Un Sicilien très français : Andrea Genovese

Andrea Genovese est originaire de Messine, mais vit depuis 1981 en France. Poète, romancier, dramaturge, critique littéraire, d'art et de théâtre, cet auteur dont l'arc est doté de multiples cordes a publié aussi bien en italien qu'en son dialecte sicilien et en français. Il a entamé un cycle poétique, tant en français qu'en italien, intitulé Idylles, dont deux recueils voient le jour dans notre pays cette année aux éditions  Cap de l’Étang : Idylles de Sète et Idylles de Toulouse.

J'avoue d'emblée ma nette préférence pour le premier. Un lyrisme discret traverse le livre, notamment dans la première partie, Flâneries estivales.

Géométrie mouvante
des bassins
dans leur plate splendeur
et truchement d'azur
voiliers enfermés
dans des bouteilles
pour qu'ils n'aillent nulle part
tout en rêvant d'océans




Andrea Genovese, Idylles de Sète, Cap de l’Étang Éditions, 2022, 88 pages, 19 €.




Le recueil évoque la ville, beaucoup le port, les canaux, la mer, les pêcheurs. Il est par ailleurs jalonné de photographies (beaucoup de reproductions de cartes postales anciennes en noir et blanc).

À la porte de l'azur
vibre le mât rouillé
du chalutier
le temps s'effrite dans l'attente
d'un chant de sirène
tandis que le goéland
descend en ronde
vers les écarts de poissons
dispersés à la mer

Sorte de photographie, aussi, le texte, dans une énonciation qui s'approche de la célébration. Avec parfois – réminiscence ou clin d’œil ? – des mots empruntés à des auteurs anciens. Ici, Musset :

 

Pâle étoile du soir / puis Genovese continue avec ses propres mots : énigmatique / à notre alphabet / inattingible

 

On notera l'emploi d'un mot plus rare que « inatteignable ».




La deuxième partie, intitulée Gradation du brisant de Sète, se divise en quatre poèmes : Matin, Midi, Soir, Nuit

On y retrouve les contours du chant : Un mât transperce / l'horizon dans la paresse de la mer. 

Ou encore : Aux aguets dans la dentelle rosée / de l'horizon le vaisseau des souvenirs / dérive au tintement des cordes. / C'est juste un frémissement de harpe / mais il pénètre comme une lame de couteau.  

La troisième partie a pour titre : Erotika Biblion et il ne fait nul doute qu'il réfère à l'ouvrage du même nom de Mirabeau, dont j'extrais ce passage :

Il suit de là et de bien d’autres causes, que je ne prétends point énumérer, que nos passions, ou plutôt nos désirs et nos goûts (car nous n’avons guère de passions), l’emportent, et de beaucoup, sur toute vertu morale. 
Parmi ces désirs, le plus violent sans doute est celui qui porte un sexe vers l’autre.


Andrea Genovese, Idylles de Toulouse, Cap de l’Étang Éditions, 2022, 150 pages, 21 €.




Le texte de Genovese, lui, comporte dix-huit poèmes, dont le titre commence invariablement par Vénus. Par exemple, le premier : 

Vénus du pont-levis

Sort de la gare
les cuisses dorées
et descend joyeuse
vers le canal.

On hume le parfum
des muqueuses
sous la jupe chantante.

Des oiseaux
défont les barrières
les écluses s'ouvrent
arrosant les bateaux.

Douce éclosion
quête rotatoire
d'un poème
sexuellement transmissible.

Femmes observées, femmes rêvées ou du souvenir, sous un angle délibérément luxurieux.

Suit Naufrage dans l'escalier, constitué de cinq poèmes proches de la prose (si ce n'était les retours à la ligne).

L'escalier qui monte du vieux port à la ville haute
raide en quelque point escarpé creusé dans la roche
étale un paysage défini par les couleurs vives
des canaux et de la mer. La plate étendue au large
n'a pas de rides même pas troublées par le passage
d'un cargo minuscule comme un jouet d'enfant.

Ils sont teintés d'une amertume (souvent la chute du poème) :

...D'un coup je m'aperçois
que ma tête tourne que les marches et mes pieds
ont disparu et avec eux la souvenance même
du pourquoi j'ai laissé les mots dérailler ma vie.

Et aussi :

Ni la parole ni la pureté géométrique n'assurent
aucune transcendance. Le grand voyage de l'esprit
demeure une opaque épopée de cellules cérébrales
baignant dans la soupe d'un rituel à jamais fixé.

Un exercice de style comprend le seul poème éponyme, très bref que je reproduis ici :

Poème liminaire volé par un goéland
et laissé tombé du bec en fin de parcours

Touche d'humour puisqu'il se situe à la fin de l'ouvrage, jouxtant une photographie de l'oiseau en question, fréquent à Sète.

Curieusement, le dernier poème (dédié à une certaine Gwenaëlle) est rimé, à quelques exceptions près, proposant quelques vers d'une grande beauté :

Oui je sais que dans le vaste domaine
des songes solitaire est la route
la quête d'un abord souvent vaine
le défi de l'amour une déroute.

                      ∗

La nuit a été chaude et orageuse
traversée de zébrures d'éclairs
où chevauchait la Grande Fileuse
arborant sa faux et sa colère.

                      ∗

Je vois d'un coup surgir le mirage
d'une pluie fine cadeau de la muse.
Qu'importe qu'il n'y ait pas d'équipage.
Ton sourire arc-en-ciel est le but du voyage.

Je conseille donc ce recueil, ce qui n'est pas le cas du suivant et je vais m'en expliquer. Tout d'abord, il y a cette obsession pour le sexe féminin et ce qui s'y rapporte. Non, je ne suis pas prude, mais ces occurrences sont un peu trop nombreuses à mon goût.

Au bord des lèvres / le buisson flambant / abîme néant // Cette mouille de sirène / m'enchaîne / au mât de l'aubaine // Je tombe à genoux / courir de ma bouche / la fleur de sa ruche // Nous enivre / de cyprine écrémée... (page 19), Dans l'ivresse nous avions / goûté à la cyprine dégoulinante (page 28), en effeuillant les pétales d'une vulve grasse juteuse (page 33), les bacchantes furieuses / nous poursuivent avec leurs clitoris (page 44), en soliloque / avec la cyprine / que son utérus / sécrète (page 68), Toutefois un poème se structure autour d'images qui s'échappent l'une de l'autre d'un gouffre qui a la forme d'un énorme sexe de femme. (page71), sa chatte fleurissait (page 72), sur  ton  joli     petit  conin (page83), plaisirs omnivores / joyeusement se consumant dans l'orgie / d'un univers de cyprine (page 104).

Pour ne pas être totalement injuste, quelques rares bons moments de lecture pour moi, ainsi in Sur le chemin de Compostelle I (Haïkus, si on veut) : Sur le vieux pont / une cariatide / galope sans brides ou ce  court poème, Le long des quais : Pluie / visitation du soir / le jour se défile / inaccompli

Mais que dire de ces mots dans La ligne ondulée du Capitole : tu en as marre je le sais de cette Hexagonie / sado-pédophiliaque / dirigée de tout temps par de bonnes femmes / putains royales ou républicaines / mais tu vas te faire accuser de machisme en le disant / et ils font vite à y ajouter l'antisémitisme et l'homophobie / ces espèces de connards châtrés / qui ont encagé la liberté de penser / aux trombones des trois religions monommerdistes / et ces grands coquins de la soi-disant laïcité / qui se grattent le nombril / tandis qu'ils devraient prêcher l'intolérance je te l'accorde / contre toutes ces chiffonnades de Livres Sacrés / que tu gardes dans ton WC prêts à l'usage

Guido Cavalcanti, ami de Dante, poète toscan du XIIIème siècle, fait l'objet de plusieurs textes de la part de Genovese. Ou plus exactement, Mandetta, qui à l'instar de la Beatrix de Dante, serait la muse de Cavalcanti. Genovese part en quête de cette femme que Cavalcanti aurait rencontrée à Toulouse. Les historiographes de la littérature pourraient s'intéresser à ces pages quelque peu austères, y compris dans leur forme poétique.

En conclusion et n'oubliant pas que tout jugement en la matière est subjectif, je dirais qu'Idylles de Toulouse est tout à fait dispensable, ce qui ne doit pas entacher Idylles de Sète dont j'ai dit le bien que j'en pensais.




Présentation de l’auteur




Marie de la Tour et Taxis, Souvenirs sur Rainer Maria Rilke

Rainer Maria Rilke à Duino

Les élégies de Duino, une des œuvres majeures de Rainer Maria Rilke (1875-1926), doivent leur nom au château où elles ont été écrites la première fois. Un livre vient aujourd’hui éclairer le contexte de cette création poétique. L’auteur en est la femme qui a accueilli Rilke dans son château de Duino. Elle devint sa protectrice et son amie. C’était une princesse d’origine vénitienne par sa mère, autrichienne par son mariage. Son nom : Marie de la Tour et Taxis (1855-1934)

Une princesse qui évoque ses souvenirs. Nous ne sommes pas ici dans un récit glamour ni dans la chronique mondaine des têtes couronnées. Avec Marie de la Tour et Taxis nous avons affaire à une femme profondément cultivée, naviguant de Venise à Berlin en passant par Munich, Vienne, Paris ou Londres, fréquentant les plus grands auteurs ou artistes de l’époque. Devant nous défile un monde culturel à cheval sur le 19e et le 20e siècle (d’où émergent les noms de Rodin, Valéry, Verhaeren, Nijinski…), un monde où la notion de frontière ne semble pas exister, au cœur d’une Europe où le mécénat se donne libre cours.

 Rainer Marie Rilke baigne dans ce milieu-là. Il rencontre pour la première fois la princesse à Paris, en 1910, chez Mme de Noailles. Le poète a 35 ans. Celle qui deviendra sa protectrice en a 55. Elle l’invite en avril 1910 à venir résider dans son château de Duino près de Trieste, sur une falaise dominant l’Adriatique, dans « une chambre claire et gaie avec à gauche la pleine mer, Trieste et l’Istrie ; à droite le golfe qui s’avance jusque vers Aquileia et les lagunes de Grado »,raconte Marie de la Tour et Taxis. Le poète séjournera même seul dans ce château au cours de l’hiver de l’année suivante.

Marie de la Tour et Taxis, Souvenirs sur Rainer Maria Rilke, Arfuyen, 185 pages, 17 euros.

C’est un beau matin de janvier 1912, alors qu’il se promenait dans cette propriété, que lui est « donnée » la première élégie. « Il entendit une voix qui l’appelait, raconte la princesse, une voix très proche qui disait ces mots à son oreille : Qui donc parmi les légions des anges, / qui donc entendrait mon cri…Il resta immobile, écoutant. Qu’est-ce ? murmura-t-il à mi-voix… Qu’est-ce qui vient ? .... Il prit son petit livret qu’il portait toujours avec lui, écrivit ces lignes et puis tout de suite, encore quelques vers qui se formaient comme involontairement… ».    Marie de la Tour et Taxis avait appelé Rilke le Seraphico. « Quelle intuition extraordinaire, aussi juste qu’étrange, raconte-t-elle, et combien je le compris au plus profond de mon cœur quand l’heure fut enfin arrivée, l’heure de la seconde Elégie, l’élégie des anges, cette merveille ».

Le livre, à partir de là, évoque toute une série d’événements liés à des rencontres ou des découvertes de toute nature dont les deux protagonistes sont les témoins ou les acteurs. On les retrouve dans les grandes villes européennes, visitant des musées, des édifices religieux, s’arrêtant devant des monuments (la tombe de Pétrarque, par exemple, en Vénétie). La princesse s’inquiète pour la santé de son protégé (fragile des nerfs), note son « exaltation étrange et son regard égaré et plein d’angoisse ». Elle le reçoit aussi dans sa résidence de Lautschin en Bohême (comme un retour aux sources pour le poète né à Prague) mais aussi dans son « entresol » de Venise

On voit ainsi, au fil des pages, le rôle essentiel joué par cette femmes (nous faisant presque oublier l’autre femme de Rilke : Lou Andréas Salomé). « L’amour, le grand amour qu’il admirait tant dans les autres, écrit néanmoins la princesse, il se croyait incapable de jamais le ressentir d’une façon constante et sûre. Un moment de joie, d’enthousiasme, d’ardeur, et puis le désillusion complète, le dégoût, la fuite… ». Mais elle ajoute aussitôt : « Et pourtant il ne peut pas vivre sans avoir autour de soi l’atmosphère de la femme. Oui, j’ai été frappée souvent de l’attraction extraordinaire de la femme sur lui et de ce qu’il m’a dit souvent, qu’il ne pouvait parler qu’avec des femmes, qu’il ne croyait comprendre que les femmes et ne se plaisait vraiment qu’avec elles… »

Marie de la Tour et Taxis se trouvait à Rome au moment de la mort du poète en 1926, en Suisse. Elle écrira en français ses Souvenirs sur Rainer Maria Rilke mais le livre sera publié pour la première fois en 1933 dans une traduction allemande, puis en français en 1936 pour le 10e anniversaire de la disparition de Rilke. Voilà à nouveau ce livre entre nos mains. Il approfondit notre connaissance de l’homme Rilke (et bien sûr, aussi, de l’écrivain). Il nous révèle également la profonde effervescence culturelle de cette époque « si attirante si curieuse »  comme le dit Maurice Betz dans l’avant-propos. A cet égard, ce livre constitue une indéniable contribution à la connaissance de l’histoire littéraire de l’Europe, sans oublier toutes les informations que les amoureux de l’œuvre de Rilke pourront y glaner.




Marilyne Bertoncini, Il libro di sabbia

Avec ce nouvel ouvrage qui regroupe trois recueils parus en français et publiés ici dans leur version uniquement italienne, Marilyne Bertoncini – qui écrit aussi bien en italien qu’en français – nous offre l’immensité d’un univers de sable, d’eau et de vent traversé de senteurs, de couleurs où tout est mouvance, fluidité et métamorphoses, à l’image des dunes de sable qui illustrent la couverture. Le titre reprend celui-là même d’un livre – et d’une nouvelle – de Borges.

Ce livre entretient-il un lien avec Le livre de sable de l’auteur argentin ? À priori, non. Cependant, force est de constater d’évidentes affinités : y est présente la dimension du mystère de même que celle du fantastique. En effet, chez Marilyne Bertoncini, les paysages d’une enfance flamande se transforment et le sable au « parfum minéral intense » (c’est celui des souvenirs) devient Sabbia, prénom d’une créature onirique et fantasmatique, peut-être légendaire, le plus souvent désigné par Lei (Elle), femme-dune sans visage, âme errante aux yeux de fleurs, à la fois resplendissante et pâle, ceinte d’une couronne d’épine, privée de parole, suffocant, étouffée par le caractère même de sa propre constitution ! Car si la fluidité du sable laisse imaginer une ressemblance avec l’océan : « La duna mima l’oceano » (la dune mime l’océan), elle n’est pas l’océan : le sable est une « écume sèche » : il aspire, il étouffe, il tue !

La sabbia nella sua bocca la soffoca come un bavaglio

Le sable dans sa bouche l’étouffe comme un bâillon

Marilyne Bertoncini, Il libro di sabbia (Le livre de sable), Préface de Giancarlo Baroni, Bertoni editore 2022, 63 pages, 15€.

et plus loin :

L’orco di sabbia ocra divora la sua parola

L’ogre de sable ocre dévore ses paroles

L’autrice, « fille des sables », et fille symbolique de Sabbia, « Sono figlia di Sabbia/ma le parole/sono mie » (Je suis fille de Sable/mais les mots/m’appartiennent) se projette dans ses souvenirs et cette femme de sable qui ne peut parler mais qui vit en elle et s’exprime à travers sa poésie – Io grido/ Io SCRIVO (Je crie/ J’ÉCRIS) – pourrait être l’âme secrète de son passé, car nous allons voir que les temps s’entremêlent et c’est là une autre affinité avec Borges : la conception du temps (ici aussi au cœur de l’écriture), un temps sans début ni fin – n’oublions pas que le recueil commence par ce vers : « Non ho nessun ricordo dell’avvenire, disse Lei (Je n’ai aucun souvenir de l’avenir, dit-Elle). Un temps qui n’est pas linéaire mais labyrinthique faisant fi de toute chronologie : les souvenirs affleurent de manière improbable et désordonnée, comme des fragments de vie reflétés dans des miroirs cassés rapportés par les marées et dans lesquels tout se mélange et fusionne. « Si l'espace est infini, nous sommes dans n'importe quel point de l'espace. Si le temps est infini nous sommes dans n'importe quel point du temps1. »

Dans Le livre de sable de Marilyne Bertoncini, les terrains vagues et jardins ouvriers du Nord surgissent derrière les bruissements d’ombre, le chuchotement des fontaines, se superposent à la douceur envoûtante de fragrances quasi orientales, et au silence qui dévore les statues en ruines d’un jardin peuplé d’âmes mortes au-dessus duquel le ciel entre en fusion et brûle les étoiles. Le paradis jouxte l’enfer.

« Passo i confini assegnati alle cose/dalle parole » (je franchis les limites assignées aux choses/ par les mots) écrit-elle. Il n’y a plus de frontière entre le passé et le présent, l’ombre et la lumière, le réel et l'imaginaire, la vie et la mort, le français et l’italien « Nude nues denudate » lit-on dans le même vers page 19.

Autre figure mythique du recueil : Leila, prénom intimement lié à la fleur de lilas. Les poèmes dédiés à l’une et à l’autre s’entremêlent créant l’effet sinon d’un dialogue, tout du moins d’un écho, au cœur d’un long poème intitulé La notte di Lilla (La nuit de lilas) Leila, au prénom couleur de nuit2, objet d’un amour impossible, absolu et éternel du poète bédouin Majnûn, apparait ici comme la « sœur de cœur » de l’autrice.

      Dolce           sorella
                nella mia lingua
                    segreta

         Douce        sœur
dans ma langue
    secrète

Un aveu ponctué de silences. La poète n’en dira pas plus, à nous de lire la douleur de l’absence dans le blanc de la page, car Le livre de sable est, par définition, un livre insaisissable. Un livre qui peut s’interpréter de différentes manières, sur lequel le lecteur peut projeter ses propres images dans le « labyrinthe des nuits ».

Si, chez Borges, des signes, des illustrations disparaissent mystérieusement des pages à peine lues, et de ce fait, ne sont visibles qu’une seule fois, ici c’est l’éternelle mouvance du sable qui transforme tout, ne garde les traces que de manière éphémère nous rappelant ainsi que toute chose se vit une seule et unique fois.

Ainsi en est-il des souvenirs qui sont à l’image des empreintes de pas dans le sable mou aussitôt recouvertes par les vagues de l'océan. La mémoire elle-même est appelée à disparaître…

la sabbia aspira la mia caviglia
aspira la mia memoria
l’impronta del mio piede si riempie di un minuscolo frammento di specchio
l’onda successiva lo ingoia

le sable aspire ma cheville
aspire ma mémoire
l’empreinte de mon pied s’emplit d’un minuscule éclat de miroir
et la vague suivante l’engloutit

Ce livre de l’impermanence nous parle d’absence, d’infini et de rêve, de visions fugitives que seule la parole peut fixer. Livre de souvenirs où aucun événement n’est dévoilé mais suggéré à travers la finesse des perceptions (couleurs, sons, odeurs) révélatrices d’émotions intactes. Parmi celles-ci, notons une prédilection pour le violet, décliné dans toutes ses nuances (lilas, lavande, lie-de-vin, mauve…) et qui ne doit sans doute rien au hasard. Si la ville de Parme n'est jamais citée, elle est bien présente dans la symbolique des couleurs. Un livre contre l’oubli ? Sans doute.

L’autrice écrit avec justesse et délicatesse une impermanence hantée par la mythologie et les légendes et qui se termine dans une danse macabre où la mort couronnée d’étoiles entraîne aussi bien les rêves des morts que les souvenirs des vivants. Mais où vont-ils ? … RECAPITO…. IMPOSSIBILE… est la réponse donnée dans le dernier vers du recueil, que l’on peut traduire par « inconnus à cette adresse » ou « échec de la distribution ».

Notes

[1] Le livre de sable, Borges, Folio bilingue Gallimard 1990, traduction François Rosset.

[2] Leila (ليلى en arabe) signifie la nuit. L’autrice fait allusion ici à une légende persane.

Présentation de l’auteur




Jacques Robinet, Notes de l’heure offerte

« Seule compte l’heure  offerte qui vient à ma rencontre et cette branche qui tremble encore d’un oiseau envolé » (p.65)

Ces notes sont à la fois méditation et dialogue, dialogue avec le lecteur et dialogue avec Dieu.

Elles sont d’ordre spirituel et poétique, elles sont aussi lettres d’amour, adressées à l’aimé, et aux lecteurs, des lettres qui prolongent toute rencontre par-delà la mort, « heureux ceux qui dans l’amour se sont endormis ».

Un chant à la vie (p.157)

Pour Jacques Robinet, la psychanalyse et l’écriture sont des chemins de liberté, la psychanalyse pour mieux vivre, pour mieux aimer.

Ce journal est traversé d’une lumière, celle qui irradie la poésie de Marie Noël et c’est aussi ce même souffle de paix qui habite leurs mots, il n’est pas étonnant que deux vers de Marie Noël : « Le jardin au milieu du jour / Où l’on entend trembler la paix » résonnent en lui, lui qui : «  cherche à dire : le paisible écoulement, l’effacement consenti, l’acquiescement »(p.97), qui : «  cherche à atteindre dans le poème, l’éclair qui embrase brusquement les mots » (p.67) car, malgré tout ce qui pèse, essayer de tendre à cette vérité de nos vies qui se manifeste et nous allège quand on pose les mots en signe de notre passage, quand l’acte d’écrire se fait louange et  que «  vivre c’est rendre grâce ».

Jacques Robinet, Notes de l’heure offerte, La Coopérative, 2022, 176 pages, 21 €.

Un ouvrage qui se fait louange et action de grâce : « Merveille d’être au monde. Il suffit de cette tombée de la nuit habitée par une musique qui est louange.  Comme si quelqu’un s’éveillait et reconnaissait sa demeure.  La joie a pris le relais du jour qui s’en va. » (p.153)

Les mots pour dire les maux ou «  toutes les passions tristes qui empoisonnent la vie ». Dire, pour se désencombrer, s’abandonner.

Un livre essentiel, y chemine un homme qui se livre comme le fit Montaigne. Grâce à l’expérience personnelle, la réflexion s’élargit sur le sens de toute vie, sur la place de l’homme au regard de cette terre habitée brièvement. On y goûte le futile et l’important, le superficiel et l’éternel ; grâce à une observation des éléments, à la lecture des auteurs aimés, grâce aussi aux regards d’artistes connus ou anonymes qui ont su transmettre le beau.

Comme pour Montaigne, des analyses psychologiques comme celle sur la tristesse. Le psychanalyste que fut Jacques Robinet les élargit et les rend universelles. La mort, la sienne qui approche et celle des êtres aimés, la dire et l’écrire pour se réconcilier avec cette peur et traverser de façon lumineuse cette expérience intérieure. Une différence cependant, Montaigne dans ses essais ne recourt pas à la foi et éloigne l’immortalité de l’âme de sa réflexion. Jacques Robinet lui, interprète cette expérience à la lumière de sa foi chrétienne. L’un et l’autre cependant font, de chaque instant vécu, un éloge à la vie devant l’immanence de la mort, pour tenter d’être capable comme le dit Montaigne de la « vivre à propos ».

Le livre illustre admirablement cette réflexion de Montaigne que pour chacun notre vie soit : «  notre grand et glorieux chef d’œuvre ».

Toute expérience, y compris celle de la maladie, peut être source de louange car toute douleur donne de l’épaisseur à chaque rencontre, à chaque objet, à chaque élément de la nature, à tout ce qui nous est donné de vivre, de voir.

C’est tout un art de vivre que décline Jacques Robinet, pour celui qui peut être capable de plonger et son corps et son âme dans l’intemporalité.

Ici, pas d’exaltation, mais beaucoup de modération en toute expérience vécue ; une exception cependant, une tonalité plus exaltée pointe, lorsque l’auteur traite du sentiment amoureux, un lien affectif total, vécu en plénitude.

Parler de soi pour une ouverture au monde et aux autres.

Cette attention à soi est nourrie du plaisir que procurent les mots, la lecture, les voyages, la contemplation de la beauté qui est don de la nature et don fait à certains artistes touchés par la grâce.

Jacques Robinet écrivain, est touché par cette grâce qui fait naître la lumière de l’ombre. Cette grâce qui du silence, du « silence absolu » fait jaillir comme un point d’orgue à la fin du livre, cette prière de demande et d’intercession, quand on s’oublie et qu’il ne reste que l’amour, l’amour seul capable de s’adresser à celui dont on ne peut prononcer le nom, à celui qui n’est que lumière et « Amour offert depuis la création du monde ».

O Vous dont je retiens le nom au bout de ma plume, tant Vous débordez tout ce qui Vous désigne, gardez-le ; Vous qui êtes lumière et seulement amour, gardez-le toujours en Votre paix. Qu’il ne soit jamais séparé de Vous, celui que Vous m’avez confié autrefois, quand nous vivions tous les deux en nuit très profonde, sans savoir que Vous étiez là.  (p.170)

Présentation de l’auteur




Thibault Biscarrat, Cercles intérieurs

On l’a déjà écrit ici sur Recours au poème, Thibault Biscarrat poète, et hormis une première tentative de roman (Dolmancé, Abordo, 2015), reprend et (ré)écrit toujours le même livre. D’ailleurs, il ne s’en cache pas, le revendiquant même : « Un même souffle parcourt tous mes écrits » ; « Il est un dire qui parcourt tous mes écrits » ; « D’un livre l’autre un même souffle parcourt l’alphabet des profondeurs », etc. « L’humanité rêve d’un seul Livre », vraiment ? ou est-ce un souvenir d’enfance de Thibault Biscarrat ? Le poète se souvient des leçons du cinéaste Robert Bresson (dans ses écrits : « Ne change rien, pour que tout soit différent ») : « Une même voix, un même rythme. Et pourtant rien ne demeure similaire. »

Je l’ai déjà dit, mais je le répète, tant cela importe : chaque verset de Biscarrat est rempli de réminiscences textuelles et d’emprunts plus ou moins (in)volontaires : « Mystère de l’amour qui meut le ciel et les autres étoiles » ; « Écho des lumières » ; « L’encre affleure, bleutée » ; « Nous trouverons, un jour, le lieu et la formule » ; « Les voyelles bruissent et avivent les couleurs » ; « Entends […] les sauts d’harmonie inouïs » ; « Le plagiat est nécessaire. Le progrès l’implique » ; « Qui fonde ce qui demeure ? » ; « L’aurore aux doigts de rose nous accompagne » ; « Mon aimée, te souviens-tu du massacre des prétendants ? » ; « Voici l’or du temps » ; « Les roses, sans pourquoi, s’offrent à la caresse du vent », etc1. Vous aurez (ou pas) reconnu, et dans l’ordre, des allusions à : Dante, Philippe Sollers, Rimbaud, Lautréamont, Hölderlin, Hésiode, Homère, André Breton, Angelus Silesius. Le dire de Biscarrat veut « traverser tous les siècles, tous les écrits » : « Tout écrit tend vers ce point où tous les ouvrages s’interpellent, se répondent, résonnent. Échos. Intertextes. » Voix fleur écho des lumières…

Ce qui change dans ce volume, par rapport aux derniers publiés par l’auteur, c’est la densité des pages : le poète a (temporairement ?) abandonné le verset, et condense chacun de ses textes sur une page ; cela donne plus de densité à son chant, qui, revendiqué chant courbe, devient volontiers une roue carrée, plus chaotique : « Tous les textes, tous les livres s’entremêlent, résonnent. Une métaphore surgit d’un écrit l’autre ; les mots circulent. »

Thibault Biscarrat, Cercles intérieurs,Conspiration Éditions, 94 p., 9 €.

Le chaos règne, la folie rôde (« Je suis mort sur la croix, […] je fais se mouvoir les constellation ») ; et cela profite à notre poète, qui gagne au désordre : « Je suis le Livre qui jamais ne s’achève, écrit dans toutes les langues et qui s’adresse à tous les hommes. » Son écriture gagne en densité ; Biscarrat se rapproche d’une écriture all over.

L’ambition de Biscarrat est grande : tel un Mallarmé, un Guyotat ou un Blanchot, il veut écrire Le Livre : « Ce livre témoigne. Ce livre est un fragment de tous les livres : ceux que j’ai lus, ceux que j’ai écrits, le Livre à venir. » Qui l’en blâmerait ?

Nous n’avons qu’une seule réserve quant à sa poésie, et bien qu’il s’en défende (« L’être questionne son rapport au réel, au sacré, au langage » ; « Que tout te soit fragment du Livre, réel érigé ») : elle ne se confronte en rien au Réel ; c’est-à-dire qu’elle pourrait tout à fait être écrite au temps de David, sans que rien ne choque ; d’ailleurs, la première partie de ce volume, « La nuit souveraine », est presque un remake, une reprise du Cantique des cantiques, soit un chant d’amour à l’aimée : « Je ferai de notre amour un livre vivant, fragment du Livre éternel et indivis. » Ou bien, plus directement : « Mon aimée, te souviens-tu du Cantique des cantiques, du roi Salomon et de la Sulamite ? » Comme la peinture abstraite ne se confronte en rien à la figuration, la poésie de Thibault ne se confronte qu’au sacré et au langage (ou Verbe) ; nous aimerions maintenant que Biscarrat se confronte à la cochonnerie politique de la Volonté de technique… ou au supermarket… « J’aspire à un nouveau chant, fragment du Livre qui parcourt tous les mythes, tous les écrits » : chiche ?…

Note

  1. J’ai volontairement ignoré toutes allusions à la Bible, tant elles abondent.

Présentation de l’auteur




La liberté d’expression ou la liberté avant tout !

Fondé en Grande Bretagne, par la dramaturge Catherine Amy Dawson Scott et John Galsworty, qui recevra le Prix Nobel de Littérature en 1932 et ce au lendemain de la Première Guerre Mondiale, alors que l’Europe pleure encore ses Martyrs, LE PEN CLUB INTERNATIONAL  a pour objectif entre autres de défendre la liberté d’expression des écrivains à travers le monde.

Cette organisation mondiale, désormais reconnue en Cat A, auprès de l’UNESCO, et par le Conseil économique et social des Nations Unies, a très vite pris son essor avec l’éclosion parfois simultanée de nombreux Centres à travers la planète, comptant parmi ses membres des écrivains, des poètes, des auteurs dramatiques etc. souvent de grande renommée. En France, pays des Droits de l’Homme, Le PEN CLUB verra le jour à Paris, avec un premier Président,  en la personne du célèbre écrivain ANATOLE France, (1921-1924) suivi par PAUL VALERY (1924-1934), JULES ROMAIN (1934-1939), JEAN SCHLUMBERGER (1946-1951), et bien d’autres encore, dont le très regretté GEORGES EMMANUEL CLANCIER (1976-1979) disparu en 2018 et dont le fils SYLVESTRE CLANCIER, marchera sur les traces de son père, puisqu’il  fut à son tour Président à deux reprises, 2009-2012 et 2016 -2018, succédant à JEAN BLOT et JEAN ORIZET. Actuellement et ce depuis 2020, après une courte période de turbulence, c’est l’écrivain et journaliste ANTOINE SPIRE qui assure désormais la présidence, avec il faut le dire beaucoup de dynamisme et de conviction !  

Le PEN CLUB FRANÇAIS a 100 ans !

Belle longévité pour une organisation dont certains avaient malencontreusement prédit la disparition. Certes elle demeure discrète, et sans tapage médiatique outrancier, il n’empêche que le Centre français, promet dans les années futures une belle vitalité ! 

 Pour la liberté d’expression, livre du centenaire du PEN Club français, 343 pages, 18 euros, éditions Le Bord de l’eau.

Occasion pour les éditions Le Bord de l’eau,  de publier un ouvrage important sous la houlette d’Antoine Spire, Sylvestre Clancier, et Laurence Paton, intitulé, « Pour la Liberté d’expression, Livre du Centenaire du Pen Club Français », qui se veut rendre un hommage appuyé aux actions menées par le Centre depuis sa création, lors de périodes de l’histoire, souvent tumultueuses et tout autant dramatiques pour certaines d’entre elles, et qui témoignent de l’engagement de nombreux écrivains et poètes français en faveur de la liberté d’expression et de la liberté tout court.

On songe bien évidemment à la Seconde Guerre Mondiale, avec son cortège de monstruosités où nombre de compatriotes perdirent la vie, afin de lutter contre une idéologie mortifère et destructrice. Paix à leur âme !

 Le Pen Club français conforte l’idée de laïcité !

Dans sa longue introduction, ANTOINE SPIRE semble vouloir lever des doutes quant à l’idée de laïcité, un sujet qui demeure toujours sensible. « De ce fait ceux qui méprisent les croyants et stigmatisent leur adhésion à une foi quelle qu’elle soit, ne sont pas en accord avec notre conception de la laïcité ». (P.8). « Au Pen Club, la diversité des engagements nous conduit  à prendre en compte plusieurs conceptions de la laïcité » (P.8), un message particulièrement clair et qui ne souffre d’aucune ambiguïté…

 La censure sociétale : Qu’est-ce à dire ?

Au même titre que la censure sociétale qui égrène de manière fort sournoise, notre civilisation occidentale à bout de souffle. Une censure pouvant conduire dans certains pays, jusqu’à l’intimidation, la pression, l’emprisonnement, voire la torture. Engager la peur sur le chemin de l’Humanité est malheureusement une constante universelle depuis l’aube des temps, et qui dans bien des cas mène aux guerres et pire encore à l’extermination. « La censure n’est plus l’exclusivité d’Etats autoritaires elle est devenue le fait de fractions de la société civile qui veulent interdire l’expression de ceux qu’elles jugent engagés, consciemment ou non, réellement ou non, dans une prétendue caution donnée au racisme et au sexisme ». (P.9) Et l’on voit bien aujourd’hui où certains discours mènent, vers une discrimination permanente des enjeux prioritaires, et qui tentent de masquer les réalités qui nous entourent, sous le prétexte de la pacification des intentions, et qui de fait nourrit une société précisément  devenue sans enjeu, et sans discernement. Or il s’avère également exact, que nos grands intellectuels ont fait le choix de se taire, et il est à craindre que le terme même d’intellectuel soit remis en cause, pour laisser la place à un brouhaha informationnel, dans lequel la pensée s’épuise, afin de céder la place « aux inquisiteurs exclusifs du droit à la parole », comme en témoignent les dérives quotidiennes de certains médias et réseaux sociaux.

Quid de la censure économique !

Antoine Spire évoque également la censure économique ;  vaste sujet en effet !  Bien plus difficile à appréhender celle-là, car plus pernicieuse et larvaire mais dont les dégâts sont tout aussi probants. « Sur ce point le Pen Club, provoque des alertes et un débat, à partager parce que la France est désormais l’objet d’une manipulation d’envergure de l’opinion qui étonne à l’étranger ». (P.13) en favorisant une certaine élite artistique dévouée au système et qui profite à bien des égards de ses largesses, et en nuisant à une création plus intègre mais mal soutenue. Les pouvoirs publics en sont-ils pour tautant responsables ; certes non ! Il existe tout de même certains cadres législatifs auxquels se référer, le danger vient certainement d’ailleurs, lié à une mondialisation vorace dont le capital est le seul moteur de croissance au détriment de moyens économiques plus respectables. Est-ce une fatalité pour autant ? On pourra toujours considérer que les modèles sociétaux déclinent au moment de leur apogée. Et parfois disparaissent comme ils sont venus,  comme laissant apparaître une civilisation meilleure. On peut toujours espérer dans ce sens !

Outre ces nombreuses actions le Pen Club français délivre chaque année des prix littéraires importants qui défendent une littérature de qualité.




Daniel Brochard, Lettre d’un ex-directeur de revue de poésie à un jeune poète, Mot à maux, Manifeste pour une poésie sociale

Directeur de la revue Mot à maux qu’il a créée en 2005 et dont le dernier numéro est paru en mars 2022, Daniel Brochard rédigea, lors de l’interruption temporaire de cette dernière, en mars 2010, sa Lettre d’un ex-directeur de revue à un jeune poète dont le titre n’est pas sans évoquer la référence à la correspondance des Lettres à un jeune poète que le vénéré Rainer-Maria Rilke adressa à un jeune homme qui lui demande s’il doit consacrer sa vie à la poésie, devenant son véritable « guide spirituel », échange au cours duquel l’initiateur revient inlassablement sur les questions qui se posent à l’artiste, à toute personne qui tente, du moins, le chemin de la création, comme cela était le cas également pour l’initié. Mais tandis que Rainer-Maria Rilke invite à se tourner vers « l’intériorité », Daniel Brochard dresse un état des lieux assez amer du milieu contemporain face auquel l’intention « poétique » se trouve souvent vouée au dérisoire quand il ne s’agit pas des oubliettes aux heures où l’écran de télévision reste le réceptacle courtisé de notre idiotie commune : « On est tous comme des cons devant la télé, la boîte carcérale à faire reluire la connerie universelle. Ah, non, n’allez pas faire de vagues !

Nous serons artistes dans cent ans, en attendant il convient de la fermer. Il faut rester en ligne dans les salons, pas sur le front des mots (trop dangereux). Ben oui, la poésie que dalle, la poésie c’est vraiment très bizarre. »

Vouée aux gémonies, la poésie ? Pourtant, le regretté Daniel Brochard fit, quant à lui, le pari de tenir « sur le front des mots », selon sa propre expression, en dirigeant pendant pas moins d’une vingtaine de numéros, sa revue littéraire Mot à maux dont le jeu des termes du titre même de ce rendez-vous indiquait le possible salut des « maux » de tous transformés en « mot » de chacun… En ouvrant ainsi les pages de son périodique à l’aventure collective, l’ « ex-directeur » révélait ainsi une volonté ferme et portée plus avant dans sa propre inventivité, singulière, d’écrivain de ne pas cantonner la poésie à une « case » qui serait par exemple celle de l’épanchement personnel, mais à interroger la portée de cette dernière au cœur de la société humaine, sans oublier de noter que la gloire de la postérité sur certains artistes majeurs ne balaie pas d’un trait de lumière l’emprise quotidienne de l’obscure nécessité que fut la condition de ces mêmes artistes, pour mieux faire allusion au « suicidé de la société » selon la formule définitive d’Antonin Artaud : « La société sacralise des Van Gogh qui, vivants, étaient miséreux. » écrit encore l’héritier dans sa missive au présent..




Daniel Brochard, Manifeste pour une poésie sociale.

Quoi d’étonnant alors au choix ultime de rédiger son Manifeste pour une poésie sociale ? Articulant sans cesse sa pensée sur le fil d’une relation entre l’individu et le collectif, l’emploi du pronom singulier « je » en interrogation du pronom pluriel « nous », la réflexion de l’essayiste semble alors rejoindre l’axiome camusien de L’Homme révolté : « Je me révolte donc nous sommes. » Incitations dès lors à la rébellion tant solitaire que solidaire, passés le Préambule et son Projet pour une action en poésie, ses éclats philosophiques furtifs, ses brefs discours incisifs secouent la torpeur du lecteur pour mieux l’inscrire dans l’intime d’un combat où de la « maladie » intérieure à la crise de notre société, c’est l’union des sensibilités et la conjugaison des forces créatives à l’ouvrage qu’invoque l’écrivain laissant tomber son propre masque, dès l’aveu du premier paragraphe de son essai : « La poésie est un combat. Loin de moi l’envie d’agiter le drapeau blanc, ma conscience de révolté m’interdit de baisser les bras. Et pourtant, je le devrais ( ? ) quand on voit la complexité de l’opération. » Loin du silence feutré de certains salons littéraires, la vie, l’œuvre, l’engagement de Daniel Brochard se tissent, se croisent et résonnent dans l’interpellation du cri d’humanité de son épilogue comme une passation de témoin : « Soyez l’architecte du renouveau ! À vous de former cette assemblée afin que la poésie devienne indispensable. »




Présentation de l’auteur




Paul Mathieu, D’abord un peu de jour

Un recueil de poèmes qui frappe par sa qualité de papier, et d’impression, avant de surprendre par le contenu poétique, une longue et intéressante méditation, dans une écriture qui doit tout à l’oralité « prosodique ». L’auteur s’y donne sur le ton du « on », s’y anonymise, afin d’être tout près du quotidien, et de détecter dans son cheminement des éclairs de poésie, pareils à ces lueurs dont les flaques d’eau, après une averse qui aurait rénové notre sensation du paysage, balisent une tranquille promenade.




Il s’ensuit pour le lecteur une sensation où fusionnent sérénité et intimité. Aux détours du discours poétisant, surgissent à foison de simples trouvailles d’expression, qui chaque fois incitent à la réflexion, au constat songeur : « Tiens, Paul Mathieu me fait apercevoir ceci, je n’y aurais pas pensé... » Si bien que l’on avance de page en page comme vers un but profilé, toujours à venir, mais qui durant le trajet nous dispense des « échantillons » riches de profondeur secrète, comme pour régulièrement rénover le regard, en dénouer le rien de lassitude qui pourrait s’amorcer.

De là vient que ce livre se lit en continu, un peu comme un roman. On entre dans une sorte de poème unique, fait d’un peu de jour en effet, que je comparerais volontiers, sans les confondre du tout certes, avec « Dans le leurre du seuil » d’Yves Bonnefoy. Ce sont des livres-poèmes qui nous accueillent dans leur monde, nous y retiennent, nous en instruisent par mille façons de sentir et de scruter les détails ordinaires de la vie, de la « condition humains » dirais-je pompeusement, et l’on ne tient pas vraiment à en ressortir, tant on est heureux de lire comme si l’on ne l’avait encore jamais vu de près, un quotidien que nous connaissons tous.




Paul Mathieu – D’abord un peu de jour – Ed. Estuaires – Hors-série n° 8 – 94 pp.

J’avais d’abord pensé introduire des citations à l’appui de ces remarques, admiratives mais quelque peu abstraites et générales. Finalement je ne le ferai pas. Ce serait comme tailler un fragment dans l’élan continu d’une guirlande dont chaque instant n’a sa véritable valeur qu’en tant que suite de ce qui le précède et intuition de ce qui va le suivre. Toute découpe, si l’on me comprend, serait banalisante et ramènerait à une prose quelconque ce qui est une poésie qui n’a rien d’ordinaire. Lorsqu’on avance dans ce genre de cérémonial pensif, comment avoir l’idée d’en stopper un moment la mélodie liturgique, pour en extraire des phases (et des phrases) qui seraient privées de la cohorte indispensable d’échos, qui seule nous donne de ressentir la dimension de la nef invisible qu’elle faitt exister, qu’elle élève autour du on (le « jeu » du « je » caché du poète) à mesure de notre progression de lecteur. Paul Mathieu, par ce « on », s’est organisé pour être à la fois proche, modeste, accessible, tout en ne lâchant jamais la main de ce/celle que jadis on appelait la Muse, figure que j’aime bien, aussi démodée qu’elle paraisse. Ce n’est pas au commentateur à démolir cette fine chorégraphie langagière, ce « pur travail de fins éclairs », comme dirait Valéry, sous prétexte d’en faire l’éloge. Le mieux que je puisse faire est de tenter de communiquer ma joie d’avoir lu ce poète, dont à ma grande honte je ne connais(sais) rien, pas même la personne, et qui de surcroît, collabore aux destinées de la revue Traversées, auxquelles je m’intéresse également. Merci Paul, pour ce beau livre dont tous ceux qui prêtent d’habitude un peu l’oreille à mes avis, j’en suis certain, se délecteront !


Présentation de l’auteur




Olivier Bastide, Ponctuation forcenée de l’ordre des choses

Voilà un titre qui sous-entend une crise, un accès furieux qui dépasse la mesure, il sous-entend qu’il faille poser des jalons, des bornes, des sortes de parenthèses et de crochets, des virgules et des points au long d’un itinéraire, ou bien pour ranger à leur place les éléments d’une vie, ou bien encore ce qui encombre une vie… La quatrième de couverture ajoute une dimension : il s’agit également des « retrouvailles avec des larmes que je n’ai pas versées» confesse l’auteur.  

Dédié « À nos pères », le livre commence avec le constat de la multiplicité des langues et de la « beauté des mots métissés ». Alors comme logiquement nous voilà partis explorer Nos quatre points cardinaux, ce qui est le titre d’une première série de poèmes.

Le lecteur est embarqué sur un parcours labyrinthique entre naissance et mort, avec aux postes d’octroi, en forme d’hommage et de reconnaissance, le paiement acquitté par l’auteur aux ancêtres, à la famille. Le ton n’est pas exactement à la confidence mais se dégage un accent de vérité, sans complaisance, pour les grandeurs et misères d’une vie.

Sous le titre Esthétique du massacre se décline une série de « car il est bon de dire… » Autoréflexivité permanente, déversoir maîtrisé de pensées, de sensations et d’émotions, avec en point de mire : la lune.

Elle  est  l’œil objectif du cosmos,
son  invariant ,   l’abord  brut  de
toute infamie. L’innocent comme
le  coupable  trouvent  asile en sa
bienveillance  ;  le  juge,  étranger
au  cours  des  choses, reste dans
l’ombre.

 Olivier Bastide, Ponctuation forcenée de l’ordre des choses, éditions TARMAC 2022, 63 pages, 15 euros.

Rage, absurdité, humeur noire… le quotidien s’invite au beau milieu de considérations philosophico-biographiques. Du grand Tout aux petits riens, l’amplitude des allers-retours et des méditations est à l’échelle cosmique et tente de balayer à 360 degrés cet espace de conscience, de contrastes et de diversité. Bon sens et sagesse, sensibilité et dérision, aspirations spirituelles et considérations prosaïques se succèdent. L’humour, ou quelques sourires devinés s’invitent au détour des phrases, des propositions. Le style reste sobre, ce qui renforce l’impact des questions soulevées. Elles flirtent avec les grands thèmes de la philosophie et dans un coin de notre tête résonne le célèbre « qu’est-ce que l’homme »  suivi du non moins célèbre Ecce homo.

La série intitulée Géométriques commence par Bataille à Hastings, là où, en 1066, Guillaume le conquérant commence à prendre possession du trône d’Angleterre. Olivier Bastide lui prend sinon possession, du moins une forme de contrôle de son  tumulte intérieur parce que la bataille engagée est de ne pas mourir. Puisque géométrie, la figure de l’angle est la façon habile de rendre hommage à René Char et une manière de se placer sous sa figure tutélaire. Et qu’est-ce qu’un angle sinon une façon de ponctuer l’espace….

Sous le titre A l’éveil nu, Olivier Bastide n’a pas embrassé l’aube d’été mais a « touché la peau du matin. » On suppose aussi que l’auteur est allé à l’Isle-sur-la Sorgue au cimetière, là où se trouve la sépulture familiale des Arnaud-Char-Magne, les prénoms du frère et d’une sœur, aînés de René Char, Julia et Albert, étant cités. Propos sérieux qui évitent de se prendre au sérieux, il y a dans les poèmes de cette partie comme plus de gravité, une envie, furieuse et oui, forcenée, de comprendre ce qui pourtant tient du mystère ou de l’infini, et qui mène à des accents existentialistes tant le questionnement d’Olivier Bastide pose le problème de l’existence individuelle déterminée par une subjectivité, laquelle détermine la liberté et les choix d’un individu. Quelques anecdotes sont rapportées, comme un test de lucidité, surtout ne pas se raconter d’histoires, ne pas être dupe et faire pleinement face à notre condition humaine avec le plus noble de notre humanité qui implique de se choisir une éthique. Et en cela se donner des raisons d’agir quand la vie elle-même apparaît comme n’ayant pas de sens. D’ailleurs n’est-ce pas de cette manière que valeur est donnée à la vie ?

Plus loin dans le livre et s’approchant de la fin du parcours, sous le titre Temps et contretemps, rythmes et météorologie, internes ou du dehors, sont soit à peine ébauchés, soit décrits, sous forme aphoristique le plus souvent :

Le soleil doit embraser jusqu’à
La  plus  infime parcelle d’être,
sans  cela  reste  en  germe  le
malheur.

Quand    s’ instaure   la    saine
accalmie ,      l’immobile     non
immuable, l’expansion de soi a
pour seule limite la foi.

Au bout du parcours, on trouve la mort, (à moins que ce ne soit la mort qui vous trouve). Dans poème pour Giulio, le beau-père de l’auteur décédé, se dégage une réflexion au sujet de ce qui nous attend : Enfer, Purgatoire, Paradis ? Car n’est-ce pas la question ultime ? Celle vers laquelle chacun s’achemine, et le poème en tant que témoin de la marche ne saurait éluder la question. Olivier Bastide s’empare du thème, joue à les imaginer à partir des représentations qu’on en a faites au cours des siècles, (Dante en particulier à qui l’auteur ne peut pas ne pas avoir pensé et qui de fait le convoque en filigrane), il joue à les  placer tous les trois sur notre terre, car qui dit qu’Enfer, Purgatoire ou Paradis sont obligatoirement du côté des morts ? Olivier Bastide dit ce qu’il en connaît, du côté des vivants, puisqu’être humain ayant traversé des expériences, et puis il doute :

Car dieu n’existe peut-être pas.
Car ce sacré Bien, ce sacré Mal
non plus peut-être…

Peut-être en effet ne sont-ils pas séparés, peut-être simplement sont-ils les deux extrémités d’une même qualité dont font preuve, dont sont capables les humains… Aucune réponse ne sera donnée. Mais une conclusion en forme d’au-revoir, sinon d’adieu, qu’on entend avec les roulements du tambour et la voix d’un monsieur loyal sorti un instant de la piste du cirque :

Mesdames et  Messieurs, le sujet
n’est-il plutôt   bien trop profane
pour  l’expurger   post-mortem …
Ces   derniers   mots  ne  sont  en
rien  une  interrogation,  plus un
constat  de  fin  de  poème,  une
lecture  quelque  peu  distanciée
de notre humaine comédie.

Si le but de la vie, ainsi que certains philosophes le pensent, c’est apprendre à mourir, on peut dire, après lecture de ce livre, qu’Olivier Bastide s’y prépare avec application, parfois sereine, parfois détachée, parfois amusée, parfois rageuse. Sans tricher. Et c’est là tout le charme de ce livre qui nous provoque gentiment, du moins qui nous interpelle.

Présentation de l’auteur




Marc-Henri Arfeux, Verger du cercle dévoré

Verger du cercle dévoré est un recueil sur la perte d’une mère, de la mère. Elle s’en est allée, brisant le cercle maternel, laissant l’enfant dévoré par le vide.  

Le poète Marc-Henri Arfeux suit les pas d’une présence qui s’estompe jusqu’à disparaître, puis s’éclaire de l’absence, « à la chaleur de l’invisible ». 




En une longue et sublime promenade poétique, il revisite chacun des endroits du « jamais plus ».  L’être aimée est en toute chose, pourtant nulle part accessible : « tes pas ne rencontrant que cendre/Au lieu qui fut baiser sous les talons/De la douceur » (p.7). Les poèmes du verger disent la cruauté des lieux lorsqu’ils sont désertés par celle qui seule « détenait la clé de l’amandier (p.8). 

Tout, désormais, dira ce vide. « Celle qui portait colombes/Et beau lilas d’enfance/Est maintenant la transparente/ Au grand azur cerné. » (p.7)

C’est l’hiver en ce verger. Il fait si noir au centre du jour et autour de la disparue, un noir qui œuvre à la disparition lente de l’enfance dans le passage des ombres, la lumière ne s’offrant qu’avec pudeur. Lumière inerte, spectrale qui, dans la pâleur obligée « referme le jardin sur la brûlure de l’amandier » (p. 27). 

La nuit est un cyprès
Qui tremble de silence,
Veillant poussière et nuit.

Seule une poupée lunaire
S‘adosse à son attente,
Les yeux tournés vers les étoiles. (p 8)


Marc-Henri Arfeux,Verger du cercle dévoré, éditions Alcyone, 2021, 40 pages, 14,00 €.




Il faut alors endurer le retour douloureux des matins coupants. Et le froid, plus vif que de coutume. Mais encore traverser l’écho de plus en plus fragile des rires, croiser les regards dérobés par le vent glacial, défigurés par une trop grande douleur qui consume le cœur, dévore l’esprit entre amour et colère, le livrant, sans retenue, à l'étreinte du silence. 

Où chercher, où se tourner pour conserver le visage de la mère, le dessiner dans les formes végétales, à la hauteur du chèvrefeuille et du rosier, l’entendre au vol des oiseaux.  « Sans fin tu cherches autour de l’arbre/Dont l’écorce est un seuil. » (p.8).

Marc Henri Arfeux nous conduit dans ce labyrinthe de l’absence, où s’éloignent lentement les traits du vivant, les champs de couleur et l’innocence de l’éternité : « Le vide est ce visage/Par acte de lointain,/Chemin de seuil se souvenant/Que la question se nomme absence » (p. 18)

Son écriture, fluide, presque évanescente dans la première partie du recueil, laisse s’écouler l’impalpable. Une écriture de givre, de neige qui pose un masque de brume sur la terre du verger et recouvre les cieux à la manière d’un linceul. Un inéluctable aveuglement « Au blanc naissant de l’ébloui » (p.17) brouille et déréalise le regard : « Blancheur des nuits/Infiniment sableuses/A dénombrer les nombres,/Tandis que sur la chaise,/La robe évanouie. » (p.5). 

Mais au cœur même de ce profond silence le temps poursuit son œuvre secrète. La nuit noire qui ouvre « les puits à la folie » (p.6) lève progressivement ses ombres, dévoile ses espaces infinies, ses présences irréelles. Et voici que l’âme de la défunte vient en visite dans le verger. De l’absence intolérable, « aveugle vide ouvert » naît la vision d’une mère magnifiée qui « manie les étoiles »  et fait chanter l’énigme du temps

Elle a les yeux d’abîme
Où naissent de grand oiseaux,
Les rougeoyants de l’ombre,
Avec leuts becs tenant l’épine ;

Et de sa bouche abonde incessamment
Le lait de cendre prophétique
Tandis que de ses doigts bagués d’oubli, 
Elle manie les étoiles. (p. 21)

A son flanc, « le long poignard d’étoile/Continue de chanter pour l’arbre mince,/L’enfance/Et les chemins d’attente,/ (p.32), de proférer quelques paroles comme des murmures lointains enfouis dans la sève des végétations. De cette magnificence, elle absorbe le trop grand désespoir, libère les éléments de tant de perceptions sèches et dénoue les tissages serrés du chagrin pour mieux le dépasser, peut-être même le consoler. A la source même de la perte, la vie revient en toute douceur tandis que la nuit dévoile ses espaces : « La nuit t’a dit : / Regarde ce noyau/Dans le désert d’un fruit. » (p.11)

Dans cette lente déambulation au cœur d’un réel abrupt, « Le jardin rouvre les seuils » (p. 35). Les lourds rideaux de pourpre se lèvent très lentement, donnant à la lumière du verger une tout autre tonalité, de nouvelles perspectives d’intimité. La matière poétique incarne avec profondeur ces mouvements de déplacements et de transfiguration entre l’insoutenable écrasement de l’impalpable et le rapprochement des objets, entre le dehors nu des matins d’hiver, brutaux, et la maison du soir dont la chaleur sensible recompose, entre les pierres du cercle maternel dévoré, un chemin de clarté. Jusqu’à définir les contours fragiles d’un espace qu’il devient possible d’habiter : « La nuit, tendue de cloisons fines,/Se fait maison de la clarté/Tremblante et nue/Dans la maison. » (p.36)

Nous le suivons ce long chemin frayé par les mots du poète, à la fois mouvement grandiose de ce qui revient et peuple la mémoire « de vastes chambres », et conscience d’une insurmontable perte : « Tu restes avec la pierre, /Buvant le vin funèbre/que tu partages/ Avec l’absinthe et le serpent. » (p. 27). 

De cette dernière demeure dont la profondeur est saisissante remontent encore quelques échos de voix, « un sourire d’indéfini » et des éclats de corps. L’aimée fait retour au cœur même de son absence, puis s’éloigne toujours plus apaisée, plus lumineuse, et, « dans sa robe ombrée de jeune hiver », elle « fait naître un pur avril » (p.33)

Marc-Henri Arfeux déplie en une lenteur poétique lumineuse autant qu’initiatique ce cheminement du deuil, dans la complicité du « très haut silence » et des recoins muets de la maison. Il en médite l’irréversible blessure, le met en musique et en espace, et ainsi le revêt d’images sensibles, intenses qui scandent la traversée de l’épreuve et lui donnent substance : Le deuil est ce chant de l’oiseau « Vibrant vivant d’un arc/Où le jardin du cœur./ (p.37), l’éclosion de l’amandier qui « refleurit dans le lointain/ Du presque adieu,/ (p.38). Et plus encore, il est l’ouverture de l’amande, « Et le verger devient/Ce double fruit d’espace » (p.39) dont l’absence est le noyau. 

Dehors n’est pas, 
Dehors n’est plus,
La seule a retrouvé présence
A la chaleur de l’invisible
Offert aux yeux par une absence. (p.36)




Présentation de l’auteur