Yves Boudier, En vie/intra-foras
Sur une page, trois poèmes en quinconce se parlent. Trois poèmes ou bien est-ce le même ? Un poème sur chaque page ou bien le même, tout au long du recueil ? La question à la fois se pose et ne se pose pas. Tout dépend du besoin qu'on a du signifiant. Tout dépend de sa propre respiration. En poussant le découpage — ou le découpement — plus loin encore, le lecteur peut s'arrêter aux strophes de deux, trois ou cinq lignes.
Dolente sanguine
le ruban
délieun filament
qu'une main
jumèleà l'avalée
du cœursoupir
se ferme hors la bouche
qui enclôt
le vagirblason de nuit
Cypris
perle
Yves Boudier, En vie/intra-foras, illustrations de Léa Guernchounow, Les Éditions du Paquebot, 2023.
Quel que soit le mode de lecture, "on y trouve son compte" : l'expression n'est pas déplacée puisque si, personnellement je ne sais pas ce qu'est la poésie, je sais ce que signifie le mot "poème". Le poème, c'est le rythme, le souffle. Dans la composition, pauses, déplacements et retenues sont essentiels. En vie (intra-foras) célèbre l'amour, la force de création, la mort et, donc, la poésie elle-même. Yve Boudier, avec son sens de la musique, évoque le silence, l'absence et la vibration. Entre plaisirs de la chair, rituels intimes, voyages, visions ou éclats de lumière, il approfondit ces minuscules instants à gober avant qu'il ne soit trop tard. Les illustrations presque minérales, la magnifique mise en page et le grain du papier jouent en contrepoint à cette sensualité latente, amplifiant l'impression du lecteur de se trouver en suspens. Par la pudeur de l'écriture et l'art de la mise en scène, ce recueil peut-être considéré comme une sorte de manifeste de la poésie contemporaine.