Amedeo Anelli, Vincent Motard-Avargues, Pierre Dhainaut

Amedeo Anelli, Hivernales et autres températures

Le poète de Codogno, dont j'avais apprécié « Neige pensée » et « Alphabet du monde », propose ici ses traversées de l'hiver, du froid, de la brume, des éléments dans une volonté d'inscrire, couche par couche, ses sensations de vivant. Il y a ici , il est vrai,  une véritable prospection de la « nature naturante », dans la mesure où l'oeil, le corps font un avec ce qui est perçu.

L'écriture, au fil des hivers 2021 et 2022, a retenu nombre d'impressions « hivernales » : séquences de contemplation et de vie, décrivant au plus près le « givre dentelle de glace », le « questionnement » dans la solitude, toutes les lumières versatiles et mouvantes que les jours d'hver proposent.

Devant ces tableaux de « temps de gel », le lecteur feuillette un journal de bord, sensible aux variations, aux échelles, aux mouvements pertinents d'une nature observée avec soin.

Le secret de la brume
l'abondante lumière qui obscurcit la vue dans la transparence
par soustraction entre terre eau et ciel. (p.25)

Sans être en rien philosophique, cette prégnante poésie consigne tout de même toutes les rétentions de vie et de mort dans un univers enveloppant. Le vent lui-même devient signe d'existence. On sent le poète attaché à dévoiler du réel des urgences.

Les souvenirs, quelques scènes encrées, des tableaux du passé fournissent une matière noble à l'auteur. 

Amedeo ANELLI, Hivernales et autres températures, Libreria Ticinum editore, 2022,78p. Traduction de l'italien par Irène Duboeuf. Recueil bilingue français-italien ; 13 euros.

Ce qui se perd se rattrape dans les mots et l'hiver, avec ses effeuillements, est bien la saison de la pause et du recul, comme si l'être y devinait ses traces.

L'écriture, très belle, très significative, emprunte ses beautés aux éléments qu'elle trace ; elle est le « rêve qui nous sauve dans le besoin » (p.49).

Le poète de Codogno, parlant de sa cité, de sa région, donne un message universel : celui de l'imprégnation du monde.

Vincent Motard-Avargues, Peinture de l'absence

Ce seizième recueil du poète bordelais se passe presque d'images pour circonscrire les reliefs d'une enfance, d'une mémoire, tissée de brefs éclats de murs, de jardin, de maison, d'impressions.

Comme si l'auteur souhaitait dresser une liste de constats, de petites saynètes, réalistes.

Très descriptives, les phrases du poète énumèrent le « perdu », « l'air de riens », « la ponctuation du vide », « l'empreinte durable d'un rêve ».

Les espaces figuratifs de l'illustrateur, économes et silhouettés, renforcent cette sensation elle aussi durable d'une déperdition.

Les poèmes, constitués de peu de vers, eux-mêmes réduits à quelques mots, semblent réitérer, de page en page, l'absence du titre.

Tout regard semble « brouillé » et la conviction que les promesses n'ont pu être tenues.

Le ton, désolant, tristounet, éveille le lecteur à une mélancolie, patiente mais partageable.

Vincent MOTARD-AVARGUES, Peinture de l'absence, le chat polaire, 2022, 76p., 12 euros. Illustrations économes de Luc VIGIER.

Pierre Dhainaut, à portée d'un oui

Une poésie de l'acquiescement par l'un de nos plus grands poètes francophones (avec Ancet,Vandenschrick, Grandmont, Miniac), acte de jeunesse du poète dans son grand âge pour redire avec force, souplesse, fluidité, les vertus des images, de la poésie.

Qu'il s'agisse de poèmes longs comme dans les deux premières parties du livre ou sous forme de tercets à vertu aphoristique, le poète délivre au sens le plus concret l'ouïe du lecteur, apte à saisir la musique fluide qui coule, fervente, sertie de dons, d'  « air pur », de « mémoire ». Il faut avoir beaucoup vécu pour tendre sa voix à sa plus haute expression libre, dans « l'insaisissable » de la prise.

Là où les temps se conjoignent (demain, maintenant), le poème peut peut-être décliner « l'art du murmure » fondamental :

tu t'en remets à la parole, le silence
la ravive, qui l'oblige à reprendre essor, présente,
elle est toujours présente (p.7)

La quête est de toujours la ressource, mais que chercher qui ne soit lui-même « approche » dans l'accomplissement ?

 Pierre DHAINAUT, à portée d'un oui, Lieux-Dits, coll. Cahiers du loup bleu, 2022, 44p., 7 euros. Loup de Caroline François-Rubino.

L'auteur sait donner place au feu des mots, à leur « sonorité » et à ces plantes colorées, telle la glycine, symbole du renouvellement, des saisons, du grand âge perpétuel.

Au sein de la « terre heureuse », Dhainaut aime reconnaître, renaître aux choses, dans l'éternel avril, où la lumière croît comme floraison .

La trentaine de poèmes décrivent la tension entre la vigilance et les mots qui puissent l'honorer, sans faux pli, sans accroc.

Une musique (« origine) retourne à l'enfance, qui dès lors se réinvente dans la couture des vers, en ce « foyer des mots », gages de « perspective ».

Le titre, au-delà de sa beauté – dire oui si beau -, ouvre « la respiration de l'ensemble ».

Un très grand livre, à l'écriture souveraine.

 

Présentation de l’auteur

Amedeo Anelli

Amedeo Anelliest un poète, philosophe et critique d’art italien. Né à S. Stefano Lodigiano en 1956, il vit à Codogno où il a fondé en 1991 la revue de philosophie et poésie KAMEN’, qu’il dirige ; il a publié Quaderno per Marynka (Milan, Polena, 1987), Contrapunctus (Faloppio, LietoColle, 2011) ainsi que des catalogues d’art et de nombreuses traductions du russe. Neve pensata (Mursia, 2017) est son dernier recueil. Il figure également dans les anthologies  Poesia d’oggi. Un’antologia italianade Paolo Febbraro (Elliot) et Antologia di poeti contemporanei. Tradizioni e innovazione in Italia(Mursia) de Daniela Marcheschi.

Poèmes choisis

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Présentation de l’auteur

Présentation de l’auteur

Pierre Dhainaut

Pierre Dhainaut est né à Lille en 1935. Avec Jacqueline, rencontrée en 1956, il vit à Dunkerque (où s’effectuera toute sa carrière de professeur).

Après avoir été influencé par le surréalisme (il rendit visite à André Breton en 1959), il publie son premier livre, Le Poème commencé (Mercure de France), en 1969.

Rencontres déterminantes parmi ses aînés : Jean Malrieu dont il éditera et préfacera l’œuvre, Bernard Noël, Octavio Paz, Jean-Claude Renard et Yves Bonnefoy auxquels il consacrera plusieurs études.

Déterminante également, la fréquentation de certains lieux : après les plages de la mer du Nord, le massif de la Chartreuse et l’Aubrac.

Une anthologie retrace les différentes étapes de son évolution jusqu’au début des années quatre-vingt dix : Dans la lumière inachevée (Mercure de France, 1996).

Ont paru ensuite, entre autres : Introduction au large (Arfuyen, 2001), Entrées en échanges (Arfuyen, 2005), Pluriel d’alliance (L’Arrière-Pays, 2005), Levées d’empreintes (Arfuyen, 2008), Sur le vif prodigue (Éditions des vanneaux, 2008), Plus loin dans l’inachevé (Arfuyen, 2010, Prix de littérature francophone Jean Arp) et Vocation de l’esquisse (La Dame d’Onze Heures, 2011). Ces recueils pour la plupart sont dédiés aux petits-enfants. Plus récemment encore : une "autobiographique critique", La parole qui vient en nos paroles (éditions L'Herbe qui tremble, 2013) et Rudiments de lumière (Arfuyen, 2013).

Il ne sépare jamais de l’écriture des poèmes l’activité critique sous la forme d’articles ou de notes : Au-dehors, le secret (Voix d’encre, 2005) et Dans la main du poème (Écrits du Nord, 2007).

Nombreuses collaborations avec des graveurs ou des peintres pour des livres d’artiste ou des manuscrits illustrés, notamment Marie Alloy, Jacques Clauzel, Gregory Masurovsky, Yves Picquet, Isabelle Raviolo, Nicolas Rozier, Jean-Pierre Thomas, Youl…

À consulter : la monographie de Sabine Dewulf (Présence de la poésie, Éditions des vanneaux, 2008) et le numéro 45 de la revue Nu(e) préparé par Judith Chavanne en 2010.

© Crédits photos Maison de la Poésie Jean Joubert.

Poèmes choisis

Autres lectures

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A propos de Pierre Dhainaut

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« C’est pour respirer moins mal que, très jeune, j’ai eu recours au poème. Ce « recours au poème », Pierre Dhainaut l’explicite dans un livre rassemblant à la fois des poèmes inédits et des textes [...]

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Il faut saluer la naissance de la nouvelle maison d’édition de Mathieu Hilfiger, Le Ballet Royal, inaugurée par le très beau livre de Pierre Dhainaut : État présent du peut-être. Déjà l’objet-livre, au design [...]

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Un Hugo caravagesque   Pour parler du grand auteur romantique français qu’est Victor Hugo, il faut trouver des mots amples et englobants. Une fois acquise cette idée, il ne faut pas oublier de [...]

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J’ai rencontré l’œuvre de Pierre Dhainaut dans la revue Voix d’encre. C’était en 2005 et le texte s’intitulait « Toujours à l’avant du jour », une suite de notes dans lesquelles il définissait la poésie [...]

Pierre Dhainaut, APRÈS

On ne sait pas. On écoute. On entend. Seul. Une chambre. Des murs, on croit en les fixant sortir de soi, bloquer/ce qui remue sous les paupières. Un brancard. Un cortège de couloirs. [...]




La minute lecture : Jean-Baptiste Pedini / Vincent Motard-Avargues, Comme le fleuve au paysage

Les deux auteurs, car il s’agit d’un livre à quatre mains, nous invitent à une promenade mélancolique au bord d’un fleuve qui porte, transporte, fait bouillonner et noie tour à tour les mots et les souvenirs.

Le titre et la citation en exergue, empruntés au « Madrigal triste » de Baudelaire, donnent le ton : il y a dans ce texte une sensation d’empêchement, de douleur ou de difficulté à dire, et l’on songe à un deuil, à la perte d’un être, de soi-même, ou d’un amour, à la peur de l’oubli peut-être. Une absence plane, une ombre, un manque. Le fleuve prend alors le visage et la voix de (ce) qui s’est absenté, raconte, nourrit la mémoire. Les écritures sèches et denses des auteurs, si bien mêlées qu’il est difficile de les différencier, confèrent aux poèmes un mystère qu’il revient au lecteur d’approcher, de révéler, à travers les nuances de son prisme intérieur.

En attendant de commander ce beau livre, en librairie ou auprès de l’éditeur, tu peux écouter un extrait ici :

Jean-Baptiste Pedini / Vincent Motard-Avargues, Comme le fleuve au paysage, éditions de l’Aigrette, octobre 2020.

Présentation de l’auteur

Présentation de l’auteur

Jean-Baptiste Pedini

Né en 1984 à Rodez, Jean-Baptiste Pedini vit et travaille en région toulousaine. Des publications dans une trentaine de revues ainsi que des livrets chez -36° édition, Clapàs, Encres vives et La Porte. Il a reçu en 2012 le Prix de Poésie de la Vocation pour son recueil Passant l'été, publié chez Cheyne.

Poèmes choisis

Autres lectures




Vincent Motard-Avargues, Je de l’Ego « Narration entaillée »

« Narration entaillée », Je de l’Ego, l’image d’un « radar » en guise de première de couverture illustre heureusement le chant du cygne (nom de la maison qui publie le livre)/le champ poétique ici livre par Vincent Motard-Avargues.

 

Morceaux d’une existence disloquée comme des rémanences rétiniennes sur/sous les paupières mi-closes d’une vie, d’une conscience pour l’heure adossée/en arrêt/en sursis…

 

               La fête sauvage électronique bat son plein. Les basses fréquences
font trembler le sable de cette forêt proche de l’océan. 
              Sous l’emprise d’un acide, Noé Vida ne peut plus bouger d’un cil.
             Adossé à un pin, sa vie lui revient brutalement, par flashs syncopés,
Hachés. Ses multiples identités, ses Je sans moi.

 

 Vincent Motard-Avargues, Je de l’Ego « Narration entaillée », éd. du Cygne, 91 p., 12€.

État hallucinatoire ; vie hachée menue (provisoirement) visionnaire. Comme des images du monde visionnaire, michaldiennes (ici le Je remue comme La nuit remue de Henri Michaux).

Et Noé Vida porte bien son nom.

Comme on porte le vide d’une existence en sursis, -en rémission ? Comme ce vide peut porter une non-vie, un plein-creux dans la richesse abandonnée/dépouillée d’une Arche-de-Noé dans la traversée vers quel "Siddharta (ou presque)" après le déluge, vers quel "polder d’homme", quelle "prison", quels "demain", quels "Danses et Chants", quelle « Paix » ?

Vers quel Je de l’Ego d’où jaillit l’existence se rebâtira la solidarité de solitudes « sans racines », brisées dans leur singularité, îles dépossédées de leur archipel ?

La voix de Vincent Motard-Avargues entaille la narration dans l’espace de la page où le temps se fracture et reconstruit la fatigue des mots en même temps que les mots édifient le sens de ce qui passe/fuit/se délite.

 

tu avais du sans
pleines mains

 yeux d’ambre
ête d’océan
acouphènes d’absences

d’autres couraient
au long
des aubes
sèches

toi tu vacillais
via tempes arides
du lieu

où demain ne
s’épelle plus

 

Je de l’Ego signe un road-movie initiatique. Des bouts de route/des bribes de chemins poursuivis ou interrompus, voire brisés, déroulent des séquences d’un Moi démultiplié en Ego décentré par l’(Im)permanence (titre d’un recueil de Vincent Motard-Avargues, paru en 2015 aux éditions Encres Vives). (Im)permanence du Si peu, Tout (éd. Eclats d’Encre, 2012) où l’existence s’appose, dans le

 

tout trop mouvements
en évidences pleines

 tu assommé ici
poids aux manques

 eux accrochés là
meutes rythmiques

 toi qui traces tu
en contours internes

 

où le vide, le plein creux, les multiples identités d’un Je sans moi

 

tout
défile défoule
tombe tourne
ressasse rappelle
revit s’échappe

 toi
enfant hommes
hommes passés
passé présents
présent futurs

 

où la vie en radar tourne autour de ses inutiles urgences, ses brèves de sécurité vaine par flashs syncopés, hachés puisque nous voyageons ici dans le road-movie d’une descente initiatique où le Je d’un anti-héros tente, broyé, en déliquescence, en état second, de ramasser d’un Ego Ce qui reste (revue en ligne créée par Vincent Motard-Avargues), ce qui va, émietté par la nuit, émietté par les mouettes de l’Envie, récolté par les oiseaux de la Vie.

L’évidence du cosmos et de soi est remise en question dans l’univers du poète. Rien ne va de soi. La logique des choses qui d’ordinaire se suivent et s’enchaînent est rompue, ainsi À ce qui est de ce qui n’a, comme L’Alpha est l’Oméga… Rien ne va de soi comme un Recul du trait de côte, Leurs mains gantées de ciel, Un écho de nuit où se ricoche la lumière dans la profondeur du silence et des ténèbres mystérieuses. De même que le réel fonctionne sur le principe des "Matriochka", le concept de structure gigogne, d’objets emboîtés, de même les poèmes de Je de l’Ego sont sécables dans les « plages de néant » formées par la page blanche, sans autres rives que celles du vide mais avec les mains pleines du sans (« tu avais du sans/pleines mains »), sur  un « tempo disharmonique » pour  tenter de  saisir encore  un  bord où tenter de réunir

 

toutes ces heures
à courir après
minutes creuses

 tous ces heurts
à attraper
coups de lune folle

 

L’objectif de la course du Je s’est perdu dans le vide des objets vainement (re-)cherchés, et cette vacuité le pulvérise en ses identités.

Je de l’Ego résonne dans le champ/le chant d’une déconstruction où

 

je
et
tu

 

pourraient s’imbriquer de façons aléatoires et modulables sur un tempo traversé de solitudes désolidarisées. Le hiatus de l’absence au cœur des êtres en présence coordonnent encore le manque, les ombres, les spectacles sans spectateurs (les corps de théâtre/machine à vivre/robot d’être) ainsi le lien encore établi par la conjonction de coordination « et » reliant les vers parfois monosyllabiques, formant une jointure entre les vibrations, une prothèse en place d’une cassure/fêlure, d’où surgit malgré tout

 

quelque chose
ô
quelqu’un

 

La foule fait masse –« un plein creux »- sous l’emprise du bruit de la fête sauvage électronique, sous l’emprise de l’acide, tandis que le Je du narrateur assommé s’accroche dans le creux de sa perdition aux lambeaux de silence assourdissant, aux morceaux de sa vie -ou non-vie- encore battante ; aux restes d’une mémoire traversée de « flashbacks » syncopés ; à ses voix écharpées « solo de mille chœurs ».

S’échappe pourtant encore un « bruissement d’êtres/au loin où l’/existence existe », résiste, pour que le Je de l’Ego se surprenne à rêver encore au bout de la nuit

 

oh oui
j’ai rêvé

 à une chambre moins 
froide

où conserver sa terre
ocre

et dormir apaisé
un peu

 

Présentation de l’auteur




Vincent Motard-Avargues, Je de l’Ego « Narration entaillée »

Je de l’Ego titre l’une des parties de cet opus signé Vincent Motard-Avargues, où se déclinent les multiples identités éclatées de Noé Vida l’anti-héros, rassemblant les vies de ses Je sans moi. Bilan d’une vie, ou d’une non-vie ? Compte-rendu poétique fictionnel d’une résonance sensible en nos temps qui courent, où tous nos repères tombent, armatures socio-professionnelles, familiales, psychologiques etc.

À l’instar du célèbre jeu de construction au succès toujours d’actualité, l’identité d’une « Je de l’Ego » assemble ici les éléments -brique à brique- de ses différents moi, pour les reconstruire si possible dans un parcours chaotique en lignes brisées et dans une ascèse poétique qui ne manque ni de lucidité ni de causticité en fin de compte. Dresser par la vertu d’une veine poétique ajustée un constat désabusé de l’existence peut (r-)éveiller la conscience.

De « Ce qui reste » (clin d’œil à la revue numérique dirigée par Vincent Motard-Avargues), après un effondrement de tout l’être, que reste-t-il à dire/à écrire, à l’approche du « Siddharta (ou presque) », après avoir ouvert les « Matriochka » des choses à découvrir/des êtres à rencontrer ? Que reste-t-il de « Tout », de « toi », de ce « tu » toujours à connaître, « et » du « Je de l’Ego » ? ― « Un truc qui court », « la Paix », « un oui sans fin » ? …

Vincent Motard-Avargues, Je de l’Ego « Narration entaillée », éd. du Cygne, 91 p., 12€.

Dans un jeu de déconstruction du langage et du rythme, dans un jeu de reconstruction d’un cosmos au « logos » reformulé par une poésie reconfigurant au passage du temps la singularité d’un monde -celle d’un quidam en perte du Sens probablement à donner au cours de son existence, à l’arrêt ou plutôt en pause dans une crique où l’abordage pense jeter l’ancre définitivement, ou lever à nouveau les voiles par le large insufflé par la force régénératrice d’une encre poétique- Je de l’Ego invite au voyage d’une descente dans les eaux du silence et du retrait qui, paradoxalement, maintient le cap de l’espoir.

Avec la folle allure d’un Je s’écrivant, feuilletant les pages de son histoire depuis la crique d’existence où il entame de tourner le film de sa vie. Dans une langue dépouillée, comme épurée, dont la densité des mots, leur puissance poétique, refait le monde à l’image d’un Je sans moi revenu de tout, aux facettes kaléidoscopiques dont chacun a pu entrevoir déjà la fragilité au cours de sa propre expérience de vie, des peines aux déceptions écopées jusqu’aux joies égrenées.

Poésie singulière émouvante dans ses Chants et danses syncopées, joués dans la fluidité arythmique de flashbacks et d’instantanés reformulés pour mieux en saisir l’épopée personnelle/universelle. Pour s’en délivrer aussi, peut-être, qui sait ?

 

je sais
je le sais
mots
rêve
espoir
ce qui
se dit
s’écrit
cette lueur
cette absence
antique saison
du feu
flamme subtile
du temps
l’éternité
je sais
je le sais
comme on vit
comme on respire
un oui sans fin

 

Le Poème n’est-il pas cela, un Je de l’Ego : « un oui sans fin » ?

Présentation de l’auteur




Vincent Motard-Avargues, Tant de silences…

Deux recueils, deux modalités de décliner le poème, qui se fait toujours aussi dense, grâce à une écriture qui dévoile toutes les potentialités de la langue…Des images superbes et ciselées avec si peu de mots qu’elle révèlent presque une magie, celle qui se déploie lorsque s’écrit la poésie.

Si peu, tout

Si peu, tout, recueil de 2012, est fidèle à l’annonce de la couverture : quelques lettres qui énoncent le nom de leur auteur, le titre et le nom de la maison d’édition. Un tout petit condensé de 52 pages dont le dispositif tutélaire est le reflet de ce qui s’y déroule. Un poème, unique et rare, dévoilé page à page, où s’égrainent quelques mots, qui se suivent, se superposent jouxtent les suivants, comme des clichés photographiques, un album de réminiscences, d’instantanés, que l’on pourrait feuilleter d’avant en arrière, d’arrière en avant. Mais il ne s’agit pas que de cela. Métaphore du travail de la mémoire, des ressacs de la pensée, ce poème qui se dévoile petit à petit comme le puzzle de nos couches d’inconscient et de réminiscences est une merveille de délicatesse, de sensibilité. L’énonciateur nous invite à le suivre, à regarder avec lui

   Ce qui
reste
quand  on
ferme les yeux

 

   La main
gantée
de silences
                     ocres

 

       La flèche
                         argentée
de l’amertume

 

     Le marteau
                           carmin
de la souvenance

 

     L’acide des
larmes
                           vertes

 

           (Clichés
                      si
   inéluctables)

 

Vincent Motard-Avargues, Si peu, tout, Eclats d’encre, Paris, 2012, 52 pages, 12 €

Ces quelques vers, trois par page, ouvrent le chemin d’une lente déambulation au gré des souvenirs et des états d’âme du poète. Sans jamais d’épanchement superfétatoire, il nous ouvre à un univers unique grâce à la lecture de ses interrogations, qui dépassent aisément le cercle de son parcours individuel pour s’ouvrir à un questionnement sur le sens de la vie. Et de conclure avec ces vers qui se suivent sur les deux dernières pages de Si peu, tout, superbement, en ouvrant sur un futur juste effleuré par cet emploi magistralement poétique de la langue :

 

Je sème
rose en terre

tu pousseras
au dehors de cette
absence

l’engrais
d’une jeunesse
avalée
par l’éternité

un cœur
à mille corps
éplorés

 

Recul du trait de côte

Vincent Motard-Avargues n’a pas renoncé à ce jeu avec l’espace scriptural, qui propose dans Recul du trait de côte, paru après Si peu tout, des textes qui, bien que plus étoffés, n’en conservent pas moins la ténuité et la puissance de son écriture poétique. Le mouvement de cette poésie, pareille au ressac des vagues sur le rivage, oscille entre passé et présent, et cherche à énoncer l’impossible, cette douleur à être au monde, et dans le même mouvement le désir d’exister. Le poème tente de rendre compte aussi parfois de sa propre existence, dans une écriture souvent réflexive, où l’emploi du pronom personnel de la deuxième personne du singulier met le sujet à distance. Tenter une définition de soi-même par la négative, métaphore du poète en quête d’identité, puis énoncer son existence dans l’immanence d’une transcendance salvatrice :

Tu n’es pas cette île
qui berce l’océan
de son pas éclatant et
vif malgré le rien
de ses heures

tu n’es pas ce voilier
qui s’oublie en pleine
tempête au beau
milieu du silence des
tremblements d’air

tu n’es pas ce poisson
qui perd ses eaux en
donnant un nom à
la mort aux plus intenses
heures de l’absence ivre

tu n’es pas ce fond
qui oblige à la distance
et où se repose le repos
d’avoir trop peu demandé
sans jamais de question

tu es le temps
tu es l’ailleurs
tu es l’à-peu-près
tu es le murmure
tu es.

 

Recul du trait de côte, Vincent Motard-Avargues, La crypte

Vincent Motard-Avargues, Recul du trait de côte, La Crypte, Hagetmau, 2014, 8 €

Au-delà du souvenir, des éléments anecdotiques de l’existence, Vincent Motard-Avargues tente aussi de rendre compte du sens du poème, et de ce que peut représenter l’acte d’écrire :

 

Les mêmes mots
les mêmes vers
lLes mêmes riens

je ressasse
je reviens
je retourne

la même eau
la même veine
la même vie

je m’écoule
je m’écroule
je m’étiole.

 

L’impossibilité de dire l’innommable, champ exploré de tout temps par la littérature, qui ne peut aborder de thématiques telles que la mort, l’amour, la souffrance, qu’en terme de détournement, pour créer cette émotion que crée l’art, sont dans cette poésie, au cœur de chaque vers. L'anaphore, figure souvent utilisée par le poète, rythme et structure nombre de textes, et dans ce ressac des mots, comme celui des vagues, s'inscrit l'éternel mouvement, celui du déploiement incessant des vagues sur le rivage, et celui de la mémoire.

Vincent Motard-Avargues est un poète discret. Il existe dans l’effacement, tout comme ses vers, qui mènent le lecteur vers une traversée de lui-même, où le vent balaie les souvenirs, pour laisser place non pas au renoncement, mais à la pureté d’une posture dépossédée de toute trace. Laissons lui ouvrir l’espace de la disparition de nos doutes :

J'ai marché là
en mes pas
sur mes pieds
qui ne sont plus

pourtant restent eux-mêmes

ai vécu ces rues
avenues commerces maisons
buttes et rives
cailloux et sable

que vis

ai aimé ce qu'aime
haï ce que hais
tout reste tout
rien demeure rien

mon image flotte ici.