Sylvie Durbec, Carrés

Couleur orange et graphie très sobre pour la couverture de ce livre, qui s’ouvre sur une citation de Peter Handke. Cet auteur autrichien est le personnage tutélaire de ce recueil, (qui de Sylvie Durbec ou de lui prend la main de l’autre ! ?), son nom est cité à presque toutes les pages, et l’on comprend que Sylvie Durbec va suivre la démarche d’écriture de ce dernier.

Depuis 1975 Peter Handke a poursuivi un programme de vie et d’écriture de plus en plus axé sur l’observation de soi, la réflexion sur soi, le commentaire de soi. Il s’observe tout en observant le monde et cherche à rendre le présent, car le présent doit selon lui, pouvoir s’écrire. Très tôt Handke s’est voué à une esthétique du non-événement en s’attachant à faire apparaître ce qu’il y a de caractéristique dans le quotidien. Il semblerait que Sylvie Durbec ait voulu lui emboîter le pas, sa recherche est semblable tout au long des carrés, bien qu’elle déplore ne pas être pourvue de la même lucidité que son illustre (mais aussi controversé) modèle. Cependant Sylvie Durbec ne manque ni de sensibilité ni de curiosité ni de références. Au gré des pages, d’associations d’idées en glissements orthographiques, d’assonances en néologismes, elle nous fait part de ses réflexions sur l’écriture, ses joies et ses surprises. Elle « brodécrit », les lignes de trame des lettres et des mots rencontrant les lignes de chaînes du papier, le carré sur la page se présente comme un tissu.  

Sylvie Durbec, Carrés, éditions Faï fioc, 2020, 60 pages, 11 euros.

« Un petit bloc de glace à sucer sous la langue attention aux caries du carré la pointe de la langue évacue le trop froid le crache et c’en est fait de la disparition » : qui dit carré laisse entendre carie ainsi que Carinthie, région où est né Peter Handke. Mais le carré peut aussi bien figurer un ring, une caravane qui sert de cabane devient une « carabanne ».

Le mot carré renvoie aussi à jardin, plantation, semaison de mots et de graines, germination : « nos mots usés plantés semés carottes rutabagas tomates et ne rien voir pousser dehors sauf le livre », « çà jardinière d’un texte carré où pousseront des lignes parfaitement parallèles ». Ce livre est un livre de plein-air et Sylvie Durbec une poète de plein-vent, du dehors, où elle s’oblige à écrire malgré le mistral et le froid. Carrés d’écriture pour éviter l’ennui de l’habitude, pour se laisser surprendre par l’inattendu de l’exercice et par le flot de conscience qu’on cultive depuis que Virginia Wolf s’en est faite la championne ; parce qu’écrire n’a rien à voir avec la répétition et la mécanique bien huilée du quotidien.

Ouvrage écrit en l’espace de deux ans, certains carrés écrits lors d’une résidence au Grand Sault chez la poète Anne Calas (à Sault dans le Vaucluse), il s’agit d’une suite de carrés (50 +1) de 24 lignes environ en moyenne, dont la dernière ligne est inachevée et se finit par le mot carré…. Mais alors est-ce bien un carré ! L’auteure elle-même pose la question. Carrés prétextes, carrés mémoire aux souvenir plus ou moins lâches, carrés d’un puzzle dont les pièces forment des angles droits, et dans ceux-ci des anecdotes (la renarde a mangé les poules, les petits enfants dessinent et peignent) ou bien des évocations de paysages : Le mont Ventoux comparé au Fuji Yama, le Larzac. Sont aussi évoqués la vie paysanne d’antan, Pétrarque, l’héritage familial, la mort de la mère, l’idiome de la mère, la terreur que les yeux de la mère inspirent, les déplacements et des lieux visités (Lascaux, grotte de Chauvet), Marseille (la plus belle ville du monde, celle où a grandi Sylvie Durbec), l’enfance et les règles auxquelles obéir… et de fil en aiguille dans la chair même de la vie, défilent sous nos yeux la mort, les migrants et les réfugiés, les EHPAD, les proches qui peuvent se révéler être ceux dont on sait le moins de choses : « parmi tous mes familiers ici, celui dont j’en savais le moins, c’était mon fils ».

Les carrés ont le souci de la parité : autant de mots masculins que féminins, le but défini est d’écrire une biographie, mais « biographie future plutôt qu’appartenant au passé » faite de petits instantanés comme un pique-nique sous la pluie dans la voiture aux abords d’une route monotone, biographie faite de réflexions quasi métaphysiques toujours rapportées au concret du vécu immédiat. Les carrés en prose n’offrent aucune ponctuation, quelques majuscules pour signaler le début d’une nouvelle phrase mais peu (« pour dire non à la hiérarchie à cause de ce travail modeste sur ce qu’est un carré d’écriture »), des mots en Italien, et au hasard des pages sont évoquées les présences éphémères d’artistes ayant croisé la route de l’auteure (autres que P.Handke) tels qu’Edith Azam, Pentti Holappa (poète Finlandais décédé en 2017), Montaigne (celui qui vit, un peu comme Sylvie Durbec, « à sauts et gambades »), Rabelais, Georges Pérec, Robert Walser, Mahalia Jackson, Vincent Van Gogh, Gustave Roud, Soutine, Salvador Dali, les amies Suisses Claire Krähenbühl et Denise Mützenberg … L’évocation du persil fait apparaître Marius Daniel Popescu (poète Vaudois d’origine Roumaine ayant fait des études de sylviculture, et créateur du journal littéraire le Persil), on croise aussi Emily Dickinson (qui pose la question de savoir si l’on doit ou non écrire au singulier un couple alors que deux le font et qu’un rien le défait). Et puis l’auteure s’observant écrire, avec un brin d’auto dérision se demande ce que ferait un « vrai écrivain » : « il est comment au réveil comment commence sa journée café balzacien ou thé anglais j’en sais foutre rien ». Suit alors l’évocation de l’écriture de James Sacré : « un carré d’écriture où subsiste le fouillis des broussailles chères à james sacré ». Et l’on sait combien ce poète, nourri d’enfance, aguerri aux questionnements qui ne trouvent pas de réponses limpides, fait figure de phare pour Sylvie Durbec (James Sacré avait signé la postface de son recueil Femme(s) passagère(s) de l’est paru chez p.i-sage intérieur en 2016).

Dans ce livre de Sylvie Durbec, les carrés quand ils sont au cimetière, sont confessionnels, mais ils peuvent aussi être de chocolat, ou bien des carrés Gervais servis au goûter, ou bien ils ont la forme de mouchoirs agités lors de départs, ou bien ils font penser à chambre et de chambre on en arrive à gaz et aux horreurs de l’histoire : la Shoah, le massacre des villageois brûlés vifs à Oradour sur Glane (« la vézère avec toute cette eau pour éteindre la lettre O qui hurle en silence ici comment habiter dans la Cendre toute une vie »), ou bien encore l’explosion de la centrale nucléaire à Tchernobyl. Les carrés s’écrivent en train, en marchant, en jouant avec les petits enfants : « il est comme ça l’enfant à redresser le monde qui penche sans craindre l’effondrement maniant brouette et balai torchon et fourchette pour que ça marche la vie ». Les passages où sont évoqués les enfants laissent transpirer toute la tendresse et tout le bonheur ressentis au contact de cette jeunesse qui répare, qui renouvelle, qui rafraîchit, qui donne sens, qui émerveille et nous fait nous questionner, mais surtout nous fait nous dépasser.

Si Rimbaud associait les couleurs aux lettres, Sylvie Durbec les regardent en s’attachant à leurs formes. Un B est formé de « deux petits ventres », un C est oreille, un O est ouvert et peut devenir « désert brûlé », O comme une bouche bée, muet d’étonnement ou de sidération. Le A suggère quant à lui l’autorité. Il faut aussi rendre hommage au climat de liberté et de fantaisie que Sylvie Durbec installe dans ses carrés. La fraîcheur de son ton nous aide à affronter les choses tristes évoquées qu’elle partage avec nous, lecteurs-trices. Cela ne nous étonne pas outre mesure, car cela fait partie de son talent que de faire preuve d’humour et de tirer les récits vers le conte, vers l’univers imaginaire des enfants.

Livre attachant, touchant, ouvrage d’autoréflexivité au sens large, et qui déborde l’histoire personnelle de l’auteure, il s’inscrit dans la cohérence d’une œuvre où régulièrement sinon toujours, Sylvie Durbec nous fait traverser des paysages (dont certains, comme la Sibérie, ont valeur particulière sinon symbolique), interroge la peinture et les peintres, navigue entre plusieurs langues : réelles, souvenues et inventées. Nous l’avons retrouvée avec plaisir, elle qui nous a rendu familiers de ses éclats, de ses bribes où l’enfance joue un rôle important, où la vie quotidienne brille de quelques pépites éclairant le continu d’une vie écrite comme d’une écriture vécue dans la chair vivante de l’existence.

Présentation de l’auteur

Sylvie Durbec

Sylvie Durbec est née à Marseille.

Poète, plasticienne, traductrice.

2008 Prix Jean Follain pour Marseille, éclats et quartiers, édition Jacques Brémond, publié en 2010.

2014, Prix Laurent Terzieff , texte Nathalie Guen, dessins Sylvie Durbec pour le court Smouroute va à la cuisine .

2017 

Bascoulard/Opalka, Propos2 éditions, 

L’ignorance des bêtes, La main qui écrit, 

 2018 

(bien diffcile de) Transformer la jalousie en ballon rond, éditions le Phare du Cousseix, 2018

Comment faire, editions Lanskine, collection petit bric à brac, 

Pooki c’est ponk, texte Édith Azam, dessins Sylvie Durbec

Bouger les lignes avec la poète Florence St Roch, éditions du Museur

Comment faire, avec le peintre Gérard Eppelé, éditions du Museur

 

Sylvie Durbec

Derniers livres publiés

  • Territoires de la folie, deux récits consacrés à Robert Walser et Louis Soutter, éd. Cousumain, 2006
  • Marseille éclats et quartiers, éd. Jacques Brémond, 2009, prix Jean Follain
  • Chaussures vides, Carnets du dessert de Lune, 2010 – traduit en italien : Scarpe vuote, édizioni Joker, janvier 2014
  • Prendre place, éditions Collodion, 2010
  • Ce rouge qui brillait, Soutine, Atelier du Hanneton, 2011
  • La lessive de la folie, remue.net, 2011
  • la Huppe de Virginia, Ed. Brémond, 2011.
  • Le paradis de l’oiseleur, Al Manar, 2013
  • Prix Laurent Terzieff 2014, texte Nathalie Guen, dessins Sylvie Durbec pour le court métrage Smouroute va à la cuisine, publication du livre et du DVD chez Vagamundo en  mars 2015.
  • SANPATRI, aux éditions Jacques Brémond, octobre 2014
  • Route d’avril, vif tambour, novembre 2014, l’Atelier du hanneton
  • Fugues, éditions Propos2 campagne, 2015
  • L’idiot(e) devant la peinture, éditions Propos2 campagne, 2015

Autres lectures

Sylvie Durbec, Autobiographies de la faim

À qui appartient cette robe d’enfant sans corps, sans visage qui parcourt le texte ? On sent tout au long du récit un drame, une douleur, une histoire lourde de vie et de [...]

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Sylvie Durbec, Autobiographies de la faim

À qui appartient cette robe d’enfant sans corps, sans visage qui parcourt le texte ? On sent tout au long du récit un drame, une douleur, une histoire lourde de vie et de mort entre enfance et vieillesse, lucidité et folie. L’énigme de la robe abandonnée sur un panneau au bord de la route comme un point aveugle.

Les âges se mélangent, les époques, les lieux, les personnages, la mère, la fille, le père… selon un jeu de calques qui glissent les uns sur les autres au fil des souvenirs, des sensations, des visions réelles ou imaginaires. Les mots eux-mêmes glissent, se contaminent par proximité, promiscuité, de manière non linéaire, par simples proliférations sonores comme si les mots s’aimantaient pour faire naître, renaître des histoires.

« La mémoire pue » revient en leitmotiv à la fin du récit. Pue quoi ? La mort ? Entre pourriture et nourriture, fin et faim, faim et pain, le x ou le z des bretelles de la robe, les lettres ouvrent des boîtes sans fond, à double paroi où on voit l’autre, où on se voit, je et non je. On flotte, on ne sait plus dans quelle couche de mémoire, dans quelle histoire on se trouve, sous quelle pelure.

Sylvie Durbec, Autobiographies de la
faim, 
éditions Rhubarbe, août 2019,
8 euros.

Le titre au pluriel n’élude pas la part autobiographique du récit. Mais de quelle faim s’agit-il ? De celle du ventre, du cœur, de l’âme ? De celle, ontologique, que les mots jamais ne pourront combler, si profus, délirants soient-ils ? Vit-on à jamais sans corps, dans des vêtements flottants, comme exilé à soi-même ? Autant de ramifications narratives, existentielles, autant d’interprétations possibles dans ce beau texte très personnel de Sylvie Durbec. Un récit-poème en prose qui donne matière à penser, à discuter. Notamment sur la création poétique.

Présentation de l’auteur

Sylvie Durbec

Sylvie Durbec est née à Marseille.

Poète, plasticienne, traductrice.

2008 Prix Jean Follain pour Marseille, éclats et quartiers, édition Jacques Brémond, publié en 2010.

2014, Prix Laurent Terzieff , texte Nathalie Guen, dessins Sylvie Durbec pour le court Smouroute va à la cuisine .

2017 

Bascoulard/Opalka, Propos2 éditions, 

L’ignorance des bêtes, La main qui écrit, 

 2018 

(bien diffcile de) Transformer la jalousie en ballon rond, éditions le Phare du Cousseix, 2018

Comment faire, editions Lanskine, collection petit bric à brac, 

Pooki c’est ponk, texte Édith Azam, dessins Sylvie Durbec

Bouger les lignes avec la poète Florence St Roch, éditions du Museur

Comment faire, avec le peintre Gérard Eppelé, éditions du Museur

 

Sylvie Durbec

Derniers livres publiés

  • Territoires de la folie, deux récits consacrés à Robert Walser et Louis Soutter, éd. Cousumain, 2006
  • Marseille éclats et quartiers, éd. Jacques Brémond, 2009, prix Jean Follain
  • Chaussures vides, Carnets du dessert de Lune, 2010 – traduit en italien : Scarpe vuote, édizioni Joker, janvier 2014
  • Prendre place, éditions Collodion, 2010
  • Ce rouge qui brillait, Soutine, Atelier du Hanneton, 2011
  • La lessive de la folie, remue.net, 2011
  • la Huppe de Virginia, Ed. Brémond, 2011.
  • Le paradis de l’oiseleur, Al Manar, 2013
  • Prix Laurent Terzieff 2014, texte Nathalie Guen, dessins Sylvie Durbec pour le court métrage Smouroute va à la cuisine, publication du livre et du DVD chez Vagamundo en  mars 2015.
  • SANPATRI, aux éditions Jacques Brémond, octobre 2014
  • Route d’avril, vif tambour, novembre 2014, l’Atelier du hanneton
  • Fugues, éditions Propos2 campagne, 2015
  • L’idiot(e) devant la peinture, éditions Propos2 campagne, 2015

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Sylvie Durbec : 6 poèmes inédits

POÈME DES ÉLÉPHANTES ET DES VIEILLES DAMES

on lit dans le journal que des éléphantes sont devenues des vieilles dames
on lit aussi que de vieilles dames sont devenues des éléphantes
on regarde les cheveux blancs des unes et la peau ridée des autres
il y a une photographie c’est bien la preuve dit le journal
que les vieilles dames ont raison de défendre les éléphantes
que tout ça est un peu ridicule mais assez gentil
la vieille peau grise est douce à caresser
les poils blancs du menton aussi
et on ne sait pas qui est le plus malade
qui a la tuberculose qui contamine et tue les humains
qui a la vieillesse qui s’épidémie et  nous effraie
qui est ridicule et qui ne l’est pas
on ne sait pas quoi faire avec ça s’indigner rire et aller ailleurs
loin du zoo loin de ces regards de vieilles animales humaines
je sais que je suis à mi-chemin
pas très loin de l’éléphante
pas très loin de la vieille dame
pas très loin d’en rire
pas très loin de me dire
courons en Mongolie cacher notre ennui au sens classique du mot chères amies

 

***

 

LA FIN DU MONDE N’ARRIVE PAS

après la peur la radio dit la vie c’est un flux continu ça n’arrête jamais
alors on lit dans le journal
qu’avant la fin du monde les gens font des provisions de robinsons
les vieilles dames et les jeunes
et aussi ceux qui ont des sourires éclatants
et sont intelligents
mon fils me dit  qu’il a des angoisses de plus en plus fréquentes
nous les partageons un moment comme on boit ensemble
tous vivants
tous à dire la vie
tous à parler de tout de ce que nous ne savons pas
si difficile de parler de ce que nous savons de nous-mêmes
si peu pour résister quand la mort tombe du ciel ou des radios
ou des médecins
au loin corbeaux et voix radiophoniques
dehors et dedans
on se demande le monde
oublierait-il sa propre fin du monde

 

***

POUR LE SANS PATRIE

il faudrait un chat sur le papier
un pas d'oiseau sous le palmier
quelques frissons fous sur l'eau
l'odeur de la terre pourrissante
la haie coupée en feu un peu
de ciel bleu sur la colline
il faudrait les mains liées
par un serment d'amour
et non pas ce saccage du temps
il faudrait la rumeur ailée des insectes en été
le volcan noir sous les pieds la mer
ce que nous n'avons pas ce que nous avons
il faudrait ce qui fait danser le désir
sur le mur à aiser tandis que je dors
et que tout va son cours
dans le dehors
des jours

 

***

 

LE GOÛT DU POÈME DE PAPIER

la vie dans le ciel file en deux traits brillants
la feuille s'éclaire /enfin le matin très blanc
l'avion là-haut emporte plusieurs histoires
cousues de fil blanc et de papier d’argent
rien n'a changé depuis hier c'est demain
le chat se moque de toute fièvre il est bien
la vie là-haut a déjà fini sa course éclair

on ne voit presque plus rien de son passage
sa trace ressemble à un petit nuage fin et doux

dans ma bouche toujours ce goût de papier
quand on lèche une enveloppe pour coller
tous les voeux qu'on envoie au nouvel an
mon fils a dit les parents c'est important
en nous remettant ses cadeaux et a souri
c'est juste une histoire de noël un conte
où tout s'ajoute et rien ne s'enlève a-t-il
précisé et l'écureuil brillant de son frère
sur la table a son tour a dit oui oui oui

plus rien dans le ciel à présent que vide
bleu hiver d'une journée de décembre
entassement de papiers cadeaux en feu
prêts à s’emballer de rouge et de bleu
papier d’Arménie bateau sur Ararat
revenir à Marseille et flotter sur l’O

 

***

 

DEUX ÉTOILES S’EMBRASSENT CE MATIN

comme si le ciel au-dessus de la colline
était le ciel au-dessus de la Mongolie
tout est joyeux à la bonne place ici
même celui le sans patrie qui le dit
aucune violence du monde et là-haut
deux étoiles collées l'une à l'autre
je vais chercher mes lunettes
je n'y vois plus très bien je le sais
alors cette réunion de deux étoiles
une illusion une explosion une folie
deux étoiles s'embrassent ce matin
c'est tout les chasseurs continuent de tirer
sur le pigeon blanc tant aimé
sur la chatte noire
et l'écureuil
le vacarme du monde est en attente
seuls quelques coups de fusil
mais surtout ces deux-là deux amies
qui se serrent au ciel l'une à l'autre
une dirait font bêchevette
et brillent encore tandis que le soleil
au-dessus de la colline
jusqu'à la fin du poème

 

***

 

NOUVELLES DU MONDE

 

Six éléphants meurent dans un accident
un accident avec un train en Inde
pas ici ni à Rennes ni même en Mongolie
on ne sait pas si tous étaient masculins
si parmi eux des éléphants au féminin
en tout cas six cadavres au bord du remblai
à la peau grise de vieilles dames fatiguées
et plus loin c'étaient des gens
certains peau douce d'enfants d'autres on ne dit rien
dans le journal ils sont portés disparus
pour regarder l'année nouvelle dans les yeux
sous un déluge de feux d'artifice et de cris
certains sont morts écrasés piétinés
mais pas par des éléphants
sur les images on voit des chaussures perdues
comme les chaussettes célibataires
après la lessive
mais là définitivement égarées
ça se passait à Abidjan pas à Marseille
ni à Rennes on ne sait pas très bien quoi faire
avec ça mais ça reste c'est là dans un coin
de la mémoire en miettes oui ça reste
et on dit dans le journal
que tout s'oublie aussi
comme le reste

 

 

 

Présentation de l’auteur

Sylvie Durbec

Sylvie Durbec est née à Marseille.

Poète, plasticienne, traductrice.

2008 Prix Jean Follain pour Marseille, éclats et quartiers, édition Jacques Brémond, publié en 2010.

2014, Prix Laurent Terzieff , texte Nathalie Guen, dessins Sylvie Durbec pour le court Smouroute va à la cuisine .

2017 

Bascoulard/Opalka, Propos2 éditions, 

L’ignorance des bêtes, La main qui écrit, 

 2018 

(bien diffcile de) Transformer la jalousie en ballon rond, éditions le Phare du Cousseix, 2018

Comment faire, editions Lanskine, collection petit bric à brac, 

Pooki c’est ponk, texte Édith Azam, dessins Sylvie Durbec

Bouger les lignes avec la poète Florence St Roch, éditions du Museur

Comment faire, avec le peintre Gérard Eppelé, éditions du Museur

 

Sylvie Durbec

Derniers livres publiés

  • Territoires de la folie, deux récits consacrés à Robert Walser et Louis Soutter, éd. Cousumain, 2006
  • Marseille éclats et quartiers, éd. Jacques Brémond, 2009, prix Jean Follain
  • Chaussures vides, Carnets du dessert de Lune, 2010 – traduit en italien : Scarpe vuote, édizioni Joker, janvier 2014
  • Prendre place, éditions Collodion, 2010
  • Ce rouge qui brillait, Soutine, Atelier du Hanneton, 2011
  • La lessive de la folie, remue.net, 2011
  • la Huppe de Virginia, Ed. Brémond, 2011.
  • Le paradis de l’oiseleur, Al Manar, 2013
  • Prix Laurent Terzieff 2014, texte Nathalie Guen, dessins Sylvie Durbec pour le court métrage Smouroute va à la cuisine, publication du livre et du DVD chez Vagamundo en  mars 2015.
  • SANPATRI, aux éditions Jacques Brémond, octobre 2014
  • Route d’avril, vif tambour, novembre 2014, l’Atelier du hanneton
  • Fugues, éditions Propos2 campagne, 2015
  • L’idiot(e) devant la peinture, éditions Propos2 campagne, 2015

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À qui appartient cette robe d’enfant sans corps, sans visage qui parcourt le texte ? On sent tout au long du récit un drame, une douleur, une histoire lourde de vie et de [...]

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