Le recueil « Forêt(s) » est donc l’un de ces livres, publié dans l’une des quatre collections de la petite maison d’édition : « les petits carrés » qui propose, pour un prix modique, des petits livres imprimés sur des papiers rustiques recyclés de 16 à 48 pages. Chaque livre au format 14 x 14, fruit d'une collaboration entre un poète et un plasticien, se trouve être imprimé en autant d'exemplaires que l'année compte de jours: 365 ou 366 – symbolique humoristique - et est accompagné d'un marque-page et d'une enveloppe en papier rustique.
Jusque là, facile de décrire et rendre compte ! Sauf que « forêt(s) » est une anthologie : 54 pages contenant 40 poèmes et des illustrations gravures de 46 arboricultrices et arboriculteurs, comme l’indique malicieusement l’index de fin d’ouvrage ; dans cet index, les artistes sont classés non par ordre d’apparition mais par ordre alphabétique, embroussaillement très certainement volontaire, très sain refus de la hiérarchie. Autrement dit : « lisez les tous et votre goût reconnaîtra les siens » ; pour compléter le tout, cherchez l’erreur, pour 13 œuvres graphiques différentes, seulement 6 illustrateurs… certains poètes étant aussi dessinateurs ou graveurs. Tout ça fleure bon (langage végétal encore pour arriver à la Forêt), tout ça fleure bon donc la complicité, l’amitié, l’hybridation, la vie.
Chacun l’aura compris, c’est foisonnant, j’allais écrire buissonnant, à souhait ; varié et libre comme une vraie forêt (pas les plantations de pins, uniformes et monotones que l’on voit un peut partout en guise d’espace vert ou d’équivalent carbone), avec des sentes, des sentiers, des chemins creux, des frondaisons plus régulières, presque au cordeau, d’autres clairsemées, des arbrisseaux, et des troncs et des pierres moussues, tordues.
Bref, le titre – au pluriel - est doublement précis : thème et foisonnement ; toutes les essences, tous les styles y sont: trois proses poétiques, un sonnet canonique, des vers libres (totalement et graphiquement), des rimes, des vers mesurés ou non, assonances… et vers chantant (p9 Alain Boudet justement : Ce n’est pas un arbre d’usage / Cet oranger des Osages / Un arbre de voyage caché dans le barda / […]) , d’autres plus conceptuels, plus informels ou même poèmes écrits à deux mains (p32), des clins d’œil (p17 Naître on ne pas naître ? / Un moment de grâce / Mes dés n’ont pas encore roulé ; ou p 39 Même si c’est un détail / « L’arbre qui cache la forêt »/ a de beaux jours devant lui), des jeux de langage, genre comptine (p34 Loup y es-tu ? Qu’entends-tu ?/ Le hibou qui veille/ En son chêne /…), jouant parfois de l’aphorisme, ton badin ou grave, des historiettes plus ou moins légères et chantantes à la Prévert (p 23 Un beau chêne isolé / En lisière de forêt / Rêva un jour / Qu’il était un pin / Maritime / En bord / De falaise / Et se mit / Une nuit / D’ivresse / A pencher / grisé par le vent ; ou encore p34 Dans les forêts/ Il y a toujours un loup qui s’habille / - Je mets ma chemise / pour croquer les petites files / Je mets mes chaussettes /….) ou à la Desnos, aucun rapprochement n’est ici comparaison bien évidemment (p49 Sous la scie / L’arbre crie / Pleure / larmes de sciure / Larmes de sueur / […]) ; de simples descriptions poétiques et des métaphores imagées (p51 […] / Deux vieux hêtres / à bout touchant // Le temps aidant / se frôlent se frottent / s’enlacent s’embrassent / et se soudent / pour le restant / de leurs jours.)
J’ai évoqué plus haut les senteurs d’amitiés, les fragrances de complicité qui émanent forcément d’une telle entreprise mais on l’aura compris, ce n’est pas la complicité rance dont parle Camus disant de je ne sais plus qui « Ils ne sont pas amis, ils sont complices ! », car dans cette entreprise rien n’est concédé : la qualité est partout à sa place. Comme dans une forêt chacun est libre de préférer une essence à une autre, plutôt chêne, hêtre, frêne ou boulot, mais ici nulle concurrence ou hiérarchie dans les frondaisons, tous sont beaux et nécessaires à l’ensemble Forêt, d’où le S entre parenthèses du titre, venant souligner la diversité des genres, formes, fonctions…, aucun arbre ne cache l’autre, si ce n’est peut-être pour l’ombrager ou l’accompagner…
Pour finir, si « Les arbres coupés / Donnent de temps en temps / De leurs nouvelles (p35) » je voudrais ici offrir et donner à entendre à cette belle équipe d’artistes, ce court poème, de Henri Michaux, dont j’ai oublié les références :
Debout un poteau à deux jambes donc un homme
près d’un autre qui n’en a qu’une
et ronde tout à fait : donc un arbre
Comme les arbres sont proches des hommes !
les hommes presque des arbres
à peu de choses près, comme tout est homme !