Sylvie Fabre G., Nos voix persistent dans le noir
« Nous sommes sans protection, et la mort nous contraint à la parole inachevée comme au pas de la séparation. »
Sous le signe du « Nous », Sylvie Fabre G. dédie à des enfants et à leurs Pourquoi, ce recueil de poèmes ou plutôt de « dizains », puisque tous ces textes ont chacun dix vers. Trois parties le composent, la première « Nous, sommes un seul commencement » contenant 19 dizains, la deuxième « Le lien reste un vœu inaccompli » en contenant 20, la troisième, elle, « Nos voix allument des feux » en contenant 19, comme la première.
J’ai été tout d’abord intrigué par l’arythmie apparente des vers, le plus souvent impairs, tournant beaucoup autour de 15 syllabes ; on trouve parfois quelques alexandrins, mais ils sont rares et tellement perdus dans un ensemble de vers atypiques, qu’ils s’y confondent. Il n’est pas indifférent, du reste, que Giacomo Leopardi et Dante soient convoqués l’un et l’autre, il y a dans ces vers quelque chose de l’endécasyllabe. A coup sûr, une métrique entre le vers et le verset, originale et expressive quoique déroutante à première vue. Peut-être la volonté de rester « hors des basses métaphysiques des cadences patriarcales » ?
La poésie ainsi développée ressemblerait assez à la poésie didactique d’un Lucrèce, la poète s’adresse à un « tu » et elle lui enseigne un « nous », ses pouvoirs et ses limites. Une enseignante aimante, prodiguant constats, conseils et mises en garde.
Sous l’ascendance des astres et le sceau de l’espèce,
tu subis l’emprise d’une chair -terrestre,
et tu endosses un genre : nos baisers nos sanglots
ne trouvent pas même incarnation (…)
Sylvie Fabre G., Nos voix persistent dans le noir, L’herbe qui tremble, 2021, 100 pages, 15 €.
La deuxième partie du recueil semble parler, tout d’abord, à une jeune fille, des dangers et des risques du « lien » avec « le père le mari ou le fils »
des hommes ignorants humiliés s’exténuent
à exister en exténuant plus faibles qu’eux.
Mais la condition féminine rejoint celle de tous les dominés, et la poète, se tournant vers sa protégée lui demande :
n’aurons-nous droit qu’à l’imposture ou inventeras-tu
l’aube claire sans esclaves ni tambours et trompettes ?
Les dizains évoquent donc tous les malheurs de notre monde, les exilés, les « pandémies », la condition animale, le réchauffement climatique :
(…) tempêtes canicules gelées
ne changent-elles pas tous tes espaces intérieurs ?
La dernière partie du recueil, quant à elle, célèbre les feux que nos voix persistent à allumer.
« Enfant qui cherches ma main sur les sentiers ». La poète est toujours accompagnée de cette présence juvénile qui ne l’a jamais quittée et à laquelle elle s’adresse. Peut-être cette élève est-elle, au fond, une part d’elle-même ? A la « volonté de domination débridée » évoquée en deuxième partie s’opposent « les trois syllabes du mot/ensemble (…) trois syllabes chrysalides d’où surgit le nous ». La poète enseigne à l’enfant, son semblable son frère la force et la fragilité de ce nous « fini sachant l’infini », elle lui apprend les doutes, les ambivalences dont la poésie rend compte.
Quand la ligne de partage entre humain et inhumain
s’embrume, le phare du poème devient balise.
Un texte sensible et plein d’espoir, au fond, puisque la poésie se transmet et « persiste ».