APPEL A TEXTES — Prix Bernard Vargaftig

L’Association Prix Bernard Vargaftig
doit son nom au poète ayant tissé une des œuvres les plus fortes de ces dernières décennies et qui a toujours eu à cœur d’« offrir des pages à de jeunes poètes qui ont tellement de mal à publier et si peu de lieu pour le faire ».

 

Le Prix Bernard Vargaftig a pour objectif de faire découvrir la poésie d’un auteur n’ayant pas été publié en tant que poète (hors revue et ouvrage collectif). Il sera décerné tous les deux ans et donnera lieu à la publication du manuscrit lauréat chez un éditeur, les éditions Jacques Brémond pour cette première édition.

 

Le Prix Bernard Vargaftig se veut donc à la fois un hommage à un poète cher à beaucoup d’entre nous et un lieu de découverte d’une jeune écriture, pour que le poème « continue à faire exploser vers l’avenir la charge de mémoire et de présent », selon les mots de Bernard Vargaftig lui-même.

 

Pour concourir vous devez

 

envoyer avant le 15 juin 2017 un manuscrit en format papier et format numérique :

 

  • par la poste : en 3 exemplaires format A4, de 40 pages numérotées. Le manuscrit sera anonyme (aucune mention de l’auteur sur les pages du manuscrit), accompagné d’une feuille volante mentionnant le nom, l’adresse, le numéro de téléphone et le mail de l’auteur, ainsi qu’une courte notice biographique et éventuellement des références de pages web.

 

  • par mail : en pièce jointe, format pdf, accompagnée des informations administratives et de la notice biographique de l’auteur.

 

Les documents sont à envoyer aux adresses suivantes :

 

  • postale : Association Prix Bernard Vargaftig, BP 31014, 30201 Bagnols-sur-Cèze.

  • mail : prixvargaftig@gmail.com

 

Tout envoi hors délai ou ne respectant pas l’une des consignes ne sera pas pris en compte.

 

Le Prix sera décerné au mois de décembre 2017.

 

Les membres du jury final sont :

 

  • Guillaume Boppe (poète)

 

  • Michaël Glück (poète)

 

  • Cédric Le Penven (poète)

 

  • Bruno Michel (responsable de médiathèque)

  • Anne Morin (lectrice de poésie)

 

  • Claire Poulain Cuénot (poète et éditrice)

 

  • Hélène Sanguinetti (poète)

 

  • Anne-Laure Tristant (libraire)

  • Franck Villain (universitaire)

 

Pour tout renseignement vous pouvez nous joindre à prixvargaftig@gmail.com

 

L’Association Prix Bernard Vargaftig, mars 2017.

 

Soutenez l’association : adhésion 10€, chèque libellé à : Association Prix Bernard Vargaftig.




Fil de lecture : Yvon LE MEN, Guy ALLIX, Anne GOYEN, Terada TORAHIKO

 

 

Le Men  à la rencontre du monde

 

 

« L’oiseau ne chante plus sur son arbre généalogique, il vole désormais à la rencontre du monde ». L’éditeur Bruno Doucey a les mots qu’il faut pour introduire ce 2e tome de la trilogie qu’Yvon Le Men consacre à son itinéraire personnel et poétique. Après Une île en terre où il évoquait sa parentèle et son voisinage, son lieu de naissance et ses racines, voici le poète en quête de nouveaux espaces. A commencer par ceux de la Bretagne elle-même, depuis Guérande (pays du « sel de la terre ») au mythique Mont saint-Michel (« la merveille »),  avec un penchant certain pour les bords de mer, qu’il s’agisse du golfe du Morbihan, des baies d’Audierne ou de Douarnenez, et encore plus pour son Trégor natal. Car on ne quitte pas son arbre généalogique impunément. L’appel du large n’empêche pas le retour aux cieux familiers. Mettant le nez à la fenêtre, il peut ainsi écrire : « C’est par le ciel/que les arbres se tiennent debout/dans mon regard (…) Et ce vert/que je connais/tant/qui tant déborde de ma fenêtre/comme les mirages débordent de nos yeux/dans le désert ».

Tout Le Men est là. Dans cet art – qui lui est si particulier – de faire rouler ou de s’entrechoquer les mots (comme autant de petits cailloux dévalant dans le torrent) et d’apporter les notes de couleur qu’il convient (comme le ferait la palette d’un peintre). C’est d’ailleurs vers les peintres que se tourne à plusieurs reprises le poète. Pour y retrouver cette lumière qu’il tente, lui aussi, d’introduire dans ses textes. Son panthéon va de Rembrandt à Munch en passant par Van Gogh, Millet, Hokusaï, Boudin, Monet, Cornélius… Parlant d’Hiroshige, il écrit : « Est-ce d’avoir regardé les estampes/toujours, comme une première fois/qui a protégé mes yeux d’avoir regardé le paysage/toujours, comme une dernière fois ».

Les peintres, donc. Mais aussi des grands auteurs dont il a cultivé le compagnonnage. Salut à Guillevic. Salut à François Cheng (87 ans) et à Claude Vigée (95 ans), qui furent parmi ses « pères » en poésie. « Nous nous parlons peu/maintenant/nous nous sommes beaucoup parlé/avant (…) une longue phrase/avec questions en virgules/des réponses en points-virgules/et des points sur la carte/du tendre ».

Yvon Le Men, pourtant, ne verse pas dans la nostalgie. Il peut avoir « le vague à l’âme » mais entend « vivre l’instant comme une eau qui déborde ». Il n’hésite pas non plus (comme pour se conforter) à sonder à la voix des saints fondateurs de Bretagne, à écouter le chant des moines, à méditer sur l’ermitage de l’île Millau près de chez lui. Dans ce livre, confie le poète, « J'ai écouté les paysages, oreilles ouvertes, jusqu’au bout du silence qu’ils font dans nos yeux ».  Le Men ou la poésie des sens.

 

 

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Guy Allix, l’enfant du Nord

 

 

 

Le poète Guy Allix se raconte. Des « fragments d’enfance » et une « enfance en fragments », comme l’écrit Marie-Josée Christien dans la préface de ce livre profondément touchant. Car on ne s’expose pas sans risque. Il y faut du naturel et, surtout, une forme de naïveté, celle qui sied à l’enfance quand elle n’a pas encore été encombrée par des non-dits ou des vrais mensonges.

L’enfance de Guy Allix se place sous le signe de la mère. Une mère qui fait partie de la cohorte de celles qu’on appelait autrefois les « filles-mères » et que de bons paroissiens qualifiaient de « putains » (et l’auteur, en exergue nous renvoie à l’Evangile de Jean : « Que celui d’entre-vous qui est sans péché lui jette la première pierre »). Guy Allix est donc un « bâtard ». Mais pourquoi en avoir honte ? Guy Allix aime sa mère, sa mère l’aime. « On m’a traité de bâtard mais j’ai appris par la bouche de mon grand maître en littérature que, souvent, à l’époque romantique, les bâtards pouvaient aussi devenir des héros », note malicieusement l’auteur.

Ce rapport particulier à la mère l’amène à évoquer des épreuves bien intimes vécues par elle (la pilule n’existait pas encore). A nous parler aussi de Charly, ce petit frère handicapé (« La maladie bleue contrariait son intelligence qui ne pouvait être que grande ») mort avant les autres. « C’était le dernier arrivé et c’est le premier parti ».

De bout en bout Guy Allix nous émeut. Sans mélo. Sans pathos. Nous sommes dans le Nord ouvrier au cœur des années 1960. « J’habitais dans le Nord tout près de Marchiennes à l’endroit même où Zola situe l’action de Germinal ». Pour chauffer la maison, les gamins volent des gaillettes, ces morceaux de houille « qui dévalaient le terril quand les rames déchargeaient les détritus de la mine ». Aux beaux jours on se jetait dans la Scarpe (qui se jette dans l’Escaut) et, par effluves, nous arrivent – passant la frontière – les échos des chansons de Brel. Et aussi, des poèmes de Frank Venaille qui écrivait dans sa « Descente de l’Escaut » : « Voici l’enfant surgi du long couloir/Le voici victime de si terribles blessures intimes ».

 

 

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 Anne Goyen : « Paroles données »

 

 

Les arbres sont ses compagnons. Elle leur a consacré un livre (Arbres soyez ! Ad Solem, 2016). Anne Goyen aime la nature et le silence. Contemplative par inclinaison naturelle au cœur de cet Ile-de-France (où elle a enseigné les Lettres classiques), voici qu’elle nous livre ses Paroles données.

Anne Goyen fait partie de ces poètes à l’écoute d’une voix, d’une révélation, d’une « Parole transmise/Au commencement/Du monde », d’une « Parole faite chair/Dans notre nuit », pour qui l’écriture relève en définitive de l’exercice spirituel. Dans cette poésie-là, il n’y a pas de gras. Le verbe est épuré. Parce qu’il va à la racine et ne s’encombre pas de préoccupations superflues. Parce qu’il interroge nos existences et notre capacité, ou  non, à répondre à des appels, ceux d’un Dieu qui n’est pas explicitement nommé mais dont la présence irrigue la majorité des poèmes.

Pour accueillir la Parole, il faut, nous dit Anne Goyen, « Faire silence/Comme on veille/Auprès d’une flamme de bougie/Dans la maison endormie ». Il faut savoir se recueillir dans « la cathédrale des saisons » et voir dans l’hiver « Fervent retour/Aux racines/Baptême de la neige/Sur les silences/de nos forêts intimes ». Voir dans le printemps « Chantante eucharistie/Des fleurs de cerisier/Concélébrant/A la volée/Dans l’allégresse ».

Pas de doute. Dans sa traversée des jours, Anne Goyen voit (comme le dit Gérard Bocholier dans sa préface) « le divin que recèle chaque parcelle de réalité ». Dédiant un de ses poèmes à Philippe Mac Leod, elle peut écrire : « Un autre que toi parle/Avec des mots/Que tu ne connais pas/Il t’apprend le cristal/D’un langage de source ».    

Anne Goyen et Philippe Mac Leod  labourent les mêmes espaces. Ceux d’une terre « Où tout psalmodie/où tout s’incline », ainsi que la poétesse l’affirme dans ces Paroles données.

 

 

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 Terada Torahiko : « L’esprit du haïku »

 

 

On écrit aujourd’hui beaucoup de haïkus dans le monde. Et aussi beaucoup de commentaires sur ce genre poétique particulier. Le sujet paraît inépuisable et le Brestois Alain Kervern a bien montré, dans ses deux derniers essais  (Histoire du haïku chez Skol Vreizh et La cloche de Gion  à Folle avoine), la richesse et la complexité du sujet.

Mais il n’est pas inutile, parfois, de revenir aux auteurs japonais eux-mêmes pour savoir ce qui les guidait. C’est la cas avec Terada Torahiko (1878-1935), disciple de Sôseki et auteur d’un essai intitulé L’esprit du haïku. Il insiste sur deux points pour expliquer l’appétence particulière des japonais pour ce genre littéraire. D’une part, explique-t-il, la fusion avec la nature considérée par les Japonais comme une « présence fraternelle ». Pour Terada, en effet, « l’esprit du haïku ne peut être pensé que comme une expression poétique de ce sens de la nature ». A cela s’ajoute – c’est le deuxième point – « l’existence plus que millénaire de formes poétiques brèves dans la tradition littéraire japonaise ». Nature, brièveté : on a là les deux ingrédients de base du haïku, un genre ayant le don « d’appartenir à la mémoire collective de tout un peuple qui partage donc les mêmes associations d’images ou de pensées ». Ce qui fait dire à Terada Torahiko  que « le haïku n’existe et ne peut qu’exister au Japon ».  Mais il formule aussi, dans son essai, certaines mises en garde. « Si le poète introduit des éléments qui expriment directement sa subjectivité, il n’y aura plus de place pour exprimer des éléments symboliques de la nature » (Terada, dans cette logique, conteste « l’éloquence » dans la poésie).

Il pose aussi la question – qui fait souvent débat – des racines bouddhistes ou non du haïku. S’il convient que « le sentiment d’impermanence » (héritée du bouddhisme) « ne pouvait qu’envahir le monde des haïkus », il considère qu’il « n’appartient absolument pas à la nature même du haïku ». Selon lui, la pratique du haïku n’est « ni une fuite » (…) « ni un exercice de philosophie passive », « ni non plus une mise en scène pleine de complaisance de soi ».

Bien au contraire, souligne-t-il, le haïku suppose « une distance critique de soi vis-à-vis de soi » et permet « d’exercer l’acuité de l’œil de notre esprit à faire en sorte que nous veillions à maintenir sa liberté »

 

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Mathias RICHARD, syn‑t.ext, ou l’art de la compression

 

 

Voici un livre que je devais rencontrer. C’est par l'entremise de la poète Tristan Felix que j’en entendis parler pour la première fois ; elle m’avait envoyé un lien qui montrait que ce livre de Mathias Richard partait à peu près du même postulat que moi dans mon (L)ivre de papier (éd. Tinbad, 2016) : puisque, volens nonlens, les romans-romans ne sont plus que vieilles anecdotes et vaines photocopies du réel, mieux vaut (essayer de) produire du neuf en montant une grande masse de textes déjà existants, en les compressant, comme dans le cinéma expérimental dit de found footage. Comme chez Brion Gysin et ses cut-ups. La véridiction doit me faire avouer que mon premier sentiment fut de rejet, à cause justement de cette trop grande proximité formelle. J’avais tort : dès que j’eus ouvert ce livre, je dus me rendre à cette évidence : nos résultats esthétiques sont fort éloignés – ouf ! De mon côté, un vaste montage idéogrammatique de plusieurs milliers d’années d’écriture où tout s’enchaîne et se transforme dans un vaste paragramme déponctué ; du côté de chez Mathias Richard, un effort de compression et de concentration d’informations avant tout contemporaines du siècle 2.0. Un grande coulée all over versus une écriture très fragmentée et chaotique. Très vite, me voici « rassuré » : autant d’êtres humains sur terre, autant d’écritures intertextuelles.

Mais commençons.

La quatrième de couverture du livre annonce la couleur : « Tout est démontable et remontable d’une autre manière. » Et aussi : « Recevoir : - toutes les influences :: - toutes les pensées :: - toutes les idées. » Si on déroule le livre à l’envers (après tout, ce type de construction textuelle s’y prête bien : il n’y a bien sûr pas de narration, linéaire ou pas), on trouve très vite son « mode d’emploi » : « Un syntexte (ou texte synthétique) est un texte compressé comme un format .zip : un texte court fait à partir de grandes masses de texte. Un format de sens-langage concentré […] Des textes sont récoltés/écrits pendant des mois, puis radicalement coupés. » Seules importent à l’auteur les « associations de sens qui se créent entre elles ». « Cela crée des constellations », disait le grand Walter Benjamin. « Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l’image sera forte », entend-t-on souvent dans les films de Godard. Il est fortement recommandé d’être dans « un état de légère transe épiphanique ». (Tiens ! Joyce !…)

Allons-z-y voir : « But : interférer directement avec les activités corticales aberrantes. / Ces mots font partie d’un kit anti-suicide. / Il est interdit d’embrasser les statues. » Très vite, on se dit cette chose : syn-t.ext, sous un titre un peu geek, est en fait une très violente charge contre la pensée unique du siècle des technologies de l’information ; c’est le Bouvard et Pécuchet du siècle 2.0 : une succession vertigineuse de tous les clichés qu’on peut lire quand on se ballade sur des forums de discussion en ligne ou quand on ouvre un magazine « scientifique » d’aujourd’hui. Dès les premières pages du livre, on trouve ceci : « Ta mère est un garçon » ; « 72 humains sur 100 se croient dans un film / 17 humains sur 100 se croient dans un vidéoclip  / 3 humains sur 100 se croient dans un jeu vidéo » ; « Mon anus dispose maintenant d’une entrée vidéo. Avec un adaptateur TNT, je peux être utilisé comme téléviseur d’appoint. » Le monde mutant et inquiétant du cinéma de David Cronenberg n’est pas loin ; rappelez-vous de Videodrome ou d’eXistenZ… D’ailleurs, on peut dire que Richard procède à la manière d’un cinéaste : il prélève dans le réel (fût-il le plus virtuel…) des fragments du monde devenu intégralement informationnel, morceaux qu’il monte ensuite, par collure, avec tout un tas de petits artifices de ponctuation : slashs, tirets, points de suspension, deux points doubles, doubles barres verticales, flèches, etc. etc. La quatrième de couverture nous mettait sur cette piste : « Suis une fenêtre, une caméra autonome. » Cette caméra est l’œil de Richard : il « voit des systèmes, des constructions » (plus ou moins aberrants). C’est dans les collures que sourd le sens-langage du livre, comme dans le grand cinéma de montage.

Il faut ajouter qu’une profonde ironie salvatrice traverse ce livre, comme ici : « / le corps humain phagocyté par la machine et recraché en mieux dans un environnement virtuel / ». Cette ironie est destinée à combattre, comme Sollers, mais avec d’autres moyens, la folie de la Volonté de technique. Richard aussi est un contre-fou. L’histoire est bien un cauchemar (« l’équivalent d’une ville de 160 000  habitants apparaît chaque jour sur Terre » ; « déconnexion impossible… » ; « … la principale difficulté consiste à trouver la matière première, à savoir des cerveaux de joueurs, 100% consacrés au jeu et non “pollués” par d’autres substances… » ; « … toute déconnexion est désormais interdite… ») ; Richard essaie de se réveiller, en écrivant. Ou plutôt, en copiant, comme un (moderne) scribe : « je n’écris plus, je copie ». Il n’arrête pas. Jour et nuit. Il n’y a plus de nuit.

Parfois, Richard nous bombarde de petits papillons surréalistes, comme l’on voit ici : « pénétrer les nuages pour y traquer les astres naissants » ; alors, on respire (un peu). Et puis, le relevé des catastrophes reprend de plus belle façon encore : « une machine qui imprime une nouvelle personnalité à n’importe quel passant dans la rue » ; ou bien : « Liste d’oiseaux exterminés par les hommes ».

Cette phrase ici en guise de fin provisoire : lisez ce livre irrésumable !

P.-S : J’allais oublier de dire que Mathias Richard et moi avons partagé, sans le savoir, sans nous connaître, le sommaire d’une même revue, Nioques (n° 15), avec des extraits respectifs de… syn-t.ext et (L)ivre de papier… Un étudiant un peu curieux voit tout de suite qu’il a un sujet de thèse tout à fait trouvé (c’est un ready made) : différence et répétition dans nos deux livres respectifs…

 

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Jean-Christophe Belleveaux

 

Jean-Christophe Belleveaux est né en 1958 à Nevers. Il a dirigé durant sept années la revue de poésie "Comme ça et autrement".

Dernières publications : La quadrature du cercle (éditions Les Carnets du Dessert de Lune, 2006) ; La fragilité des pivoines (éditions Les Arêtes, 2008) ; machine gun (éditions potentille, 2009) ; CHS (éditions Contre-allées, 2010) ; Episode premier (éditions Rafael de Surtis, 2011) ; ces angles raturés, ô labyrinthe (éditions Le Frau, 2012)

A paraître : Bel échec, avec Edith Azam (éditions Le Dernier Télégramme, 2014)

Participation à un ouvrage collectif : L'inquiétude de l'esprit. Pourquoi la poésie en temps de crise ? (éditions Erès, 2014)




Albertine BENEDETTO, Le Présent des bêtes.

 

 

Albertine Benedetto signe son 9ème recueil, Le Présent des bêtes aux Editions Al Manar accompagné des dessins d’Henri Baviera.

Si cet opus comporte trois parties (la dernière ayant donné son nom à l’ensemble) nous faisant passer de l’humain, aux paysages et aux bêtes, Albertine nous conduit de bout en bout de la vie, à la vie, à la vie.

Dans cette suite, le titre placé à la fin de chaque poème est comme une clé accrochée en cas de besoin, parfois comme le nom d’une amie sur l’enveloppe du cadeau offert, et ce peut être aussi la date ou le lieu épinglé sur le calendrier du souvenir.

La langue belle, ciselée, tisse une prose dense et poétique, mesurée au sens où rien n’est à enlever, rien à ajouter, notes précieuses de carnet, bijoux sertis pour durer.

Et cette belle langue que parle Albertine Benedetto nous parle. Elle nous plonge d’emblée dans un univers qui conjugue le passé au présent.

Les blouses ménagères font la queue sur leurs cintres à fleurs et à carreaux criards. […]

Quand ça traîne trop les années…

Ainsi commence le recueil dans sa partie intitulée « Images » où se mêlent les temps, les âges ; usure des corps mais aussi fringance des sens puisque Leurs mots glissent se chuchotent à même la peau.

L’œil d’Albertine se pose avec affection sur ces femmes simples qui traversent les époques entre labeur mais aussi légèreté quand elles entrent soudain dans une eau vive et qu’assises elles s’en vont.

Se pose et se souvient des cortèges au cimetière où l’émotion en foule se masse et s’engage par la colonne d’air venant du ventre encore une fois jusqu’au puits de la bouche.

Mais cela n’est pas triste à cause des oiseaux et des fleurs nous dit-elle.

Dans le compte à rebours de son écriture, elle peint sous nos yeux un drame, un conte, un mythe, une vie de la Vierge, un tableau à la Breughel où l’on voit comme si on y était au centre la tache du pré qui grouille d’enfants semés en parterre. Car Albertine est restée proche de l’enfance et c’est la mère sans nul doute qui parle de l’Ogre Bachar, ogre(s) moderne(s) qui dépèce(nt) les enfants à la première page du journal. La mère qui appelle au secours des innocents, le génie des contes persans du temps où ils nous faisaient encore rêver.

Et puis il y a « ce qui reste », le dernier souffle bientôt coupé, la photo qui raconte une histoire ancienne, les poupées Barbie jetées en vrac sur le sol, les vieux murs reliés encore aux bruissements de la forêt, une odeur de tilleul qui court le long des pages, une vieille maison, même si on ne sait rien de ceux qui ont vécu là, juste qu’ils ont vécu, mais vivre est une énigme nous rappelle la poète qui se souvient, témoigne de ceux qu’elle a côtoyés, s’aventure à imaginer aussi en avouant que peut-être aurions-nous moins peur, de vivre là.

Il y a ce qui reste et dont nous faisons provision comme tout ce vert bu par les yeux, mis en mémoire pour les jours de carton.

Les vestiges jusqu’au vertige et c’est la vie à petits tas qu’on pousse devant soi. 

Enfin, « le présent des bêtes » nous dit que nous ne faisons qu’un avec cette nature si belle que la poète ne se lasse pas de contempler : paysages d’Auvergne, douceur des vieux volcans, humilité des bêtes au jardin, placidité des ruminants.

À les regarder, on prend racine, on sent le pouls régulier des saisons, le temps se fait rond, nous dit Albertine Benedetto qui nous invite à sa suite à aiguiser notre regard, retrouver la capacité d’émerveillement de l’enfance. Nous n’avons qu’une envie, avoir nous aussi, le cœur décroché devant la merveille, pris de court comme devant le premier amour. Il a suffi que ces bêtes passent, nous dit-elle en évoquant ces bêtes légères. Chevreuil, peut-être biche, […] pour que s’ouvrent des clairières dans leur sillage, des puits de lumière où boivent nos yeux, fatigués de couper les ténèbres.

Il ne faut pas oublier les oiseaux, c’est la plus belle phrase du matin, comme une parole tendre, une caresse de mots pour les êtres menus, ces démunis qui vaguent ébouriffés, dépenaillés, entre ciel et terre, aimantés par la lumière. Qu’ils touchent notre front et les fenêtres s’ouvrent.

À l’instar des oiseaux, la poésie d’Albertine Benedetto ouvre pour nous des fenêtres. Il y a une sorte de grâce dans son écriture, légère et profonde à la fois. À petits pas, simplement, elle nous prend par la main, nous invite à nous réapproprier le passé pour un présent plus vrai, à nous nourrir de l’esprit des lieux pour y ajouter notre empreinte, à ouvrir grands les yeux sur la beauté du monde pour en supporter la noirceur.

 

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“La Mémoire des branchies” et “Debout”, deux recueils d’Eva-Maria BERG.

 

La Mémoire des branchies

 

Du boîtage vert qui le protège, et dont le titre intrigue, on sort le livret blanc - pas plus grand que la paume d'une main - comme on ouvre un fruit de mer.
Dédié à "mon amie Patricia Fiebig", La Mémoire des branchies parle à une interlocutrice dont le premier poème indique qu'elle "aurait aimé" le vent de mer qui accompagne ce voyage, accompli par le lecteur en compagnie de la poète, dont la voix ici assourdie, par bribes, dans sa mémoire, sans doute – nous emporte, en mer pense-t-on, accueillis que nous sommes par la photographie aux gris doux de Jacqueline Salmon.

On croit y deviner une maladie, à l'évocation répétée du coeur, ou d'une chambre – ou plutôt des fleurs, dans une strophe dont le champ lexical suggère l'hôpital et la mort :

"oui des fleurs dis-tu
un cimetière dans
la chambre ôte
le souffle
le manque d'oxygène
est multicolore"

 

Mer et mort se retrouvent ailleurs – mère est-on tenté de lire – et mémoire, de celle immémoriale "quelque part en mer / souvenir / sans humain / vague souvenir " - qu'appelle l'énigmatique image de la mémoire des branchies (p.37), organe nécessaire "pour qu'on ne se noie pas / à la fin du poème". Dans l'infini océanique du bruissement des mots, de "la haute plainte" chantant entre les vagues, l'absence de lieu et de repères, parce que la dérive en haute mer n'apporte nulle réponse à la première lecture, nous laisse dépourvus – parce que nous manque encore le système permettant de respirer sous l'eau des mots, de s'y trouver de façon osmotique :

 

   "peut-ête le lecteur commence-t-il
    à découvrir mot à mot
    à chercher une force
    par sa propre voix
    au-delà du texte
    et d'un rivage".

 

Invitation à la patience. A la relecture. Aussi. Comme le mouvement des marées, le flux et le reflux, de la pensée, à l'écriture.

Ce voyage, sous les mots, au fil des déplacements de la poète (l'un des textes du recueil indique précisément Sanary-sur-mer, lieu d'exil d'écrivains allemands pendant la dictature nazie) – emprunte aussi des routes, une rue ou un train ... qui tracent des lignes dans le recueil - lignes de fuite, ligne de flottaison, horizons, "ligne sans fin", fluctuantes évocations sous la marée des mots, entre flot et jusant, qu'on lit, du regard – "comme si se reflétait / dans l'eau le mot".

Plus qu'un voyage, en réalité, c'est une dérive sans but défini que nous propose la poète, dérive à laquelle se livre le lecteur consentant, et pour laquelle il lui faut patiemment acquérir, comme lorsque l'on nage, le souffle qui permet de ne pas s'asphyxier : le souffle – "atem" - qui est "aussi en soi / un mot / et cherche l'air dans une phrase". Dérive d'une langue à l'autre, aussi, me semble-t-il, tandis que le regard passe du texte allemand à la belle traduction que je lis ( "ainsi la langue / fait les cent pas / sur le rivage " dit aussi la poète) . Sans doute faut-il s'abstenir de chercher un sens caché, d'interpréter, mais bien plutôt cela, oui : flotter à la dérive, accepter l'impermanence, la fluidité du sens, dans une poésie ambulatoire qui est ce souffle même... et qui nous pousse - comme un esquif – hors du temps, dans l'analogie, l'empathie, qui fait que ce poème devient notre souffle court, à lire le rythme volontairement haché, notre souffle de lecteur-apprenti nageur de texte de haute-mer.

Car c'est aussi cela que nous donne à vivre la voix impersonnelle offerte par Eva-Maria Berg – la voix d'avant la personne même, le miracle d'une voix d'avant le temps des montres – car : " les hommes / jettent tout/ dans la mer / neptune a / collecté / leurs montres / pour ses /descendants avant que / l'océan lui aussi / ne coule".

Hors-temps, hors-lieu – (Eva-Maria Berg ne dit-elle pas à son interlocutrice "tu n'as jamais été / ici /pourtant tu es /dans cet espace /tu peux / déplacer /des images /du mur/ à l'air libre"), le poème qui boit les larmes-mots est océanique et il faut s'y plonger (pour y renaître, nouveau phoenix?) – dans la douleur "immuable" qui pourtant permet de

 

"trouver quand même
une fin
conformément
à son inachèvement".

 

 

 

*

 

 

Debout- Aufrecht -De pie

 

Ce qui frappe d'abord, sur la couverture au format carré de ce deuxième recueil, c'est l'immense gravure de l'artiste – un crâne qu'on devine sur la noirceur de l'encre – annonçant le projet de cette série dans laquelle Olga Verme-Mignot, graveuse d'origine péruvienne vivant à Paris, souhaitait "exprimer (son) regard sur la violence politique et la mort telles que les habitants du Pérou les ont vécues pendant plusieurs années (1980-2000). (Ses) personnages expriment l'émotion contenue après la "disparition" d'êtres proches, une souffrance qui devient insupportable car on garde toujours l'espoir de la "réapparition", espoir qui empêche de faire le deuil, dans l'attente d'un avenir meilleur". Le motif du crâne revient, les visages, à grands rehauts de blanc dans une esthétique très expressionniste, lèvres closes sur une douleur indicible, des corps qu'on devine, couverts de linceuls, comme on imagine le Christ, en attente de résurrection : tout un monde de silence et de désespoir.

Les poèmes d'Eva-Maria Berg, dans la distance géographique et temporelle qu'elle souligne, témoignent de l'universalité du propos, s'insurgent contre toutes les violences – ainsi qu'elle l'a fait récemment dans sa ville, Waldkirch, pour laquelle elle a composé un poème inscrit sur le mémorial, à la mémoire des 138272 victimes, la plupart d´origine juive, assassinés en Lituanie en 1941/42, pendant l’occupation du pays par les forces nationales-socialistes allemandes.

Les poèmes trilingues de Debout sont de courts textes – chaque cahier présente le texte en espagnol sur le recto, les autres versions et l'illustration se découvrent au verso quand on tourne la page comme on soulève un voile. Ces vers disent sans emphase – comme un constat - les regards qui

 

nous supplient
en silence de les aider
semblables toutefois
aux étoiles
dont la lumière
n'atteint
les hommes
qu'une fois
éteinte

 

Les corps aussi, dans ce mutisme où se perçoivent "juste les images / ni les cris / ni la puanteur / n'arrivent et surtout / les noms font défaut / pour enterrer les corps nus (...)"

Comme un kaddish laïque, les versets - en répons aux images endeuillées - posent des mots sur les anonymes souffrances, les morts inconnues et niées, portant un espoir qui est aussi "deuil sombre", humble mémorial, rappelant que

 

comme les chiffres
ne peuvent rien dire
des noms et que
les ombres dissimulent
une infinité de visages
les morts recherchent
des témoins.

 

*




Une bonne nature

 

 

Elle ne dit jamais non. Jamais non à la vie qui l’aborde et la déborde de tout côté. Jamais non au plaisir, quelque soit la forme qu’il prenne et les voies qu’il emprunte pour la combler. Elle ne connaît pas les limites posées par la société à l’exultation des corps. L’interdit est un mot qui ne fait pas partie de son vocabulaire. Elle sait seulement que ses sens réunis s’accordent à lui offrir de merveilleux moments qu’elle peut renouveler à loisir. Elle va dans le monde, confiante et sereine : puisqu’il est son serviteur inlassable, puisqu’elle lui appartient…Elle ne dit jamais non mais elle ne dit jamais oui, non plus. Elle dit peut-être ou pourquoi pas à l’occasion qui la surprend à pas de loup. Elle ne demande qu’un brin d’audace et un soupçon de fantaisie pour vous entrainer aussitôt dans la salle de ses trésors.

 

 

 

 




Chambres

 

 

Ces chambres où le cœur se serre, la porte à peine entr’ouverte.
Ces chambres ombreuses et calfeutrées, un peu rances et vieillottes, où le décor même est une invitation au plaisir.
Où les tapisseries, les commutateurs, l’abat-jour de la lampe et les poignées du lavabo dégagent une odeur de chair, gardent la trace invisible des milliers de doigts qui les ont touchés, souvent dans la précipitation.
Ces chambres où l’on ne voit que le lit en entrant, appel douillet pour des corps pressés de s’étreindre.
Ces chambres où les robes et les pantalons sont rapidement dégrafés, où les sous-vêtements se pendent au bras des fauteuils, où les baisers légers se transforment presqu’aussitôt en caresses profondes et moites.
Ces chambres où l’on ne dort jamais, sinon quelques minutes après la crue hormonale.
Ces chambres où l’on voudrait s’installer pour un mois, sans jamais ouvrir les volets, pour s’abimer dans un océan de plaisir, mais qu’il faut pourtant quitter au bout d’une heure, souvent moins, vaincu par le pouvoir de l’argent et les contraintes sociales.
Ces chambres me reviennent, intactes, à l’esprit quand je passe devant un hôtel à l’enseigne ternie, au coeur de cette ville qui a renié son passé le plus luxurieux.

 

 

 

 

 




Le dernier verre

 

 

Le dernier verre, celui que l’on propose du bout des lèvres, du coin des yeux. Le tout dernier après de nombreux autres, quand on n’a plus d’autre soif à étancher que celle de l’autre et de son corps encore étanche à notre désir pour lui. L’autre si proche et si lointain(e), trop vêtu(e) ou trop dévêtu(e), au grain de peau encore inconnu à nos doigts, aux courbes  - vivants appels à nos caresses – qui nous semblèrent longtemps inaccessibles. Le dernier verre n’est même pas un subterfuge, un sortilège destiné à endormir la vigilance des gardiens devant et derrière ses douves. Ce n’est ni plus ni moins qu’un lieu commun et celle qui l’accepte  sait parfaitement à quels tendres assauts elle s’expose. Le dernier verre n’est jamais celui de l’eau minérale. Il n’est pas, non plus, rempli à ras-bord car on ne boit jamais jusqu’au bout l’alcool fruité ou brûlant qu’il recueille. Le dernier verre sera certainement le dernier à trainer sur la table basse du salon. Et le premier, aussi, que l’on apercevra le lendemain matin, au sortir d’une nuit brève, sinon blanche. Cils qui collent aux paupières, tête lourdes et membres harassés par le frottement répété, excessif, avec les membres et la tête de l’autre. Le dernier verre est le sésame de la première nuit.

 

 

 

 




Meurent vite les étoiles, et deux autres poèmes

« Meurent vite les étoiles » et « Dans les brouillards lointains » sont extraits de l'excellente biographie que le regretté Jean-François Roger a consacrée à Gaston Criel (éditions L'Harmattan, 1998). Quant au troisième texte de ce petit florilège, il fut publié dans la revue « Cortex de nuit », que je co-animais avec Eric Tremellat, à l'occasion d'un numéro spécial ayant pour thème « L'invention du quotidien » (1989).
Jacques Lucchesi

*

 

Meurent vite les étoiles

 

 

La fleur n'a pas dit son dernier mot
Que la couleur éclate en ciel terne.
On va vers les terres impossibles
Où pétales enveloppent le cœur.
Les roses, les lys, les lilas
prennent noms Piaf, Presley
Rimbaud, Baudelaire
Et n'oublions pas Genêt
Dont la tige émane de soufre.

 

Fleurs grandes et belles
Leur vie brève étonne par fulgurance.

 

Ils parlent ces pollens
Leur aurore pénètre dans le sang.

 

On entend la circulation
Mystère qui s'agite
Que le voile oblitère de son immanence.

 

L'enfant de l'homme
N'approche ni ne comprend
D'autant plus ravi
Qu'il interroge toujours
Sa soif d'étoiles.

 

 

 

*

 

 

Dans les brouillards lointains inondés de soleil, un enfant devant une touffe d'herbe. La rosée sourd des racines incompréhensiblement. Le tremblement de méninges enfouies ne perce que le vague. Que va-t'il devenir des vagissements d'images qui emportent l'énigme de qui deviendra grand ? Qu'en est-il de l'homme qui se cache sous la jungle de l'infra-soi ? Les nerfs se tordent dans l'informulé. Il faut avancer. On recule. Le géant tire par la main, oblige à regagner le chemin qui s'inscrit dans le vide. Il y a marguerites, coquelicots et pâquerettes dans l'herbe humide qui fume sous le soleil. Lié, enchaîné à la tripe naissante clairvoyant un futur inconnu. On ne sait plus rien de la direction d'un pourquoi sans réponse, du printemps en hiver de l'homme noir qui plane à l'horizon de ces fantômes blancs qui glacent le sang de globules blancs.

 

 

 

*

 

 

 

"Avec la poésie moderne un langage de création se substitue à un langage d'expression. L'essentiel de la poésie n'est plus dans son contenu ou sa prosodique, il est dans le langage même, qui tend à devenir fin en soi et création originale" 
Gaétan Picon

"Se tailler un langage dans le langage."
Jacques Audiberti

 

All right ! Combien de poètes transcendent le quotidien ? Peu ! Ils tressent des couronnes au coït, se réjouissent d'une bouffe, s'en vont rejoindre la plage sous les galets usés.

Pour l'invention du quotidien, je prends l'exemple d'Eluard :

« Tu te lèves l'eau se déplie »

Eluard recrée l'eau. Il n'en retranche ni n'en rajoute. Il invente. Le poète n'est pas le faussaire que l'on rencontre à chaque détour de page de revue.

J'ai cité Eluard. Il me venait directement à l'esprit. Mais il en est certainement d'autres que l'on ne connaît pas. Les connus sont fatigants. A moins de lumières dignes d'Eluard et Rimbaud, les inévitables revuistes rabâchent en se répétant. Où est la reconstruction ? On pleure la destruction de l'évidence poétique. Celle-là qui se place entre les mots. Combien les métaphores ont de difficultés à susciter l'envol d'Icare.

L’image poétique crée son horizon comme la pellicule suscite le cinéma…Ce qui doit être ; car ce qui doit être ne l’est pas toujours. Les faiseurs de guirlandes coiffent bien des mongoliens.

Néanmoins, étant handicapés, ces fleurs sans parfum ne les gênent pas. Le savoir-faire est d’exception. Les textes dont l’esthétique s’englue en des cadeaux douteux relèvent du gadget. Du surfait.

Faire vivre le balcon d’Eurydice de fleurs vigoureuses. Les roses en plastique ne sont pas de première fraîcheur…Au cimetière du langage s’il vous plait. Ouvrons la fenêtre d’Orphée.