Jacques Josse, Trop épris de solitude
Jacques Josse aime les êtres vivants dans les marges et tous ces pas de côté qui nous apprennent tant sur la nature humaine. Le voici, cette fois, du côté des « épris de solitude » hommes ou femmes qui assument, cahin-caha, leur mode de vie. Il nous en parle dans des poèmes ou dans de courtes proses poétiques qui sont autant de tableaux de genre bien sentis.
« Ce n’est que parmi les pauvres ratés que je trouve les gens que j’aime le plus ; les riches ne peuvent, en termes de généralisations, parvenir à l’originalité qu’en devenant légèrement dingues ». Ce n’est pas Jacques Josse qui le dit mais le poète gallois Dylan Thomas. Des propos que l’auteur rennais pourrait, par contre, reprendre volontiers à son compte.
Nous voici, en effet, plongés avec son nouveau livre dans l’univers de « fantômes à vélo », d’écorcheurs de lapins ou de piliers de bistrot. Voici un homme « pris de boisson » qui « insulte trois tombes ». Voici « le son rauque d’un cri qui monte du fonds d’un puits ». Voici celle qui voit « des vipères partout ». A trop s’éprendre de solitude, jusqu’à s’en mordre les doigts, on peut tomber dans l’alcool, dans la folie, et, au bout du compte opter pour le suicide comme celui-là qui « s’est accroché » à l’une des branches d’un pommier.
Le monde de Jacques Josse n’est pas rose. Mais son attention soutenue aux gens et aux choses nimbe de lumière tant de scènes de la vie quotidienne. C’est le cas dans ce quartier populaire de Rennes où il vit. « Allée d’Herzégovine, une grosse femme voilée traîne un caddie d’où dépasse une botte de poireaux ». Plus loin, « Cours du Danube, un homme assis sur un ban partage son sandwich avec un berger allemand ». Quittant les grands ensembles de la métropole, il croque des scènes de la vie rurale qu’on imagine volontiers celles de son Goëlo natal. Voici ce paysan « soixante ans/lit froid, vie rêche » qui « lance, remorque pleine/son tracteur dans les ornières ». Voici aussi, car la mer est toute proche, « ce pan de roches noires où dansent,/dit-on, certaines nuits/des squelettes de marins perdus ».
Jacques Josse, Trop épris de solitude, le Réalgar, 77 pages, 15 euros.
Jacques Josse fait vibrer son monde, celui des vivants mais beaucoup, aussi, celui des disparus. Il rend hommages à ces héros du quotidien, ces combattants dont on ne trouve les noms sur aucune stèle, à ces « invisibles, couchés dans des caisses, à l’est ou au nord de la ville » qui « se souviennent des braseros, de la fatigue, des bières bues au goulot, des brusques cris de colère ». Jacques Josse dit qu’ils ont « le sommeil perturbé par le vacarme qui résonne dans les galeries ».
Ces « invisibles », il les associe dans son livre à des hommes sans doute aussi épris d’une forme de solitude, partis tragiquement, mais dont l’histoire a retenu les noms. Ainsi Victor Ségalen dont Jacques Josse évoque la mémoire et la brutale disparition en forêt du Huelgoat (« Cela remue dans les branches/quelqu’un froisse des fougères et du bois »). Ainsi, aussi, l’écrivain tchèque Bohumil Hrabal dont il a vu la silhouette « danser sur la paroi/d’un mur rayé ». Lisant l’auteur rennais on pense à ces mots du poète marocain Abdelattif Laâbi : « Entre les vivants et les morts/La poésie n’a pas de préférence ».