de mots, n’est-ce pas le rôle de la poésie ?

Toute la sagesse inscrite sur un grain de riz, toute une librairie contenue dans un jardin. Le livre que la nature lui offre, le poète le lit et nous le traduit.

Source : margutte.com

Extraits

 

 Sur la table un broc d’eau et de silence

                     ∗

 Des miettes de pains jetées dans la nuit
un amas d’étoiles

                     ∗

 Le fruit témoigne de l’arbre disparu

                    ∗

 L’obscurité du vaisseau
simplifie la lumière du vitrail .

 

 

 

 

Jean-Claude Albert Coiffard, Les liserons du soir

On n’entre pas en poésie
la poésie entre en nous 

 

Cette belle définition de la poésie ouvre ce recueil. Le poète nous entraîne en un passé qui inonde le cœur, la poésie est toujours là pour « panser les blessures » ; le poète, toujours en attente, façonne ses poèmes comme le potier sur son tour façonne les poteries. Il ne cesse de regarder le monde, de le faire renaître, en une poésie contemplative où tout à sens, même un brin d’herbe. La nature reflète aussi ce que souffre l’homme, certains poèmes nous parlent de ces victimes de l’Histoire. La voix du poète est là pour ne pas oublier ces « visages sans lèvres » et nous rappeler qu’il est nécessaire de faire mémoire. Le « Je » du poète est en écho au « Il », cet autre lui-même, cet ami qui lui ressemble comme un frère et qui lui aussi attend que les mots : « s’enracinent/ entre les ronces/ et les bleuets ».

Cette poésie du crépuscule est illuminée par l’empathie que porte le poète à l’homme et à la nature, c’est un recueil testamentaire pour nous offrir l’essentiel voire l’essence même d’une vie en poésie.

 

 

Tout s’était enfui

         Tout

Il ne restait
que l’ombre des lilas

Assez
pour
en faire confidence

aux lampes

Assez
pour éclairer
les rives de son cœur.

                    ∗

Témoin
du miroir

Seulement témoin

Simplement

Au cœur des camélias
germaient
les murmures de l’âme

Les coudes usés
sur le zinc du quotidien
le ciel trinquait
avec le passé.

 

                    ∗

Mon royaume inconnu
mes îles       mes ailleurs
mon jardin d’autrefois
je vous emporterai
sous mes paupières closes

Les poèmes du vent
égaré dans ma harpe
un matin de printemps
le chant du rossignol
vous le dira pour moi.

 

Sophie G LucasOrdinaire

 

Un recueil qui se déroule au rythme de chansons dont chaque titre donne naissance à un poème.

18 chansons pour 18 poèmes, une discographie poétique et dans l’ordinaire des jours, Lennon, Amy Whinehouse, Bowie, Dylan qui rencontrent le plus souvent un public ordinaire, mais parfois une poète qui, au rythme de ces chansons qu’elle aime, voit différemment cet ordinaire.

La poète respire le jour, dit le souffle et le silence, l’odeur de l’herbe, la nostalgie du temps qui passe dans l’ordinaire des jours, et les mots si difficiles à dire, à partager. Mais qu’y-a-t-il d’autre que cette vie à fleur de peau et cette solitude à apprivoiser pour peut-être réveiller :

 

ce quelqu’un endormi
à l’intérieur de soi
presque mort 

 

Photo Terre à ciel.




Sophie G. Lucas & Jean-Marc Flahaut, Paradise

L’Amérique… les États-Unis d’Amérique… d’Est en Ouest, de New York à L.A., des mégalopoles côtières opaques ouvertes sur le monde aux gigantesques déserts vert ou ocre transparents repliés sur eux-mêmes… des ombres fantomatiques urbaines, à ces silhouettes floues errant dans des champs à perte de vue… de Steinbeck à Guthrie, de Bukowski à Cobain, de Brautigan à…

Non, il n’est pas véritablement, réellement question de cette Amérique-là ; on ne fait que la survoler ; elle n’est qu’un décor, espace fictif prompt à développer l’imagination, la créativité de deux auteurs probablement en quête de sens, de voie à suivre.

L’Amérique, cette Amérique, au début de ce livre, on y pénètre comme en un roman, ou un film d’auteurs – justement ; des images, à la fois belles et froides ; des lieux que l’on connaît sans n’y avoir jamais posé les pieds ; espaces où des personnages débarquent, s’éveillent, s’immiscent en nous, se présentent un  peu… mais on les perd vite de vue, on les égare, loin sur leurs pas abstraits – on n’en saura pas plus… ces personnages camouflent, protègent, un temps, leurs auteurs… un temps, seulement… car il est question d’auteurs, oui, de la création, de comment créer seul ou accompagné ; de comment on s’inspire de sa culture – si abondante, que bridant presque la créativité – pour créer, c’est-à-dire tenter de faire naître un univers tout à la fois lié et indépendant ; de comment être unis malgré la distance géographique, malgré les différences – au demeurant subtiles – entre deux personnes que tout relie.

 

Sophie G. Lucas & Jean-Marc Flahaut, Paradise, éditions Interzone(s), 12€

L’Amérique, leur Amérique, est un point de départ, ligne de démarcation entre leurs ici respectifs, plus ou moins solitaires, et leur arrivée commune, à ces auteurs, en cette terre d’encre et de papier, ce territoire à perte de mots… leurs échanges, leurs paroles, leurs souvenirs… des instantanés de l’enfance, des polaroïds de l’adolescence… par bribes, pudiques – réserve naturelle de l’amitié réelle, celle qui se vit en l’entre deux du langage… avec ces empreintes qui se font et se défont, mais qui les rapprochent, eux, la mère qui manque à elle-même d’un côté, le père définitivement absent de l’autre… tout ce qui construit une existence, avec la véracité de la fragilité intime et la force extime supposée – on se laisse aller, on s’exprime, on se dit, quand on (s’)écrit ainsi, à un-e ami-e, un proche… ce soi bis.

L’Amérique, leur Amérique, est un Paradise, oui… une terre improbable, lieu a priori inexistant, pourtant laissant en permanence avec cette foi inébranlable, absolue, en un continent d’ailleurs, pays qui – à défaut d’être ou de rendre meilleur – a la vertu de rapprocher, par les mots, celles et ceux dont la nationalité n’est pas de plastique, mais de papier.

 

LA TERRE AUTOUR DE MOI PALPITAIT,

 

au début il y a
deux poètes qui s’écrivent s’envoient
des signaux de fumée au
début il y a l’Amérique
et puis au début il y a des vies
qui s’écrivent et s’inventent au dé
but il y a
des chevaux dans un
pré
des cow-boys de pacotille des
étoiles de shérif et du
ciel
des amants fuyant Big Apple un
poème de Walt Withman au
début il y a ça & une carabine
une canne à pêche East Village
une librairie sur la Huitième des
Appaloosas au début
il y a des chansons de l’alcool &
du désespoir un chien une cafétéria
au début il y a la poussière du désert une
vallée et ce n’est plus tout à fait le
début il y a un grizzly des poissons & des hommes & des rêves
et puis
des poèmes & la mort
& de la rage
& des familles dézinguées à
la fin il y a
Paradise, Californie
l’horizon qui brûle
un Greyhound roulant de New York à Los Angeles
pris dans
la folie la fuite des habitants du feu et de l’enfer
percuté
à la fin il y a
l’air auroral et immortel en cendres
un vers de C.K Williams griffonné sur un carnet
retrouvé par des secouristes
au début il y a
un poème
Et puis quoi ? Et puis rien. Et puis la foutue histoire du monde.

 

 

 

Présentation de l’auteur

Sophie G. Lucas

Sophie G. Lucas est une poète française. Elle est également l’auteure d’articles dans un quotidien local et en revues, de notes de lectures sur le site terre à ciel, ainsi que des portraits de poètes et poétesses pour la Maison de la Poésie de Nantes et la revue Gare Maritime.

L'auteure mêle dans ses textes une approche intime et autobiographique, à un regard social et documenté du monde qui l'entoure.

© Crédits photos Maison de la poésie.

Poèmes choisis

Autres lectures

Sophie G. Lucas, Moujik moujik suivi de Notown

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Présentation de l’auteur

Jean-Marc Flahaut

Textes

Jean-Marc Flahaut est un auteur et poète français. Après des études à caractère social, il anime des ateliers d’écriture et donne des cours à l’Université.

 

Poèmes choisis

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Sophie G. Lucas, Moujik moujik suivi de Notown

Les éditions La Contre Allée ont la bonne idée de rééditer en un seul volume les recueils de Sophie G.Lucas Moujik moujik diffusé en 2010 et Notown sorti lui en 2013. Entre poésie et documentaire d’indignation, l’auteure nantaise a choisi de poser ses mots au ras du sol dans les villes, là où le regard ne porte pas, et où vivent de nombreux sans abri. Avec tout d’abord nos SDF français et puis la descente irrémédiable d’une ancienne ville phare des USA : Détroit, dite Notown.

Quand la poésie naît d’une colère et d’une impuissance. Quand la poésie décrit aussi notre monde tel qu’il se montre, noir, impersonnel, impitoyable pour les faibles. Quand la poésie dénonce notre passivité devant les morts de froid dans la rue chaque hiver. Quand la poésie donne la parole aux petits, les nouveaux moujiks ou nouveaux serfs (les jeunes savent-ils encore la signification de ces mots?) du seigneur Libéralisme, tout en bas de l’échelle sociale, sur qui l’on marche au sens figuré sans les voir. Ces compagnons de la manche qui, à force d’indifférence des passants, ont « perdu le goût des gens » et que le moindre détail de la vie quotidienne fait rêver :

 

 

Sophie G. LUCAS, Moujik moujik suivi de Notown, La Contre Allée, 2017, 176 p., 18€ ; 

 Je donnerais n’importe quoi
pour entendre de nouveau
une chaise grincer sur un carrelage
L’effet que ça fait d’ouvrir une fenêtre

Un livre pour cafter la misère et redonner noblesse aux sans-logis qui dorment dans des cabanes, des recoins, des bâches ou des cartons. Ils auront été plus de 500 à en mourir en 2016. Vous rendez-vous compte, 500 décès sans le moindre bruit médiatique...

   ça s’effondre un hom
me
dans le Bois
ça
ne fait pas de bruit
dans les feuilles 

Les mairies font couper les arbres, raser les terrains vagues, comme si elles voulaient déloger des rats. Faire fuir les indésirables. Ceux qu’on n’aime pas voir. Pas étonnant que certains perdent le nord, se mettent à boire « tout s’en va / de moi ». Certains travaillent, mais pas assez pour avoir un salaire décent, alors on se débrouille alors que les institutions essayent maladroitement de rassurer. Nombreux sont ceux qui ne se plaignent pas d’être pauvres, juste de se sentir devenir inutiles.

Je regarde mes mains
Est-ce qu’il y a un homme dessous

Ces pauvres revenus de toutes les belles promesses des hommes politiques plus soucieux de leur couverture médiatique que de la couverture sociale que certains souhaiteraient même détricoter. Ces pauvres ne possédant plus rien que quelques sacs de supermarché pour transporter un peu de linge pour rester digne.

Moujik moujik en soliloques du pauvre, référence à l’exergue de Jehan-Rictus. Portraits au Bois à la première personne avec les vers coupés pour signifier l’absence de perspective et l’hésitation dans la parole, documentaires d’instants à la troisième personne avec précisions entre parenthèses, poèmes en je, poèmes en Lui, le père vagabond mort, qu’il faut bien habiller avant la cérémonie. Poèmes-explorations de la pauvreté, de l’âme humaine qui reste encore en veille quand il n’y a plus rien.

Puis départ pour Detroit, symbole de l’effondrement de l’économie, ville mise en faillite en 2013 et qui peine à panser ses plaies. Sophie G. Lucas nous propose un collage documentaire à partir d’extraits d’interviews TV, d’émissions de radio etc. Ville sinistrée, quand même les SDF sont partis. Exploration de ces états unis des villes fantômes, bien après la ruée vers l’or.  Là où “plus de soixante mille maisons ont été saisies” et bon nombre ont été incendiées pour ne pas engraisser les vautours. Làl'espoir disparaît comme un reflet dans le ciel nuageux, là où même “le soleil finit par puer”. Une autre vision du rêve américain...

Et comme conclusion de ces deux chapitres, rappeler que ce monde est le nôtre, que le poète nous aide à réfléchir à notre propre conduite “à quel moment tout ça nous a échappé”.