Du Cloître à la Place publique

Une anthologie de poètes médiévaux du Nord de la France (XIIe - XIIIe siècle) choisis, présentés et traduits par Jacques Darras.

J’avais jusque maintenant dans ma bibliothèque « L’Introduction à l’Histoire de la littérature française » d’Edmond Jaloux, publiée en 1946 à Genève par les éditions Pierre Cailler. Je me reportais au tome I quand je voulais trouver des renseignements sur Adam de la Halle, Richard de Fournival, Conon de Béthune et Jean Bodel (pour ne citer que ceux-là qu’on trouve dans l’anthologie de Jacques Darras).

Et voilà que celui-ci donne une anthologie des poètes médiévaux du Nord de la France des XIIe et XIIIe siècles. Je connaissais les Fatrasies d’Arras car j’ai fait mes études secondaires  dans cette dernière ville avant de partir pour Lille et ses universités. Jacques Darras, qui présente dix poètes et une école anonyme, oppose dans sa préface, ces poètes médiévaux de langue d’oïl aux poètes de l’amour courtois de langue d’oc :

La littérature apparue dans la ville à ce stade [Arras] traite pour la première fois, des questions d’argent, de liberté et de santé. Et n’a plus rien à voir avec la poésie lyrique des petits seigneurs féodaux du Sud de la France, ces codificateurs de l’amour courtois. Non plus qu’avec la mystique royale bretonne issue des monastères anglo-normands… (p 7).

« Du Cloître à la Place publique » :Les poètes médiévaux du nord de la France (XIIᵉ-XIVᵉ siècle) Trad. de l'ancien français et préfacé par Jacques Darras Collection Poésie/Gallimard (n° 524), Gallimard

« Du Cloître à la Place publique » :Les poètes médiévaux du nord de la France (XIIᵉ-XIVᵉ siècle)
Trad. de l'ancien français et préfacé par Jacques Darras
Collection Poésie/Gallimard (n° 524), Gallimard

Si Jacques Darras s’attache à traduire les 273 douzains octosyllabiques du Miserere du Reclus de Molliens ou L’Art d’aimer et les Remèdes d’Amour de Jacques d’Amiens, il n’ignore pas cependant les célébrités locales comme Jean Bodel ou Adam de la Halle… Il faut lire avec attention sa préface courant sur 16 pages qui dresse un tableau convainquant du Nord de la France au XII - XIII ème siècle. Il est vrai que dans une précédente vie, il anima In’Hui qui, dans son n° 20 (publié en 1985 !) témoignait déjà d’une belle connaissance de la poésie du Reclus de Molliens puisque cette livraison était intitulée Dans la Nuit de l’Europe. Mais à trop vouloir déterminer ce qui fait l’originalité de la poésie picarde du Moyen Âge, Jacques Dardas en vient à oublier quelque peu l’autonomie de l’œuvre d’art. Quelque peu… Qu’on en juge : Arras « pratiquait aussi la banque, le commerce de l’argent, grâce aux chartes octroyées par les comtes des Flandres et, en 1194 par Philippe Auguste en personne » (p 6). À moins de supposer que cette part d’autonomie réside dans la forme versifiée adoptée par les poètes ici rassemblés comme Jacques Darras invite le lecteur à le faire ou dans le vocabulaire scatologique (le pet et la vesse tiennent une place très large dans les Fatrasies d’Arras) …

Mais là où je me sépare de Darras, c’est quand il oppose la poésie de langue d’oïl à celle de langue d’oc ; Edmond Jaloux n’écrit-il pas en son ouvrage que je citais dans la première phrase de cette étude : « Nous savons aujourd’hui que la poésie de langue d’oïl […] a subi  l’inspiration des pays de langue d’oc » (p 144). Voilà pour le lyrisme amoureux et l’amour courtois : Edmond Jaloux cite même Conon de Béthune  (p 145), ce qui n’empêche pas Jacques Darras de reproduire dans son anthologie des chansons de ce Conon de Béthune comme il le fait pour Philippe de Rémi… Où l’amour courtois apparaît clairement.  Edmond Jaloux ne note-t-il pas : « C’est sous la forme de chansons, de refrains que la poésie apparaît d’abord » (p 144). Une lecture nuancée de cette préface est donc nécessaire. Mais Jacques Darras a choisi parmi les poèmes représentatifs de Conon de Béthune, son Moult me convie l’amour à être en joie dans lequel ce dernier défend la langue d’oïl (pp 92-93)… Le même Conon mêle dans son Amour, hélas, quelle dure séparation ! amour courtois et départ pour la Croisade (pp 93-95)… Histoire et langue picarde définissent donc la poésie de langue d’oïl. D’autant plus qu’à l’amour courtois succède l’amour déloyal, d’autant plus que Conon de Béthune règle ses comptes, via le poème, avec ceux qui n’acceptent pas ses décisions (pp 100-104) quant à la femme recherchée ou désirée…

Richard de Fournival semble s’inscrire dans une lignée qui va des différentes branches du Roman de Renart au poète Jean de la Fontaine, pour l’usage qu’ils font des animaux. Mais Jacques Darras ne manque pas d’indiquer que l’amour « s’exerce dans le cadre d’un débat, voire d’un combat entre les sexes qui semble préfigurer les violents affrontements peints par […] Choderlos de Laclos, dont les Liaisons dangereuses, au XVIIIe siècle, camperont une société  en voie de dissolution religieuse quasi totale » (p.107)… En tout état de cause, Richard de Fournival se sert des animaux pour décrire les rapports entre l’homme et la femme dans les jeux de l’amour de son Bestiaire… Animaux présents dans la nature (comme le lion ou le loup) et animaux mythologiques (comme la sirène ou la caladre) se mêlent dans ces proses comme il sied à l’époque. Ultime pirouette, la dame répond aux remarques et explications de Richard de Fournival, ce qui ne va pas sans humour… Mais je ne vais pas ainsi continuer à passer en revue les auteurs présents dans cette anthologie sauf pour affirmer quelques vérités premières : que j’ai été sensible à la modernité de Hélinand de Froidmont qui, dans ses Vers de la Mort, revendique son athéisme (ou ses doutes ou son aspiration à plus d’égalité…) à une époque où simplement l’écrire pouvait le conduire au bûcher : « Les mieux vêtus les plus gras / Dépouillent désormais les pauvres en pain / Les pauvres en draps mais cela est preuve / Que Dieu sans faille ou bien n’existe pas / Ou bien… » (p 512), celle de Jacques d’Amiens qui, dans L’Art d’aimer », abonde en bons conseils que d’aucuns entendent toujours :

Si tu veux bien mon conseil croire, 
Tu dois donc peu manger peu boire,
Afin de bien garder le sens
(p 191).

Je ne dirais rien d’Adam de la Halle que Jacques Darras traduit admirablement, ni de Baude Fastoul dont Les Congés me ravissent, certes pour l’érudition sans failles de l’excellent picardisant qu’est Jacques Darras, mais pour l’originalité de la forme… Mais l’important n’est pas là : il réside dans cette anthologie de poèmes qui permet d’avoir les textes sous les yeux dans l’excellente traduction, faut-il le répéter, de Jacques Darras. Un ouvrage à précieusement conserver dans sa bibliothèque et ce n’est pas rien !




NIMROD, J’aurais un royaume en bois flotté

À tout lecteur de poésie, je conseille cette anthologie de Nimrod, un des rares poètes dont il me soit arrivé en le lisant d’être jaloux, tant il est doué pour rénover poétiquement notre regard sur ce qui nous était habituel et évident au point d’en devenir banal et inaperçu.

Nimrod est né le 7 décembre 1959 à Koyom, au sud du Tchad. Son père est pasteur luthérien. Le milieu est polyglotte par nécessité, plusieurs langues locales et l’anglais sont pratiquées dans la famille. En 1966, l’enfant entre à l’école élémentaire, qui est en français. Et l’enfant s’éprend du français à travers les récitations de poésie. Désormais ce sera « sa langue ». Il lit avec une passion dévorante. En 1987, alors qu’il enseigne en Côte d’Ivoire, il obtient sa maîtrise en philosophie. En 1991, il reçoit une bourse pour venir à Paris, y soutient une thèse, puis en 1998 avec Passage de l’infini, publie sont premier recueil, qui reçoit le prix Louise Labé…

 

Ce qui est la caractéristique intéressante de la poésie de Nimrod, outre son émotion constante et palpable, c’est qu’elle ne joue pas spécialement sur le registre des autres poètes dont la « négritude » a été le thème majeur. Nimrod est un poète, parfaitement français, avec ses problèmes et ses joies à lui, ses difficultés existentielles et ses satisfactions, une personnalité qui ne se renie nullement en tant qu’africain d’origine, mais n’en fait en rien un étendard.

NIMROD, J’aurais un royaume en bois flotté, (Anthologie personnelle 1989-2017 – NRF Coll. Poésie/Gallimard), 256 pages, 7, 30 €.

NIMROD, J’aurais un royaume en bois flotté, (Anthologie personnelle 1989-2017 – NRF Coll. Poésie/Gallimard), 256 pages, 7, 30 €.

 La poésie de Nimrod est un témoignage poétique saisi sous l’angle à la fois personnel et universel, qu’aucun « kitsch » spécifiquement politique ne trouble, sans pour autant que rien ne soit gommé de ce qui l’indigne et lui semble injuste : mais ce n’est pas du point de vue spécifique qui fit la gloire de ses prédécesseurs Senghor, Césaire notamment, du « noir » et de « l’africain » voire du « descendant d’esclave victime de la barbarie de la traite », mais de l’être humain dans sa plus grande dignité. On peut dire en quelque sorte, que la poésie de langue française issue de plumes venues d’Afrique a atteint, avec Nimrod, à une maturité et un recul intellectuel qui l’égale sans besoin de folklore et d’exostime spéciaux, avec n’importe quelle autre grande poésie en langue française.  Dans son éclairante préface, Bruno Doucey cite ce passage d’un texte du poète (et romancier) : « Et que dire de l’écrivain africain ? Tout se passe comme s’il devait produire une littérature exotique destinée aux Européens et à lui-même, ce qui revient à vouer à la nostalgie une Afrique qui a disparu depuis longtemps. » Cette situation théorique, le poète la refuse. Il déploie ses qualités à une perception plus haute de son univers. Non que Nimrod veuille gommer son exil et les maux dont souffre son continent d’origine, mais c’est une réflexion dépourvue, j’y insiste, des ingrédients spécifiques de ce que l’Europe a voulu considérer comme « signes de l’authentiquement africain ». Nimrod parle de son destin, homme parmi les hommes. Et ses poèmes sont simplement un emploi, - magnifique d’expressivité, de justesse, d’élégance, de pudeur, - de la langue qu’il a adoptée : et l’on sait que la filiation élective peut facilement avoir davantage de force dans l’amour que la filiation biologique. D’où cette poésie, à laquelle on s’attache vite, et qui inspire à la fois empathie et respect. Nimrod fait un don merveilleux à la langue française, qu’ici je salue avec bonheur. Il faut vraiment lire cette anthologie dont chaque page est une réussite, avec la gravité, l’humour, le tragique, etc... bref, l’épaisseur la vie regardée par le « donner à voir » d’un poète fraternel, intensément poète et simplement profond.




Les méditations poétiques de Philippe Mac Leod 

Philippe Mac Leod n’en finit pas d’écrire des « poèmes pour habiter la terre » comme l’indiquait le titre de l’un de ses derniers livres (Le Passeur, 2015). En quête de « vif », de « pur », « d’infini », de « transparence »…, il voudrait rendre à la parole poétique « ce pouvoir incomparable, non plus de nommer, de capter, de saisir, mais d’être elle-même le cœur battant du mystère ». C’est bien le cas dans cette Supplique du vivant qu’il publie aujourd’hui aux éditions Ad Solem et dans Variations sur le silence chez le même éditeur.

Né en 1954, attiré par la tradition monastique mais aujourd’hui engagé dans la voie d’une consécration laïque, Philippe Mac Leod a longtemps mené une vie solitaire, à la manière d’un ermite, dans le massif pyrénéen près du sanctuaire de Lourdes. S’il réside aujourd’hui en Bretagne, dans les Côtes d’Armor, il continue à dire sans faillir « le poème de la montagne » (titre d’un des chapitres de Supplique du vivant). « Il n’y a rien à expliquer sous un ciel si grand. Rien à éclaircir. Et pourtant, vivre réclame tes mots » (…) « Ton poème ne viendra que de ce chemin retrouvé – et sans jamais dépasser l’herbe rase des pelouses, l’étoile d’un ciel de gentianes ».

Philippe Mac Leod s’exprime en « prose poétique ». Il flirte parfois avec l’aphorisme. Mais le ton dominant est celui de la méditation, de la contemplation et de l’introspection. Il associe toujours poésie et réflexion. Il y a, en permanence, une pensée, une idée, en toile de fond de ses textes. Son écriture est exigeante. Ses poèmes, note l’éditeur, « ne décrivent pas mais écrivent ce dont l’auteur vit, ce qui l’a poussé à entamer un chemin d’écriture en rupture avec le monde et ses artifices ». Aussi peut-on lire, sous sa plume, ce type de constat : « Il faudra enfin mourir pour commencer à vivre ». Et donc, ajoute-t-il avancer « plus que d’un pas libre ». Pour retrouver quel pays ? « Les marges ». Pour faire place à quoi ? « A l’infime, l’inaperçu, l’éraflure du timbre brisé, le geste inachevé, l’étincelle perçue d’un clignement ». Car, nous dit Philippe Mac Leod, « le temps ne nous a rien pris. Il nous rend à ce que nous avons toujours été, une enfance qui ne savait que naître ». Ailleurs, il nous parle de «  la voix qui brûlait dans la lumière du jour et que nous n’avons pas su entendre ni retenir ».

Nous voici donc orphelins de quelque chose ou de quelqu’un. Les mots-clés pour se mettre à l’écoute de cette voix dont il parle et pour passer sur l’autre rive s’appellent « lumière » et « silence ». Philippe Mac Leod écrit : « Le silence est ma lumière et la lumière est mon silence ». C’est ce silence qui charpente précisément ses Variations sur le silence.

…/…

Face à ce magma qu’est le monde actuel, que peut la poésie ? Dans son livre La poésie sauvera le monde (Le Passeur, 2016), Jean-Pierre Siméon esquissait une réponse. « Rejoindre le réel par l’évocation du sensible ». Comme en écho, Philippe Mac Leod affirme : « Nous entendons mais du réel nous n’écoutons rien. Nous écoutons mais nous n’entendons pas. Parce que le cœur n’est pas tourné vers le silence ». Ce que Jean-Pierre Siméon formulait aussi à sa manière : « Tout poème est un acte de résistance » car « le poème nous rend au silence dont il est né, il fait silence en nous ».

C’est bien sûr ce silence-là qui habite les textes de Philippe Mac Leod. Et qu’il entend sauver. « Silence défiguré – moqué – piétiné - puis se redressant d’un lumineux aplomb, silence de gloire au-dessus des vallées étroites de nos courtes vies, tristes vies, qui attire tout à lui, de son écume un jour lancée comme le filet d’une parole irrévocable ». Sous d’autres cieux, à une autre époque, le poète britannique Thomas Carlyle (1795-1881) n’avait pas dit autre chose : « Lorsqu’on observe l’inanité tapageuse du monde, ses mots porteurs d’un sens si maigre, ses actes si insignifiants, il est réconfortant de songer au grand Royaume du Silence ». L’espoir habite donc toujours les poètes : « Dans le grand silence des mondes ensevelis, souligne pour sa part Philippe Mac Leod, il neige de petites semences de silence qui mûrissent d’autres mondes où les nuits sont blanches et l’ignorance clairvoyante ».

Le silence peut devenir ainsi, pour nos âmes égarées, un « sas », un « filtre », un « tamis ». C’est ce silence qui peut nous aider à gagner « l’autre monde ». Mais cet autre monde « est de ce côté – tout proche – aussi ténu qu’une palpitation sous le fin duvet de l’oisillon ». Il nous tarde de le rejoindre car « le bain de silence toujours nous mène au bain de lumière ».

 

 

Supplique du vivant, Philippe Mac Leod, Ad Solem, 88 pages, 14 euros.

Variations sur le silence, Philippe Mac Leod, Ad Solem, 96 pages, 14,50 euros.




Fil de lecture : autour de Jean-François DUBOIS, Christian BULTING, François BORDES, Hervé DELABARRE

 

 

 

 

Jean-Francois DUBOIS : "Une frêle chaloupe".

 

Il ne sert à rien de barguigner : j'aime depuis longtemps ce qu'écrit Jean-François Dubois, sans doute depuis "Le cœur de faïence" (1986) qui m'avait définitivement convaincu, à moins qu'il ne s'agisse de poèmes isolés, lus ici ou là, dans une revue ou dans une anthologie… La mémoire est oublieuse ! Aussi est-ce avec plaisir et intérêt que j'ai ouvert "Une frêle chaloupe".

D'emblée, le lecteur est pris dans une écriture savante qui évoque Borges, Claudel, Ponge… Je ne suis pas familier de ceux-ci, sauf peut-être de Ponge, mais certes pas de Claudel : trop de préventions à son égard à cause de Rimbaud ! Mais sans doute ai-je tort : Aragon n'a-t-il pas pas fini par apprécier Claudel ? Il me faudra lire enfin "Connaissance de l'Est"… C'est la réalité qui est mise en doute, à la lumière de la lecture : où se trouve le réel : dans ce qui est vu ou dans ce qui est lu ? "Les couleurs avaient pâli dans dans une nuance verdâtre envahissante, comme si les pelouses ou les berges boisées avaient imposé leur dominante, qu'un même débordement sournois avait rongé lignes et contours" (p 12). Le temps passe et change les choses ; pas seulement la littérature mais aussi la photographie et la peinture. Jean-François Dubois prend son temps pour décrire (l'arrivée du car-ferry Le Warden, dans un port non situé) si bien qu'on hésite devant le genre littéraire auquel appartient le texte : brève nouvelle ou long poème en prose… La description n'est pas avare de termes techniques mais la façon de l'auteur de s'adresser au lecteur et l'arrivée du navire à reculons laissent planer un certain mystère : la réalité s'efface ! Comme elle laisse la place à une sculpture dans l'inhumation d'Yves Cosson…  Jean-François Dubois n'arrête pas de voir le réel au travers des productions artistiques. Ailleurs, c'est un coup de soleil (un effet de l'art naturel) qui rend souriant un cimetière où la vie persiste ! Il y a plus de réalisme dans les proses de Jean-François Dubois qui mêle présent et passé, évocations d'anonymes et de célébrités (relatives, quand il s'agit d'écrivains !). Enfin, le dernier texte de ce recueil est un clin d'œil à la vraie vie (comme si tous les autres ne l'étaient pas !) : Jean-François Dubois trace son arbre généalogique qui remonte à novembre 1727 (p 43). Non sans humour puisque ce texte se termine par ces mots : "Deux autres générations se succédèrent, en 1865 puis 1900, et ce fut mon tour un peu plus tard en 1950, et vers trente ans, de faire souche moi-même, et ainsi à suivre" (p 51)…

 

*

 

 

Christian BULTING : "Nico Icône des sixties".

 

Soient quelques éléments disparates : Christian Bulting est un poète, par ailleurs professeur de philosophie dans un lycée agricole au temps béni d'une activité professionnelle ; Nico n'est pas seulement une icône du Velvet Underground, elle en fut la chanteuse lors du premier album en 1967 ce qui ne l'empêcha point d'enregistrer six albums en solo et de publier un recueil de poèmes, Chemin d'une vie ; une époque, celle des sixties à laquelle tout était permis (ou presque), contrairement à aujourd'hui où tout est interdit (ou presque, sauf en politique !).  Secouez le tout et ça donne "Nico Icône des sixties", un  recueil de poèmes de Christian Bulting…

D'emblée, (et ça continue), Christian Bulting se sert de cette icône (qui n'est qu'un prétexte) pour dire qu'il aime les femmes (la femme ?) et c'est sans doute un reflet de l'époque, de la libération sexuelle… Mais tout aussi d'emblée, il accueille dans ses poèmes des êtres de chair et de sang emblématiques du moment : comme Marianne Faithfull ou Philippe Gicquel ; mais qu'on ne compte pas sur moi pour recopier la quatrième de couverture ! À noter que Christian Bulting dépasse largement le contenu du titre puisqu'il note à propos de Gicquel qu'il est un homme bleu (ce poète ayant publié "Homme bleu, ici même" aux Éditions  Gros Textes en 2008) ou que Ben Laden fut assassiné en 2011 (in Rue Faraday-Landévennec). La quatrième de couverture l'affirme : "Le livre est ponctué de longs poémondes écrits sur le vif à Shangaï…" C'est juste et Christian Bulting s'interroge, tout comme le lecteur, après une digression sur l'armée de terre cuite de Xian : "La Longue Marche des hommes d'ici de ce pays / Pour que chacun ait même poids de droits". L'avenir pousse le passé, mais à quel prix ? Au prix de l'oubli de la Longue Marche ? Il faut s'attendre à un retour du refoulé… Tout se mélange, se succède sans transition : un amour qui finit mal, Riga, le souvenir d'un récital de Colette Magny ; tout est vu au  travers du prisme de Nico, l'icône des sixties… "La Havane", long poémonde à sa façon où se mêlent souvenirs d'enfance, de lecture, des grands-parents, d'une rue de la Havane avant d'aller à Cuba où le Che rêvait d'une vie meilleure pour son peuple d'adoption avant de trouver la mort au fond d'une forêt bolivienne… Une icône, lui aussi !  Etc, je ne vais pas tout résumer ! Il faut lire "Nico Icône des sixties" pour savoir ce qu'est la vie. Car le sait-on jamais ? C'est le temps des confidences, de l'intimité (avec La Baule-Membach-La Baule) qui se brouille harmonieusement aux souvenirs de Guillaume Apollinaire à Stavelot. Le temps passe et Bulting se retrouve grand-père (p 86) mais le désir demeure. Voyage à travers la durée (ah, les solex, les chansons...).

"Nico Icône des sixties" est le roman d'une vie qui se donne à lire. J'aime que Gilles Pajot traverse ces pages, j'aime le pénultième poème (émouvant) consacré à Marlène Diétrich. J'aime tout !

 

*

 

 

François BORDES : "Cosa".

 

Cette plaquette de François Bordes est publiée sous un élégant format à l'italienne (22 x 14 cm environ). Elle est accompagnée d'une préface d'Emmanuelle Guattari et de lavis ( ? ) d'Ann Loubert.  Sans doute est-il vain de vouloir situer géographiquement ce long poème en 14 chants. Tout au plus, peut-on relever quelques indices : cathédrale, volcan, Cluny… Et les références à la musique : La Passion de Saint Mathieu (un oratorio de Jean-Sébastien Bach), La Jeune fille et la mort  (un quatuor de Schubert), Let me freeze again the death (une citation qui fait référence à un semi-opéra : musique de Henry Purcell et paroles de John Dryden)… Chant d'amour et de mort, Cosa est l'histoire d'une déliaison ; c'est ce qui en fait l'originalité car trop souvent la poésie chante l'amour, la liaison…

Le mysticisme n'est pas absent de ces pages : c'est ainsi qu'on trouve page 45 ce distique : "nous avions laissé Sade / pour Marguerite Porète". Cette dernière est une mystique du XIIIème siècle qui fut brûlée vive par l'Inquisition, auteur du Miroir des âmes simples qui inspira Maître Eckhart, mystique rhénan qui vécut aussi en grande partie au XIIIème siècle… Reste ce passage de Sade à Porète alors que que les références au divin marquis sont nombreux : Faxelange, Oxtiern ou les infortunes de la vertu… Symbole de la fin de la possession ? De la déliaison ? Sans doute…

Le chemin est long de la possession à la liberté retrouvée. L'état atteint de Wangarapa est significatif de cette dernière. La fin de la liaison est mystérieuse : "mais tu n'étais plus là / et tu ne revins pas" (p 51). Pourquoi Cosa refuse-t-elle le bouquet de feuilles mortes ? Quel symbolisme cache François Bordes dans ce refus ?  Celui de la mort ? Je ne sais. Il faut encore souligner la diversité des mètres utilisés dans Cosa : prose et vers, vers plutôt longs, vers brefs (réduits à un mot), en escalier comme chez le grand Maïakovski, le ton plutôt élégiaque…

Cosa est un recueil prenant, sans doute à cause du mystère qui plane sans cesse.

 

*

 

 

Hervé DELABARRE : "La Nuit succombe" suivi de "Carène".

 

Sans doute est-il difficile (voire impossible) de parler de "La Nuit succombe" d'Hervé Delabarre tant on y peut retrouver l'écriture automatique. Alain Joubert, dans sa préface, met en évidence le surréalisme qui coule dans ce recueil. Il en voit la preuve dans la lecture que fit André Breton de "Danger en rive" : "… c'est chez Hervé Delabarre que Breton retrouve et désigne le chemin de cette poésie qui ne doit rien au calcul, mais tout aux fulgurances de l'inconscient…" (p 10). Revenant à "La Nuit succombe", Alain Joubert relève les mots de vie qu'il oppose aux mots rares...

Les poèmes d'Hervé Delabarre ne vont pas sans une certaine obscurité tant ils explorent cet inconscient dont parle Alain Joubert dans sa préface. Le lecteur attentif remarquera le goût de Delabarre pour l'image  insolite "L'ongle / Incise une nuit capitonnée" (p 17) tout comme pour les mots voisins sur le plan phonétique : "Ainsi va l'immonde / L'antre et l'autre / L'auge et l'ange" (p 18). Le jeu sur les mots n'est pas absent : "mot dire" qui évoque maudire (p 22). Dans la première suite, "Des douves en corps et toujours", le vers se fait bref (réduit souvent à un mot ou deux). "Fétiches", par contre, regroupent deux proses assez longues qui sont l'exemple même de l'écriture automatique (mâtinée de réflexions parfaitement rationnelles). Dans la seconde, on retrouve le sire de Baradel qui traversait déjà quelques pages de "Prolégomènes pour un futur" ; mais l'important n'est pas là, il réside dans le hasard objectif… "La nuit succombe 1" sait se gausser d'une certaine poésie : "la poétesse poétise / et met des bigoudis aux rimes" (p 44) : c'est réjouissant ! L'objectif est bien de capter ce que dit l'inconscient et non de faire joli… Quand ce n'est pas l'ironie qui reprend cette phrase jadis analysée par André Breton dans le Premier manifeste du Surréalisme (1924) et qui devient sous la plume de Delabarre "Laissez venir, marquise, vos cuisses ouvertes à deux battants" (p 56). Même l'attitude anti-cléricale propre aux surréalistes (je me souviens en particulier de cette photographie où l'on voit un crucifix pendu à une chaîne de chasse d'eau ! ou l'ai-je rêvée, ce qui en dirait long sur mon inconscient…) est présente dans un poème d'Hervé Delabarre : "Botter le cul aux pèlerins de Lourdes ou de La Mecque" (p 62) ! "Intermède" (qui regroupe trois poèmes consacrés à des héroïnes de contes traditionnels : Blanche-Neige, le Petit Chaperon rouge et la Belle au Bois dormant) est placé sous le signe de la cruauté. Cet ensemble n'est pas le résultat direct de l'automatisme, du hasard tant il est réfléchi mais il exprime parfaitement un certain aspect de l'inconscient et la vision est décapante. L'érotisme n'est pas exempt d'une certaine imagerie convenue (cuissardes, cravache, nudité…) mais il est sauvé par l'humour (la vache qui rit) ! L'irrespect quant à la mort est de mise… La multiplicité des personnages qui apparaissent dans "La nuit succombe 2" assurant une distanciation salutaire et rendant acceptables l'irréligion et l'érotisme (la vulve est omniprésente) de  ces poèmes.

La seconde partie du recueil est un longue (une vingtaine de pages) et libre médiation sur le mot carène qui s'est imposé pour sa sonorité. Les mots jouissent, s'accordent et s'abouchent pour leur musique, pour leur bruit sans aucun rapport au signifié comme le souligne Hervé Delabarre dans ses explications liminaires. Au total, ce livre témoigne du surréalisme qui irrigue la production de maints poètes qui ne s'en réclament pas ouvertement mais qui n'ont jamais fini de payer leurs dettes. Tant le surréalisme a été une porte qui reste ouverte.

 

*

 

 

 

 




Nuit après nuit

 

 

Nuit après nuit

(Juin – Octobre 2010)

 

 

 

Nacht für Nacht,
We got lost.
Nous et notre amertume, en rade
Sur le bord du chemin.

 

 

*

 

La Terre n’est plus tout à fait ronde.
Les forêts chavirent
Et les rivières en crue
Charrient des poissons morts.

Mon amour en partance
Me laisse un monde
Sans queue ni tête,
Un chaos. Rien ne pousse.

 

 

*

 

      Elle passe, entre terre et ciel.
      Mésange bleue,
      Bergeronnette
      Ou pinson.

      Je suis le moucheron
      (la proie de l’oiseau),
      Le vulgaire insecte,
      La bête sans charme.

      Dans trois coups d’ailes,
      Moi, l’avalée,
      Je ne serai plus
      Et il n’y aura personne,

      Personne pour me pleurer.
      Pas de funérailles,
      Même pas une pensée.

      Et tous de s’extasier :
      « Quelle adorable créature ! »
      Ils n’en auront que pour l’oiseau.

      Elle surgira dans leurs rêves,
      Leur tournera autour,
      Ils seront ivres, un peu.
      Aveugles.
      Car il n’y aura personne,
      Personne pour remarquer
      La goutte de sang séché
      Sur le bec élégant.

 

 

*

 

Nous font mordre la boue.
Nous sommes humus,
Misérables acariens, poussière et vent.

 

 

*

 

J’ai vu la lune en rêve,
Une lune décroissante.
Était-ce la mort, la folie ?
Je veux renaître
Des cendres
De la nuit.

À l’aurore,
Le vent caresse
Le feu
Encore.
Je me redresse
Un peu.

 

 

*

 

Wir legen die Rüstungen
Auf die Bürgersteige.
Wir müssen übergehen,
Überhören, überleben.

Es war einmal Nichts
Das macht nichts.

Nacht für Nacht,
Nach und Nach,
Etwas anderes.

Wir haben wenig Zeit,
Zu wenig.
Das macht nichts.

Übermorgen,
Überall,
Werden wir
Übergange finden.

Nous posons les armures
Sur les trottoirs.
Nous devons surmonter,
Ignorer, survivre.

Il était une fois le néant.
Cela ne fait rien.

Nuit après nuit,
Peu à peu,
Quelque chose d’autre.

Nous avons peu de temps,
Trop peu.
Cela ne fait rien.

Après demain
Partout
Nous trouverons
Des passages.

 

 

 




Tunnel, et autres poèmes

 

TUNNEL

 

Il te faudra toujours
et avant toute chose
traverser un tunnel,
bien plus long
chaque fois.

Traverser le tunnel,
goûter à ces plaisirs
lumineux, éphémères.
Les sentir s’évanouir.
Repartir.

 

Mai 2012

 

 

MONTICULE

 

Espoirs déçus,
amères rancunes,
froides colères
forment un charmant monticule
dans lequel on se prélasse à l’envi,
bouche de travers,
yeux mi-clos.

Il n’y a pas foule ici.
La foule préfère le sucre,
les paillettes, les notes claires.
La terre noire colle aux semelles
et les limaces se traînent
magnifiquement.

Cela ressemble à un automne sans fin,
pluvieux, plaintif.
L’odeur des feuilles pourrissantes
prend à la gorge.
Les nouveaux venus
aimeraient repartir,
mais la nuit tombe
et le chemin s’efface.

 

                        Juin 2012

 

 

TRAINS

 

Les voyageurs munis d’un billet
savent l’heure, le numéro de la voiture.

Nous attendons bras ballants,
perdus, indécis.
Notre train est-il déjà passé ?
Serait-ce celui qui entre en gare ?

Nous hésitons
et déjà les portes se referment.

 

                        Juillet 2012

 

 

ANGES

 

Voix
Silence silence
L’air se déplace
Voix douces et caressantes
graves et caressantes
Les cris se sont tus
C’est un violoncelle qu’on entend
le long du mur
Une plainte qui ne rend pas triste
Une mélancolie qui n’a jamais tué personne

 

Les anges nous espionnent
et se rient de nous
quand nous tremblons
les jours de brume
entre chien et loup
C’est le moment qu’ils préfèrent

Voix
Silence silence
L’air se déplace
Et avec lui
un parfum délicat
qui se meurt aussitôt
Un beau parfum de ciel

 

                        Berlin, août 2012

 

 

BERLIN

 

Envoyez la musique !
Cessons de nous morfondre.
Encore deux heures à vivre. 

N’ont-ils pas une chance formidable,
ces passants nés ici ?

Toi aussi, tu penses à ta petite province, dis ?
Aux trois ou quatre notables
qui accrochent des plaques commémoratives
font venir de la capitale un grand artiste,
lèvent leur verre comme leur père,
bégaient, bégaient, bégaient.

 

                        Berlin, août 2012.

 

 




Dragan Jovanović Danilov

 Poète, essayiste et romancier, Dragan Jovanović Danilov est né en 1960, en Serbie. Même s’il excelle dans divers genres littéraires, il est surtout considéré, dès les années 90, comme poète majeur de sa génération. Auteur d’une œuvre abondante et variée, Danilov a publié, jusqu’à présent, dix-huit recueils de poésie parmi lesquels il faut mentionner en particulier : Кућа Бахове музике / Maison de la musique de Bach, 1993 ; Кућа Бахове музике / Maison de la musique de Bach, trilogie, 1998 ; Хомер предграђа / Homère de banlieue, 2003 ; Моја тачна привиђења / Mes spectres exacts, 2010 ; Симетрија вртлога/La symétrie du tourbillon, 2014. Danilov a également publié cinq romans, dont : Алманах пешчаних дина /Almanach des dunes de sable, 1996 ; Иконостас са краја света / L’iconostase du bout du monde, 1998 ; Отац ледених брда / Le père des montagnes de glace, 2009 ; Таласи београдског мора/Les vagues de la mer belgradoise, 2013 ; ainsi qu’un essai sous forme de manifeste poétique : Срце океана /Cœur de l’océan, 1999. Il est aussi l’auteur de plusieurs monographies sur les peintres serbes contemporains.

 

 




Gérard Leyzieux

 

Ce sont ces mots, ces mots dits, ces mots écrits, ces mots de lui, ces mots d’elle, ces mots modelés à l’émotion dans la mobilité du son, ces mots aux sens multiples d’errance verbale dont s’honore Gérard Leyzieux ; des mots venus d’ici et d’ailleurs, d’ailleurs pour ici, des mots tus jusqu’au surgissement des profondeurs de son souffle entre ici, Rochefort où il est né en 1953, et ailleurs, où il émigre immodérément…

 

 




Encore des refuges

 

 

Est-ce vraiment l’heure du grand désastre ?
Ici et là, on trouve encore des refuges.
Certaines forêts sont des refuges :
celles où les chênes, les charmes et les bouleaux
foisonnent.

Je connais une chambre
qui a tout d’une forêt.
Un poète vit là.

Passez un jour
– une heure seulement –
à ses côtés ;
vous tituberez un peu.

Il faut dire que le poète
n’est pas n’importe quel chêne ;
il est majestueux,
il a plusieurs siècles.

Il est à la fois
forteresse et cabane,
grotte et promontoire,
nuit profonde et aube claire.

Il est foule et flot :
une farandole d’enfants et de vieillards ;
des jongleurs devenus troubadours.
Anima, animus,
tour à tour.

Fatalement, arrivera le moment
de lui tourner le dos,
de quitter sa forêt.

Vous vous imaginerez
passer bientôt
un jour à ses côtés,
une heure seulement.

 

 

Mai 2016

 

 

Des chemins

 

Il y a ici
des chemins pour tes pas,
des nuages pour tes larmes.

Viens si tu aimes
te perdre, te retrouver.
Nous inventerons des détours.

Suivons la crête
et restons là
à hauteur d’oiseaux.

Perdons le nord
et revenons sans lui.

 

 

Mai 2016

 

Je pourrais opter pour l’audace, tiens,
moi qui ai trop écouté mes peurs ;
tenter encore la traversée
du continent où j’ai laissé des plumes.

 

 

Mai 2016

 

Le cancrelat

 

Il ne faisait rien de ses journées
au fond de son trou noir
– rien d’autre que mordre terre et poussière.

Le voilà qui s’agite
et se figure capable de vivre
en pleine lumière.

 

          Juillet 2016

 

Les belles rencontres sans lendemain
ressemblent à des mondes inachevés
abandonnés par des dieux paresseux
dans un coin de cosmos.

 

Août 2016

 

Les belles rencontres sans lendemain
sont des chemins de traverse
qu’on emprunte une seule fois
–      ils ne nous appartiennent pas.
Puis on retrouve nos tristes trajectoires,
nos itinéraires sans surprises.

 

 

Septembre 2016

 

 




Boris Lazić

Né à : Paris, le 09. 23. 1967.

Publications littéraires (poésie, prose, éssai) :

POESIE

1.  Posrnuće, 1994, Beograd.

2.  Okeanija, 1997, Beograd.

3.  Strašna muzika o beskraju, s Goranom Stojanovićem, 1999, Pariz.

4.  Psalmi inovernog, Sremski Karlovci, 2002.

5.  Pesme lutanja i sete, Beograd, 2008.

 

PROSE

6.  U pohodu manastiru Gradac, (plaketa), sa el gvojosem, 1996, Beograd.

7.  Beleške o Arkadiji, 2000, Beograd.         – izbor za NIN-ovu nagradu (2000). (choix pour le prix NIN 2000).

8.  Turski divan, 2005, Požarevac.

9.  Gubilište, 2007, Požarevac.

10.   Romandžija, in »Fantom Slobode«, 2008, Zagreb.

11.   Vrt zatočenika, Komparativne studije o stripu, BKG, 2010, Beograd. – Deset najboljih, oblast – strip, NIN, 2010. (Les dix meilleurs, domaine – neuvième art, NIN 2010).

 

Présent dans les anthologies suivantes :

PROSE :

            1. Književna reč, Proza 97. (uredili Srđan Stanišić, Divna Vuksanović, Petar V. Arbutina), Beograd, 1997.

POESIE :

  1. Pelud Sveta, Pero Zubac, Od Đorđa Sladoja do Ivane Vasić, Beograd, BMG, 1997.
  2. Ideš li rode, Janko Vujinović, Dortmund-Beograd, 1998.
  3. Drainčeva spomenica, Slobodan Stojadinović, Hipnos, Beograd, 1999.
  4. Ozarenja, antologija 255. srpskih pesnika, Milutin Lujo Danojlić, Beograd, 2004.
  5. Među svojima, Dragomir Brajković, Beograd, 2004.
  6. Na skrivenom tragu, antologija nove srpske poezije, M. L. Danojlić, Beograd, 2008.
  7. Vekotraj Laze Kostića, Zbornik, Hadži -Zoran Lazin, Novi Sad, 2010.

 

COURONNES PAR LES PRIX LITTERAIRES SUIVANTS :

1.      Povelja Petar Kočić, 1998.

2.      Rastko Petrović, 2000.