Stefan Zweig, La Vie d’un poète
Stefan Zweig poète ? Voilà une bonne nouvelle car cet aspect de l’œuvre du grand écrivain autrichien est largement méconnu. Son œuvre poétique (trois livres) n’a jamais été publiée en français et l’on doit aujourd’hui aux éditions Arfuyen, avec une traduction de l’allemand par Marie-Thérèse Kieffer, la publication de plusieurs de ses poèmes. Ils sont accompagnés d’écrits que Zweig (1881-1942) a lui-même consacrés à la poésie.
Stefan Zweig se faisait une idée éminente de la poésie. Il lui attribuait un caractère quasi sacré, faisait des poètes « les serviteurs et gardiens de la langue », les assimilant à « un ordre presque monastique au milieu du tapage de nos jours ». Il avait une admiration sans bornes pour Rainer Marie Rilke qui, selon lui, dans son Livre d’heures, « explique inlassablement Dieu à travers les symboles ». Il vouait aussi un véritable culte à Emile Verhaeren, qu’il a fréquenté personnellement. « Il m’a appris à chaque heure de mon existence que seul un homme accompli peut être un grand poète ».
Mais Stefan Zweig se pose la question : « Des poètes de l’envergure de Rilke ou de quelques maîtres, de tels poètes si purs, si totalement voués à leur art, seront-ils encore possibles dans les turbulences et le désordre universel de notre temps ? » Question qui traverse toutes les époques, mais que Zweig ressent très profondément dans le contexte de la Grande Guerre. Il en arrive même à se poser la question de la possibilité d’écrire de la poésie face à la boucherie de 14-18 (comme si l’on entendait, de façon prémonitoire, le questionnement d’Adorno sur la possibilité de la poésie après Auschwitz).
Quoi qu’il en soit, il apparaît que Zweig n’a pas eu de vrai destin poétique personnel. Il est connu avant tout pour ses essais, ses nouvelles, ses romans. En présentant les rapports que l’écrivain a entretenus avec la poésie, Gérard Pfister souligne dans la préface au livre que « la dispersion de ses activités » a sans doute nui à sa création poétique.
Stefan Zweig, La vie d’un poète, Arfuyen, 189 pages, 17 euros.
Il souligne aussi que Zweig était plus un « observateur et analyste » qu’un « lyrique et métaphysique ». Ses livres de poésie publiés en 1902, 1906 et 1926, n’ont donc pas connu l’écho que pouvait espérer leur auteur.
Dans ses poèmes, de facture souvent classique (avec rimes), Zweig nous parle de ses rêves mais aussi beaucoup de lieux, de voyages qu’il a pu effectuer en Italie ou ailleurs : Venise, lacs de Côme, de Constance, de Zurich... mais aussi le Taj Mahal ou une « île silencieuse » en Bretagne. « Du rivage j’entends les cloches / par-dessus les landes sonner / et déjà je ne peux plus voir / les contours arrondis des tours ».
Gérard Pfister parle de Zweig comme d’un « chasseur végétarien », au fond quelqu’un « qui n’a cessé de poursuive le succès dans des formes littéraires qui n’étaient pas son genre ». Car l’écrivain autrichien entendait répondre à un appel intérieur. Et la poésie répondait selon lui à « l’inquiétude primordiale et inhérente à tout homme ». Ce qu’il soulignait, à la fin de sa vie, dans l’un de ses derniers poèmes : « Le pressentiment de la nuit qui s’approche / n’a rien d’effrayant – il soulage ! / Le pur plaisir de contempler le monde, / seul le connaît celui qui ne désire plus rien ».