Tomasz Cichawa, Aperceptions
amour est rêve
l'amour est un rêve où mon amoureuse
s'envole par la fenêtre et s'écrase au sol
l'oiseau détesté sans nid sans clarté
que sa mère vendit pour quelques prières
triste comme un poète mon amour est inquiet
mon désir est diffus et borgne il me rend
furieux et latent mon amour n'est pas complice
les victimes n'ont jamais sauvé l'espoir
ce songe est sans avenir son espoir est vide,
le mur du réveil fera plier les ailes — l'ermite du rêve
cultive la plante de l'espoir dans le désert de pierre
tant qu'il y aura la pluie qui irrigue ce rêve
si la fleur se mute en fruit je le porterai dans le monde
et nous parlerons au monde de l'amour sans bornes
et nos conversations changeront le monde
j'attends ta parole avant que le monde ne se brise
mon amour est fragile mon rêve terne mon oiseau muet
les paroles l'effraient et blessent l'amour sans paroles
dont les jours sont indescriptibles — silence est absence
les seules paroles qu'il connaît sont trauma et fin
rêve est blessure — silence est mort
corps
puisque mon idéal me trahit
avec la pute aux cheveux verts
au milieu de la nuit vêtue
je laisse place
à l'inconnu
je t'offre le papillon
qui s'ébat en moi
ma lyre électrique s'épuise
le néon vomit son vif-argent
la chape de froid écrase
j'ôte des jupes et des bas
parasites de la séduction
mon corps sage
cycles des nuits
Désormais, mes nuits durent quatre-cent-quatre-vingt-quinze minutes.
En fin de chaque cycle de sommeil se révèle à moi l'image d'un livre
aux prophéties opaques.
L'ensemble de glyphes ressemble à un archipel, dont les terres, immergées
par la grâce d'un déluge, commencent à peine à resurgir de sous les eaux
qui cèdent.
Le texte est lisible par zones, difficilement, mais chaque nuit, il se dévoile davantage.
L'eau trouble se retire. L'énigme de la vérité se décompose
à chaque réveil.
La clé du monde cherche la serrure.
Je lis les mots à l'endroit :
…amère vie…
...empreintes des miroirs ...
…hisse-toi jusqu'à la ligne bleue…
…éructe en larmes devant un ange gai…
…marche seul la nuit…
…déflore des idées de la femme lubrique…
…invente le tarot dont tu ignores les règles…
…souviens-toi de l'ortie chromée…
…livres vierges…
…à corps ouvert crâne ouvert…
srevne'l à stom sel siv ej
atelier
1.
jusqu'aux confins des jours il œuvre
devine le relief au-delà de l'atelier
— limes gouges pointes planes
wastringues complices
il hume l'huile rance sent le bois rouillé
creuse l'âme de l'idole creuse l'âme de l'idole
flambent avec horreur copeaux avortés
le sol se déchire le toit se déchire
2.
démiurge ivre aux mains sectionnées
nourri de silences d'intuitions incultes
renonce à la gloire molle qui compte des écus —
la poussière se pose attentive
l'art l'emporte la vie s'absente
ne subsistent que des entailles dans la peau des souvenirs
le roi poète
le printemps est admirable et le parc resplendit
le soleil bienveillant invite à la promenade
dans le jardin secret où court un ru fébrile
le roi aime à s'asseoir et à s'inspirer
il ne se sent libre que seul
les servants se dissimulent
le roi compose un poème, exerce son regard,
goûte aux pâtisseries boit le vin d'automne préféré
envoie les coupes vides dans les veines du ruisseau
elles tournent et se heurtent leur tintement
surprend des grues qui pêchent —
le pinceau trace : ce qui n'est pas écrit ne pourra être lu
le roi dit son affection pour le peuple dont il est inséparable
comme le poisson et l'eau comme la lune et son reflet
il parle à une absente qu'il ne veut contraindre de l'aimer
même s'il dispose de tous les pouvoirs dont celui de la mort
mais l'amour ne se commande pas ne se met pas aux fers
le roi soupire : ce qui n'est pas dit ne pourra être entendu
le soir quand la reine s'occupe à parfaire ses gammes
le roi tâche d'oublier des affaires du pays il ferme les portes
se mire dans la solitude des nuages merveilleux
le temps est imperceptible la pensée se fait chair
et pendant que les copistes multiplient le poème
il joue aux dames chinoises