La série américaine Joca Seria

 

 

La collection américaine des éditions joca seria est née, sur un coin de table, en 2010, avec la publication des Poèmes déjeuner de Frank O’Hara. Avec appétit. Le coin s’est agrandi, au rythme de deux à trois titres par an d’auteurs dont nous regrettions qu’ils ne soient pas présents en France. Nous les avons ajoutés au Menu. Pour une carte littéraire américaine plus complète dans notre langue, nous essayons donc d’agrandir, sur la nappe, la « tache blanche » dont parle Emmanuel Hocquard, de l’étaler, pour que les livres soient aussi des « contribution[s] à la littérature française d’aujourd’hui »1. Un gain de terrain sur notre table à déjeuner. Un grand quelque chose, pour reprendre le titre de Ron Padgett, où le sommeil est remplacé par l’assurance qu’on ait quelque chose à se mettre sous la dent. A lire. En français, et non dans des éditions bilingues, afin que le texte traduit soit lu pour lui-même, non comme une version secondaire. Pour que la poésie ne soit pas sacralisée – et ainsi convenablement tenue à l’écart : quels romans américains sont publiés dans des éditions bilingues ? Dieu sait pourtant si on parle d’eux à la radio et dans les journaux. 

Si les poètes de ce que l’on appelle « l’école de New York » sont réunis à la table de Frank O’Hara avec ses amis John Ashbery, Bill Berkson, Ted Berrigan, Joe Brainard, Ron Padgett et Anne Waldman, c’est simplement en raison de l’ordre d’arrivée des convives. Mais la collection a aussi accueilli Charles Bernstein, associé au mouvement L=A=N=G=U=A=G=E. Si l’on devait jeter un coup d’œil en cuisine et définir la ligne de la collection, on pourrait dire qu’elle s’intéresse aux auteurs proches ou héritiers de The New American Poetry de Donald Allen, anthologie séminale publiée par Grove Press en 1960, donnant une visibilité inédite alors à la poésie expérimentale américaine. Mais pas uniquement : même si elle se consacre surtout à littérature américaine du dernier demi-siècle, la collection veut aussi s’intéresser à des auteurs quelque peu oubliés en France, comme Langston Hughes par exemple.

 

 

 

Collection. Du latin colligere, placer ensemble, recueillir, réunir. Une nouvelle étymologie pourrait-être aussi co-legere, lire ensemble. Co-lectures américaine. Nous joignons nos taches blanches sur la nappe du déjeuner à celles de bien d’autres, celles du bureau sur l’Atlantique, de la collection Format Américain, de la série américaine des éditions José Corti, des éditions de l’Attente, du Bleu du Ciel, de contrat maint, des éditions Éric Pesty, Grèges, Héros Limite, La Nerthe, Les Presses du Réel, Nous, du Théâtre Typographique et d’autres encore. Lire avec les traducteurs, eux-mêmes souvent écrivains, Stéphane Bouquet, Vincent Broqua, Marc Chénetier, Martin Richet, entre autres. Avec les poètes français Jean-Marie Gleize et Jacques Roubaud qui nous ont fait l’amitié de signer les postfaces aux livres de Charles Bernstein et de Ted Berrigan. Mais aussi avec les artistes américains qui, par les couvertures qu’ils ont signées, nous invitent à passer à table, comme dans le collage de George Schneeman pour On ne sait jamais de Ron Padgett, regard profond et tomates écarlates. Avec Susan Bee, Joe Brainard, Rudy Burckhardt, Saul Leiter, George Schneeman ou encore Kiki Smith, on voit donc les livres avant de les lire.

 

Depuis décembre 2016, la collection américaine des éditions joca seria s’est enrichie d’une série bilingue en format poche dont l’ambition est d’explorer l’extrême contemporain. Cette série compte trois titres, de coin à corner de Tina Darragh, Le jardin de M. de Marcella Durand et La grammaire des os de Tonya M. Foster, traduits par Olivier Brossard et Béatrice Trotignon.

 

_______________________

1 -  (Paris : POL, 2001) 403.

 

 

 

 

 




Un garçon qui a de l’appétit…

Traduction Cécile Oumhani

 

 

Un garçon qui a de l'appétit

 

Douze pourrait être son numéro,
mais si treize était à l’étage
il en sauterait deux à la fois
pour saisir le chiffre supplémentaire.

Il exige le pluriel sur toutes les rives,
ramasse tout ce qui est rugueux ou lisse
- parfois à deux reprises – et même à trois,
quand il passe la plage au peigne fin ou n’importe quel autre endroit.

Les fleurs se dissolvent dans sa bouche,
les roses et les phlox, les lys et les coquelicots ;
sa salive composte les herbes
qui sortent de ses dents.

Il est assis là dans de la brume, en train de fumer,
et d’un doigt expérimenté,
il ôte une cendre de son œil gauche –
et puis il mâchonne un de ses trésors.

ll est à la fois au centre et à la marge.
En manque d’ombre et de soleil,
assis au bord de l’un et de l’autre,
avide, jamais satisfait plus d’un instant, animal.

Il est toujours à rechercher des faveurs,
rouges vertes et grandes ;
un gros mangeur, un goinfre, un ogre,
incendiaire, il se consume.

 

*

 

Performance de hasard

 

Une colonne en pierre de sable blanche se dresse
près de la Nouvelle Infirmerie ;
des écailles de mica incrustées là
étincellent et miroitent.

La mouche des sables, malgré son aile cassée
et toute la distance parcourue en vol
sait qu’elle est l’objet mouvant le plus chanceux
du territoire.

 

*

 

Yeux embués

 

Aujourd’hui la nostalgie n’est pas aussi pure
que ce qu’elle était
lorsque nous nous asseyions autour du feu de camp
ou du poêle ventru – ou du sanctuaire
ou simplement d’un tas de pierres
dans le même équilibre
depuis des décennies – des siècles –
et racontions des épisodes de notre enfance
et comme nous écoutions aussi
les histoires de nos grands-parents
qui se rappelaient les histoires plus incroyables encore
de leurs ancêtres :

Je vois dans la brume
les fines parures
drapées sur les arbres d’hiver.

 

*

 

 

Hungry boy

 

Twelve might be his number,
but if thirteen were upstairs
he’d leap two at a time
to snatch the extra digit.

He demands the plural on every shore,
picks up everything rough or smooth
- sometimes twice – even thrice,
when beach combing or anywhere.

Flowers dissolve inside his mouth,
roses and phlox, lilies and poppies;
his saliva composts the weeds
jutting through his teeth.

He sits there in a mist, smoking,
and with a practiced finger,
removes a cinder from his left eye –
and then he chews on some prize.

He’s both central and aside.
In want of shade and sunshine,
sitting on the edge of each,
eager, satisfied for only a moment, swinish.

Forever, he collects favors
red green and large;
a gobbler, a guzzler, a devourer,
incendiary – he burns himself out.

 

*

 

            Chance performance

 

A white pillar of sand stands
close by the New Infirmary;
mica flecks, embedded there,
glint and shimmer.

The sand fly, despite her broken wing
and all that distance flown,
knows she’s the luckiest moving object
in the territory.

 

*

 

               Misty eyed

 

Nowadays nostalgia’s not as pure
as it was back then
when we’d sit around the campfire
or the pot-bellied stove – or the shrine
or simply a stack of stones
balanced as they’ve been
for decades - eons -
and tell episodes from our childhoods
and how we also listened
to tales told by our grandparents
who remembered taller stories
told by their forbearers:

I see through the mists
the fine jewelry
draped on the winter trees.

 

*

 

 



Mon Ange et autres poèmes

traduction Marilyne Bertoncini

 

Mon Ange #1

 

 

Mon ange refuse d'être comme les autres
Il a retiré ses ailes et ne passe pas à la télé

 

On dit  "il" ce que je trouve ironique
Mais bon, être spirituel dans une époque de
fanatisme religieux, c'est être ironique

 

Mon ange ne dérange pas les toiles d'araignées.
Il dessine des larmes et réclame du sel de la sueur des bâtisseurs de pyramide
Il a un drôle de sens de l'humour – c'est mon ange.

 

Je me dis souvent que s'il était humain, je l'épouserais.
Mais son immortalité nous sépare. C'est une bien vieille histoire.

 

Pour le moment, je lui suis reconnaissante d'être habile
à capturer les malédictions avant qu'elles ne parviennent
à mon âme.

 

 

My Angel #1

 

 

My angel refuses to be like the others
He removed his wings and is not on television

 

He’s a “he” which I find ironic
But then, to be spiritual in an age of religious
fanaticism is to be ironical

 

My angel leaves spider webs undisturbed.
He traces tears and claims salt from the sweat of pyramid builders
He has a droll sense of humor—he’s my angel.

 

I often think that if he were human, I’d marry him.
But his immortality keeps us apart. It’s such an old story.

 

As for now, I am grateful for his ability
to capture curses before the make their way
towards my soul.

 

*

 

Chanson du Matin

 

 

Tu te réveilles avec l'expression "pierre à lécher"
Tu réalises que tu ne sais rien de rien sur
Les pierres à lécher – tu connais le sel
Et lécher mais les deux ensemble? Comment
La pierre à lécher lèche-t-elle?

 

Tu sais que tu te diriges
Vers le monde des jeux de mots
Ou celui des instruments de musique,
Sans cordes, battus – trop de jeu

 

Chaque jour les glaneurs longent les bas-côtés
En quête de bouteilles. Il mettent à part
Des sacs déjà mis à part pour trouver du précieux
Verre, en fait du plastique. Ils détestent les canettes

 

Ils connaissent les endroits où la bière
Submerge le soda ; où d'énormes briques
De lait disent que des enfants, beaucoup d'enfants
Vivent là. Ils ne sifflent pas quand ils

 

Travaillent. Ils ne lèchent pas la sueur
De leurs bras fatigués. Ils vaquent
Aux affaires de la misère avec grâce
Et bruit. Tôt le matin traînant
Le poids des déchets d'autrui.

 

Morning Song

 

You wake up to the phrase “salt lick”
You realize you know not one thing
About salt licks—you know salt
And lick but together? How does
The salt lick lick salt?

 

You know you are moving
To the land of word games
Or musical instruments
Unstrung, battered—too much play

 

Each day the gleaners walk side walks
In search of bottles. They separate
Already separated bags to find precious
Glass, that is plastic. They hate the cans

 

They know the places where beer
Overwhelms soda; where huge milk
Cartons say children, many children
Live here. They do not whistle when they

 

Work. They do not lick sweat
Off tired arms. They go about
The business of poverty with grace
And noise. Early morning dragging
The weight of others waste.

 

Published in WORD: An Anthology from The Gathering of the Tribes

 

*

 

Poème pour les indescriptibles

 

 

Chaque homme noir que je connais "répond à la description"
Peau entre jaune vif et noir d'encre "répond à la description"
Dread-locks ou chauve "répond à la description"
Court, trapus, grand échalas "répond à la description"
T-shirt blanc, casquette noire à l'envers "répond à la description"
Costume trois pièces et IPAD "répond à la description"
Musulman ou chrétien "répond à la description"
En fauteuil roulant, avec une canne, comme un ange sur une épingle
"répond à la description"
Qui décrit
Qui transcrit
Qui décide
Qui "répond à la description"?

 

 

Poem for the Indescribable

 

 

Every Black man I know “fits the description”
High yellow to midnight black skin “fits the description”
Dread-lock or bald “fits the description”
Short, rotund, tall skinny “fits the description”
White t shirt, black turnaround cap “fits the description”
Three piece suits and IPAD “fits the description”
Muslim or Christian “fits the description”
In a wheelchair, walking with a cane, dancing on the angel’s pin
‘fits the description”
Who describes
Who transcribes
Who decides
Who “fits the description?”

 

Patricia Spears Jones
Copyright August 15, 2014




J’Œil change les rêves

traductions Chantal Bizzini
 

 

pour Joe Overstreet, Corrine Jennings & George Lewis

 

 

j’œil change les rêves à la 42ème rue, times square

tandis que, tourbillonnants dans leurs attitudes technicolor, des gens foncent à travers les jours affairés, portant des paroles qui mitraillent

à un rythme égalant celui dont ils détournent leurs regards des cadres même singent avec des gestes vifs

une désinvolture affectée, tandis que dhabiles arnaqueurs roulent des yeux

comme des billes alentour, cherchant des coups, se lèchent les babines, laffaire faite avec un bouseux pas fût-fût et, les vres dégoulinantes de bave,

en mangeant des hot-dog payés avec des billets de cinquante dollars au grand jour

ouais, tu métonnes, cousin —

des trottoirs roulants transportent tout

si vite que chacun pense que cest ses pieds qui portent son corps, en dansant, sur une chanson différente

que, disons, à gloster, mississippi

le temps est une tortue qui remue après quune inondation a reflué à lendroit même doù elle était venue

tentends pas dappels ici

à gloster, nulle part de téléphones portables paniquer

seul le constant et lent bourdonnement du plané de moustiques bouffis glissant à travers lair pour se gorger de carnages de sang frais

guidés vers leur cible par leur langue rodynamique ils oscillent dans leur course en zigzag au-dessus diris barbus qui agitent leurs feuilles en épée dans la brise

comme s’ils se préparaient à mener un juste combat contre nimporte qui ou quelque chose comme les gens qui vivent dans la grosse pomme (leurs masques sinistres toujours ajustées quils portent même aux toilettes, effrayés à mort quils sont

de tomber sur un requin au sang froid

calculant, , ce quils tiennent personnellement pour leur territoire) essaient de garder leurs rêves fluctuants en phase avec la vitesse accélérant sans cesse & à chaque instant, dans midtown manhattan caméléons affos

partout, ici, changent de visage en plein midi, disons,

au croisement de la 42ème rue & de la 8ème avenue, alors que des foules claustrophobes dégoulinant de sueur, en at, verrou fer sur la chair, froids, comme un type qui a eu triple perpét à comstock —

les gens ici changent de vitesse, pour tenter desquiver la panique au milieu de ces rêves de bouffons

& au centre de tout ça

un arnaqueur qui ressemble à lazare le rapide, feu lagent dhollywood, rôde en rolls royce blanche, colportant des attrape-nigauds pour vieilles

gendes à dentiers,

qui ont lair si bizarres en public dépourvues de leur épais maquillagecomiques, même sorties de leur machines à rêve, à illusionsmémentos en lambeaux que lescroc colporte vers un bazar miteux

dans un taudis, une pièce avec des toiles d’araignées, où il revend les photographies décolorées de

zsa zsa gabor dans la fleur de l’âge, avant qu’elle ne commence à se décomposer sous nos yeux, portant tout ce maquillage inquiétant et pittoresque ce

fond de teint blanc sur ses liftings éternellement changeants, masquant les rêves que nous portons nous-mêmes, en nos imaginations dérivantes, délirantes

nous ensorcelant ici alors que nous traversons times square

saturés par la charge énergétique des courants

électriques que j’œil imaginait que ce poème avait quand j’œil commença d’abord à l’écrire puis ayant à composer avec la manière dont il ralentissait à mi-course,

quand j’œil est tombé sur ce passage sur gloster, à un tiers de la page, & a tenté d’éviter tous ces moustiques zigzagants

attaquant en piqué en vue d’un carnage de sang frais —

mon parcours s’étendant à la place entière après ça, réglant la focale,

de rythme, la manière dont mes vers idiots avaient commencé à s’organiser — à ce moment même, ils ont commencé à l’inventer en entier

en avançant, comme différents musiciens improvisant

ce poème — comme le double de lazare le rapide colportant les merveilles

du vieil hollywood avant la chute, avant qu’elles ne deviennent des légendes édentées, avant qu’elles ne deviennent zsa zsa gabor

ce pilon verbal de spoutnik, une chose qui se mange

après tout — promet foutrement plus qu’il pourrait jamais donner voyageant à la vitesse des parfaites conneries, qu’elles sont —

une attitude technicolorée de times square, sans rime, arrivant à cheval sur un balai, écœuré & caustique,

avec le mal du pays pour cette énergie : la bonne vieille grosse pomme

 

 

 

 

   poème tiré du recueil Transcircularities: New and Selected Poems (Coffee House Press, 2002)

 




Errançités — Errançities

traduction Chantal Bizzini

 

 

pour Edouard Glissant

 

I.

 

l’esprit erre, ligne de poésie qui prend son vol, serpente

à la façon dont les oiseaux, ailes déployées, s’élèvent dans l’espace : ils savent les ciels pleins de surprises, comme les errançités qui affrontent des voyages aussi inquiets que des solos tranchants de miles davis ou jimi hendrix

écoute la chanson nocturne des vagues marines s’écrasant écumeuses : leurs voix

portent des récits liquides rejaillissant en éclaboussures, là, sur les rivages de rochers ou de sable après avoir voyagé dans le temps, l’espace & la distance, elle ressemble au langage

âpre d’une musique entendue à la pointe d’une lame d’acier aiguisée

qui coupe l’air et chante en séparant nettement la tête du cou

& tu la regardes tomber, lourde comme un rocher qui atterrit & roule

comme une boule de bowling ; la tête laisse une trace de sang serpentine, rappelant nos pensées d’errançités divaguant chaque jour en nos vies

comme des métaphores du mouvement incessant apportent un changement soudain, une surprise dans ta compréhension d’errançités au double sens

pris dans les couches de musique jaillies de souvenirs secrets, en échos résonnant parmi la mer & l’espace bleu : c’est ce que nos oreilles savent

& dont elles se souviennent : entendre des voix parler en langues, porter l’histoire, fleurir des couleurs iridescentes de fleurs aussi diverses qu’arcs-en-ciel

arqués en travers des ciels multilingues comme joie ou chagrin provoqués dans nos vies quand les errançités poétiques savent leur forme propre

 

 

2.

 

 

qu’est-ce que l’histoire sinon des catalogues sans fin de gens imparfaits poussés hors des limites de la moralité, accomplissant guerres, pillage,

esclavage de l’esprit ; c’est ce que la plupart des nations font, dans la pose de gouvernements, parmi les cycles du monde, piller avec imagination signifie profit

partout on pratique la religion sur la topographie comme on utilise des armes

comme on inscrit des outils en typographie, afin de persuader les esprits d’assassiner pour de l’or, où des civilisations entières deviennent épaves à la dérive sur les mers de la mémoire,

notre trésor hérité d’arbres qu’on abat pendant que les hommes saccagent la planète sans remords

les cerveaux dénués d’empathie, ils ne se rappellent/ne connaissent plus que la cupidité ces avatars nomades de dark vadors au cœur de gésier qui célèbrent

des « doctrines de choc » tout en gonflant les bénéfices de la feuille des gains leur seule foi en l’existence sur terre jusqu’à ce que la mort les fauche

 

 

3.

 

mais la poésie vit toujours quelque part sur les courants aériens qui suscitent le souffle créatif, vit dans la mer sans repos, parlant un métissage de langues musicales,

vit dans le miracle sacré de l’essor des oiseaux vers les rêves & le chant,comme les errançités des esprits créent en nous une accumulation sacrée d’aurores,

font s’élever chaque jour des voix miraculeuses, collaborant sous des ciels noirs et clairs épinglés d’étoiles & l’œil laiteux de la pleine lune au-dessus de la guadeloupe

écoute le mélange de langues irrésistible dans les poumons de la nature à new york les langues de la ville, lancées comme des invitations à partager des chants étonnants

dont la nature est un appel à reconnaître en l’improvisation un chemin surprenant, s’écartant et traversant le son du scolopendre enraciné quelque part ici

étonné quand les humains font exploser des rythmes dans les fourrés de mots/de jeux de mots célébrant l’élan vers l’imagination de l’homme, que cherchent les poètes

écoute les cris des oiseaux en partance, au-dessus de la pulsation

magique des vagues marines qui enroule le langage immense aux sonorités des vents,

nous donnant la sérénade à travers des feuilles pleines de sucreries mûres comme de l’eau fraîche sachant que l’amour pourrait être plus profond que la cupidité & qu’il est lui-même un souvenir

un miracle toujours pourrait nous faire approcher la réconciliation intérieure voix se mêlant, métissées sans cesse des errançités errant parmi

la magie, le mystère de la création nous poussant vers le prodige de savoir

que le possible chez l’homme est toujours un don miraculeux, est toujours une énigme

 

 

du recueil : Errançities, New Poems, Coffee House Press (2011) 

 




Quasi une sextine

traduction Marilyne Bertoncini

 

QUASI UNE SEXTINE

 

Je désire ardemment des pêches, objets stéatopyges à noyaux, pêches
mûres, ou non,
aussi fort que les guêpes qui bombardent en piqué
désirent ardemment le café glacé de mon verre.
Laissez-moi goûter la blanche, humide
chair sexuelle

de pêches vénitiennes sur la Riva degli Schiavoni
mûres ou non
si parfaites qu'elles devraient être inhumées dans du verre de Murano
avec des guêpes de verrre -
les filaments vert-blanc, humides
des pêches.

Je désire des pêches romaines jaunes
avec des guêpes de safran
en essaim sur elles au marché de Campo dei Fiori, écharnant
la nudité mûre de
Caravaggios sous verre.
Je veux dormir et rêver de cette humide et trouble
odeur. Ce n'est pas blanc. C'est froissé, foulé, blessé.

 

*

 

QUASI UNA SESTINA    

 

I crave peaches, steatopygous things with pits, peaches

unripe or ripe,

as much as divebombing wasps

crave iced coffee from my glass.

Let me taste the white, wet

sexual flesh



of Venetian peaches on the Riva degli Schiavoni

ripe or unripe,

so perfect they should be entombed in Murano glass

along with glassy wasps--

filamented green-white, wet

peaches.


I desire yellow Roman peaches

with saffron wasps

swarming on them in the Campo dei Fiori market, fleshing

out the nakedness of ripened

Caravaggios under glass.

I want to sleep and dream this muddy wet
 odor.
It isn't white.  It's strained, sprained, bruised.

 

*

 

 

 

 

 

 




Il rame. Je lui fais confiance.

traduction Marilyne Bertoncini

 

IL RAME. JE LUI FAIS CONFIANCE.

 

Nous ramons tranquillement sur le miroir de l'eau.
Nos pieds font un son creux en frottant sur la coque .
Autour de nous les montagnes clignent : des paupières veinées de bleu
se fermant sur un oeil blanc immense.
Nous dressons les bras comme pour frapper l'eau de nos cannes.
Puis arrêtons brusquement.
La ligne avec son poids poursuit le lancer
dans de la verte pontédérie ondulant  au passage des  poissons .

Dans le calme nous les sentons sous la coque, leurs bouches testant
nos lignes, comme des nourrissons tirant sur une tétine. Nous sommes des êtres violents.
Nous tirons brusquement l'hameçon qui traverse leurs bouches d'argent et
amenons le poisson ensanglanté dans un monde qui les noie.

Il découpe l'hameçon hors de mes lèvres pantelantes,
me traîne dans un seau, sort
un autre vers pour camoufler l'hameçon de nouveau.

 

*

 

 

            HE ROWS. I TRUST HIM.

 

We row quietly on the water's mirror.

Our feet shuffle a hollow sound against the boat's thwarts.

Around us the mountains blink : blue-veined eyelids

closing over a wide white eye.


We raise our arms as if to hit the water with our rods.

Then stop short.

The line with its heaviness continues the throw

into green pickerel weed slithered with browsing fish.


In the stillness we sense them under us, their mouths testing

our lines, like infants tugging on a nipple.  We are violent beings.

We tear the hooks suddenly through silver mouths and

bring the fish bloodied into a world that drowns them.



He slices the hook out of my gasping lips,

lugs me into a bucket,  takes out

another worm to hide his hook again.


 

*

 

 

 

 

 




Je vois ma mère en poisson 

traduction Marilyne Bertoncini

 

JE VOIS MA MERE EN POISSON


 

I - Je vois ma mère en Poisson

Je traîne vers ma mère un  lourd seau de sable,
du sable humide et granuleux comme du sucre dans un sucrier,
pour enterrer son vieux corps aigre. Je lui offre un autre seau
qui contient l'eau saumâtre d'un vert brun :
une cascade d'écailles de poissons, un linceul de jade chinois,
pour qu'elle ait l'enterrement d'une sirène.

 

II – Je vois ma mère perdre ses Jambes de Mer

Une persistante pensée de mort attire ses yeux
vers le niveau à bulle de l'horizon marin.
Elle crie de peur de tomber à la renverse
en dehors des limites du monde.

 

III – Je vois l'Esprit de Ma Mère en huître de papier

qui, une fois mis dans un verre d'eau,
ne se dissout pas mais fait surgir
un varech de fleurs en papier.

 

*

 

     

                SEE MY MOTHER AS A FISH 

 

 I.  See My Mother as a Fish



I lug to my mother a heavy pail of sand,

gritty and sticky sand like sugar in a sugar bowl,

to bury her old sour body.  I offer her another bucket

that holds the green-brown salt water:

a cascade of fish scales, a Chinese jade grave suit,

so that she will have a mermaid's burial.




 

II.  I See My Mother Lose Her Sea Legs



A persistent thought of death draws her eyes

to the spirit level of the sea's horizon.

She cries out in the terror of falling backwards

off the edge of the world.




 

III.  I See My Mother's Mind as a Paper Oyster



which, when you put it into a glass of water,

does not dissolve but sends up

a sea wrack of paper flowers.


 

*

 

 

 

 

 

 




Haut les mains et autres poèmes

traduction Marilyne Bertoncini

 

HAUT LES MAINS

 

Ce jour, redonné au sel.
Ce jour avec son miracle fouetté.
Ce jour, harcelé par la poussière.
Ce jour dans la cage du tigre
Seul avec le psy.
Je rêve de fuir l'asile -
Descendre en courant des escaliers pour nulle part.
Ce jour où je chasse une chauve-souris de l'enfer.

Ce jour, est pour de petits pas.
J'arrose mes colioles rouge et jade.
Je contribue au souffle de la planète.
Ce jour de longues robes noires.
Ce jour de miettes sacrées et
De japants Pékinois en laisse.

 

*

 

OR  EN VACANCES

 

Ce jour donné aux petits pas,
Pour en faire une occasion spéciale,
Pour faire un truc bien  ensemble,
Tu veux qu'il dure un petit peu plus,
La dernière touche de l'été....
Une brise verte rafraîchissant ton front.
Oh, je renverse ton cappucino déca.
En riant, tu m'appelles un “klutzatina”.
Un trompettiste enroule de la lumière
Autour de son cornet. Un pigeon traverse
le parc en volant, et se pose sur son bras.
Tu le pointes du doigt et je lève les yeux
De mon livre de mèches vacillantes :
Et je te vois – or au cœur de l'ambre.

 

*

 

HO ! HISSE!

 

Ta monnaie, garde-là - et pas
Nul ne peut t'arrêter de toutes façons
Minnie Mouse, laisse la bagarre à
Joséphine Baker, je t'aime
La grenache déborde de ma tasse
Le gouverneur du Missouri
décrète l'état d'urgence après
les innondations sans précédent
qui ont balayé le Merrimack
El Nino épouse le Réchauffement Climatique
L'aide est en route
Préliminaires par terre
Harriet Tubman à la batterie
On devrait s'appeler Les A Quoi Bons.

 

*

 

 

HANDS UP

 

 

This day I give back to salt.
This day with its whipped miracle.
This day, hounded by dust.
This day in the tiger cage
Alone with the head shrink.
I dream of fleeing the asylum —
Running down steps to nowhere.
This day I chase a bat out of hell.

 

This day I give to small steps.
I water my jade and red coleus.
I contribute to the planet’s breath.
This day of long black dresses.
This day of sacred crumbs and
Pekingese on leashes yapping.

 

*

 

HOLIDAY GOLD

 

This day I give to small steps,
To make it a special occasion,
To do something nice together.
You want it to linger a little longer,
The last tooth of summer…
A green breeze cooling your brow.
Oops, I spill your decaf cappuccino.
Laughing, you call me a “klutzatina.”
A trumpet player rolls some light
Around his horn. A pigeon flies
Across the park, landing on his arm.
You point this out and I look up
From my book of flickering wicks:
And see you — gold inside of amber.

 

*

 

HEAVE HO

 

Keep the change and don’t
No one can stop you anyway
Minnie Mouse, let’s get rowdy
Josephine Baker, je t’aime
Grenache spills from my cup
The governor of Missouri
declares a state of emergency
after all time record floods
slam the Merrimac River
El Nino weds Global Warming
Help is on the way
Foreplay on the floor
Harriett Tubman on drums
Let’s call ourselves The What Fors

 

*

 

 

 




L’Atelier de Cézanne

traduction Marilyne Bertoncini

 

L'ATELIER DE CÉZANNE

 

Cézanne ceci. Cézanne cela. Rue Cézanne est
la rue que Cézanne a gravie chaque fois
qu'il pouvait vers sa vue favorite : La Montagne

Sainte Victoire. 60 fois! 60 fois
il a enduit sa toile de colle de peau
de lapin, de chaux, de blanc de titane.

Il a sablé, couvert de gesso, versé les huiles,
construit des formes géométriques si précises...
Il ne faut pas perdre un seul coup de pinceau,

60 fois (60!) Cézanne était Cézanne,
le même, et pourtant pas le même, quand couleur,
ligne, forme, transformaient l'atmosphère de la Sainte

Victoire. Le pinceau de l'artiste et son esprit ordonnaient
au paysage de se dresser ou se coucher, engendrer
ou cacher, se rendre ou conquérir.

L'atelier de Cézanne, du grès ocre,
des volets rouges et un quatrième mur absent...
un simple vide à travers lequel les tensions,

presque théâtral, entièrement vitré,
orienté nord pour la lumière naturelle – presque
irréelle pour installer un modèle, un

nu, dans ce sanctuaire de ciel bleu
son amour était une montagne qui lui enseignait
à peindre, à être, avant tout, fidèle à la forme,

à ses caractèristiques naturelles, et puis, avec
le temps, à estomper ce que c'était, comme si d'abord....
la lumière, la vérité peuvent  échapper... L'oeil

que l'amour soit l'amour, puis jamais assez,doit
être vu selon les humeurs, fardé de rouge, estompé,
rêche, devenu profond avec des pans de bleu

et vert, orange et brun, relevés de
pigments au pinceau ou au couteau.
Par-dessus tout, selon sa véritable perspective,

les temps superposés, tandis que la vision intérieure
dominait et que cette adorable Sainte Victoire...
n'est pas assez; il faut qu'elle pense aussi.

 

*

 

 

CEZANNE’S ATELIER
             (Aix-en-Provence, France)

           

Cezanne this. Cezanne that. Rue Cezanne's

the rue Cezanne mounted every day

he could for his coveted view: Mont

Sainte Victoire. 60 times! 60 times
he washed his canvas in rabbit-skin
glue, lime dust, titanium white.


He sanded, gessoed, spread the oils,

built shapes so geometrically precise... 

There must not be a single loose strand,

60 times (60!) Cezanne was Cezanne,
the same, yet not the same, as color, 

line, form transformed the mood of Sainte

Victoire. The artist’s brush and mind made
landscape sit up or lie down, beget
or withhold, surrender or conquer. 


Cezanne's atelier, sandstone ochre,
red shuttered, with a missing fourth wall…
a single gap through which the tension,

almost theatrical, all windows,
facing north for natural light – almost

unnatural to let a model,

a
 nude, into this bethel of blue sky –
his love was a mountain that taught him

to paint, to be, first, faithful to shape,

its natural features, and then, over
years, to blur what it was, as if first…
the light, the truth can escape… The eye

love were love, then never enough, must
be viewed in many moods, rouged, smoothed,
roughened, deepened with panels of blue

and green, orange and brown, heightened with
pigments from oil-brush or palette-knife.
Above all, given its true perspective,

time on time, as the vision within
took over and that lovely Sainte Victoire…
is not enough; it needs to think as well.  

 

*