On croit souvent…

 

 

On croit souvent que les mots 
En poésie nous emportent
Vers un ailleurs
Eloigné du présent
Du quotidien
Je n’ai jamais découvert autant de force
Dans les mots
Pour dire et écouter le vrai
Le concept nomme les choses et les êtres
La poésie leur donne chair
S’incarne dans le vivant
Même dans les silences 

 

 

J’aime l’entrelacement
           des mots
avec les choses et les êtres                                                                             

Je cueille le moindre souffle
la lumière brûlante
comme le gris du  ciel

J’aime les vibrations du violoncelle
qui entre en moi
avec la musique de Piazzolla

Il y a dans l’air
une mélancolie troublante
mêlée de joie discrète
de tristesse perlée
qui donne envie de goûter
le suc de l’existence
avec délicatesse
pour longtemps 

 

 

J’ai mis les mains
Dans la terre nouvelle
Terre noire
Habitée d’insectes surpris et apeurés
Qui entament une course folle
Se cachent pour survivre

J’ai planté les couleurs du printemps
Sur la terrasse engourdie
Par l’hiver de vent et de pluie
Nourri la terre
Où la  vigne d’Arménie
Reprend un nouveau souffle
Au milieu d’arbustes rougeoyants
Qui offrent leurs feuilles ouvertes
Au soleil timide d’Avril 

Légère et grave
La musique d’Haendel accompagne
Une solitude précieuse
Qui dilate en joie
L’intimité du Soi
Où nous conduit-elle ?
Peu importe de savoir

J’ai besoin de marcher
Marcher encore
Avec les mots en poche
Et quelques cailloux
Qui s’égrènent sur mes chemins
L’air est pur
Le souffle calme

Parfois une halte
Juste le temps
De sentir en soi
La joie
Irradier son être
Cela suffit pour voyager loin
En emportant dans ses bagages
Toutes les pages de sa vie
Sans rien renier
De ce que nous avons été
Et de ce que nous sommes devenus

 

 

 

 

 

 

 

 




Jeanne Sétian

 

 

Jeanne Sétian est née en 1944 dans un village d’Ardèche, de parents arméniens rescapés du génocide de 1915. L’apprentissage de la langue française et la réussite à l’école jouent un rôle déterminant dans sa vie. Elle intègre l’Ecole Normale de l’Université de Grenoble (1964-1969) et devient professeur  de philosophie et psychopédagogie à Rodez. (1969-1977). Engagée dans la Recherche INRDP  sur le thème « l’enfant et la poésie à l’école » (Académie de Toulouse), elle travaille  en commun avec le linguiste et poète Georges Jean, et intervient dans les classes maternelles et élémentaires sur ce thème. De 1977 à 2002 elle enseigne la philosophie au lycée, à Salon de Provence,  enrichie d’une expérience où la construction de soi, les rapports avec autrui, le langage et l’imagination ont toujours occupé une place de choix. Elle se dirige donc vers un exercice de la philosophie exigeant et audacieux pour tous. En 2005, à l’occasion d’un tournant de vie, elle commence à écrire et crée ses premiers poèmes. Elle découvre en 2011 la revue poétique « La main millénaire » où ses poèmes sont publiés depuis 2013. Elle découverte également  « Recours au poème ». Depuis elle partage des poèmes avec  poètes,   peintres, plasticiens, photographes….De ces rencontres naissent aussi des « Fragments » qui seront pour certains publiés. Elle est l’auteure de recueils encore inédits : « J’ai tellement de choses à vous dire », « Le chant de l’arbre, de la terre et de l’eau », « Terres d’Ici et d’Ailleurs «  ainsi que de beaucoup d’autres textes.  Pour elle, la poésie est un chemin qui se cherche et qui s’ouvre au plus près de la vie.

« Il se peut que la poésie soit l’autre nom que l’on donne à l’amitié », Serge Velay (La Main millénaire N°14).

 

 

 




Et toi, prête l’oreille (…)

 

 

Empédocle la voile,

Tu vacilles

Un fil mauve attaché

On ne sait à quel vent.

Se pourrait-il un mât doré, volé,

Serti d’amours ou bien d’étonnements,

Se pourrait-il qui dévisse

La colonne de haut en bas,

Qui nervure le souffle cent fois pareil

Au vertige cent fois pareil,

Qui regarde, pratique, ton profil de statue?

Fragments en vain de l'orage,

Tu médites, et pâlis,

Quand l’attente crépite sur la mer éplorée.

Car vraiment ils étaient avant les temps et ils seront

Et je te dirai autre chose.

 

 

 

L’étrange posé là

 

La pensée du noyau
Dans le sein des seins
L’étrange posé là

Sur le perron
Je suis le gardien la gardienne

Le vent nucléaire porte un sens
Nucléaire le mot surfin
Entachait nos alvéoles

Sur le perron
Je suis l’étendard l’organique

Sévèrement
C’était l’appariement
Caressant l’avenir
D’un hochement de tête

Tu l’a vu sortir
Un son
Opprimant le sol.
Tu l’as salué.

Tu seras resté,
Posé là.

 

 

 

Sans objet

 

Ils nous touchent, tapent fébriles sur l'écran, s'imprègnent.
Leurs pieds foulent le sol, sans objet.
La vallée s’éveille aux bruits du lieu.
Une palombe chasse le temps.
En chaque enfant brûle l’espoir du jour
que l'aubade lève les volontés
que nous mettions fin aux inventions
convenues des hommes
chaque jour à vendre
l’obole offerte

 

 

 

 

Géhenne offerte

Nous remercions nos coups d’essai.

 

Alors le fleuve répond aux rires d’argent,
qui alignait des trêves.

 

 

 

 

Du pouvoir

 

Depuis l’épanchement des Atrides, Sassanides, Béotiens,
Que sais-je il est un atour qui s’arroge le front.
-         Les rois ont froid, depuis.
Au marteau on a ciselé des adages,
Brandi des évitements ; le sang plaide
Et tu les vois, assis, charmants,
Agités de mains folles et de noblesses,
Si joliment morts,
Métalliques.
Et tu les vois banqueter, si joliment morts, assouvis.
-         Et nous avons froid, depuis.

 

 

 

Rencontre

 

Excusez-moi de vous déranger
mademoiselle l'odeur de chanvre dans la voix
coulissante
depuis l'enfance
leurs draps rêches et les champs de coquelicot
je n'ai pas pu lui dire
au revoir nos yeux doux étaient les mêmes
dans l'étalement des barricades
nos pays, paysages délestés
le platane, l'acacia sous le gros temps
l'avancée des pavillons
témoignaient muets d'étroites prouesses

 

 

 

 

 




Sophie Brassart

 

 

Sophie Brassart vit à Montreuil, en région parisienne. Poète et peintre, elle travaille le geste poétique à l'encre. Elle a publié dans plusieurs revues de poésie contemporaine et a récemment illustré le recueil de Fabrice Farre, Le Chasseur immobile, (éditions du Citron Gare).

Blog Toile poétique :
http://graindeble.blogspot.fr 



Site Toile sonore : 
http://www.toilesonore.com/

 

 

 

 




Philologue

 

 

À Gilles Ghez

 

Le détective n'abandonnait pas son chapeau. Il arpentait

le damier des bars, accostant les sirènes. À dos de tigre

il était déjà devenu le fauve à la canne, un pêcheur

en paquebot. Bien sûr un peu centaure il préférait

le dos des éléphants, dans la nuit attendant sans trêve le palanquin
du dragon. On dresse une armée de drapeaux sur le territoire,

une colonie de stylos sous ses jambes, il avait déjà franchi

la grille, à cheval sur un tas de femmes, et le langoureux,

le beau baiser de la conscience, oblique, ravissait les étuis,

les bobards, ses souvenirs de Venise ou de Chine, surtout

pour un voyageur effrayé des bobines. On rêve devant ses plans,
larges, ses Léda laiteuses, autant d'espaces que l'on dirait
lettrines. Alors je salue ce digne uniforme, cet escogriffe

qui me regarde ; un seul geste : il m'invite à l'escalade,

à son ciel, quelque part, sous les plumes, amoureuses de la nuit.

Parlé depuis la plus lointaine existence, et déclinante,
il va tel Achille, et les mains posées sous ses flèches

il vous efface les lois de son impuissance hostile,

son ris tendre inscrit style autour de l'œil des chèvres.

C'est évident sous la nuit, la lumière : elle jaillit,

résistante, au temps du crépuscule. Elle a pris l'écoute

et le bouger des faux-témoins : le vent à ce moment
redouble et lui écrit. Ils portent en eux le fol énoncé

de ne pas mordre au soir d'Hector, ni bien trop loin

dans le cœur d'Andromaque : entre les reins de la reine

il frotte un sac de couleurs. Des serpents pour la défendre.

 

 

 

 




Thomas Demoulin

 

 

Thomas Demoulin, né en 1980 près de Paris, vit et travaille à Lille depuis 2007. L’écriture de poèmes est inséparable d’amitiés passionnées et d’échanges avec des personnalités intellectuelles et artistiques aux trajectoires diverses. Des rencontres, des correspondances, des voyages, l’autre : l’écriture n’en serait que la perpétuation. Publications récentes dans les revues Thauma et Rehauts.

Photographie Hugues-Marie Duclos




Attente s’écoule…

 

 

Texte n°1 

 

Attente s’écoule au bout du corps
Flétrie et meurtrie de tant d’oublis
Blessure du temps, j’y glisse
À en sortir pour y pénétrer à nouveau
Éboulement des chairs et fuite en avant de l’envie
Les mots t’ouvrent au geste
T’emporte alors le rythme des voyelles solitaires

 

 

Texte n°2 

 

Trace de toi, toi sur la trace du temps
Toi, tout toi sur cet espace mobile
Gestes, paroles, émotions, des arrêts à répétition
Tu marches, tu parles, tu souris aussi
Et la langue de nos yeux inscrit ton parcours
Trajet qui imprime sa marque aux lieux traversés
Trajets à emmener voir la mémoire
Trace de toi, trace de nous
Trajectoire au cours des jours toujours
Trajectoire qui expérimente tout être au monde

 

 

Texte n°3 

 

Main tendue sur la plaine
Appel par-delà la verdure
Attraper tes doigts
Déesse des eaux et du feu
Main nue et lisse à la vie
Les caresses qu’elle ne peut maîtriser
Boulimisent l’oubli
Le crépitement qui nourrit l’embrasement
Jusqu’aux flux automnaux
Évident la solitude du moment

 

 

Texte n°4 

 

Vitre ouverte à l’envie
Les voiles de l’averse la ravissent
Elles invitent au dévers
Bruit de la nuit sur l’élégie
Où s’allongent les ombres des cris
Transparence de chaque côté des désirs
Je suis la dérive du vertige
Et tu inverses le sens du vent vers le revers

 

 

Texte n°5 

 

Sous les rayons du soleil s’écoulent tes pas
Marche séculaire des journées héréditaires
Le paysage s’écrit aux couleurs de son époque
Monts, vaux, maisons, rivières et mers
Tes trajets qui foulent tous ces éléments
Pendant que des mots trop érodés perdent leurs voyelles
Et que, fragilisé, se casse le fil de ta pensée
Vite, brièvement, sauter les étapes
Jusqu’au débordement des idées ondulées
Lettres, mots écourtés pour réfléchir ces sens effrités
Sous les rayons du soleil s’écroule ta vie
Restant assis devant la crue de trous blancs

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




Les Rêves sont des impasses.

 

 

Votre main sur le front, se fait fée, vos yeux se relèvent sur ma joue rouge. La lumière danse devant les mots.

Sur l’herbe, s’installe l’hiver et votre jardin voit briller une rose emprisonnée dans sa jeunesse, le sang sous la peau. Dans l’aube grise, la maison est habitée, devant vous, les verts se multiplient et inspirent votre lettre.

Les lèvres roses, sur le seuil, allument un autre monde.
Vos yeux s’ouvrent dans les miens et s’étendent aux cendres des fleurs.

J’ai rêvé Jadis.
Les étreintes d’orage, les cheveux pris dans les ronces. Le sourire affiché, nous marchions dans la ville. Seuls, dans la nuit des rues, je sens encore la chaleur de votre main.

Je réfléchis une absence. Comme il est mauvais goût d’être là alors que vous êtes au secret. Il ne faut pas rêver.

Pourtant vous me parlez dans mes nuits.

 

 

 

 




Au Terminal Nord

 

 

A l’immense portail de pierre à l’horloge lumineuse des départs, des courses, je vous attends.

Le temps précieux est vaincu. Je ris avec vous.

De vous, je ne vois  plus l’hiver. Le soleil artificiel et rouge réchauffe ma nuque. Les amandes craquent mon impatience.

Au Terminus Nord, les dorures et les fleurs blanches claquent, les homards dorment bien alignés dans un lit de citrons. Le sel brûle presque ma bouche.

L’écriture palpite, il me faut dire.
Des trains, des quadrillages d’autos, tout est précipitation. Seule l’aiguille de la Grande Horloge peine à avancer. Les minutes minaudent.

Je vous attends. Le vent soulève le manteau noir et long.

C’est moi qui vous verrez traverser la rue, c’est moi qui vous ai vu vous asseoir dans une rame de métro. C’est moi votre rendez-vous.

Des statues immenses, le temps pour elles ne signifient rien. J’ai enfermé dans ma main votre parfum pour le souvenir. La nuit est noire et le vent pousse notre temps.

Au Terminus Nord, je vous ai écrit. Votre retard a élargi mes mots. A chaque entrée de rue, l’attente comme impossible dodeline et trépigne. Tout est extrêmement mesuré et inattendu. Sans doute échappez-vous à toutes attentes, sans doute….

Vous voilà………………………………………………………

 

 

 

 




Mon poète

 

 

La mémoire lézardée roule, et roule à l’extension de nos souvenirs. La douleur retorse coule à mon front. Votre élégance est assise à mon bras.

Votre voix s’enfle à vous écouter, les « Hébrides » de votre lecture enjouée se posent sur mes vitres. Comme le miel, vos opéras me mènent au bord du monde.

Le temps d’une seconde est celui de l’éternité, et la blessure au cœur étrange plombe la robe légère et bleue. Les fleurs frottées du sang font baisser les yeux.
Votre parfum à portée de main ; et je suis née des Caprices, enveloppante, agenouillée à l’attente.

Le passé pour espérer une retrouvaille. Je n’ai pas le choix du temps.

Sur les pavés du départ, j’ai entendu le piano d’un conservatoire, j’ai dans mes cheveux votre voix. Votre image sur la peau comme dans un mystérieux conte où la clé est fée. Pourtant le tourment de vous perdre a tissé à mon cou.

Vous, le poète, semez des bleuets dans mes yeux en poussière. Vous, mon poète, me reconnaissez dans le soleil, formez des boucles à mes tempes. Vous, dont le nom brille sans le dire, comme il est doux de vous regarder dire.

Vous avez posé au bord de mon épaule votre respiration.