Thierry Le Pennec, Le visage du mot : fils

Thierry Le Pennec, poète auteur d’une douzaine de recueils, dont Un Pays très près du ciel, aborde dans celui-ci la question de la paternité. Qu’est-ce qui se vit, à mi-mots, dans un tremblement de tendresse, entre un père et son fils ? Il y a de l’allant et de l’élan dans ce recueil. L’élan de la vie qui ponctue et ouvre métaphoriquement le recueil par la naissance du fils et le clôt par la naissance à venir d’un enfant de celui-ci. Cette vie au plus près de la nature, le père et le fils en savent les secrets, le tempo selon les saisons, eux dont le poète dit, non sans fierté : « paysans sommes ».

Il y a l’élan de la route. Il est beaucoup question de route dans ces poèmes « ROAD, ROAD, ROAD » du fils parti en roulotte avec sa compagne vers l’Est de l’Europe, rappelant en abîme la vie de routard du père, et route du père et de l’épouse aujourd’hui pour rejoindre le fils en Autriche. La poésie de Jack Kerouac n’est jamais loin.

L’allant, celui du jazz, du rock, de la guitare électrique vient rythmer, en contrepoint dissonant, des Travaux et des Jours  biensinguliers. S’articulent des scènes de travail dans les vergers, le soin des chevaux, le traitement des pommiers et, d’un même mouvement, des références livresques, telle « l’odeur virgilienne » du verger, la figure de Diotima ou le souvenir du Bauhaus.

L’allant tonique, décalé, du flux poétique emporte le lecteur et fait signe tantôt vers le lyrisme avec Hölderlin, tantôt vers la langue parlée au registre rabelaisien, tantôt vers une belle floraison de langues, l’anglais, le breton, l’allemand, le latin, traversant les poèmes à vive allure.

Ces instantanés restituent beaucoup plus qu’une suite d’instants. Ils pointent un rapport au monde, un attachement commun du père et du fils au rythme des saisons, à une sociabilité rurale, ouverte en même temps à des valeurs humaines de solidarité et d’échange. En témoignent les anecdotes au village, le marché, une soirée de kig-ha-farz, la mort d’un voisin, une fête de nuit – clin d’œil à Xavier Grall ? Comme René Char célèbre les braconniers, les pêcheurs d’anguilles, les bergers, Thierry Le Pennec chante les hommes qui aiment les arbres et les vergers.

Thierry Le Pennec, Le visage du mot : fils, , La Part commune.

La connivence avec le fils se tient dans les gestes plutôt que dans les grandes déclarations, dans la sourdine de ces mots tout simples : « il est /toujours mon garçon la tête en voyage ». Au bout du compte, qu’est-ce que le père et le fils construisent ensemble ? Une bibliothèque, œuvre symbolique, s’il en est. Telle est la célébration de ce chant du fils si prégnant qu’il rassemble le visage, le mot et le fils dans un raccourci saisissant magnifique, à l’image de tout le recueil.

Présentation de l’auteur

Thierry Le Pennec

Thierry Le Pennec est  né en 1955 dans la région parisienne. Il vit dans les Côtes d’Armor. Il est agriculteur et jardinier. Il reçoit  le prix de poésie 2005 de la Ville d’Angers.

Poèmes choisis

Autres lectures

Notes pour une poésie des profondeurs : Autour de Mario Luzi [1]

Ungaretti, Montale, Quasimodo. Puis Bertolucci, Bigongiari, Caproni, Sereni. Un groupe « informel », les poètes italiens de la deuxième moitié du 20e siècle, première et seconde génération de ceux qui furent qualifiés à leur corps défendant de tenants de « l’hermétisme » dès la fin des années 30. Un qualificatif donné dans un sens négatif – le mot est resté.
Parmi eux, Mario Luzi.

Le Bateau Fantôme : anniversaire et acte de décès

Une des très belles aventures revuistiques de ces dix dernières années, en poésie, mais pas seulement, qui s’interrompt ; pas de tristesse pourtant. Le Bateau avait prévu son dernier voyage, une sorte de sabordage [...]

Poèmes du Recours

La prose occupe le territoire. Elle bavarde, détrame le monde, défait les êtres et les choses. Face à elle, le poème est recours.

Camille de Toledo ou l’inquiétude

        L'évènement à l'origine du chant de Camille de Toledo, intitulé L'inquiétude d'être au monde, est la tuerie perpétrée le 22 juillet 2011 dans l'île d'Utoya, en Norvège, par un homme, un homme seul, [...]

Le lierre la foudre

Dans ce recueil, le poète Pascal Boulanger poursuit son travail d’affrontement avec le nihilisme contemporain.

A l’heure de la décolonisation de l’esprit

Ce livre, une référence dans le monde entier, a mis vingt-cinq ans à nous parvenir en français. Pourquoi ? Il s’agit pour Ngugi wa Thiong’o d’expliquer les raisons d’un choix politique et radical porté au [...]

Sur la disparition de Wislawa Szymborska, ou l’être poème.

Née en 1923, Wislawa Szymborska nous a quittés le 1er février dernier. Elle avait reçu le prix Nobel de littérature en 1996, peu de temps après la rupture de la Pologne d’avec le communisme en lunettes noires. Au sein du Recours au Poème, nous ne cessons d’être impressionnés – au sens quasi photographique, à l’ancienne évidemment, du terme – par des vies telles que celle de la poète, de ces vies ayant traversé le 20e siècle, ici entre indépendance de la Pologne post-première guerre mondiale, folie nazie, destruction des camps de la mort, libération / occupation sous Staline…

Tahar Djaout

             Tahar Djaout (1954-1993) est un écrivain, poète et journaliste algérien d'expression française. En 1993, il fut l'un des premiers intellectuels victime de la « décennie du terrorisme » en Algérie.             D'origine kabyle, [...]

Wislawa Szymborska

            Wisława Szymborska, née le 2 juillet 1923 dans le village de Prowent , voisin de Bnin aujourd'hui dans la commune de Kórnik à moins de 25 km au sud-est de Poznań et morte [...]




Thierry Le Pennec, Le visage du mot : fils

Thierry Le Pennec, poète auteur d’une douzaine de recueils, dont Un Pays très près du ciel, aborde dans celui-ci la question de la paternité. Qu’est-ce qui se vit, à mi-mots, dans un tremblement de tendresse, entre un père et son fils ? Il y a de l’allant et de l’élan dans ce recueil. L’élan de la vie qui ponctue et ouvre métaphoriquement le recueil par la naissance du fils et le clôt par la naissance à venir d’un enfant de celui-ci. Cette vie au plus près de la nature, le père et le fils en savent les secrets, le tempo selon les saisons, eux dont le poète dit, non sans fierté : « paysans sommes ».

Il y a l’élan de la route. Il est beaucoup question de route dans ces poèmes « ROAD, ROAD, ROAD » du fils parti en roulotte avec sa compagne vers l’Est de l’Europe, rappelant en abîme la vie de routard du père, et route du père et de l’épouse aujourd’hui pour rejoindre le fils en Autriche. La poésie de Jack Kerouac n’est jamais loin.

L’allant, celui du jazz, du rock, de la guitare électrique vient rythmer, en contrepoint dissonant, des Travaux et des Jours  biensinguliers. S’articulent des scènes de travail dans les vergers, le soin des chevaux, le traitement des pommiers et, d’un même mouvement, des références livresques, telle « l’odeur virgilienne » du verger, la figure de Diotima ou le souvenir du Bauhaus.

L’allant tonique, décalé, du flux poétique emporte le lecteur et fait signe tantôt vers le lyrisme avec Hölderlin, tantôt vers la langue parlée au registre rabelaisien, tantôt vers une belle floraison de langues, l’anglais, le breton, l’allemand, le latin, traversant les poèmes à vive allure.

Ces instantanés restituent beaucoup plus qu’une suite d’instants. Ils pointent un rapport au monde, un attachement commun du père et du fils au rythme des saisons, à une sociabilité rurale, ouverte en même temps à des valeurs humaines de solidarité et d’échange. En témoignent les anecdotes au village, le marché, une soirée de kig-ha-farz, la mort d’un voisin, une fête de nuit – clin d’œil à Xavier Grall ? Comme René Char célèbre les braconniers, les pêcheurs d’anguilles, les bergers, Thierry Le Pennec chante les hommes qui aiment les arbres et les vergers.

Thierry Le Pennec, Le visage du mot : fils, , La Part commune.

La connivence avec le fils se tient dans les gestes plutôt que dans les grandes déclarations, dans la sourdine de ces mots tout simples : « il est /toujours mon garçon la tête en voyage ». Au bout du compte, qu’est-ce que le père et le fils construisent ensemble ? Une bibliothèque, œuvre symbolique, s’il en est. Telle est la célébration de ce chant du fils si prégnant qu’il rassemble le visage, le mot et le fils dans un raccourci saisissant magnifique, à l’image de tout le recueil.

Présentation de l’auteur

Thierry Le Pennec

Thierry Le Pennec est  né en 1955 dans la région parisienne. Il vit dans les Côtes d’Armor. Il est agriculteur et jardinier. Il reçoit  le prix de poésie 2005 de la Ville d’Angers.

Poèmes choisis

Autres lectures

Notes pour une poésie des profondeurs : Autour de Mario Luzi [1]

Ungaretti, Montale, Quasimodo. Puis Bertolucci, Bigongiari, Caproni, Sereni. Un groupe « informel », les poètes italiens de la deuxième moitié du 20e siècle, première et seconde génération de ceux qui furent qualifiés à leur corps défendant de tenants de « l’hermétisme » dès la fin des années 30. Un qualificatif donné dans un sens négatif – le mot est resté.
Parmi eux, Mario Luzi.

Le Bateau Fantôme : anniversaire et acte de décès

Une des très belles aventures revuistiques de ces dix dernières années, en poésie, mais pas seulement, qui s’interrompt ; pas de tristesse pourtant. Le Bateau avait prévu son dernier voyage, une sorte de sabordage [...]

Poèmes du Recours

La prose occupe le territoire. Elle bavarde, détrame le monde, défait les êtres et les choses. Face à elle, le poème est recours.

Camille de Toledo ou l’inquiétude

        L'évènement à l'origine du chant de Camille de Toledo, intitulé L'inquiétude d'être au monde, est la tuerie perpétrée le 22 juillet 2011 dans l'île d'Utoya, en Norvège, par un homme, un homme seul, [...]

Le lierre la foudre

Dans ce recueil, le poète Pascal Boulanger poursuit son travail d’affrontement avec le nihilisme contemporain.

A l’heure de la décolonisation de l’esprit

Ce livre, une référence dans le monde entier, a mis vingt-cinq ans à nous parvenir en français. Pourquoi ? Il s’agit pour Ngugi wa Thiong’o d’expliquer les raisons d’un choix politique et radical porté au [...]

Sur la disparition de Wislawa Szymborska, ou l’être poème.

Née en 1923, Wislawa Szymborska nous a quittés le 1er février dernier. Elle avait reçu le prix Nobel de littérature en 1996, peu de temps après la rupture de la Pologne d’avec le communisme en lunettes noires. Au sein du Recours au Poème, nous ne cessons d’être impressionnés – au sens quasi photographique, à l’ancienne évidemment, du terme – par des vies telles que celle de la poète, de ces vies ayant traversé le 20e siècle, ici entre indépendance de la Pologne post-première guerre mondiale, folie nazie, destruction des camps de la mort, libération / occupation sous Staline…

Tahar Djaout

             Tahar Djaout (1954-1993) est un écrivain, poète et journaliste algérien d'expression française. En 1993, il fut l'un des premiers intellectuels victime de la « décennie du terrorisme » en Algérie.             D'origine kabyle, [...]

Wislawa Szymborska

            Wisława Szymborska, née le 2 juillet 1923 dans le village de Prowent , voisin de Bnin aujourd'hui dans la commune de Kórnik à moins de 25 km au sud-est de Poznań et morte [...]




Thierry Le Pennec, Un Tour au verger

« l’image /est bucolique et pourtant bien réelle »(( p. 28 ))

On ne trouvera pas de nature, d’agriculture idéalisées dans ce recueil, dont l’auteur (arboriculteur de profession) écrit ses poèmes comme il éclaircit ses arbres, discernant la beauté là où elle se tient retranchée, la dégageant mais ne l’inventant pas. Ce n’est pas poésie d’exaltation, surjouant l’émotion originelle et l’amplifiant, mais plutôt recherche de la transcription juste de choses perçues dans leur potentiel expressif.

Thierry Le Pennec, Un tour au verger, La Part Commune, 2018, 90 pages, 13 €.

Un Tour au verger nous fait habiter diverses strates temporelles. Certains poèmes veulent révéler l’essence du moment présent : la cueillette des pommes se fait tandis que « D’heure en heure dans l’air immobile, et la rosée, pendent les branches », et « Ça se termine par les plus rouges là-haut, juste en dessous du soleil » (p. 84). Cet ancrage dans l’instant et le territoire ne craint pas une forme d’autocontradiction à l’ironie légère : le même poème évoque l’exportation des fruits vers la région parisienne et s’intitule étrang(èr)ement « Product of ». L’ambivalence des choses de la vie apparaît aussi dans le traitement du couple : entre érotisme et espièglerie, des ruptures de ton transcrivent ce mélange de profondeur et de légèreté, d’idéal et de pragmatisme quotidien qu’est la relation amoureuse.

D’autres poèmes sont la reconstruction d’un souvenir. Le poème « Substrat » (p. 69) dit que, comme il existe un substrat organique favorisant le développement des plantations, il y eut des observations d’enfance d’où sont nés les gestes de l’arboriculteur et avec eux une forme d’identité. Ce qui fut entendu autrefois, dit dans son entourage, « c’est moi / incarnation des présentes années / qui le dis à mon tour » (p. 9) L’aventure agricole se déroule dans « l’immense histoire en arrière en avant de soi » (p. 75), ses aléas sont un mouvement dans le mouvement, un courant dans un courant plus large. Ces poèmes ramènent le lecteur aux temporalités authentiques, qui ne se vivent que dans le monde rural ; le « xylophone » du tas de bois qu’on amasse pour dans deux ans (p. 58) joue la musique d’un temps apprivoisé, tout autre que le temps subi, possédé, rentabilisé, le temps corrompu dont nombre d’entre nous sont aujourd’hui les esclaves. Les travaux nécessaires de la campagne ont la valeur double et paradoxale des contraintes qui libèrent.

Le jeu des langues comporte aussi une dimension temporelle : le breton survivant s’articule au français, le langage passé des petits enfants alterne avec la parole élaborée du poète.

Le thème récurrent de la filiation, de la transmission, est en amont caractérisé par autre chose que les liens du sang (la « lignée » familiale de ceux qui travaillaient le métal s’est éteinte avec « le frère ciseleur », p. 10), en aval porté par les figures des enfants du poète, très souvent évoqués, notamment dans leur petite enfance aujourd’hui lointaine. Les enfants, à leur manière naïve, assistent leur père dans ses travaux, et ce faisant observent à la fois la même chose et autre chose que leur père, constituant sans le savoir leur propre « substrat » :

 

je le vois ma grande petite fille
reste à côté de moi cependant que je plante
un carré de choux-à-lapins dans le bas
du jardin comme à chaque printemps
                       elle assiste et commente
de sa langue mille fois tournée les actes
essentiels la bêche les vers de terre l’aide
qu’elle me donne. (« Jour feuille », p. 21)

 

On note le relai émouvant des regards du père et de la petite qu’il tient dans ses bras, tournés vers les oisillons du nid vers lequel il l’a portée (« Abraxas », p. 53).

De beaux effets de sens naissent de la relation du poème à son titre :

 

« viendrais-tu faire un tour sur l’étang ? »
                          dit-elle alors que j’étais
                                         sur la rive délassant
mes chaussures d’une cueille nous montons
à bord du canot pneumatique elle prend
les rames c’est un rêve « que la mer vienne
                                          à moi » gire son visage
sur fond de feuilles et de reflets nous sommes
au centre de l’immense monde sien. (p. 79)

 

« l’immense monde sien », presque un oxymore, dit l’infini de l’intériorité, et le titre, « Zodiac », superpose au tableau dressé par le poème l’image étoilée des représentations astrologiques (élargissement cosmique), tout en amenant la référence au canot à moteur qui parcourt les côtes océaniques aimées du personnage féminin (élargissement géographique). Ainsi, à la navigation dans le temps se superpose l’extension des lieux réels aux espaces désirés et imaginaires. Qu’on n’y voie pas une trahison de la nature réelle, mais plutôt l’expression de la conscience des échelles de temps et d’espace qui ne saurait jamais faiblir chez qui travaille sous la direction de la nature.