Lara Dopff, Ainsi parlait Larathoustra, Viatire, Yves Ouallet, Ainsi vivait Yvan Bouche d’or

À la recherche des écritures aux pensées libres s’interrogeant sur l’art, l’être humain, la vie, les éditions Phloème ne forment pas une simple maison mais une caravane d’édition, itinérante, glanant des fleurs précieuses pour en faire leur miel au fil des itinéraires tracés, préférant butiner la sauvagerie des pensées à la domestication des idées, traversant ainsi le désert bien pensant de la culture de masse pour mieux cueillir, dans ses marges, quelques essences rares, dans une véritable « quête de livres de vie, qui portent la sève depuis les racines les plus profondes pour la délivrer aux bourgeons tendus vers la lumière »…

Ce double mouvement de collecte puis de déploiement, leur éditrice, poète et metteur en scène, Lara Dopff le porte à son incandescence en croisant sa propre écriture avec le chercheur, enseignant et essayiste, Yves Ouallet, par le tissage à deux voix, à travers la collection Fugue de vie, d’un dialogue dont ils semblent jusque dans la forme du livre naquis comme les deux tessons d’un même symbole, l’avers et le revers d’une même monnaie rendue à notre civilisation mortifère, pour mieux célébrer la possibilité d’autant de lignes de fuite, de fugues et de voyages en des terres de vies heureuses partagées telles les fables, les contes ou les légendes dont tous deux s’avèrent à la fois les prophètes amusés et les porte-paroles sans faconde, préférant la potentialité d’une existence libre, libérée et libératrice aux mythes eux-mêmes dont ils réinventent la tradition…

Ainsi parlait Larathoustra se lit donc en miroir à Ainsi vivait Yvan Bouche d’or, « Janus bifrons », double visage d’une même poésie de voyage puisant, au féminin comme au masculin, aux sources livresques de mythologies sacrées pour dessiner un espace commun entre ces deux voix toutes tournées vers la célébration pourtant de la vie à l’état « sauvage », dans la prise de risque de l’engagement comme dans l’érotisme de la rencontre amoureuse, dont ils se révèlent les chantres, que l’on invoque le masque d’une nouvelle prophétesse nietzschéenne (Lara/Zarathoustra) ou l’armure d’un nouveau chevalier de la Table Ronde (Yves/Yvan/et pourquoi pas Yvain, le Chevalier au Lion ?)…

Lara Dopff, Ainsi parlait Larathoustra, éditions Phloème, 76 pages, 13 euros.




Yves Ouallet, Ainsi vivait Yvan Bouche d’or, éditions Phloème, 76 pages, 13 euros.

 




Les figures se mêlent, se mélangent, s’embrassent, s’embrasent, l’écriture de l’un(e) devient la lecture de l’autre, la lecture de l’autre devient l’écriture de l’un(e), et ainsi de suite, comme des bouts mis bout à bout de ce Phloème qui unit leur aventure selon la formule caractéristique : « Le phloème est l’écorce qui porte la sève, comme le liber est l’écorce qui donne le livre, libre » et dont le mot « poème » au cœur de celui de « phloème » demeure le sésame, comme une porte ouverte sur les métamorphoses de la vie, des vies successives, telles les diverses étapes d’une expérience chamanique : « Sous chaque phloème je devinais des poèmes. »

De ces mêmes postulats émergent les singularités des écrits-duels, duo virtuose où la sensibilité à fleur de peau qui innerve les Carnets de L’arbre de nerfs s’avérant le récit d’un corps féminin dans son rapport à soi, à l’autre, au monde, croise la sensitivité à fleur d’âme d’un autre corps masculin qui relie les essais sur l’entrelacement de L’écriture et la vie dans les relations de La Pensée errante, une forme moderne de « spiritualité » dont l’errance demeure une clé de leur pratique partagée.




Un des derniers opus de ce grand voyage par la poète Lara Dopff reprend à son compte cette dimension de l’« erreur » à l’« errer » pour mieux réinventer ce rapport masculin/féminin à travers une réécriture du mythe fondateur de la poésie amoureuse même, celui d’Orphée et Eurydice : « la multitude des scribes l’avait épuisé. / il s’était laissé aller à l’errer / à l’errance, errer en errance. / il avait suivi sa piste, par bribes. / trois pas, si proches de son épiderme. / il la savait, vivante. / il avait entendu, ses notes. / trois pas, chaque nuit. / trois à chaque nuit. » De la « peau » pistée, retrouvée au-delà des frontières de la vie et de la mort, à la « peau » aimée aux aguets des cinq sens, c’est en définitive tout ce « primat » esthétique/éthique qui fait de la créativité des éditions Phloème une poésie résolument « première » !

Présentation de l’auteur

Lara Dopff est née en 1989, elle est diplômée en Arts Dramatiques et en Création Littéraire. Elle est poète, metteur en scène et éditrice. Elle a participé à de nombreux festivals et salons en France et à travers le monde, et intervient dans des Universités (Saint Louis University États-Unis, Université Bretagne Sud, Université de Normandie, Université de Sfax Tunisie). Elle anime des Classes de Maître et ateliers d’écriture de Création littéraire depuis 10 ans. Elle a publié une quinzaine de recueils poétiques, invoquant le corps, la nature, la marche, la musique, l’extinction et l’errance à travers le monde (Grèce, Inde, Iran, Turquie, Sibérie, Amérique). Lara Dopff participe à des recueils collectifs et à des revues (Voix d'encre, Bacchanales Maison de la Poésie Rhône-Alpes, La Volée Rosa Canina Edition). Ses poèmes ont été traduits et publiés en espagnol (El gallo y la serpiente, Poesia francesa actual, trad. A. Hidalgo, Cìrculo de Poesìa) et en anglais (trad. D. Morris).

Poèmes choisis

Autres lectures

Présentation de l’auteur

Lara Dopff est née en 1989, elle est diplômée en Arts Dramatiques et en Création Littéraire. Elle est poète, metteur en scène et éditrice. Elle a participé à de nombreux festivals et salons en France et à travers le monde, et intervient dans des Universités (Saint Louis University États-Unis, Université Bretagne Sud, Université de Normandie, Université de Sfax Tunisie). Elle anime des Classes de Maître et ateliers d’écriture de Création littéraire depuis 10 ans. Elle a publié une quinzaine de recueils poétiques, invoquant le corps, la nature, la marche, la musique, l’extinction et l’errance à travers le monde (Grèce, Inde, Iran, Turquie, Sibérie, Amérique). Lara Dopff participe à des recueils collectifs et à des revues (Voix d'encre, Bacchanales Maison de la Poésie Rhône-Alpes, La Volée Rosa Canina Edition). Ses poèmes ont été traduits et publiés en espagnol (El gallo y la serpiente, Poesia francesa actual, trad. A. Hidalgo, Cìrculo de Poesìa) et en anglais (trad. D. Morris).

Poèmes choisis

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Yves Ouallet, De L’écriture et la vie ou la volonté de Sur — Vie à l’Apocalypse pour notre temps

La conjonction de coordination « et » reliant L’écriture et la vie, essai en trois tomes dont l’écrivain-chercheur Yves Ouallet retrace les étapes de ce lien essentiel, s’interprète en hommage au titre de l’ouvrage de Jorge Semprun sur son expérience concentrationnaire à Buchenwald, L’écriture ou la vie, à travers lequel le résistant d’expression castillane et française, né à Madrid, retrace ce qui ne peut être donné à ceux qui n’ont pas connu les camps : vivre sa mort. Un temps, il va croire qu’on peut exorciser la mort par l’écriture. Mais écrire renvoie à la mort. Pour s’arracher à ce cercle vicieux, dans un tourbillon de la mémoire, l’œuvre d’art qui sera tirée ensuite de cette expérience âpre, fondatrice, et qui aurait pu se nommer L’écriture ou la mort dresse mille scènes, mille histoires qui font de ce livre sur la mort un ouvrage extrêmement vif…

À travers cette substitution du « et » au « ou » du titre original, le penseur héritier de la réflexion de son aîné, met en exergue comment c’est précisément dans ces situations extrêmes, dont le philosophe Adorno, s’efforçant de mesurer les conséquences encore plus radicales du camp d’extermination Auschwitz, affirmera désormais : « Il est devenu impossible d’écrire aujourd’hui des poèmes », que – paradoxalement – le recours au poème s’avère nécessaire, impérieux, vital ! Ainsi, de la figure d’Ulysse retrouvant sa part d’humanité à son retour à Ithaque, à travers le regard de son vieux chien Argos, dans l’Odyssée d’Homère, à l’évocation de la formule d’introduction du fameux sonnet nostalgique, dans Les Regrets de Joachim Du Bellay : « Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage… », en passant par Le chant d’Ulysse, dans La Divine Comédie de Dante, le mythique voyageur, en quête de son pays natal, se révèle inspiration de survie, dans l’Enfer des camps, sous la plume de ses plus grands témoins, notamment dans L’Espèce humaine de Robert Antelme ou dans Si c’est un homme de Primo Levi…

Dès la question inaugurale d’Hölderlin : « À quoi bon des poètes en temps de détresse ? » ouvrant le chapitre central du tome consacré à La survie poétique, et même auparavant, dans le déploiement de celui étudiant les Inscriptions : « Inscrire », « S’écrire », c’est en se reliant à la profondeur de L’identité poétique que les hommes prisonniers de leur époque peuvent espérer survivre, devenir des survivants, vivre à nouveau, reprendre de la hauteur !

Yves Ouallet, L’écriture et la vie, Tome I, Inscriptions, éditions Phloème, 184 pages, 23 euros.

Dès lors, dans la conscience de cette nécessité, le tome ultime Éthique et écriture met en exergue l’articulation fine entre vivre et écrire, conjurant à la fois l’interdiction d’écrire et l’impossibilité de vivre, dans une éthique de nos existences débordant l’esthétique des écrits dont le poème n’en garde que l’éclat…

Alors, fort de cette triple réflexion sur les implications anthropologiques, poétiques et éthiques, d’une telle écriture envisagée comme survie, s’élève le chant personnel du poète, véritable cri à la fois d’un témoin et d’un combattant face à l’Apocalypse pour notre temps ! De l’adieu impossible à la littérature, se détache ce fragment d’un cœur palpitant du mystère, vision de jours nouveaux entraperçus, arrachés aux ténèbres contemporaines, pour mieux en exaucer la lueur souveraine, final en apothéose de la traversée apocalyptique de notre temps si sombre et si lumineux à la fois : «  Chaque chant s’élève chaque roseau chaque oiseau / chante en son jargon nouveau l’Hymne à la Joie / le lys martagon répond au rossignol gorge bleue / le nourrisson babille avec l’oisillon / Babel est heureuse et se fond dans la Forêt joyeuse / radieuse dans les cieux vogue la Planète Bleue / dans la lumière du Soleil / et la poussière des étoiles. »