Christian Monginot, Après les jours, Véronique Wautier, Continuo, Fabien Abrassart, Si je t’oublie
Christian Monginot, Après les jours
Le récent recueil de Christian Monginot est composé de deux suites qui constituent un seul poème : « Un roc affreux » et « Une douceur singulière ». Le lecteur se questionne : qui est ce « tu » auquel s’adresse Christian Monginot ?
À Arthur Rimbaud qui figure avec trois exergues dès les premières pages du recueil ? En deux feuillets, sous le titre d’ « Une Parole Clandestine », Christian Monginot expose clairement les objectifs de ce recueil : « Aller vers le réel ou le fuir. […] La langue veut cela » (p 9). Au-delà de cette contradiction, la poésie peut réconcilier le poète avec l’écriture poétique : telle est du moins la tâche à laquelle s’attelle Christian Monginot. Autrement dit, il semble que Christian Monginot pense que « l’homme réel demeure un trop, un excès pour l’homme de la langue et des discours ». Mais en même temps, Monginot assigne à la poésie de capter cette parole qui est celle de l’homme réel… Y réussit-il ? La réponse consiste sans doute à lire « Après les jours »… La poésie est multiple : quoi de commun entre Adam de la Halle et Christian Monginot par exemple ? Les deux démarches semble radicalement opposées.
Dès le début, Christian Monginot ne fait que philosopher ; il faut le citer : « élargir cette zone d’affleurement de l’homme réel dans le langage de l’homme ».
Christian Monginot, Après les jours, L’Herbe qui Tremble
éditeur, 134 pages, 14 euros. Encres de Caroline François-Rubino.
Mais le poème n’est jamais bien loin : le titre du poème liminaire (« L’ombilic des innocences ») ne fait-il pas penser à celui d’Antonin Artaud (« L’ombilic des limbes ») ? C’est à une vision promothéenne, marquée par la lutte, qu’est invité le lecteur. Christian Monginot semble relire l’œuvre complète d’Arthur Rimbaud, les indices abondent : les mouches, le roc affreux, l’alchimie du verbe, les transactions, la folie, mettre un pied devant (l’homme aux semelles de vent selon l’expression de Paul Verlaine), etc… Monginot semble se placer dans le sillage de Rimbaud. La poésie est multiple : quoi de commun entre Adam de la Halle (pour ne prendre que cet exemple) et Christian Monginot ? « … tu veux savoir / Ce qui se cache au fond du puits » (p 20) : pensée complexe qui exige une seconde lecture, voire une troisième… D’autant plus que Christian Monginot paraît faire le tri entre une poésie qu’il refuse et une autre qu’il accepte. Trop de métaphysique (p 29) : je n’entre pas dans le poème, et c’est dommage ! À la décharge du poète, il faut dire que la voie est étroite tant elle ressemble à une chicane ; ou alors, je ne sais pas décoder, saisir le rapport entre la problématique et les poèmes. Il me semble que Christian Monginot a été trop ambitieux dans les poèmes qu’il produit qui n’apportent pas de réponses convaincantes aux questions qu’il (se) pose dans des éclairs lumineux. Les meilleurs moments sont ceux où le lecteur retrouve Rimbaud (pp 46, 72 par exemple) ou cette « Monnaie de singe » ou ces « Mirages publicitaires » ( p 94). À l’appui de ce long poème, je retiens ces accumulations, ces redites, ces constructions ternaires répétés… Le poète essaie de capter « Cette vie qui fuit, qui te déserte et qui t’ignore », semble-t-il remarquer à l’intention du lecteur (p 117). Il tente de faire coïncider, en poète qu’il est, le réel et l’homme.
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Véronique Wautier, Continuo
Pourquoi, pour quelles raisons, un vers touche-t-il le lecteur plus qu’un autre ? Et pourquoi tel lecteur plus qu’un autre ? Ainsi ces trois vers (un poème) : « j’ai vu ce matin l’aubépine en fleur / elle soulève chez moi un buisson de joie blanche / c’est peut-être cela ne pas chercher et trouver » (p 18). Est-ce pour la joie blanche, est-ce pour la façon de trouver ?
Véronique Wautier est attentive à la beauté du monde (mais aussi à sa souffrance) qui, parfois, s’identifie à un rien (le mot revient à plusieurs reprises dans ses poèmes). Les exergues semblent retenir cette double attention car c’est une grande lectrice. Véronique Wautier paraît beaucoup voyager : du sud (Aix-en-Provence) aux bords de la Sambre. Face à la souffrance du monde, elle s’interroge sur le peu que nous sommes : « Je me demande comment j’ose être témoin d’une fleur, comment j’ose parler du silence dans l’abri poésie » (p 35) ; il est vrai que c’est au retour d’une visite à une amie atteinte d’une maladie incurable : « des milliers d’assassins mangent sa lumière » (id). Mais, en même temps, Véronique Wautier médite sur une toile de Nicolas de Staël qui, faut-il le rappeler (?), s’est défenestré… Ça pour la douleur ? Si un poème brûle la douleur (p 48), car la joie immobile / résiste au feu… Véronique Wautier ajoute « je crois » à la fin de son poème.
À la fin du vers précédemment cité ! Mais elle ajoute ailleurs (p 37) « certains croient moi pas », le poème commence par ce vers qui met ainsi en lumière la polysémie du verbe croire.
Véronique Wautier, Continuo, L’Herbe qui tremble
éditeur, 64 pages, 14 euros. Peintures d’Anne Slacik.
Que faire dans le mystère de la nature qui se suffit à elle-même ? Que faire dans ce monde où les hommes sont égoïstes ? « Écrire à sa solitude » comme elle le note si bien… (p 44).
Véronique Wautier regorge d’amour pour ses semblables : elle s’essaie à saisir au vol « le chant d’être toujours en vie dans ce paysage bancal » (p 51). Et elle y réussit fort bien. C’est ce qui fait le charme incomparable de cette poésie. Si Véronique Wautier vit en poète, elle s’accompagne de la peinture ; ce n’est pas un hasard si Nicolas de Staël ouvre et clôt le livre dont les œuvres furent vues lors d’expositions…
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Fabien Abrassart, Si je t’oublie
Le titre est élégiaque à souhait mais il ne faut pas s’y fier. J’ai lu « Si je t’oublie » sans rien y comprendre. Est-ce parce que Philippe Lekeuche, dans sa préface, remarque : « Ces poèmes calcinés, loin de nous désespérer, éclairent notre errance au sein de l’absence d’un là où être, notre déréliction constitutive de ne point exister encore… » (p 9). Qu’est-ce qu’écrire de la poésie ?
Je me le demande de plus en plus souvent … Est-ce ce qu’écrit Fabien Abrassart ? Une voix semble remarquer : « … on existe coûte que coûte, poétiquement, envers et contre tout » (id). J’avoue n’avoir rien entendu. Et pourtant j’ai bien cherché ce lien ontologique entre Jérusalem et Auschwitz et je n’ai rien trouvé. Est-ce parce que je n’ai jamais lu la Bible ? Et ce ne sont pas les références (à) ou les citations de Baudelaire, de Villon ou d’Appolinaire qui changent quoi que ce soit à l’affaire ; ou alors je ne sais plus lire des poèmes ou alors étais-je dans une disposition d’esprit qui m’empêchait d’apprécier ces pièces de vers … Le Poème d’amour (p 39) est le seul que je sauve de cette incompréhension, de ce naufrage. Qui est cette sainte à Rouen ? Je peux deviner ce que sont ces cheveux mais pas ce qu’est ce corps de cire…
Je peux deviner l’horreur des camps d’extermination mais il y a trop de mystères que je ne perce pas… J’arrive même à trouver comme des échos du Roman Inachevé d’Aragon (je ne sais pourquoi la Chansonnette Madame d’Abrassart me fait penser à La Guerre et ce qui s’en suivit d’Aragon !).
Fabien Abrassart, Si je t’oublie, L’Herbe qui Tremble
éditeur, 66 pages, 13 euros. Peintures de Marie Alloy.
Et ce ne sont pas les majuscules mises aux mots (pp 48-50) qui sont capables de me faire changer d’avis à la lecture de Si je t’oublie …