Richard Rognet, Le Porteur de nuages

Les amateurs et défenseurs de vraie poésie, au nombre desquels je m’efforce de figurer, ne manqueront pas de se convaincre de la nécessité de lire le dernier recueil de Richard Rognet, dont il est question ici. 

Je me souviens en d’autres temps avoir relevé quelque part dans une revue de poésie contemporaine pilotée par un poète ami, que trop de recueils sont inutiles. Dont acte. L’auteur du présent ouvrage, rompu depuis des décennies à l’exercice de l’intime et de l’authenticité, fait encore une fois la démonstration du contraire, tant son propos sonne juste et clair. Les habitués de son œuvre seront sans doute quelque peu déroutés, davantage par la forme que par le fond. Quatrains et tercets en vers libres s’enlacent pour tisser un maillage de lignes de forces qui convergent vers le ciel, comme une évidence qui nous dépasse. Une grandeur qui procède à la fois de l’écriture et s’en absout, ne serait-ce que par la beauté heureuse des fleurs. Nous ne sommes pas très loin du vers fulgurant d’Arthur Rimbaud : La main d’un maître anime le clavecin des prés et de ses résonnances qui traversent toute la poésie moderne. De page en page, nous suivons Richard Rognet dans sa pérégrination intérieure, où son verbe exprime sa pleine maturité. Porté par un temps qui fait et défait le monde, le poète se fait messager / des étreintes amères sans renier pour autant les enchantements clairs / de l’enfance. Et c’est cette oscillation permanente entre le clair et l’obscur, cette lucidité précise, aussi nette que l’acier, qui convainc sans peine le lecteur qu’il a affaire à du grand art. Nul propos qui ne soit pesé à l’aune de ce qui fait l’essentiel de notre existence, que les frôlements indicibles du silence rendent habitable. Richard Rognet sait à quel point la disparition et l’absence sont à l’œuvre au sein de la vie elle-même, et combien elles en délivrent toute la saveur.

Richard Rognet, Le Porteur de nuages, éditions de Corlevour, 2022, 80 p, 15€.

Il demeure d’ailleurs sans illusion sur la vanité de l’écriture et l’impuissance des mots, leur préférant une sorte de détachement apaisé. Alors oui, lire un poète comme Richard Rognet est nécessaire. Non pour passer le temps ou consommer des mots, mais pour se confronter, par la grâce d’une écriture des plus raffinées, à la réalité de la vie et au mystère d’être au monde.

 

Présentation de l’auteur




Lea Nagy, Le chaos en spectacle

Quel est ce chaos offert au regard qui donne son titre au recueil mais aussi à un poème énigmatique dans lequel Lea Nagy « caresse l’incaressable » ? On ne le saura pas vraiment, mais on le vivra assurément.

La caresse est geste de surface. Lea Nagy effleure (par petites touches quasi impressionnistes) pour laisser le lecteur pénétrer par lui-même dans ce qu’elle nomme « l’incaressable ». Dès le premier texte, elle l’immerge dans une atmosphère prégnante faite d’absence, de vide, de silence et de mélancolie. Un monde dans lequel les vivants restent dans l’ombre, le non identifiable, l’anonymat. L’angle de vue évacue les descriptions de contacts physiques et privilégie l’évocation de situations. On a devant les yeux des images qui font penser aux toiles d’Eward Hoppler.

Mais Lea Nagy surprend à chaque poème, et si le questionnement et la nostalgie s'insinuent dans de nombreux vers, si les hésitations nous envahissent car Nous bégayons tous, chacun à notre façon1, des images furtives laissent affleurer une émotion maîtrisée et discrète (les plus grandes émotions ne rendent-elles pas la parole muette ? ). Le rêve entre dans le poème Comme cela, comme ceci : /c’est ça le rêve. / Dans cette cavité douce, / où le réel n’a pas de signe et soudain, au détour d’une page, une lumière fulgurante vient éclairer le chaos : Dieu m'a embrassée en silence et de manière inattendue.

Il y a dans ce livre une succession de rencontres qui n’en sont pas ou qui ont pris fin, au cours desquelles les êtres sont  « ensemble séparément », la seule rencontre possible s’effectuant avec l’invisible et le divin. Lea Nagy dialogue avec l’au-delà, invite musiciens et poètes défunts comme Bartok, Pilinszky ou Géza Szocs à partager ses instants de vie.  Le présent se veut un hors-temps où se mêlent passé et futur, instant et éternité.

Lea Nagy, Le chaos en spectacle, préface de Patrice Kanozsai, traduction du hongrois par Yann Caspar, Éditions du Cygne 2022, 68 pages, 10 €.

Si le chaos domine le recueil, il n’en est rien au niveau de la forme qui vient en contrepoint de la juxtaposition de faits intimes où la violence côtoie la douceur, la perversité la candeur et l’innommable le dérisoire : aux images inattendues et hétéroclites s’oppose une écriture rigoureuse, structurée, précise, mesurée, lapidaire et sibylline dans une mise à distance qui à elle-seule justifierait le terme de spectacle. Car il y a construction, scénographie élaborée faite de répétitions, de jeux de lumière, de mises en abîme du poème dans le poème :

tout cela devient de plus en plus intense
ici et maintenant. Je devrais écrire un poème,
moi Pilinszki et Bartók,
dans cette chambre.

Ainsi le chaos s’organise à travers l’écriture poétique, devient un spectacle qui attire le regard pour le précipiter dans un surgissement de non-dits, de figures connues et inconnues, parfois terrifiantes et fantasmatiques, parfois nostalgiques et désenchantées mais toujours surprenantes (les cheveux de Bartok pourrissent dans le brouillard, une amante apparaît comme un grand violon déprimé…)

N’oublions pas ces quelques moments de grâce au cours desquels Lea Nagy entre en communion totale avec une nature rendue à sa virginité, d’où l’humain est écarté, où seul règne le silence. Le silence est roi. Le silence est moi.

La poésie est chemin de connaissance. Lea Nagy a entrepris de mieux se connaître à travers l’écriture. Mais le rendez-vous n’a pas eu lieu et le livre se termine dans l’inachèvement.

Je suis horrifiée.
Par çà.
Que mes phrases
ne sont pas finies,
que j'en ai pas su plus
sur moi-même

Pourtant l’inachevé est
sans fin
et ce qui est sans fin est éternel.

Mais à quoi bon l’éternité ? se demande-t-elle. Aurait-elle la possibilité d’en apprendre davantage sur elle-même ? Rien n’est sûr, et le doute renvoie à l’un de ses aphorismes des toutes premières pages du livre : Plus l’homme sait, plus il a tendance à interroger ce qu’il dit.

Saluons la belle traduction de Yann Caspar qui nous permet d’entrer dans ce chaos d’ombres habité d’étincelles apocalyptiques.

Parlant de sujets dont on ne peut parler, enterrant votre âme à chaque instant, Lea Nagy inquiète tout autant qu’elle séduit. Dans la préface plus qu’élogieuse de Patrice Kanozsai (l’éditeur), ce dernier qualifie le livre de merveille poétique. « Je vous le dis, il faut avoir encore du chaos en soi pour donner le jour à une étoile qui danse.2 »

Notes

[1] Épigraphe de Lea Nagy en début de recueil.

[2] Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra.

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Cypris Kophidès, La nuit traversière

On connaît la flûte traversière. Voici que l’on découvre la « nuit traversière ». C’est celle qu’évoque Cypris Kophidès dans un court recueil de 20 poèmes en édition bilingue (français-grec). Comment, la lisant, ne pas penser à L’Hymne à la nuit de Jean-Philippe Rameau - dont il existe des partitions pour flûte traversière - même si l’autrice nous propose plutôt une vision onirique de la nuit, peuplée de songes mais aussi de cauchemars. Avant que la lumière ne vienne tisser un « espace de lumière et d’ardeur ».

« La nuit ne parle que du jour », affirmait Maurice Blanchot. On le ressent profondément à la lecture de cette nuit traversière qui là est pour sonder, au sein du cosmos, le mystère de l’être humain, capable à la fois de sauvagerie foncière comme d’humanité rayonnante. « L’ombre chuchote que seule la cruauté est salutaire », écrit Cypris Kophidès. « Le regard des grands fauves s’allume du désir des proies ». Oui, la nuit traversière peut être cette « nuit de fuite où les poignards parlent » et où « la lune noire perd son sang/entre les jambes des femmes ».  La poétesse nous dit, sur l’espace/temps d’une nuit, ce qui agite à la fois le cosmos et l’humanité. Place, en effet, aux frayeurs, aux rêves, aux cauchemars. « Tout tourbillonne dans les labyrinthes de ténèbres palpables qui se nichent au cœur de l’âme des choses », notent Katina Vlachou et Vassilis Pandis , dans la préface de ce petit livre. Mais il existe, ajoutent-ils, « une lumière qui émane des ténèbres ».

Voici, en effet, « la lumière des regards » ou « l’amour qui fait persévérer les étoiles ». Voici l’aube avec « la plénitude aiguë d’un chant d’oiseaux ». Arrive le moment où « le jour se déploie »,« les petits enfants clignent des sourires embués ». Il a fallu, pour cela, traverser une nuit peuplée de rêves avec tout son cortège de mystères. L’écriture de Cypris Kophidès témoigne elle-même, par une forme d’opacité, de l’énigme profonde contenue dans la nuit.




  Cypris Kophidès, La nuit traversière, Diabase, 57 pages, 10, euros.

Le poète iranien Sorab Sepehri parlait de « la nuit de bonne solitude » et des « pulsations humides de l’aube ». Cypris Kophidès le rejoint souvent dans sa propre évocation de la « nuit immobile » ou de « l’opacité du silence ». La même ardeur, chez les deux auteurs, pour associer la nature tout entière à l’évocation de la  nuit et pour témoigner de « ce temps immobile/que traverse une musique/errante ».

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Claude Luezior, Sur les franges de l’essentiel suivi de Écritures

Infatigable poète et penseur, Claude Luezior réfléchit sans cesse à l’Histoire décevante de l’humanité, à ses défaillances et injustices qui persistent au fil des siècles, mais aussi à la poésie et aux poètes qui s’érigent contre le mal de toute sorte dans leur appel au bonheur de la vie.

Son nouveau recueil Sur les franges de l’essentiel suivi de Écritures est conçu d’une manière particulière, le poète y met ses réflexions en poèmes, effluves de pensées et de sentiments, et en prose poétique. Ainsi la voix du poète renforce-t-elle celle du penseur, la poésie et la métapoésie se donnent la main pour nous faire réfléchir à l’évolution de l’Histoire  toujours tragique et au langage de la poésie au fil du temps.

Son livre s’ouvre avec le « Liminaire », un discours sur le besoin de l’homme de graver son empreinte sur la Terre, de la préhistoire à nos jours, avec les moyens de chaque époque : peintures sur les parois des cavernes, parole inscrite sur les tablettes d’argile ou de cire, sur le papyrus ou imprimée sur papier depuis la découverte de Gutenberg, absorbée par le nouveau langage des médias, globalisé, « sans foi et loi ».

Le poète dessine le visage d’une Histoire qui s’avère « une chanson de sourds » où les poètes, « une érigie de fous », se heurtent aux politiciens véreux, « aveugles », indifférents au langage secret de l’art, une histoire à laquelle il refuse de se plier, dénonçant ses défaillances, ses combats de la mort. 

Claude Luezior, Sur les franges de l’essentiel suivi de Écritures, éditions Traversées, 2022, 128 pages, 25 Euros.

La poésie devient alors une sorte d’aube qui sème de la lumière dans les ténèbres du temps historique malheureux. Et le poète s’ouvre tel un coquillage où « luisent tous les désirs ».

Claude Luezior aimerait nous rendre conscients de l’essentiel de la vie, ce don merveilleux que les gens ne cessent de dégrader par leurs envies destructives, par leur orgueil maléfique du pouvoir qui conduit vers l’absurdité des guerres fratricides et abominables.

Sa plume dénonce et interroge une Histoire tragique, de « batailles, traîtrises et massacres », « les affres et les tragédies », « la schizophrénie ambiante » de coloniser, l’avenir en danger, asservi à l’intelligence artificielle qui prend le dessus sur « l’intelligence du cœur ».

Engagé, le poète se fait le porte-parole de la souffrance humaine : il veut avertir sur le danger d’un avenir asservi aux technologies, sur une « agonie que secrètent des siècles d’indolence ». Il ne cesse de questionner l’homme et sa « folie inventive » qui va contre l’homme. Il parle au nom de l’art, de la parole poétique, lave d’un volcan et empreinte de l’existence sur la Terre.

Face à la mort qui guette de partout, car la finitude biologique de l’homme est une vérité

incontestable, face aux horreurs et à la folie humaine, le poète se demande pourquoi il n’aurait pas le droit de régner dans l’Empire de la poésie, de faire de la vie un acte de courage, de dignité, de joie, de se livrer à l’espoir de « délivrer la vie de son tombeau le plus obscur » :

goûter ce brin de vie

et sa goutte éphémère

 juste à l’instant sacré

me nourrir d’enluminures

prendre la pause d’un émerveillement

quand la fraîcheur

d’un bocage

féconde nos mains

de frémissements

Le poète s’engage à dire la vérité si douloureuse qu’elle puisse être, mais aussi l’espoir à la vie, sa foi en l’art authentique qu’il oppose au virtuel qui mêle tout, déforme le réel y compris le langage, règne en maître absolu sur un présent asservi. Il le fait à sa manière, avec ardeur, révolte, ironie et sarcasme, incessant combattant sur les barricades du Verbe.

Si dans la première partie du recueil, Franges de l’essentiel, Claude Luezior réunit délibérément poèmes et prose, dans la deuxième partie, Écritures, il nous parle en petites proses poétiques, s’ouvrant parfois à la confession de l’écriture, au tourbillon des mots qui assaillent le cerveau du poète jusqu’à leur mise sur la page sous l’éclairage des phrases qui construisent un sens, car l’artiste « tourmente ses phalanges ». Il réfléchit à l’écriture, « une meute de mots, une émeute à l’intérieur de soi », « un acte dangereux », « une mise à nu avant l’immolation »,  un « acte irréversible où l’écrivant avoue sa condition humaine au bord de sa mise en cendres ».

Dans l’écriture « se tordent les âmes dans l’espoir d’un salut », car le poète joue avec « ses rêves d’éternité », sa plume fiévreuse fait danser les ombres de tout ce qu’il a vécu, ainsi se fait–il acteur et témoin de l’Histoire. C’est pareil dans la peinture à laquelle Claude Luezior fait souvent référence dans son recueil, mais aussi dans ses essais et dans ses livres d’artiste. Le choix du poète nous semble très inspiré pour la couverture de son livre :  la peinture de Jean-Pierre Moulin illustre à merveille la tourmente intérieure d’où jaillit la création.

Présentation de l’auteur




Marilyne Bertoncini et Florence Daudé, Aub’ombre, Alb’ombra

Quelle belle idée que cette rencontre, dans la pénombre, des vers de Marilyne Bertoncini avec les photographies de Florence Daudé, pour une réconciliation de l'ombre et de la lumière, leurs épousailles engendrant une lueur tout en nuances et en force dans le même temps.

Dans sa préface, Giancarlo Baroni souligne combien « Il est difficile d'associer images et mots, de les faire dialoguer », que les uns ne l'emportent pas sur les autres et réciproquement. Pari réussi pour ce livre. C'est l'intérieur empreint de mystère de l'église St Michel de Nantua que Florence Daudé a photographié. Plus que les éléments constitutifs de cette abbatiale d'influence clunisienne, c'est bien, selon ses propres mots « la promesse d'une lumière au fond des gouffres les plus noirs, la certitude que sur la nuit s'ourle toujours le début d'un nouveau jour. », ce qu'énonce Marilyne Bertoncini dès les vers initiaux :

Au début l'ombre
avant le premier balbutiement de l'aube

All'inizio, l'ombra
prima del primo balbettio dell alba

 

Marilyne Bertoncini et Florence Daudé, Aub'ombre / Alb'ombra, éditions pourquoi viens-tu si tard ?, Nice, 2022, 100 pages, 15 €.

Car il s'agit d'un livre bilingue français-italien, cette dernière langue, ajoutant par sa musicalité intrinsèque, un supplément de chant.

Les poèmes sont brefs (de deux à huit vers), concentrant l'essence des sensations.

Au début, l'ombre
et la main qui tâtonne où la pensée trébuche

Le livre est construit en trois parties : Première, deuxième et troisième leçon des ténèbres, référence aux Leçons de ténèbres pour le Mercredi saint écrites par le musicien François Couperin pour les liturgies de la semaine sainte de 1714. Marilyne Bertoncini explique à propos de son travail : « la musique de François Couperin s'est immédiatement greffée sur mon imaginaire – sans doute parce qu'entre-temps, j'avais moi aussi éprouvé le mystère de cette église, dépouillée et sonore, dans laquelle j'avais ressenti ce que l'orgue ou le chant pouvaient y produire. »

Une musique propre à l'église, en correspondance avec les teintes de la pierre, la lumière filtrée par les vitraux, dans les grands pans d'ombre, une musique intérieure aussi sans doute, est exprimée dans les vers de Marilyne Bertoncini :

Du bleu obscur émerge puis s'éteint
poignante une lueur
qui sourd à peine dans le silence

Puis :

non, sourd ne convient pas -
l'abbatiale est sonore
et toutes les formes bruissent dans l'absence de voix

Comme la lumière et l'ombre indissociables – d'où le néologisme AUB'OMBRE créé par l'auteure et qui sert de titre à l'ouvrage – le silence propre aux églises, ce silence habité pour qui se laisse pénétrer  par le mystère trouve son écho dans un chant, un murmure assourdi que l'on ressent au dedans de soi.

Si les photographies de Florence Daudé montrent les colonnes, les vitraux, les voûtes, la statue d'un ange, ainsi que peuvent le faire les mots de Marilyne Bertoncini, les images comme les vers transcendent la simple réalité objective :

Et les fûts fantômes de forêts debout
obscurs simulacres de formes

Ou encore :

Immatérielle la lumière flotte derrière les vitraux
le verre la porte et la transmue

C'est bien cette alchimie de l'art poétique ou photographique qui transforme l'objet simple et vulgaire en quelque chose de hautement noble.

la couleur lève comme une pâte
et la lumière est son levain

Toutes ces promesses de beauté des éléments architecturaux, de leurs symboles, des jeux subtils de la lumière sont ici tenues, dans ce livre de grande élégance.

Présentation de l’auteur




Denis Emorine, Foudroyer le soleil

Le recueil bilingue de Denis Emorine, poète français né en 1956, s’insinue dans des thèmes dramatiques : l’exil, la séparation d’avec les êtres chers, les amours perdus, l’Est qui a connu tant de bouleversements.

La douleur est au cœur de ce récit en poèmes, où les femmes ont une place de choix. Le poète n’a pas pu les oublier et il verse des larmes sur ce passé enfui.

Dans de brefs poèmes qui cisèlent les blessures de ces exils, le poète traverse le temps, énumère les prénoms aimés, mais la mort s’impose, le chagrin aussi, la déperdition si brutale.

L’auteur a la sensation vive de se « débattre » dans un monde où tout lui échappe. Et que reste-t-il ? « Quelques poèmes » qui évoquent les beaux jours.

Le souvenir des moments partagés, les forêts de l’Est, « les mots abandonnés », les « assassinats », tout ôte « la lumière de la page », comme un exil aigu.

A force de me tourner vers l’Est
j’ai perdu le sommeil
Les voix de l’exil m’ont rejoint
je les sens tout contre moi
leur souffle chaud

(p.56)

Denis EMORINE, Foudroyer le soleil – Fulminare il sole, Ladolfi editore, 2022, 120p, 12 euros. Traduit de l’italien et préfacé par l’éditeur Giuliano LADOLFI.

Ecrire
a le goût de l’exil
depuis si longtemps

(p.106)

 

Le titre symbolise bien cette lutte intime avec la lumière fulgurante, à la fois déchirure et élan.

Présentation de l’auteur




Martine-Gabrielle Konorski, Adesso

Ce dernier livre se présente comme une suite de proses poétiques ayant chacune un titre en italien. Le titre général « ADESSO » (« présentement », « à présent »), nous entraîne à vivre divers moments d’un vagabondage, d’une pérégrination, une ballade au sens musical du terme, comme il est précisé dans le sous-titre.

Martine Konorski nous indique que ce texte est né lors de mes voyages en Italie, particulièrement dans les Pouilles, lorsque je me suis retrouvée sur les traces de Pier Paolo Pasolini écrivain, poète mais aussi cinéaste. Le livre lui est ainsi dédié, ce dont témoignent les deux exergues empruntées à deux de ses livres (dont l’un au titre évocateur de « La longue route de sable », dont on trouvera maints échos dans ADESSO), ouvrant et clôturant cette balade littéraire, faisant référence à des périodes de paix, de calme, de bonheur du poète italien.

Ainsi, au cours de ces vingt et un petits tableaux, le narrateur, personnage masculin dont on ne connaît ni le nom ni l’origine, nous convie à partager les témoignages de rencontres de femmes, d’hommes, de villageois anonymes. Ils constituent autant d’instantanés de différents vécus qui se croisent et qui s’enchaînent dans un même mouvement d’ensemble, une même atmosphère à la fois dense et légère. Ils nous sont offerts comme les états d’une rêverie propre à une communauté de vie qui ne sont pas sans solliciter en nous d’autres souvenirs de pérégrinations antérieures...

Martine-Gabrielle Konorski, Adesso, Black Herald Presse 2021, 47 p.

C’est dans dans une belle disposition d’écoute, d’attention, de sollicitude, de curiosité, que le narrateur découvre un monde aimé, en cette Italie du sud, dans la chaleur et la lumière d’une saison à la fois estivale qui pourrait être étrangement tout aussi bien hivernale (puisque dans le texte 18 « Incontro sotto l’ulivo », un personnage féminin cueille les olives).

Il y a donc là un ensemble d’ingrédients regroupant les éléments thématiques d’un tropisme déroulant, en des paysages  de mer, de montagnes, de villages accrochés aux rochers, de terrasses et de champs d’oliviers, les moments privilégiés de vies paisibles dans une quotidienneté insouciante, joyeuse, incluant des notations d’ordre culinaire, la description des commerces, du marché, des fêtes, au coeur d’une communauté villageoise avenante, hospitalière.

Dans ces tableaux, plans de cinéma de cette « Italia Magica », certains thèmes tiennent une place prépondérante comme l’évocation des couples d’amoureux (huit fois, au total) en de touchantes scènes au bord de la mer, sur la plage, aussi légères que baignées de douceur dans la lumière aveuglante, ou de l’intensité tendue par le drame ; il y a ainsi une marche pensive des protagonistes, des signaux vibrants d’intimité, tandis que les regards se croisent. Le narrateur, s’en émerveille et laisse parfois transparaître un sentiment de nostalgie et même de regret : Personne ne m’attend, exprime-t-il. Il évoque également un amour de jeunesse, Federica, dont le regard vert me transperce.  Là encore, s’exprime le poids de la mémoire heureuse, de la rencontre désirante.

Ailleurs, il y a la visite à une vieille tante la retrouvaille d’une parente. Et puis encore, cette Anna offrant le gîte au narrateur, qui est une autre occasion d’une retrouvaille toute de douceur et de tendresse. Mais : je suis seul. Anna a disparu, se dit-il : ainsi s’etompe tout souvenir qui avive en même temps la sensation du bonheur évanoui.

Dans le texte Nulla si muove le silence et l’immobilité, prévalent en un pays qui est une langue de terre rouge dans les figuiers de barbarie. Il y a aussi ces visites à des lieux emblématiques, tels que la visite à la maison de Modigliani, ou bien à Matera Bella, village troglodyte qui incarnait l’enfer sur terre, où fut tourné le film L’évangile selon Saint Mathieu par le poète cinéaste.

Tels que de légers tableaux impressionnistes, ces récits poétiques, placés sous le signe d’une même unité de temps, d’espace et de lieu, demeurent comme autant d’instants éternisés qui viennent s’imprimer en nous, vifs éclats de lumière dans la nuit de nos souvenirs. Fictions en réminiscence, étayés sur la force de l’imagination créatrice, qui ancrent tout uniment le mouvement d’une palette d’émotions réitérant un « maintenant »  (ADESSO), inaltérable : celui de l’exaltation colorée de la sensibilité.

      




Philippe Lekeuche, L’épreuve

J'ai une sympathie pour les poètes belges : Roger Bodart, Jean-Claude Pirotte, William Cliff, Philippe Leuckx, Guy Goffette... J'y ajouterai désormais Philippe Lekeuche.

Dans le Préambule à son livre, l'auteur écrit : « Depuis 1966, je suis dans cette pratique étrange : faire de la poésie. Je n'écris jamais « écrire » mais « faire », comme on ferait corps ou comme un berger ferait paître son troupeau. » On aura compris l'exigence. Et plus loin : « cette pratique de la poésie exige des renoncements, et même le sacrifice – je le souligne -, la question restant ouverte : le sacrifice de quoi ? On ne le sait pas, on l'apprend avec les années, dans l'endurance. Je veux dire qu'on le vit, c'est une épreuve. » D'où le titre du livre : L'épreuve.

Poésie élégiaque et transcendantale. Élégiaque, elle l'est dans ses évocations de l'amour, de la mort, de la perte...

Sans remède est notre vie
Et si le ciel se terre en nous
Nous attend la tombe

 Ni la Poésie, ni l'autre
              ne guérissent de soi
Même l'errance est impossible

Philippe Lekeuche, L'épreuve, éditions L'herbe qui tremble, 2022, 85 pages, 14 €.

 

On songe à Rilke : Mais les Errants, dis-moi, qui sont-ils, ces voyageurs / fugaces un peu plus que nous-mêmes encore, hâtés, pressés, / précipités très tôt - pour qui, mais par amour pour qui / -  poignés / par une volonté satisfaite jamais ? (in La cinquième élégie de Duino)

On notera, chez Lekeuche, la majuscule systématique à Poésie, ainsi qu'à Beauté, etc. comme autant d'Idées, au sens platonicien, c'est à dire réalités supérieures au monde sensible, C'est là ce qui nous amène à la dimension transcendantale : Ich rufe zu dir, tu n'entends pas (on verra bien sûr la référence au choral Ich rufe zu dir, Herr Jesu Christ que l'on retrouve dans une cantate de Bach), Ich rufe zu dir (je t'appelle, tu n'entends pas), page 58. Et encore, page 36 : O crux salve, spes unica (Salut ô Croix, unique espérance). Mais ce n'est pas que seul rapport à une foi chrétienne, plus largement à un indicible :

Hélas, les poèmes venaient toujours
Je ne les voulais pas, les repoussais

Était-ce que la Grâce
Fût plus douloureuse ?

Car l'homme orgueilleux
Croit parler

Quand le petit chien
Privé de langage

En dit plus

Ou encore :

Oh, la luciole maintenant au Ciel
Presque près de moi !

Oh, tu es ma vie, Poème, sois
L'enfant des ténèbres !

Oh, quelle douleur si belle
Enfante la joie !

Oh, quel salut, survivre en toi
Poésie, pas faite de mots !

Car, pour Lekeuche, la Poésie, celle-là qui mérite majuscule, n'est pas faite de mots, produite par des mots, plutôt une entité absolue que révéleront (et trahiront) les mots qu'elle (je suis tenté d'écrire Elle) a suscités. Quant à celui qui tente au plus haut point d'en approcher le mystère, il ne peut que dire son impuissance et son ignorance :

Je
Ne me prends pas pour
Moi-même
Ni pour toi
Ou pour l'Autre
Ni pour Je
Si
Étranger

Clin d’œil à Rimbaud, sans doute, Poésie du funeste, certes : Ce gouffre avale tout, adieu lyrisme ! / Me voilà éparpillé parmi les tessons / Vase irréparable de ma vie mais avec cette lueur dans le dernier poème du livre :

Je vivais dans la catastrophe, assis
                       sur le séjour des choses mortes
Et dans la brume, amour, toi seul
                       semais des étoiles

Je les ramasse parmi mes décombres
Alors refleurissent mes ruines
Ceux qui s'aiment sauvent
                       leur propre désastre

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Chantal Dupuy-Dunier, Cronce en corps

Chantal Dupuy-Dunier reprend autrement son histoire avec Cronce, petit village que son art a rendu mythique. Dans Creusement de Cronce1, déjà elle recueillait la parole vivante des pierres avec lesquelles elle entretient toujours un rapport intime d’autant plus que le prénom Chantal signifie caillou, pierre. Avec Pluie et neige sur Cronce Miracle2, s’est poursuivie la sculpture du lieu, enrobant passé et présent. Il semble qu’elle aille plus loin ici dans l’appropriation du village qu’elle identifie à son corps. 

Dans la première et la dernière page, se trouve une allusion à Orphée : « un dernier regard et tu aurais disparu. » Cependant, c’est avec sa chair, avec son sang que l’auteur fait exister encore ce lieu où s’ancrent ses racines. « Ton souvenir est-il un présent / ou un maléfice ? » Pour marcher encore, elle a besoin d’y revenir et même de s’incarner en lui. « La rivière continue à creuser son lit dans ma peau » ... « je respire par tes mains » ... « tu parles par mon ventre, mes poumons, ma gorge. » De manière pudique, elle évoque la violence de la maladie qu’elle a subie : « Sang de ma chair où le scalpel a tranché. » Mais elle puise dans la verticalité des arbres celle de ses jambes et aussi une grande force dans la sensualité du corps et des mots toujours présente dans ses recueils : : « entre mes cuisses, / la mousse de ton sous-bois » ... « mon sexe est ta vallée. » Le berceau qui l’a accueillie deviendra tombeau, elle le sait et l’imagine : « lorsque ma gorge demeurera béante sur un dernier mot, / peut-être ton nom, /tu te tairas avec moi ».

Ainsi l’écriture tente de s’opposer à l’effacement, à la mort, comme les monotypes de Michèle Dadolle, qui depuis 20 ans, accompagnent superbement la poétesse dans ses chemins d’ombre et de lumière. 

Chantal Dupuy-Dunier, Cronce en corps, Monotypes de Michèle Dadolle, Les Lieux-Dits, Les parallèles croisées, 2022, 87 pages, 18€.

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Forêt(s) : Anthologie

Honnêtement, à la réception du livre que j’avais souhaité chroniquer, ma première réaction fut  « Dans quelle galère me suis-je embarqué ? » ; je n’avais fait mon choix qu’en fonction du titre et de la photo de couverture. Comment rendre compte en effet d’une anthologie ? Qui plus est, une anthologie thématique : Forêt(s).

Puis, j’ai passé la lisière, je me suis engagé, décidé : prenons les choses autrement, commençons par l’intention du recueil : un hommage rendu à Alain Boudet, poète et fondateur de l’association devenu maison d’édition « Donner à voir » ; je ne connaissais pas Alain Boudet, ni personnellement ni même comme poète et, après une première lecture du recueil, je me suis dit c’est bien dommage… un homme qui a laissé derrière lui une maison d’édition, suscité tant d’amités, j’aurais bien aimé… il reste toujours ses poèmes…

Reprenons : Alain Bourdet fut donc le fondateur, ou l’un des fondateurs, disons la cheville ouvrière, d’une petite (mais nous y reviendrons) maison d’édition qu’il avait appelée « Donner à Voir » en hommage à Paul Eluard ; effectivement DAV ne donne pas seulement à lire ou a entendre (la poésie, même lue en voix intérieure, est toujours orale n’est-ce pas), mais aussi à voir ; en effet, sous ce titre, depuis 1984 un groupe de poètes, de graphistes mais aussi de peintres, de sculpteurs ou d'amis de la poésie se sont regroupés en association pour promouvoir la poésie sous toutes ses formes, en l'associant au besoin à d'autres langages artistiques. Les curieux iront avec profit consulter le site http://www.donner-a-voir.net/qui.html

Forêt(s) : Anthologie, juillet 2022, 56 pages – 978-2-9000-12-161. Prix : 9,00 €

Le recueil « Forêt(s) » est donc l’un de ces livres, publié dans l’une des quatre collections de la petite maison d’édition :  « les petits carrés » qui propose, pour un prix modique, des petits livres imprimés sur des papiers rustiques recyclés de 16 à 48 pages. Chaque livre au format 14 x 14, fruit d'une collaboration entre un poète et un plasticien, se trouve être imprimé en autant d'exemplaires que l'année compte de jours: 365 ou 366 – symbolique humoristique - et est accompagné d'un marque-page et d'une enveloppe en papier rustique.

Jusque là, facile de décrire et rendre compte ! Sauf que « forêt(s) » est une anthologie : 54 pages contenant 40 poèmes et des illustrations gravures de 46 arboricultrices et arboriculteurs, comme l’indique malicieusement l’index de fin d’ouvrage ; dans cet index, les artistes sont classés non par ordre d’apparition mais par ordre alphabétique, embroussaillement très certainement volontaire, très sain refus de la hiérarchie. Autrement dit : « lisez les tous et votre goût reconnaîtra les siens » ; pour compléter le tout, cherchez l’erreur, pour 13 œuvres graphiques différentes, seulement 6 illustrateurs… certains poètes étant aussi dessinateurs ou graveurs. Tout ça fleure bon (langage végétal encore pour arriver à la Forêt), tout ça fleure bon donc la complicité, l’amitié,  l’hybridation, la vie.

Chacun l’aura compris, c’est foisonnant, j’allais écrire buissonnant, à souhait ; varié et libre comme une vraie forêt (pas les plantations de pins, uniformes et monotones que l’on voit un peut partout en guise d’espace vert ou d’équivalent carbone), avec des sentes, des sentiers, des chemins creux, des frondaisons plus régulières, presque au cordeau, d’autres clairsemées, des arbrisseaux, et des troncs et des pierres moussues, tordues.

Bref, le titre – au pluriel - est doublement précis : thème et foisonnement ; toutes les essences, tous les styles y sont: trois proses poétiques, un sonnet canonique, des vers libres (totalement et graphiquement), des rimes, des vers mesurés ou non, assonances… et vers chantant (p9 Alain Boudet justement : Ce n’est pas un arbre d’usage / Cet oranger des Osages / Un arbre de voyage caché dans le barda / […]) , d’autres plus conceptuels, plus informels ou même poèmes écrits à deux mains (p32), des clins d’œil  (p17 Naître on ne pas naître ? / Un moment de grâce / Mes dés n’ont pas encore roulé ; ou p 39 Même si c’est un détail / « L’arbre qui cache la forêt »/ a de beaux jours devant lui), des jeux de langage, genre comptine (p34 Loup y es-tu ? Qu’entends-tu ?/ Le hibou qui veille/ En son chêne /…), jouant parfois de l’aphorisme, ton badin ou grave, des historiettes plus ou moins légères et chantantes à la Prévert (p 23 Un beau chêne isolé / En lisière de forêt / Rêva un jour / Qu’il était un pin / Maritime / En bord / De falaise / Et se mit / Une nuit / D’ivresse / A pencher / grisé par le vent ; ou encore p34 Dans les forêts/ Il y a toujours un loup qui s’habille / - Je mets ma chemise / pour croquer les petites files / Je mets mes chaussettes /….) ou à la Desnos, aucun rapprochement n’est ici comparaison bien évidemment (p49 Sous la scie / L’arbre crie / Pleure / larmes de sciure / Larmes de sueur / […]) ; de simples descriptions poétiques et des métaphores  imagées (p51 […] / Deux vieux hêtres / à bout touchant // Le temps aidant / se frôlent se frottent / s’enlacent s’embrassent / et se soudent / pour le restant / de leurs jours.)

J’ai évoqué plus haut les senteurs d’amitiés, les fragrances de complicité qui émanent forcément d’une telle entreprise mais on l’aura compris, ce n’est pas la complicité rance dont parle Camus disant de je ne sais plus qui « Ils ne sont pas amis, ils sont complices ! », car dans cette entreprise rien n’est concédé : la qualité est partout à sa place. Comme dans une forêt chacun est libre de préférer une essence à une autre, plutôt chêne, hêtre, frêne ou boulot, mais ici nulle concurrence ou hiérarchie dans les frondaisons, tous sont beaux et nécessaires à l’ensemble Forêt, d’où le S entre parenthèses du titre, venant souligner la diversité des genres, formes, fonctions…, aucun arbre ne cache l’autre, si ce n’est peut-être pour l’ombrager ou l’accompagner…

Pour finir, si « Les arbres coupés / Donnent de temps en temps / De leurs nouvelles (p35) » je voudrais ici offrir et donner à entendre à cette belle équipe d’artistes, ce court poème, de Henri Michaux, dont j’ai oublié les références :

Debout un poteau à deux jambes donc un homme
près d’un autre qui n’en a qu’une
et ronde tout à fait : donc un arbre

Comme les arbres sont proches des hommes !
les hommes presque des arbres
à peu de choses près, comme tout est homme !