Thierry Radière, Entre midi et minuit,

Thierry Radière, auteur d’une œuvre importante en poésie, romans, nouvelles, récits et essais, publie un livre-somme en trois parties, un triptyque plutôt tant tout est lié, relié sur un même fil de vie. Le poète dans ce recueil trois-en-un entreprend d’élucider, avec précision et ténacité, ce qui constitue la trame intime de sa vie : lire, écrire, vivre, une tresse aussi indissociable que l’air, le souffle et les poumons.

Le premier ensemble, riche de quelque 115 pages, intitulé Poèmes totémiques, fait écho à tous les poètes, hommes et femmes, lus, aimés qui ont laissé une trace durable sur sa plaque hypersensible de lecteur. Chacun d’eux, accompagné de son dédicataire, se dresse sur le seuil, compagnon bienveillant, ouvreur de piste, propagateur d’ondes ou magicien des visions. Tous unis sur « le petit cahier intérieur » dans une conversation qui se prolonge par-delà le temps et l’espace, étrange « proximité » comme si leur chair, leur âme étaient passées d’un bloc dans celles de leur lecteur. Car, pour Thierry Radière, la poésie est une énergie qui circule, qui donne sens et vie à ce qui est perçu. Lire, c’est entrer dans la tête de l’autre, dans tout son être, coins et recoins, dans son aura, unique. C’est le ressentir de l’intérieur, être changé par lui de façon intime, profonde. Priorité à l’émotion − ce mouvement au fond de soi − les mots lus vivent en lui comme des êtres à part entière, leurs cellules imprégnant son sang, sa chair, jusqu’à le constituer au même titre que tout le reste. « Où sont les heures intermédiaires / celles où on est à la fois / homme femme enfant animal / tout naturellement / entre les minutes diluées / et les repas à venir ? » Le poète est un être éminemment poreux, diffracté, éparpillé en un « gigantesque puzzle » où cohabitent tous les événements, tous les êtres du jour ou de la nuit comme autant de « bribes d’existence » qui remontent à la surface sans ordre particulier sinon la vie qui les capte. Car le temps de l’écriture est autre : il chamboule les frontières communes, les abolit.

Thierry Radière, Entre midi et minuit, poésie, La Table Ronde, mars 2021, 336 pages, 17 euros.

Ainsi, dans ce premier ensemble, se côtoient sans souci de dates des poètes d’hier et d’aujourd’hui, connus, moins connus, peu importe puisque, nourris de la même énergie vitale, ils forment la même tresse. Lire, aimer, est-ce autre chose que créer ? Qu’« aller de totem en totem / et de les faire tenir debout / du mieux possible » ?

Le poète, « secrétaire » de lui-même, parle avec beaucoup de lucidité de cette alchimie secrète qu’est l’écriture. Et s’ouvre le second ensemble « Je n’aurais pas pu voir », pages 127 à 240. Les mots, les siens, ceux des autres, donnent à voir, à vivre, permettent de ne pas, de ne plus mourir. Les mots savent de nous davantage que nous ne savons d’eux, on peut leur faire confiance. Ils flottent au bord de la conscience puis remuent, petits poissons entre deux eaux, avant de nager en liberté sur la page. Tous participent de « cette fascination pour la magie / dont j’essaie de comprendre les tours / assis à mon bureau / ligne après ligne / texte après texte / aussi déterminé / et nonchalant/ qu’un lapin blanc / échappé du haut chapeau / d’un prestidigitateur étranger. » Car le poète, aveugle-né qui a appris à « s’adapter le plus poétiquement / qui soit » se reconnaît dans chacun d’eux, tous l’aident « à voir plus clair », menus grains de lumière qu’il peut à sa guise faire danser au bout de ses doigts.

L’écriture possède son rituel, son lieu, son heure, son attitude. Son temps est à l’image du sentiment : « élastique » : « Il sera bientôt minuit / avant même d’avoir été midi / parce qu’écrire / c’est se perdre dans le temps / c’est en trouver un autre / jamais visible au bas de l’écran. »

Le titre dit assez ce qu’est le geste : un rite initiatique naturel, devenu solaire au mitan de la vie, mots de « plein jour », de « midi », heure où la lumière est à son zénith, heure de la pleine conscience, de l’ouverture grand champ après le long apprentissage des années, l’endurance acquise, moment le plus propice au croisement des antennes sensorielles et du savoir-faire.

Le poète, tel un éternel maçon aux « joues heureuses », le sait, ne s’inquiète pas, l’œuvre est en cours et se prolongera jusqu’à « minuit », terme du compagnonnage, âge de la sagesse conquise. Point de métaphysique ou de dogme ésotérique dans cette appréhension du monde mais le temps travaillé, juste lui, qui humblement fait son œuvre de la « première heure » à « la tombée de la nuit ». L’imaginaire peut voguer entre souvenirs et réalités, présences et absences, le tout est de « rester maître » dans son laboratoire à rêves. Le but : « absolument comprendre » ce qui pousse à créer, être en somme « mieux vivant ». Ou la poésie-la vie, comme une construction de soi-même, le meilleur moyen de faire advenir le monde en soi, qui n’existerait pas autrement. Une œuvre œuvrée doublement. Une durée.

Dans « J’avais déjà dit un jour », troisième ensemble, le poète peut tout redire car tout est toujours nouveau. Il peut emprunter les mêmes trains, péniches, voitures ou avions, enjamber les mêmes ponts, parcourir les mêmes routes, revoir le même film, tout a changé car lui-même a changé. Et le voyage ne peut finir pour l’aventurier de soi pris dans ses rêveries. Il ne va nulle part ailleurs qu’au fond de lui-même, point de fuite illusoire, inatteignable mais qui le guide sur la pellicule en cours. Depuis sa « cabane d’enfant sauvage » jusqu’à son bureau-vigie qui fait acte de résistance, « le cinéma intérieur » peut continuer de partager en douceur ses fantasmagories « Entre midi et minuit ».

Aucune effusion de style chez Thierry Radière qui écrit « sans prétention », « sans paillettes », aucune envolée lyrique mais des mots simples, justes, sans masques ni « mascarade », qui résonnent au plus près des sensations. Des mots que l’on reconnaît. Nul vocable savant ou alors en clin d’œil amusé comme ce « postprandial » qui clôt gaillardement un déjeuner dominical. «Tout est là sans discours / ni cravate ni robe de soirée / avec des contours et un relief / si parlants / qu’on en oublierait/ sa langue maternelle.»

Aussi, yeux fermés après la lecture du livre de Thierry Radière, ai-je moi-même oublié ma propre langue pour entrer dans la sienne et ajouter un dédicataire aux « poèmes totémiques » d’ouverture. Que leur auteur voie dans ce sillage impromptu l’une des innombrables traces qu’inscriront ses poèmes dans l’âme de leurs lecteurs.

À Thierry Radière

De la page qu’il lit à celle qu’il écrit
tout se multiplie démultiplie
c’est une cellule pas comme les autres
une du cœur (du cœur du cœur)
reliée à tout le reste
un organisme vivant à longs cils
qui vibre fusionne ramifie
il n’y peut rien il est né comme ça
− et même d’avant −
pour dire ce qui importe
les voyages improbables à dos d’étoile
ou de pince à linge les bribes de rien
choses menues ou grands soleils
qui tournent dans le ventre
à la vitesse de comètes
ou de tortues oubliées
tout cet indicible qu’il aime
soudain transvasé
renouvelé − intact.

Marilyse Leroux

 

Présentation de l’auteur

Thierry Radière

Thierry Radière est né en 1963 dans les Ardennes. Il écrit, roman, nouvelle, autofiction, poésie, et publie en revues et webzines.

Bibliographie (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

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Thierry Radière, Entre midi et minuit

Auteur d’une petite trentaine d’ouvrages, poésie, romans, nouvelles, récits, essais, Thierry Radière,  n’est pas forcément de ceux que l’on remarque d’emblée, en raison d’une discrètion, qui vaut pour une distanciation volontaire, mais sereine, [...]

Thierry Radière, Entre midi et minuit,

Thierry Radière, auteur d’une œuvre importante en poésie, romans, nouvelles, récits et essais, publie un livre-somme en trois parties, un triptyque plutôt tant tout est lié, relié sur un même fil de vie. [...]




Thierry Radière, Entre midi et minuit

Auteur d’une petite trentaine d’ouvrages, poésie, romans, nouvelles, récits, essais, Thierry Radière,  n’est pas forcément de ceux que l’on remarque d’emblée, en raison d’une discrètion, qui vaut pour une distanciation volontaire, mais sereine, qui justifie cependant l’élaboration d’une œuvre aux contours multiples, dont l’exigence prend sa source au cœur d’une existence pleinement vécue sous les couvert des mots.

Sorte de parabole, que je qualifierais volontiers de « dynamique inversée » avec parfois des aspects contradictoires qui effleurent le temps, sans pour autant se figer dans la glaciation d’un vocabulaire savant. Loin s’en faut, Thierry Radière préfère de loin les métaphores spontanées, sous le couvert d’une syntaxe disons-le assez verticale, mais parfaitement lisible et abordable. Né en 1963 à Monthois, il est aujourd’hui professeur d’anglais à Fontenay-Le-Comte en Vendée et il vient tout juste de publier un imposant recueil de poésie, intitulé « Entre midi et minuit » aux éditions de la Table Ronde, juste récompense d’un parcours silencieux, mais à la hauteur d’une espérance qui se veut puiser dans l’ordre du vivant, sans être assujettie aux fluctuations du temps qui passe et qui trépasse – simplementsouveraine de ses douces intentions  - au sein d’une intimité fluctuante mais partiellement apprivoisée, comme s’il  n’existait de réel échappatoire, que dans la possibilité,  de s’abstraire de son propre Moi ;  figure logique de toute recherche intérieure, qui va chercher derrière les mots, un sens caché et rarement soudainement révélé.

Thierry Radière, Entre midi et minuit, La Table Ronde, publié avec le concours du CNL, 333 pages, 17 euros.

Car en effet, l’ordonnancement d’un poème n’est jamais tout-à-fait le miroir de ce que l’on perçoit, en-deçà de la structure elle-même. Il ne peut s’agir ici d’une simple mise en forme, d’un procédé dicté par la compilation. La poésie de Thierry Radière va bien au-delà de l’apparente banalité expressive qui parfois oblige le poète à redéfinir – contre lui-même – le sens de sa quête. Encore qu’il faille légitimement se méfier de certains retours de vocabulaire dont la pleine adhérence à la page, vaut aussi pour une profonde combustion du « mot à mot », rythmé par la nécessité de se faire entendre plus que comprendre.

D’ailleurs en le lisant, on a le sentiment que Thierry Radière n’invite pas nécessairement à ce type d’exercice. Lui, se veut rester à la lisière de ce qu’il nomme, comme en témoignent les nombreuses dédicaces. L’Autre plutôt que le déclin de Soi, Moi comme le complice de  l’Autre. L’Autre comme un remerciement !  « Entre midi et minuit » est habité par un ailleurs, si proche et si loin, qu’il s’agit d’attraper avant qu’il ne se sauve » ; souligne encore l’éditeur à juste titre.

 

Se taire et reconnaître
Que les miettes laissées par terre
Seront pour les bêtes
Celles affamées
Que le poète ne voit pas forcément
Mais sait toujours évoquer
A ses enfants en train de lire
Ses poèmes à la bougie.

 

Le poète serait-il aveugle à ce point pour ne point se reconnaître, là où justement la bougie éclaire ? Alors que les bêtes affamées, désignent un tout autre accord. A l’inverse des enfants qui eux savent percevoir spontanément les contours et les traces, sans fouler du pied, une terre qui forcément s’échappe afin de ne pas se laisser malencontreusement fouler.

 

Et si la poésie
n’était rien
qu’un beau rouge-gorge
perché en haut d’une branche
en train de rire intérieurement
au moment où ceux
qui se prétendent spécialistes
de cet art de plus en plus pratiqué
commençaient à le définir
en long en large et en travers
d’un air sérieux
en utilisant les grands mots ? 

 

Et le tour est finalement joué, presque radical dans sa formulattion, alors que le poète n’est pas dupe de ce qu’il en retourne, n’affecte en rien ses propres résonnances ; juste éviter les comparaisons, mais plus encore les compromissions, sauf que n’est pas « spécialiste de la chose » qui veut. Il faut parfois s’en remettre à la vindicte, pour au moins s’affirmer, s’éléver, avec ses propres mots. Et pourvu de s’échapper de ses nombreux carcans, qui conditionnent plus qu’ils n’affectent le poète innocent. A force de rire, on en devient fou, c’est certain.

 

J’avais dit un jour
qu’une mouche me regardait écrire
et que je ne savais pas vraiment ce qu’elle voyait
de moi à mon bureau.
Ce souvenir revient subitement aujourd’hui
alors qu’aucun insecte ne m’espionne
mais je crois que c’est plutôt
ce qui se passe dans la têtede ces petites bêtes
que j’ai le sentiment de revivre
en écrivant 

 

Ô fatale obscurité ! Qui ne déclare (dévoile)  en rien ses complaisances, mais signifie en amont que l’insecte sait lui aussi à son tour investir discrètement les lieux sans finalement troubler la quiétude du poète ; juste l’accompagner dans son étrange désarroi, comme un compagnon habile et silencieux. Surtout ne jamais faire de bruit quand le poète « s’écrit », au-moins pour ne pas lui faire peur, de se reconnaître ainsi en lui dans « le laboratoire de ses rêves, cette vigie de fortune ».

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur

Thierry Radière

Thierry Radière est né en 1963 dans les Ardennes. Il écrit, roman, nouvelle, autofiction, poésie, et publie en revues et webzines.

Bibliographie (supprimer si inutile)

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Thierry Radière, Tercets du dimanche

Quel meilleur jour qu’un dimanche pour écrire la notule d’un livre sur les dimanches ?! Un livre autour des dimanches. Où les dimanches sont tout à la fois le sujet et son complément, l’histoire et la géographie, souvenir et présent.

 

Les premiers dimanches, ceux de l’enfance, cette sorte de routine, entraînante, lancinante, parfois doucereuse, souvent proche d’une anesthésie générale, le monde comme en sommeil, pire encore dans le coma, ou plus prosaïquement sur pause. Hormis l’enfant. L’enfant qui, seul, s’agite, s’excite, joue, rêve, court, crie. L’enfant qui, malgré son envie de normalité, de rythme habituel, éprouve lui aussi cet étrange sentiment de distanciation – dimanche n’a rien de commun avec les autres jours ; dimanche est une parenthèse, des pointillés. L’enfant est un capteur à évidences non exprimées.

 

Ce n’est pas tous les jours
que dès dix heures du matin
le garçonnet sent que rien ne changera. 

 

 

 Thierry Radière, Tercets du dimanche, Gros Textes, 6€.

Car c’est ainsi que les choses avancent, le dimanche, sans avancer. L’immobilité suit sa route, et l’énergie courbe l’échine, un peu, très peu. Si les adultes semblent flotter dans une sorte d’air ouaté, le monde, la vie, l’existence perdure malgré tout. Et l’enfant ne le sait que trop, qui s’en réjouit, sait aller vers qui il faut, pour trouver le bon compagnon, la bonne compagne, afin de rester lui-même, ne pas se perdre dans la morosité d’un statu quo non désiré.

 

Dans un coin de la maison
où le temps s’est arrêté
l’enfant parle à une araignée. 

 

Tout lui semble lent, mou, à l’enfant qui se véhicule entre les heures creuses, plates, à la recherche de cette folie douce hebdomadaire qu’il chérit tant. Les parents, les grands-parents s’affairent, s’activent, pourtant, mais dans le repli d’eux-mêmes, l’acidité de l’intimité, la bile d’hiers, comme si les dimanches avaient la vertu non pas d’une eau de jouvence, mais se rapprochaient d’une machine à remonter le temps – avec l’aigreur, la peine, le mal discret en besace.

 

Jouer au quatre vingt-et-un dans le salon
en compagnie de ses enfants dès le matin
le transportait en Algérie pendant la guerre. 

 

On s’occupe, alors, on fait ceci ou cela, on tâche d’éloigner cette couverture de vide qui ne nous tient pas chaud, nous refroidit même.

 

La voiture rouge en bas
lavée tout à l’heure
est un clin d’œil au garçon penché au balcon. 

 

Parce qu’on a une idée en tête, une idée que tout le monde devine, sait. Dimanche n’est pas un jour comme les autres, on se doit d’y vivre quelque chose qui, donc, ne ressemble en rien à ce qu’on vivrait dans la semaine. On le sait, l’enfant le sait, les adultes le préparent. Et c’est le départ, la route, l’ailleurs.

 

La baignade dans le lac
était attendue avec le pique-nique
au bout du monde. 

 

L’ailleurs, oui… Mais l’ailleurs se trouve partout, le dimanche. Qu’il fasse beau ou non, été comme hiver, on est toujours en partance, le dimanche, ce voyage vers soi, vers les Autres, ses autres. Chez soi est le véhicule de ces déplacements.

 

C’est un jour
où même chez soi
on se sent ailleurs. 

 

 

 

 

 

 

Extrait de Attendre que la mer monte, Dre Thérry Radière, lu par Jérôme Rousselet.

Présentation de l’auteur

Thierry Radière

Thierry Radière est né en 1963 dans les Ardennes. Il écrit, roman, nouvelle, autofiction, poésie, et publie en revues et webzines.

Bibliographie (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

Autres lectures

Thierry Radière, Tercets du dimanche

Quel meilleur jour qu’un dimanche pour écrire la notule d’un livre sur les dimanches ?! Un livre autour des dimanches. Où les dimanches sont tout à la fois le sujet et son complément, l’histoire et [...]

Thierry Radière, Entre midi et minuit

Auteur d’une petite trentaine d’ouvrages, poésie, romans, nouvelles, récits, essais, Thierry Radière,  n’est pas forcément de ceux que l’on remarque d’emblée, en raison d’une discrètion, qui vaut pour une distanciation volontaire, mais sereine, [...]

Thierry Radière, Entre midi et minuit,

Thierry Radière, auteur d’une œuvre importante en poésie, romans, nouvelles, récits et essais, publie un livre-somme en trois parties, un triptyque plutôt tant tout est lié, relié sur un même fil de vie. [...]




4 poèmes

 

à l’heure où l’air
ne sent plus rien
que le pouls est
sur un bateau à
faire vibrer la voile
tout est à aplanir
à raser très lent
plus régulier qu’un
train au départ du
bout du monde et
à destination de
l’autre bout du
monde

les kilomètres

derrière la vitre
des voyages seul
avec pour unique
bagage une plaie
à refermer dans
un compartiment
prêt à imaginer

toute sa vie durant

 

 

***

 

 

il faut se refaire au goût
des visions imposées là
devant nous muettes de
façon à jouer avec sans
toujours bien les voir se
murger de cimetières où
les cadavres sont béats
le ciel et son chignon gris
a son tablier de grand
-mère appliquée à écraser
la soupe à penser invisible
dans les légumes aplatis
le jus des songes passe
les morts parlent sous le
toit et la coiffe de travers
se remettra toute seule de
ses émotions du matin une
suie tenace à la place du
cœur que les bocaux sur
l’étage font trembler des
cils et des mains froides

 

***

 

les ombres arrivent à leur terme
et c’est toujours très lent de sentir
leur disparition parce qu’elle
s’accompagne de traces sur les
murs que réveillé il faudra oublier
chacun pour soi en étant ensemble
les figurines partout dans le silence
rappellent les jeux d’enfant que nous
inventions parce que nous avions
peur de devenir des adultes efficaces
guerriers un flingue à la place des mots
des rots en guise de merci de cris pour
signifier la marée haute tellement haute
que les baigneurs périssaient en lisant leur
journal absorbés par l’actualité terrestre
la météo du vent et pourtant l’apocalypse
ils n’y pensaient pas comme ça tranquilles
seulement en trinquant entre amis sur la
plage où les châteaux attendaient d’être
pris en photo avec les pelles et les sceaux

 

***

 

le bois se casse
dans les yeux du
vieillard seul là
assis habillé sans
effet ni sourire
la tête déjà partie
les mains fatiguées
craquant l’horizon
à la moindre pensée
qu’il voudrait ne plus
avoir : elle l’empêche
de se lever mal dormi
il se prépare à rester
sur sa chaise : sait que
debout ce sera pire
il aura envie de
s’asseoir à nouveau
devant sa table à la
toile cirée silencieuse
et effrayante avec ses
couleurs que lui n’a
plus depuis longtemps
mais qu’il subira encore
faute de pouvoir en créer
de nouvelles pour la vie
il sent courir sur les
ganglions de ses fleurs
sèches la raideur du vase